Les enfants de l'espace

par

Mario Fecteau

On ne pouvait pas dire que la tranquillité régnait dans le parc. Il y avait les promeneurs du dimanche et les amoureux qui marchaient main dans la main ou s'embrassaient sur les bancs, près de l'étang. Plus loin, des patineurs et des cyclistes profitaient de cette belle journée d'automne. Et, bien sûr, il y avait les cris des enfants, jouant au ballon ou courant entre les arbres.

Le groupe d'enfants grimpait la colline escarpée au sud du parc. Ils se rendaient au sommet, où ils bénéficieraient d'une vue imprenable sur la ville. Pour la plupart, ils avaient déjà accompli cette excursion. Ils connaissaient donc le panorama, mais il n'y avait pas mieux pour permettre à leurs jeunes camarades de découvrir la ville, eux qui visitaient la Terre pour la première fois.

Les élèves avaient écouté avec intérêt leurs petits camarades parler de la vie dans l'espace, sur la station spatiale. La plupart en avaient les yeux brillants. Tous avaient dû s'imaginer en train de flotter en apesanteur, observant le monde par les hublots. L'institutrice, elle, pensait surtout au défilement de la Terre, avec ses magnifiques couleurs, quelques centaines de kilomètres plus bas.

Elle avait peine à croire qu'on puisse se blaser d'un pareil spectacle. Pourtant, on finit par se lasser de tout. Les dirigeants de la station avaient donc eu l'idée de faire rencontrer à leurs enfants un groupe du même âge. Les petits avaient suivi un programme de centrifugeuse visant à les accoutumer à la gravité. Un tirage au sort avait désigné sa classe pour la visite.

Un de ses élèves avait lancé l'idée de cette excursion, ce qui avait enthousiasmé le reste de la classe. Comme le temps se maintenait au beau fixe depuis plusieurs jours déjà, l'institutrice avait accepté de reporter à plus tard les leçons de la journée. Maintenant, ils grimpaient tous la colline et elle comprenait, devant la joie qui émanait du groupe, qu'elle avait eu raison.

Ils arrivèrent au sommet, non loin du belvédère qui s'avançait au-dessus du précipice. Aussitôt, certains élèves se lancèrent au pas de course vers le poste d'observation, mais revinrent lorsqu'elle les rappela. Elle les enjoignit d'attendre que leurs petits camarades de l'espace aient repris leur souffle. Ils ne devaient pas oublier qu'ils n'avaient pas l'habitude de la gravité.

Après une courte pause, ils grimpèrent ensemble le court escalier. Certains s'approchèrent de la rampe et n'hésitaient pas à s'y appuyer de tout leur poids alors que d'autres, d'une nature plus craintive, se contentaient d'observer, en laissant la longueur de leur bras devant eux. Elle nota distraitement que leurs jeunes visiteurs appartenaient au premier groupe.

L'un d'eux venait même de s'asseoir sur le parapet, sûrement pour mieux voir. L'institutrice hésita un moment, sûre que le petit avait assez de jugement pour ne pas pousser l'audace trop loin. Puis, à son grand étonnement, il franchit la balustrade et lâcha sa prise. Elle se précipita pour l'attraper, mais le manqua. Horrifiée, elle ne put que le regarder tomber dans le vide.

*

En soupirant, Mildred jeta un il vers le compartiment qui contenait son ordiportable, dans le dossier du siège devant elle. La psychologue aurait aimé le récupérer, pour s'occuper l'esprit; mais le commandant avait annoncé, plusieurs minutes plus tôt, le début des manoe uvres d'arrimage à la station spatiale. Les passagers devaient donc rester attachés et prendre leur mal en patience. Mildred trouvait ces manoe uvres bien longues.

Elle ne regrettait pas d'avoir regardé une nouvelle fois le dossier du premier cas. Même si Mildred avait surtout voulu tromper sa nervosité, elle savait qu'il était bon de garder présent en mémoire les raisons de son premier voyage dans l'espace. Sa lecture, cependant, n'avait pas calmé sa nervosité. Elle ferma les yeux. Comment réussirait-elle là où d'autres psychologues, plus expérimentés qu'elle, avaient échoué?

