La dynamique des forces sociales.



Raymond Abellio, dans son ouvrage «La structure Absolue», nous livre en annexe une analyse magistrale de la dynamique des fonctions sociales.
Sa présentation rend compte très simplement de l’ensemble des systèmes de gouvernements qu’il nous est donné de voir en action ou d’étudier.
Abellio nous propose un système à deux niveaux (l’administration des choses et le gouvernement des hommes), nous verrons qu’il est utile d’y adjoindre un troisième niveau, proprement politique, niveau ultime où s’opère la genèse des deux autres, ouvrant ainsi la voie à un rapprochement assez frappant avec les autres analyses que nous avons pu conduire par ailleurs, comme :
la constitution de la personnalité (voir Lacan),
l’étude des dysfonctionnements dans les entreprises (voir March & Simon),
l’avènement des révolutions scientifiques (voir Kuhn),

L’utilisation d’une même structure ternaire pour des interrogations dans des champs apparemment si différents nous rend sensibles aux résonances qui s’opèrent de l’un à l’autre.
Ces résonances transcendent même l’univers culturel proprement indo-européen qui a donné naissance au structuralisme dont est issu notre analyse, puisqu’on y trouve un écho dans l’approche traditionnelle chinoise, taoïste (voir Yi King).
 

Sommaire

  1. Le champs social
  2. Niveau économique :        l’administration des choses
  3. Niveau politique :     le gouvernement des hommes
  4. Niveau constitutionnel :    l’avènement du pouvoir
  5. Synthèse
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1/ Le champ social :


Considérons le couple d’oppositions aussi général que possible caractérisant toute société : ce couple ne peut être que celui qui oppose et conjoint l’administration des choses et le gouvernement des hommes, le premier de ces deux pôles étant en outre subordonné au second.
Dans le cours de l’histoire connue, aucune société n’a pu se dispenser de répartir les biens ni de faire observer les lois.
L’homme, en effet, ne s’associe à d’autres hommes que pour procéder avec eux à des échanges et ces échanges eux-mêmes impliquent un code d’équivalence et par conséquent le respect de conventions qui forment la loi des parties.

Des théoriciens ont pu proposer des modèles idéaux où la société se réduisait à l'administration des choses, comme dans les systèmes saint-simonien, proudhonien ou marxiste, qui prévoient la suppression ou le dépérissement de l'État, mais l'expérience n'en a jamais été menée suffisamment loin ni surtout avec l'homme le plus général.
La codification des rapports sociaux implique d'ailleurs la persistance du contenu «subjectif» attaché à la notion de gouvernement: aucun automatisme proprement administratif ne rendra jamais entièrement compte des conditions, à la fois universelles et individuelles, pas plus d'ailleurs que d'activités individuelles apparemment marginales, et en réalité fondamentales, comme celles de l'art.
Nous sommes donc bien en présence de deux pôles, qu'on peut appeler de la physique et de la politique sociales.
Comme dans tout rapport, on note une intensification d'un terme à l'autre, les hommes se plaçant au-dessus des choses.
On entend par « choses », tout ce qui est destiné à la consommation de tous, et par conséquent les produits sociaux, qu'il s'agisse des biens matériels ou des biens intellectuels, dans la mesure où ils sont communicables, échangeables, consommables par tous.
 
 Ce premier point établi, il est clair que les deux pôles considérés (physique et politique sociales) sont eux-mêmes duels chacun dans leur ordre, et enferment ainsi une dynamique.
 
L'administration des choses se donne pour fin non seulement la conservation du corps social mais aussi son enrichissement, par accroissement de la production et de la consommation des biens matériels ou intellectuels.
Les facteurs non répétitifs d’accroissement s'enlèvent sur les facteurs répétitifs de conservation comme l’actif sur le passif, l'objet sur le fond du monde, l'organe des sens sur le corps.
Nous dirons alors que l'administration des choses conjoint deux fonctions, l’une qui sera dite, par exemple, d’entretien ou plutôt d'exécution, l’autre de promotion ou plutôt de gestion.
 
Les mêmes observations valent pour le gouvernement des hommes, où la conservation du code des lois est d’essence répétitive et relève d'une fonction de puissance, tandis que l’amélioration, l’adaptation de ce même code est d'essence non répétitive et relève d'une fonction de connaissance.
 
