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Par définition l' état stable d' un système est celui vers lequel évolue naturellement un système laissé à lui-même.
L' approche de Boltzman consiste à définir comme "état stable" d' un système celui qui peut être obtenu du plus grand nombre de façons possible.
Intuitivement, la notion est assez claire : en prenant un chemin au hasard, nos chance d' aboutir quelque part sont d' autant plus grandes que les chemins y conduisant sont nombreux.
Considérons un système simple constitué d' une collection d'agrégats répartis dans des cases.
Par agrégat il faut entendre des éléments distincts mais identiques, supposés sans interaction entre eux.
Une bonne image serait, par exemple un ensemble de 2 cases identiques dans lesquelles se
répartiraient un nombre fini n de billes (avec bien sur n>2).
Nous appellerons "complexion", pour reprendre le terme introduit par Planck, une répartition particulière des billes dans les cases.
Une complexion reste inchangée lorsque l'on permute deux éléments entre eux: seul nous importe le nombre éléments dans chaque case.
Le terme "identique" indique une similitude jugée "suffisante" pour le problème qui nous occupe.
Calculons tout d'abord la probabilité d'une complexion quelconque.
Les éléments sont indiscernables, au vue des critères qui sont les nôtres, par conséquent, la permutation de deux éléments entre eux donne la même complexion.
Nous pouvons figuré les éléments par un "0", la séparation entre deux cases par un "/".
Pour 5 éléments et deux cases ceci donne les possibilités (ou "états du système") suivantes:
Nous appellerons "mode de répartition" chaque classement différent, soit parce que le nombre des éléments dans les cases diffèrent, soit, s'ils ne diffèrent pas, parce que les éléments dans les cases ne sont pas les mêmes.
Pour le premier élément il y a 2 possibilités de répartition entre nos deux cases: soit dans la case de gauche, soit dans celle de droite, pour le second, il y a également 2 possibilités. Pour un ensemble de deux éléments, il y a donc cas de figures possibles.
De proche en proche, on établit qu'il y a modes de répartition possibles des n billes dans les deux cases.
Un mode de répartition donné correspond donc à 1 possibilité parmi cas possibles.
Si nous ne possédons aucune information particulière nous permettant d'espérer un mode de répartition plutôt qu'un autre, nous considérerons chaque cas comme équiprobable.
Il n'y a qu'une façon d'obtenir un mode de répartition particulier sur cas possibles,
sa probabilité est donc :
Chaque mode de répartition concourant a une complexion particulière, avec une même probabilité, la probabilité d'une complexion quelconque, que l'on appelle aussi "réalisabilité" est donc, dans notre exemple de:
étant une constante, la complexion la plus probable est celle pour laquelle sera maximum,
c' est à dire tel que :et:
Ce qui donne dans notre exemple de deux cases:
Après simplification, nous avons: et
Si n est pair :; sinon :
Cette répartition correspond a un nombre de billes aussi égal que possible entre nos deux cases.
Le calcul numérique montre que la probabilité d'obtenir une complexion dans le voisinage de la complexion la plus probable croit très vite avec n.
L'état stable d'un système est celui dont la réalisabilité (au sens qui vient d'être défini) est maximum, c'est à dire celui pouvant être réalisé (ou atteint) du plus grand nombre de façons possible.
Ce qui est remarquable dans cette définition, c' est que la notion de stabilité dépende de l' observateur.
Pour être plus précis, considérons deux observateurs différents face à notre système constitué de n objets distribués dans 2 cases.
Le premier juge chacun des n éléments comme autant d' individus distincts, tandis que le second à l' inverse les verra tous comme équivalents.
Le premier s' intéressera non pas aux "complexions" mais aux "modes de répartition" de l' ensemble. Il sera en effet à même de différencier la simple permutation de deux individus dans une même case.
Il devra donc envisager un ensemble d' états du système égal au nombre de "modes de répartition", soit .
Par ailleurs, tous les états du système étant différents ils sont équiprobables :.
Notre observateur n°1 ne voit donc pas d' état privilégié qu' il puisse définir comme "stable".
Le second, aux sens moins affinés, ne pourra que s 'intéresser aux différentes "complexions" de l' ensemble considéré. Nous avons vu que ces complexions sont, dans notre exemple, au nombre de .
En dehors du cas trivial où n=1, il est clair que le travail du premier de nos deux observateurs est toujours plus important que celui du second puisqu' il devra précisé l' état effectif du système parmi états potentiels, tandis que son collègue se contentera de préciser un état parmi n+1.
Mais le "travail" de notre second observateur est encore simplifié du fait qu' à ses yeux tous les états potentiels du système ne sont pas équiprobables. Il est à même de "voir" comme stable l' état où les objets se répartissent de façon pratiquement identique entre les deux cases. Cet état nouveau du système a une probabilité de .
Les chances d' observer le système dans un état stable ou proche de celui-ci croissent extrêmement vite avec n.
C' est là à mon sens le côté un peu magique de la réflexion de Boltzman.
Il nous montre en effet qu' en renonçant à détailler, individualiser, différencier, en acceptant d' appauvrir notre perception des détails, nous améliorons notre compréhension de l' ensemble. A une échelle plus globale, nous dégageons des formes stables, nous structurons notre représentation.
Toutefois, la différence entre nos deux observateurs tient plus à une différence de "niveau d' analyse" qu' à une quelconque différence de nature.
En effet, pas plus que l' observateur n° 2, le n°1 n' a d' accès direct, immédiat, aux objets qu' il décrit. Dire que l'observateur N°1peut individualiser chacun des n objets du système signifie simplement qu' il dispose d' une grille d' évaluation présentant plus de n possibilités distinctes.
Fondamentalement, nos deux observateurs réalisent le même type de travail pour caractériser les objets et les "classer", mais à une échelle, avec une finesse d' analyse différente :
Le premier caractérise les n objets selon au moins n critères (parmi lesquels leur appartenance à l'une ou l'autre case)
Le second ne retient que la distribution entre ces deux cases.
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C' est ce passage d' un niveau d' analyse à l' autre qui structure notre vision du système, le "met en forme", crée au sens
étymologique du terme, de l' "information".
En discernant un nouvel état comme "stable" ( l'équiprobabilité d'appartenance à l'une ou l'autre case) l' observateur n°2 ajoute quelque chose d' irréductible au travail descriptif du n°1.
Le discours de l' observateur n° 2 est un "méta-discours" par rapport à celui du n°1.
note 1:
Ceci nous ramène à Michel Foucault dans "Les Mots et les Choses".
Il y montre en effet comment le premier soucis d'une science en constitution est de "nommer des critères" et de "classer " les observations en fonction de ces critères.
Cette démarche élémentaire, lorsqu'elle aboutit à repérer des stabilités est donc bien une "source d'information".
Le fait, par exemple de classer les différents éléments dans la table périodique de
Mendeleïev apporte des informations.
La "taxinomie" est une démarche scientifique indispensable à l'établissement de "règles".
Puisqu'en définitive, "nos" lois naturelles ne sont que l'observance de distributions stables entre différents états.
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