De l'avis de sa supérieure, sa jeunesse et son inexpérience l'avantageraient, car elle porterait un regard neuf sur l'affaire. Mildred en doutait, mais ne pouvait laisser passer une chance pareille. Au bureau, chacun savait qu'il y avait un poste libre à la direction et tous espéraient obtenir la promotion. Sauf que, pour Mildred, ses chances passaient par ce voyage à la station spatiale.

En plus, elle vivait son baptême de l'espace, ce qui ajoutait à sa nervosité. La psychologue se demandait si elle supporterait l'apesanteur. Il existait une possibilité d'allergie, mince mais bien réelle. Toutefois, des dizaines de personnes se rendaient chaque année dans l'espace sans rencontrer de tels problèmes. D'autres vivaient en apesanteur depuis des années, y compris des enfants.

Cette dernière pensée l'amena encore une fois à réfléchir à la raison de sa mission. Parmi les 49 enfants de la station spatiale, sept avaient connu un destin funeste lors de visites sur Terre. À chaque fois, ils avaient péri dans des circonstances étrangement similaires, en faisant une chute. Mildred avait la tâche quasi impossible d'en découvrir la raison.

La psychologue repassa mentalement les différentes hypothèses émises pour expliquer ces tragédies. Au début, les médecins avaient songé à un trouble au niveau de l'oreille interne, mais cette théorie n'avait pas tenu la route. Les victimes étaient simplement tombées, sans avoir jamais montré le moindre signe de vertige. D'ailleurs, les autopsies n'avaient révélé aucune anomalie d'ordre physiologique.

Restaient les raisons psychologiques, puisque les chutes ressemblaient beaucoup à des suicides. Toutefois, d'éminents psychologues avaient conclu que les enfants ne présentaient pas le profil suicidaire type. Même si, à chaque fois, ils avaient simplement sauté dans le vide, les témoins avaient toujours affirmé que les victimes avaient semblé surprises de tomber.

On avait pensé à une mauvaise acclimatation à la gravité. Après tout, ces jeunes vivaient habituellement en apesanteur, où ils ne risquaient pas de tomber. Cependant, quatre autres enfants du groupe étaient déjà passés à un cheveu d'une chute mortelle et avaient réagi. Leur instinct les avait sauvés. Il s'agissait maintenant de découvrir pourquoi les autres avaient chutés.

Sur Terre, les spécialistes avaient éliminé toutes les possibilités qu'ils avaient pu envisager, une après l'autre. Cette voie d'enquête ayant abouti à une impasse, ils avaient conclu qu'il fallait regarder ailleurs. On avait fini par se dire que, puisque ces enfants vivaient dans l'espace, la solution de l'énigme s'y trouvait assurément. Mildred se rendait donc dans l'espace.

Une agente de bord annonça le débarquement, en insistant sur la nécessité d'éviter les mouvements brusques. Absorbée par sa réflexion, Mildred n'avait même pas remarqué l'arrimage. Elle récupéra son ordiportable et franchit le sas à la suite des autres passagers. Les agents de bord les conduisirent jusqu'à une vaste salle, à peu près sphérique. La psychologue regarda d'abord en bas, puis en haut. Elle se sentit prise de vertige.

Des membres du personnel de l'hôtel attendaient pour les conduire à leur chambre respective. De plus en plus désorientée, Mildred abandonna ses bagages à son guide et le suivit. Dans la chambre, le chasseur lui montra les différentes commodités, mais Mildred avait du mal à suivre. Lorsqu'il eut terminé, la psychologue le remercia, puis le regarda sortir avec soulagement.

Elle réussit à atteindre la salle de bain avant de vomir.

*

Mildred ouvrit lentement les yeux, surprise de se sentir en pleine forme. Elle n'aurait jamais imaginé si bien dormir en apesanteur, et encore moins à la suite de l'incident de la veille. Le médecin, après un rapide examen, l'avait rassurée. Elle ne souffrait aucunement du mal de l'espace, mais seulement d'un excès de nervosité, compte tenu de l'importance de sa mission.

Repensant à sa frayeur de la veille à l'idée de subir son baptême de l'espace, la psychologue s'étonna. Ainsi, c'était cela l'apesanteur? Elle n'y voyait rien de bien effrayant, après tout. De nouveau en confiance, elle sauta de sa couchette, avec la ferme intention de se mettre au travail immédiatement après le déjeuner... et se retrouva bien malgré elle au plafond!