Nous arrivons ainsi à quatre ordres de fonctions et à quatre classes d'hommes «socialisés» :
d'exécution,
de gestion,
de puissance,
de connaissance,

ce qui reproduit le classement des quatre castes traditionnelles aux Indes :
les Shudras ou travailleurs indifférenciés,
les Vaisyas ou travailleurs qualifiés,
les Kshatryias ou guerriers
les Brahmanes ou prêtres

ou encore, pour les trois castes supérieures, la hiérarchie des flammes romains.

2/ Niveau économique:

l’administration des choses

Nous avons vu que l’administration des choses conjoint deux fonctions : l’une d’exécution, l’autre de gestion.
La fonction d'exécution sera à son tour polarisée selon deux composantes ;
production,
consommation,

et la fonction de gestion de même
administration,
invention,

ce qui permet de noter que les facteurs non répétitifs prennent de plus en plus d'importance relative à mesure qu'on s'élève dans l'échelle des castes.
 
Dans l'absolu, on ne saurait désigner, au sein de ces deux couples, une fonction plus «originaire» que l'autre, car elles sont ensemble perpétuellement naissantes et mutantes. Simplement l'on reconnaîtra qu'il existe, du point de vue de la physique sociale, deux grands types de sociétés selon que l'accent est mis sur la consommation ou la production :
Les sociétés à distribution prioritaire ou prééminente seront dites distributives ou socialistes;
Les sociétés à production prioritaire ou prééminente seront dites productivistes ou capitalistes.

Selon que l'accent sera mis en outre sur l'Administration ou l'Invention les sociétés seront dites "dynamiques" ou "statiques".

Mais comme nous nous trouvons au niveau le plus bas de l’organisation, le niveau 1 du modèle, c'est évidemment la division portant sur les fonctions du plus bas niveau et du plus grand nombre qui sera dominante.
Les caractères seconds dus aux variations de l'administration et de l'invention étant dès lors, comme en génétique mendélienne, qualifiés de récessifs.

Une société productiviste (statiqueou dynamique) est tendue vers une expansion de la production. Cette expansion est tournée elle-même vers un accroissement du profit corrélatif d'une consommation réprimant tout gaspillage.

Dans une société poductiviste, l'individu dispose de plus de droits que la communauté.

Une société distributive (statique ou dynamique) est au contraire tournée vers la satisfaction d'une consommation croissante corrélative d'une production ménageant sa peine:

Dans une société distributive, la communauté a plus de droits que l'individu.

Il faut bien entendu considérer d'abord les caractères dominants et n'intégrer qu'en second les effets récessifs, mais liés, du statisme et du dynamisme.
Ainsi les motivations sociales, statistiquement, sont toujours doubles.
Dans les sociétés statiques, le pôle originairement actif (consommation ou production) se tourne d'abord vers l'administration, il s'agit d'assurer la continuité du régime établi;
Dans les sociétés dynamiques, ce même pôle se tourne d'abord vers l'invention, il s'agit de pousser vers ses limites le régime établi et même de l'en faire sortir.
Dans le premier cas, les revendications d'expansion seront de quantité, de qualité dans le second.

Les tableaux suivant schématisent les quatre types de sociétés ainsi possibles :

2.1/ Economies à distribution prééminente

Statique Dynamique



Dans les sociétés à distribution prééminente, c'est le consommateur qui est originairement actif : il cherche à augmenter sa consommation pour accroître son plaisir, mais en tant que producteur il est originairement passif, il cherche à limiter sa production pour diminuer sa peine.
 
En suivant le déroulement des transactions dans les deux types de fonctionnement possible (actif et passif), on constate que dans les économies distributives les exigences de la consommation tournent l’attention des administrateurs et les inventeurs (la troisième caste indou) vers le pôle de la production.
Dans ce cas, la production sera fortement administrée et tendra aux différents degrés de son évolution vers la planification et même vers la pléthore administrative.

En même temps cette production recevra l'esprit d'invention mais dans un sens plus favorable aux consommateurs qu'aux producteurs, ce qui signifie que cette société raffinera sur ses loisirs et 1'«évasion» hors du social planifié, et poussera les inventions sans esprit de rendement productif, ce qui favorisera l'art mais impliquera aussi un manque de discrimination allant jusqu'au dérèglement.