En un instant, Mildred rebondit contre la paroi, heureusement coussinée, et revint en flottant vers le lit. Elle parvint à s'y agripper, se réprimandant de son impatience. Il lui avait fallu bien peu de temps pour oublier la réalité de l'apesanteur. Une deuxiéme tentative, beaucoup plus prudente, lui permit de se lever. Cette fois, elle progressa à l'aide des mains courantes disposées un peu partout sur les parois.

La psychologue décida de prendre l'avant-midi pour s'exercer au déplacement en apesanteur. Elle se rappela les explications du chasseur et se familiarisa avec les différents éléments de sa chambre. Lorsqu'elle estima qu'elle se débrouillait sans difficultés excessives, Mildred contacta la responsable des enfants et demanda à se joindre au groupe pour échanger avec les camarades des victimes.

Elle rejoignit la classe au début de l'après-midi. L'institutrice la présenta aux élèves et ils formèrent un cercle. La psychologue aborda d'abord des sujets neutres, n'hésitant pas à parler d'elle. Les jeunes semblaient savoir à quoi s'attendre, ce qui ne l'étonna pas. Après tout, ils avaient déjà rencontré d'autres psychologues. Puis, un enfant aborda le premier drame.

La petite parlait des chutes Niagara, site de la troisième tragédie. Les autres enfants racontèrent comment ils avaient vu tomber leurs camarades. Mildred écoutait avec un maximum d'attention, mais aucune lumière nouvelle n'éclaira son esprit. Si leur tristesse et leur désarroi lui paraissaient bien compréhensibles, leur réaction ne différait en rien de celle d'enfants vivant des situations comparables sur Terre.

Il n'était pas le premier à poser cette question et Mildred aurait bien aimé que la réponse lui apparaisse soudain. Cependant, il lui faudrait sans doute accumuler encore bien des éléments avant qu'une association d'idées ne germe dans son esprit. Au bout d'une vingtaine de minutes, la psychologue sourit gentiment aux enfants et annonça la fin de la petite séance.

L'institutrice les dispensa de classe pour le reste de l'après-midi et leur proposa un petit tour à la salle sphérique. Mildred les suivit, afin d'observer les enfants à travers leurs jeux. Elle souhaitait se faire une idée plus précise de leur comportement que ce qu'elle en avait lu dans les dossiers. Après tout, personne avant elle ne les avait rencontrés sur la station même.

Les enfants rirent un peu de sa maladresse, puis lui montrèrent des petits trucs. La psychologue les écouta avec attention, souhaitant autant gagner leur confiance qu'améliorer son comportement dans l'espace. Ils arrivèrent à la salle sphérique, en fait l'aire de débarquement qu'elle avait vue la veille. Aussitôt, les enfants s'élancèrent à travers l'espace sphérique. Mildred s'étonna devant leur absence totale d'hésitation.

Il y avait un autre groupe d'enfants, de l'autre côté de la salle. Leur maladresse révélait sans aucun doute possible leur situation de touristes. Les deux groupes se rejoignirent et fraternisèrent bientôt, comme n'importe quels enfants de la Terre. L'éventuelle différence de comportement susceptible de constituer un indice pour son enquête ne se laisserait pas découvrir facilement.

*

Mildred avait l'impression que le temps s'écoulait différemment dans l'espace. Parfois, les journées lui paraissaient plus longues que sur Terre. Elle savait que, d'une certaine façon, c'était la vérité. Puisque les humains se fatiguaient moins vite en apesanteur, ils ressentaient moins le besoin de dormir. Dans son cas, sept heures de sommeil lui suffisaient amplement.

En revanche, la semaine qu'elle venait de vivre lui avait semblé bien courte. En sept jours, Mildred s'était très bien acclimatée à l'apesanteur, n'ayant souffert à aucun moment du mal de l'espace. De plus, elle se déplaçait avec une aisance qui lui permettait à l'occasion de passer pour une habitante de la station auprès des autres touristes. En ce qui concernait sa mission, toutefois, elle avait fait jusqu'à présent chou blanc.

La psychologue n'avait pas imaginé trouver la solution de l'énigme en seulement deux semaines, alors qu'elle avait échappé aux meilleurs spécialistes de la profession. Mildred ressentait tout de même une certaine déception. Si elle ne trouvait rien d'ici la fin de son séjour dans l'espace, elle rentrerait bredouille. Ses perspectives de promotion s'amenuisaient sérieusement.