Telles sont de toute évidence les deux tendances de toute société socialiste : elle risque un alourdissement de son administration et un certain «gaspillage» des forces productives.
Cet alourdissement est la marque d'un certain nivellement entropique, puisque la troisième caste descend au niveau de la quatrième.
Quant au risque de gaspillage, il signifie que cette civilisation réserve plus de part aux loisirs et par conséquent aux vocations individuelles (et notamment aux occupations artistiques) de ses membres. L'art prend plus d'importance, pour tous et pour chacun, que la simple administration d'intérêt commun.

 

2.2/ Economies à production prééminente

Statique Dynamique


Dans les sociétés à production prééminente, c'est inversement le producteur qui est originairement actif, il est poussé par l'émulation du profit ou du rendement, mais en tant que consommateur il est originairement passif. Il est retenu par son besoin d'économie et de sécurité.
 
En suivant le déroulement des transactions dans ce type d’économie productiviste (à caractère récessif actif ou passif) on constate que les exigences de la production ramènent au contraire les administrateurs et les inventeurs vers le pôle de la consommation.
Dans ce cas, le pôle production poussera l’administration à prendre des mesures répressives pour réduire la consommation, ce qui conduira les consommateurs à devenir inventifs pour se défendre.

Telles sont de toute évidence les deux tendances de toute société capitaliste : elle se manifeste par la volonté d'asservissement et de répression exercée par la troisième caste sur la quatrième, qui tend à devenir prolétarienne, c'est-à-dire à ne disposer que d'un pouvoir de consommation juste  suffisant pour maintenir sa force productive, mais à l'autre pôle elle voit ce même prolétariat conduit à inventer toutes les formes de résistance possibles:
soit sur le plan de la consommation (apparition des «ersatz» et des formes individuelles et collectives de la «clochardisation» : sociétés caritatives et c…)
soit, surtout, par la transformation psychique de cette résistance qui devient alors conscience révolutionnaire de classe.
D'une façon générale, aussi bien pour les sociétés distributives que pour les sociétés productivistes, il faut noter que l’évolution sociale marque une tendance à sortir du «physique» proprement dit pour accéder au niveau intermédiaire du «psychique».
l'apparition des vocations artistiques dans un cas,
le surgissement de la conscience de classe dans l'autre.

Bien entendu, une société donnée ne choisit pas d'être purement distributive ou purement productiviste, et on peut même considérer que la «pureté», ici comme ailleurs, est simplement tendancielle.

Prétendre stabiliser une société «purement» productiviste ou distributive relève donc d'un irréalisme foncier, que les faits démentiront sans cesse:
soit que la conscience révolutionnaire de classe, dans un cas, vienne en permanence forcer les institutions du productivisme à se concilier avec elles d'une distribution plus «juste»,
soit que les vocations libertaires ou artistiques, dans l'autre, et non moins en permanence, se fassent discordantes pour troubler et disloquer l'ordonnance toute théorique de l'appareil distributif.

Il n'existe donc en fait que des sociétés «mixtes» ou «intermédiaires» vivant de façon instable entre le capitalisme et le collectivisme.

Dans le cas des sociétés à production prééminente, certaines formes de socialisation spontanée (assurances sociales, nationalisations, etc.) viennent gêner le fonctionnement de l'économie concurrentielle; dans le cas des sociétés à distribution prééminente, certaines formes d'égoïsme productiviste également spontané (absentéisme, mauvaise qualité de la production de masse, corruption administrative, évasion vers les formes anarchiques de l'art ou de la mystique, etc.) témoignent d'un besoin sous-jacent de liberté au niveau de la production.

Finalement, c'est un tableau complet des transactions qu'il faut dresser, comprenant successivement le jeu de tous les caractères tour à tour dominants et récessifs.
Nous ne détaillerons pas ici la signification particulière des transactions possibles, dont nous avons d'ailleurs déjà dégagé les quatre produits essentiels, opposés deux à deux, et qui sont:
Dans un cas, la tendance à la pléthore administrative (d'essence physique) et aux vocations libertaires ou artistiques (d'essence psychique),
Dans l'autre cas, la tendance à l'asservissement (d'essence physique) et à la montée de la conscience révolutionnaire (d'essence psychique).

 

3/ Niveau politique :

le gouvernement des hommes

Ce niveau, qui est proprement le niveau politique du système des forces sociales, met en scène les hommes de connaissance et les hommes de puissance.
Il est dans la nature de ces derniers de refuser toute vocation limitée à la puissance répétitive et de rechercher l'expansion de la puissance en quantité et en qualité, le soldat se faisant roi puis prêtre, et même dieu.

Le pôle de la puissance est d'ailleurs duel; il contient les deux fonctions de l'armée et de la police.
La fonction militaire est active quand il lui faut gagner la guerre, passive quand il lui faut maintenir la paix,
La fonction policière est passive quand elle se borne à recevoir l'information en général, sous forme de renseignements qui rendent transparente et pénétrable, pour le pouvoir, la matière sociale, et quand elle s'installe ainsi dans la société à surveiller par ces moyens passifs inhérents à toute police que sont le noyautage et la corruption. Au contraire, elle est active quand elle enquête elle-même, recherche et arrête les individus asociaux ou les fait se démasquer par ce moyen actif inhérent à toute police qu'est la provocation.

Quant à l'homme de connaissance, il est lui-même duel par sa double fonction de prêtre (ou de mage) et de juge. Cette division est, elle aussi, traditionnelle. On dit communément que le prêtre (ou le mage) est actif et le juge passif, mais cette observation est insuffisamment dialectisée :
Le juge a pour fonction la plus visible de rendre la justice et de tenir ainsi la balance en équilibre, ce qui est une fonction passive. Il est aussi conduit à rendre des arbitrages pour les cas qui ne relèvent pas répétitivement du code déjà établi, ce qui implique une conversion active des parties. C'est-à-dire que le juge ne se contente pas de conserver le code, mais qu’il l’interprète et l’actualise, ce que forme la jurisprudence. Dans la tradition indou (qui se perpétue dans toute la culture indo-européenne), l'administration de la rigueur guerrière est le fait du dieu fulgurant Indra, mais aussi d'une figure divine sans doute d'abord autonome mais très vite confondue avec lui que G. Dumézil nomme Vrtrahan, ce qui signifie le «destructeur de résistance», opposant ainsi à l'activité et à la visibilité du guerrier proprement dit, la passivité ou plutôt l'action souterraine de l'agent de renseignements, ou encore la guerre conventionnelle visible à la guerre subversive invisible. (A rapprocher de l’approche chinoise de Tsun Tseu. Dans son « Art de la Guerre », en effet, différencie au sein des armées les moyens «ordinaires» ou troupes régulières et «extraordinaires» ou forces spéciales).
Quant au mage ou au prêtre, il est actif par le maniement des forces invisibles et passif dans le hiératisme des attitudes qu'implique l'invisibilité même de ces forces. On dira qu'il est actif dans la «conduite» et passif dans l'«attitude». En général, la tradition rapporte cet ensemble de fonctions à un couple de grands dieux, par exemple aux Indes à Mitra et Varuna. Mitra représente l'aspect juridique, réglé, exact et en quelque sorte répétitif des opérations dont Varuna est l'aspect magique, terrible et inspiré et par conséquent imprévisible et non répétitif.

Cette double dualité est très claire :
Varuna, qui trône en haut du ciel, voit tout et punit ceux qui pèchent contre l'exactitude rituelle... mais il les punit sans bataille: il les «lie» par une prise soudaine instantanée, à laquelle ils ne résistent pas. Il n'y a donc pas de mythes de combat autour de Varuna qui est pourtant le plus invincible des dieux. Sa grande arme est sa «maya d'Asura»; sa magie de souverain, créatrice de formes et de prestiges, qui lui permet aussi d'administrer, d'équilibrer le monde...

Dans la cosmogonie grecque,l'antithèse entre le premier souverain du monde et le dieu fulgurant est exactement du même type.
Zeus combat, il soutient des guerres difficiles, longtemps balancées, il blesse, il tue ;
Ouranos ne combat pas, il n'y a pas trace de lutte dans sa légende, bien qu'il soit le plus terrible et le moins aisément détrônable des rois : par une prise infaillible, il immobilise, très exactement il «lie», il enchaîne aux enfers ses rivaux éventuels, etc.
On pourrait multiplier les citations et décrire dans les mêmes termes les dualités Odhin-Thor des mythologies nordiques et aussi Jupiter-Dius Fidius.
 