Elle avait bâti une routine de travail. Chaque jour, Mildred se déplaçait dans la station, comme tous les touristes, et étudiait le comportement des enfants qu'elle rencontrait. Lorsqu'il y avait classe, elle les observait pendant les récréations. Les grandes différences entre les enfants des touristes et ceux de la station se dessinaient peu à peu. Dans les grandes lignes, cependant, rien ne s'éloignait des remarques du dossier.

Les jeunes touristes s'étaient acclimatés encore plus rapidement qu'elle à l'apesanteur et profitaient pleinement de ses possibilités. Toutefois, ils hésitaient toujours avant de se laisser flotter, ce qui devenait encore plus flagrant lorsqu'ils devaient s'élancer au-dessus d'un espace vide, dépourvue de plancher sur le même étage. Les enfants de la station, eux, n'hésitaient jamais.

Pour le moment, Mildred profitait de la période de récréation et observait les jeux des enfants. Certains ressemblaient fortement à ceux des écoliers terrestres, parfois avec quelques variantes. D'autres, rendus possibles par l'absence de gravité, lui semblaient totalement inédits. Toutefois, si ces jeux renfermaient l'explication des drames, elle lui échappait toujours.

Un bruit sec d'éclatement retentit à travers la pièce. Mildred sursauta, imaginant aussitôt le pire. En un éclair, une liste des dangers de l'espace lui vint à l'esprit. Elle regarda tout autour d'elle, à la recherche des abris de secours, puis réalisa qu'aucun signal d'alarme ne retentissait. Soulagée, la psychologue se mit en quête de l'origine du bruit.

Dans un coin, elle remarqua deux enfants. Le plus grand tenait un sac déchiré qu'il venait sans doute de faire éclater. Il paraissait s'amuser beaucoup de sa blague. L'autre, plus petit, semblait perturbé et s'efforçait de retenir ses larmes. Mildred devina que le plaisantin voulait en profiter pour brimer le plus jeune. L'institutrice flotta dans leur direction. Depuis sa position, la psychologue n'aurait su affirmer si elle était déçue ou furieuse.

Le responsable de la mauvaise blague baissa les yeux, tandis que l'institutrice le réprimandait. Mildred approuva sa méthode d'intervention. Il n'aurait servi à rien de disputer sans explications. L'institutrice aurait même pu renchérir que la peur du bruit constituait une des deux peurs instinctives chez l'homme, avec la peur du vide, mais elle ignorait peut-être ce détail.

Quelque chose dans ce qui venait de se passer tracassa soudain la psychologue. D'une façon encore obscure, elle avait l'impression que sa dernière réflexion contenait un élément de réponse. Elle passa en revue ce qui venait de se produire... mais en vain. Un rien fébrile, elle songea que le lien se trouvait peut-être dans le dossier ou dans les notes qu'elle avait prises.

Sans plus attendre, Mildred se précipita à sa chambre, impatiente de jeter un nouveau coup d' il aux éléments de l'affaire. Lorsque la psychologue vit qu'elle y réfléchissait en vain depuis plus de deux heures, elle renonça et se coucha, frustrée. Quel que soit l'élément susceptible d'entraîner cette association d'idées si désirée, il lui faisait toujours défaut.

*

Le problème devenait peu à peu une obsession. Depuis deux jours, alors qu'elle avait cru détenir la solution, son malaise n'allait qu'en grandissant. Mildred tournait et retournait les éléments du dossier dans sa tête, sans qu'un lien se crée. La psychologue se sentait tout près de la solution, mais il manquait encore quelque chose. Et elle n'aurait su dire quoi exactement.

Mildred poursuivait son travail quotidien. Celui-ci devenait un peu trop routinier, comme si la vie, en dehors de ce problème, n'existait plus. En ce moment, elle se déplaçait dans la section de l'hôpital de la station, secteur qu'elle commençait à bien connaître. Elle avait déjà visité au moins une fois chaque partie de la station, mais certaines lui semblaient plus propices à la réflexion.

Appuyant une main sur la paroi la plus près, Mildred se retourna d'une poussée. Une jeune femme blonde flottait dans le corridor. D'après l'apparence de son ventre, elle était enceinte de plusieurs mois. Puisqu'il n'y avait personne d'autre dans les environs, la psychologue conclut que la question s'adressait à elle. Son aisance la faisait passer une fois de plus pour une habitante de la station.