Comme pour l’administration des choses, il y aura dans l’administration des hommes deux grands types de sociétés, mais le caractère dominant qui commande cette division ne provient pas comme précédemment de la dualité d'une seule caste -la Fance d'en bas- (qui se différencie par son pouvoir d’achat ou ses capacités techniques, et non par son statut, son rôle effectif dans la conduite des affaires) mais de la dualité même des deux castes du haut -la France d'en haut- (la puissance et la connaissance sont conjointes).
Nous reconnaîtrons donc qu'il y a, en haut, selon le jeu réciproque des pôles actif-passif de la puissance et de la connaissance, des sociétés de type césaro-papiste ou papo-césariste polairement opposées.
On note d'ailleurs que si les sociétés productivistes et distributives à l'état pur ont plutôt tendance, en un lieu donné, à se succéder dans le temps, les sociétés césaro-papiste ou papo-césariste à l'état pur ont plutôt tendance, à un moment donné, à s'établir conjointement dans l'espace.
Le socialisme succède au capitalisme et inversement, mais le papo-césarisme de Rome ou de Téhéran à vécu en même temps que le césaro-papisme de Moscou.
 
Il résulte de ces considérations que les polarités «originaires» à dégager dans les deux cas n'appartiennent pas, comme pour l’administration des choses, à une seule caste, mais conjointement aux deux, et qu'elles sont forcément celles de la prêtrise (papo-césarisme) et de l'armée (césaro-papisme).
En effet :
la justice, même active, se veut retranchée ou «indépendante», au moins formellement, car on ne peut être officiellement juge et partie. En conséquence: si la justice se veut réellement active, elle est obligée de prendre les traits de la prêtrise,

de même

il est dans l'essence de la police, même active, d'être invisible et en tout cas de se cacher. Si elle se veut réellement et visiblement active, est-elle obligée de prendre les traits de l'armée.

Selon l’orientation initiale des transactions, les deux types de sociétés ainsi dégagées présenteront des caractères subalternes qu'on pourrait appeler récessifs, et qui tiendront aux attitudes particulières prises dans certains cas par la justice et la police.
Nous aurons à étudier ces "superstructures" dont l'importance n'est que relative par rapport à celle des "infrastructures" papo-césariste et césaro-papiste.

3.1/ Sociétés de type papo-césariste

 
à caractère passionnel à caractère intellectuel

Pour l'intelligence de notre premier tableau de transactions, notons simplement que :
La prêtrise, lorsqu'elle est dominante, recherche surtout l'appui de l'armée, sa domination se teinte de valeurs plus «passionnelles» ou psychiques qu'intellectuelles,
Inversement, si la prêtrise dominante s'appuie sur la police, cette domination sera teintée de valeurs plus formalistes ou « intellectuelles » que psychiques.

On conclura immédiatement que les sociétés papo-césaristes de type passionnel ou psychique s'apparentent dans l'histoire contemporaine aux régimes fascistes, et les sociétés papo-césaristes de type intellectuel aux régimes communistes.

Dans les deux cas, le rôle de la prêtrise est tenu par le Parti unique.
Les partis fascistes ont en effet un ressort passionnel, ils exaltent des valeurs telluriques: le sang et le sol, tandis que les partis communistes ont un ressort intellectuel. Ils se rassemblent autour d'une doctrine qui se veut rationnelle et même rationaliste: le marxisme, ou toute autre doctrine «objective» de la prévision.

3.2/ Sociétés de type césaro-papiste

à caractère passionnel à caractère intellectuel

Dans ce second tableau de transactions, notons que :
L’armée, quand elle est dominante, s'appuie sur la prêtrise.
Si l'armée dominante s'appuie sur la justice, cette domination sera teintée de valeurs plus formalistes ou «intellectuelles» que psychiques.

Les sociétés de type césaro-papiste
de type passionnel sont assimilables dans notre histoire contemporaine aux dictatures militaires à tendances nationalistes (régime franquiste espagnol)
de type intellectuel sont assimilables aux dictatures militaires à tendances communistes (régime castriste cubain).

Les premières sont souvent teintées de conservatisme et même de fanatisme religieux, les secondes sont plutôt laïcistes.
 
Dans les sociétés à ressort psychique, dominées par les rapports bi-univoques de la prêtrise et de l'armée, le prêtre se faisant soldat et le soldat se faisant prêtre, le produit direct est la guerre extérieure.
Le juge se faisant policier et le policier se faisant juge, le produit second, de ces transactions sera :
l'inquisition à l’intérieur,
l’espionnage à l’extérieur.

Dans les sociétés de type intellectuel, où le prêtre se fait policier et où l'armée rend la justice,

le produit direct est la révolution intérieure.
Le produit indirect est l’agitation, qui se manifeste :
à l'intérieur par les formes de la provocation et de la délation, contre-pôle de l'inquisition.
à l’extérieur par les actions clandestines (provocations, terrorisme…) conduites par les extensions clandestines du Parti, contre-pôle de l’espionnage.

Quant à l'interprétation «globaliste» qui se trouve ainsi rendue nécessaire, elle ne laisse pas d'être aisée.

L'affrontement final implique notamment la concomitance de la guerre et de la révolution, ce qui signifie que toute guerre, ultime produit du psychisme social, devient de plus en plus révolutionnaire et se charge de raisons intellectuelles ou d'alibis doctrinaux, cependant que toute révolution, ultime produit de l'intellectualité sociale, devient de plus en plus guerrière et se charge de passion.
 
Le XXe siècle nous le confirme : toute guerre se fait civile et fait le lit de la révolution; toute révolution porte en elle la guerre, même au nom d'un pacifisme idéal.
 

Pour être complet et épuiser le dénombrement des transactions possibles dans ce modèle sénaire du gouvernement des hommes, on peut étudier le rôle des caractères récessifs lorsqu'ils réapparaissent à certains stades «bâtards».

Il nous faut réactiver les fonctions de justice et de police et leur donner à leur tour un caractère originaire.
On aboutira dès lors à des sociétés :
de type juridique (ou parlementaire) dans un cas,
de type policier (inquisitorial ou contrôlé) dans l'autre,
mais ce ne seront encore une fois que des formes sociales hybrides en évolution rapide vers les formes réellement dominantes du papo-césarisme et du césaro-papisme.

3.3/ Sociétés juridiques (ou «parlementaires»)

cas A cas B

 

Les deux schémas possibles décrivent :

En A, le parlementarisme aristocratique appuyé sur l'armée et où la police se sert de la prêtrise (royauté constitutionnelle),
En B, le parlementarisme démocratique où le régime repose sur le ministère de l’Intérieur et se méfie de l'armée, qui devient d'ailleurs cléricale (Troisième République Française).
 

3.4/ Sociétés policières (ou cléricales)

Cas C Cas D

 
En C, l'image inversée du régime précédent est son complémentaire obligé avec la police et les sociétés secrètes contrôlant le parlementarisme et où les prêtres eux-mêmes se font réfractaires et tendent à devenir soldats (régime des clubs et chapelles, maçonnerie, lobbies et autres maffias),
En D, enfin la cléricature policière se donne un pouvoir séculier visible entre les mains d'une armée assujettie.

4/ Niveau constitutionnel : l’avènement du pouvoir


L’analyse que nous soumet Raymond Abellio se limite à deux niveaux (gouvernement des hommes et des choses). Et même si ce qu’il en dit est beaucoup plus dense et développé que notre court exposé, notre point de vue s’écarte quelque peu de son approche.
Tout d’abord, l’exposé complet de son analyse suppose de reprendre l’approche phénoménologique qui sous-tend le modèle sénaire. Notre problématique plus « techniciste » ne recherche pas une lecture à plusieurs niveaux (commentaires sur le commentaire, exégèse ou métalangage) qui sont le propre de la méthode phénoménologique Abellienne. Ceci ce fait au prix d’une perte de sens. Mais c’est le prix à payer pour rendre notre approche plus scientifique.
 