Soudain intéressée, Mildred redoubla d'attention. Les préoccupations des femmes qui venaient accoucher sur la station rejoignaient peut-être ses soucis présents. De plus, il se dégageait de la jeune femme une aura de sympathie. Il s'agissait sûrement du genre de personne à forger des amitiés nombreuses et sincères. La psychologue lui proposa de l'aider à trouver le laboratoire.

Ils progressèrent assez lentement, en raison de la maladresse de la jeune femme. La psychologue se demanda si sa lenteur venait de sa condition ou si elle n'était pas parvenue à s'adapter à l'apesanteur. Ils trouvèrent rapidement le laboratoire, mais la femme avait prévu ses problèmes d'orientation, si bien qu'elle arrivait en avance. Ils se remirent à discuter.

Mildred retourna ses salutations à la jeune femme, mais avait déjà l'esprit ailleurs. La dernière remarque de sa vis-à-vis venait de ranimer ses espoirs. La psychologue sentait qu'il existait un lien entre cette histoire de grossesse en apesanteur et l'incident de l'avant-veille, avec l'éclatement d'un sac. Elle se précipita aussi vite que possible à sa cabine.

En chemin, la psychologue s'efforça de reprendre son calme. Rien ne l'assurait de la justesse de son intuition. Cependant, s'il y avait effectivement un lien, elle le verrait rapidement. Mildred entra en trombe dans sa chambre. Dans son énervement, elle rebondit à quelques reprises sur les parois avant de parvenir à saisir le dossier, puis se mit à chercher fébrilement. Il fallait que ça s'y trouve. Et ça s'y trouvait.

Elle avait trouvé!

*

Sans plus attendre, Mildred ramaphona à son bureau, sur Terre. Un certain temps s'écoula sans réponse; puis, à l'autre bout, on décrocha. Sur l'écran, l'image d'une femme aux cheveux grisonnants remplaça le logo de la compagnie ramaphonique. La psychologue reconnut sa supérieure. À en juger par la surprise qui se peignait sur le visage de la vieille femme, elle n'attendait visiblement pas d'appel de son employée.

Elle se rendit compte apres coup qu'elle avait crié, tellement sa satisfaction était grande. La vieille femme lui ordonna de se contrôler, mais Mildred prenait déjà quelques respirations profondes pour se calmer. Elle en profita pour mettre un peu d'ordre dans ses pensées, ses propos devant rester clairs. Lorsque sa supérieure lui demanda des explications, Mildred se maîtrisait beaucoup mieux.

La vieille femme lui demanda d'expliquer le raisonnement qui l'amenait à une telle conclusion. Mildred raconta l'incident de la blague du sac de papier éclaté et des pensées qui avaient traversé son esprit quand l'institutrice avait réprimandé l'enfant. Puis, elle parla de sa rencontre avec une femme enceinte, qui avait constitué l'élément déclencheur. Elle avait ensuite consulté les dossiers.

Sa supérieure ouvrit de grands yeux, étonnées. La vieille femme la félicita et lui assura la paternité de la découverte, puis lui proposa aussitôt la direction d'une équipe de recherche ayant la mission d'imaginer une thérapie. Elle demanda ensuite à Mildred de rédiger un rapport détaillé de sa découverte et des circonstances l'ayant rendue possible.

Mildred salua sa supérieure et raccrocha, soudain tracassée. La dernière remarque de la vieille femme semblait créer un nouveau lien dans son esprit. Contrairement à ce qu'avait dit sa supérieure, les enfants n'avaient pas perdu un instinct fondamental, ils n'en avaient jamais été pourvus. Petit à petit, Mildred en vint à une terrible conclusion : il n'existait aucune thérapie possible.

Elle pensa aux deux derniers survivants et se sentit encore plus triste. Ces enfants n'appartenaient pas à la Terre. Ils n'y avaient jamais appartenu. Tant qu'ils vivraient dans l'espace, en apesanteur, ils resteraient dans leur milieu. Pour eux, c'était la présence de gravité qui constituait un élément étranger. Ici, dans l'espace, une nouvelle espèce avait vu le jour, supplantant l'humanité dans l'arbre de l'évolution.

Mildred sortit son ordiportable et commença à rédiger ses conclusions.




© Mario Fecteau





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