Néanmoins, cette perte de sens peut être grandement compensée par l’adjonction d’un 3ème niveau aux deux précédents. Ce dernier niveau reprendra en fait la synthèse Abélienne (lecture de second niveau qu’il donne en modélisant les produits extrêmes des 2 modèles du gouvernement des hommes et des choses).
 
Il nous reste à prendre en considération l’avènement même de tel ou tel type de gouvernement (qu’il soit de niveau 1 - gouvernement des choses -, ou 2 – gouvernement des hommes-).
Le niveau économique met le modèle de dynamique des forces sociales en contact avec le Monde extérieur – les choses- qui, précisément doivent être distribuées au sein des hommes en société. C’est le niveau de la « Terre » au sens du Yi King (voir Yi King).
Le niveau politique, serait alors le niveau de l’ «Homme», toujours au sens du Yi King – ce qui se conçoit facilement puisqu’il y est question proprement des hommes -.

Il s’agirait donc maintenant, de modéliser le niveau du «Ciel», le dernier trait du trigramme du Yi King. C’est à dire l’ouverture de notre système vers le haut, vers ce qui le transcende et le définit.
Il s’agit donc bel et bien du niveau où se génère, où se constitue le système.
 
Si nous revenons à nos considérations préliminaires, les hommes se groupent pour gérer leurs échanges, ce qui fonde le  «contrat social».
Ils sont donc, in fine les décideurs de leur organisation (même une dictature ne saurait se maintenir sans un appui actif ou tacite d’une partie suffisante de la population –suffisante en terme de puissance, sinon en terme de nombre d’hommes-).
D’autre part, les affaires de la cité n’épuisent pas le champ des occupations des hommes qui la composent. Le soucis de leur famille, leurs pulsions, leurs libido, leurs convictions philosophiques ou religieuses, l’art etc… sont autant de dimensions qui dépassent et conditionnent leur action dans la cité (leur choix politique).
Cette échappée hors du champ politique représente l’ouverture du système social sur le Monde qui le conditionne.
 
Le premier dipôle prendra en compte cette position décisive de l'homme au sein de la cité, ainsi que la globalité du Monde qui le conditionne:

Monde ßà Citoyens

Le terme Monde représente le Tout (le substrat dans lequel vient s’inscrire le système social)
Le terme citoyens représente la part socialisée des individus appartenant à la société décrite (en ce sens les « sujets » britanniques sont considérés comme des « citoyens »).

Le second dipôle met en relation les dirigeants du système, issus du premier dipôle, à savoir : les hommes de pouvoir et les hommes de connaissance.

Hommes de pouvoir ßà Hommes de connaissance


4.1/ Développement endogène

A/ Délégation de pouvoir B/ Développement clérical

Dans un pays indépendant, les dirigeants (hommes de connaissance ou de pouvoir) n’existent que dans la mesure où ils sont reconnus comme tels et soutenus par les citoyens:
Le clergé s’appuie sur l’assemblée des fidèles (vox populi, vox dei),
Les généraux, adoubés sur les champs de bataille formeront la noblesse. Les rois eux-mêmes ont besoins de l’appui de leurs peuples (directement ou indirectement via leurs vassaux).
Par exemple, lorsque Philippe Le Bel, roi de France, s’oppose au Pape, il convoque les premiers Etats Généraux en 1302 à Paris.

Cas A – Délégation de pouvoir ;

C’est le cas le plus général :

Citoyens à Pouvoir
le pouvoir est issu du peuple, quelque soit le mode sélectif.
Dans les sociétés primitives, les jeunes gens passent par l’initiation, puis la sélection se fait au sein de la classe des guerriers, puis des plus vieux.
Dans les sociétés féodales, la légitimité tient à l’origine aux capacités guerrières des individus. Les faveurs se gagnent sur les fronts de batailles.
Ensuite, la force ou la puissance des individus choisis comme dirigeants s’intériorise, pour se concevoir dans nos démocraties modernes en termes de «représentativité». La puissance se mesure alors en nombre de voix.
 
Pouvoir à Connaissance
Les gens de pouvoir légitiment leur prise de pouvoir, et la pérennisent en s’imposant aux hommes de savoir (sages, chamans, religieux,).
Sur le plan séculier, le mode d’élection se formalise (initiation primitive, discrimination des castes, avènement de la noblesse, hérédité des charges), pour aboutir à la royauté de droit divin.
Au plan des idées, les idéologies sont mises au pas (Dieu aime les gros bataillons, la formule n’est pas nouvelle, du Got mit us à Good save the Queen, jusqu’à l’ «axe du Mal» de Georges W. Bush).
 
Connaissance à Monde
Tout type de connaissance, croyance ou système social à vocation à se diffuser hors de sa sphère d’influence initiale :
- soit en accroissant la part socialisé des individus (socialisation des liens de parenté, du mariage, établissement de tabous ; soit sexuels - interdiction de l’inceste, excision, circoncision - soit alimentaires) : il s’agit d’un approfondissement culturel ;
- soit en accroissant leur zone d’influence : il s’agit d’une expansion culturelle.
 
Monde à Citoyens
La prégnance culturelle influe sur l’éventail de choix qui s’offre aux citoyens.
Les Sujets d’une monarchie absolue ne remettront pas celle-ci en cause, sans une profonde modification de la culture qui assure sa survie. Il faut pour cela qu’apparaissent des dysfonctionnements suffisamment importants pour que le schéma culturel soit remis en cause.
 
En résumé, le lien constitutionnel qui s’instaure entre le peuple et ses dirigeants à tendance à se renforcer par enracinement culturel à l’intérieur et/ou diffusion du modèle culturelle à l’extérieur.
 

Cas B : Développement clérical

 
Citoyens à Connaissance
Dans ce cas, les citoyens cherchent plus à maîtriser les forces extra-sociales (se concilier les éléments, les dieux ou les faveurs des ancêtres) qu’à gérer leurs rapports sociaux.
Les rapports sociaux sont alors vus comme un reflet mondain de vérités extra-mondaines.
 
Connaissance à Pouvoir
Qui tient le cœur des hommes peut tout obtenir des puissants.
Mais au-delà de cette dialectique classique du sabre et du goupillon (que l’on à développé au niveau 2 de la politique), les représentations culturelles du Monde conduisent les hommes à calquer leur mode de fonctionnement sur ces modèles extra-mondains (de la même façon qu’au niveau du développement individuel, le «Surmoi» détermine le «Je», voir Lacan).
D’où l’appropriation du champ politique par le religieux (l’Europe médiévale, comme l’Iran des mollahs, l’Afghanistan des Talibans, la loi mosaïque en Israël, la Charia dans les pays musulmans, jusqu’au « Good save the Queen » britannique ou au « In Good we trust » du dollar américain).
 
Pouvoir à Monde
Comme dans le cas précédent, l’impact sur le Monde prend deux aspect :
- A l’intérieur, le clergé, via la force publique, va contrôler la régularité des comportements (il tend à faire disparaître la sphère privée des individus),
- A l’extérieur, la foi tend à s’exporter par les voies militaire (jihad, guerre de religion, et autres croisades)
 
Monde à Citoyens
La réaction du Monde sur les citoyens peut là aussi prendre deux formes :
- Soit, en interne, la pression normative devient trop forte, ce qui conduira les citoyens à changer de système (époque de la Renaissance, suivie du siècle des Lumières, pour aboutir à la Révolution),
- Soit, depuis l’extérieur, par l’ouverture à une culture étrangère (Rome devient chrétienne ou ré-appropriation de la culture grecque par l’Europe via le monde Musulman durant la Renaissance).

4.1/ Détermination exogène

 
C/ expansion impérialiste D/ expansion idéologique

La seule façon pour qu’une structure sociale survive sans l'appui de sa base sociale (dde façon directe ou tacite: les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent), est d’avoir été imposée de l’extérieur (développement exogène).

L’ Extérieur comme on le comprend ici peut revêtir deux formes :

Soit direct par la force d’une puissance étrangère (impérialisme).
Soit indirectement par l’avènement d’une idéologie ou d’une croyance étrangère (lutte idéologique).

Le lecteur pourra comme précédemment passer en revue les différents cas de figures.
 
Bien entendu, en réalité, les systèmes existants ne sont jamais purs : les 4 types précédents sont mêlés et en perpétuelle évolution, ce qui permet la remise en cause du niveau politique du système déterminé à ce niveau constitutionnel.
 

5/ voir Synthèse

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page updated on 29/11/02
author : Alain SIMON
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