L'Homme de Bronze


Une aventure de Franck Sauvage

Le magicien de la mer


[~Mickey #1052]
     Manque/ missing
[Mickey #1053]
     Manque/ missing
[Mickey #1054]
     Manque/ missing
[Mickey #1055]
     Manque/ missing


[Mickey #1056]
 
Résumé : Franck Sauvage a été pris en filature dès son arrivée en Angleterre par un certain W. P. Wall-Samuels. Après un premier échec, ce mystérieux personnage est chargé par son chef de faire savoir à "l'homme de bronze" que son ami Johnny s'est embarqué à destination de l'Argentine, dans le but qu'il parte lui-même vers cette contrée..
A Brest, un homme a été enlevé en pleine nuit, appelant à l'aide une certaine Elaine...

     - Eh oui! Nous avons réussi à l'arrêter, mes enfants, dit Paquis en riant. 
     Et il donna l'ordre de déposer Wehman Mills par terre.
     Ce dernier avait repris connaissance. Il se releva, frémissant de colère. Il avait un front haut, un visage marqué de rides autour de la bouche, de grands yeux brillants de rêveur. Il paraissait avoir largement dépassé la soixantaine.
     Il darda sur les autres un regard furieux, et son attitude dénotait qu'il ne se trouvait pas en présence d'inconnus.
     - Quelles sont vos intentions? demanda-t-il.
     Vous garder sous cloche, fut la réponse. C'est tout. Le reste va comme sur des roulettes.
     A ce moment, un homme fit son entrée, Il salua les personnes présentes avec désinvolture.
     - J'arrive de la poste, annonça-t-il
     - Il y a des nouvelles du chef?
     - Oui, tenez
     Le nouveau venu jeta une feuille de papier sur la table.
     Paquis et ses compagnons se penchèrent sur le feuillet. C'était un câblogramme en code, que le messager avait déjà transcrit en clair entre les lignes. Adresse et signature avaient été déchirées.
     - Je les ai brûlées, expliqua le messager.
     Tous lurent la missive déchiffrée.

     "Elaine Mills risque gêner si veut chercher son oncle Wehman Mills. Stop. Suggère lui faire croire oncle parti pour l'Inde. Stop. Bonne idée si pouvez l'inciter à le rejoindre Inde. Stop. Ne regardez pas à la dépense. Stop."

     Le suave Paquis se balança sur ses talons, et sa voix doucereuse avait un accent triomphant quand il déclara
     - Messieurs, comptez sur Paquis
     - Comment cela? dit un des Américains.
     - J'ai une idée mirifique ! répliqua Paquis en souriant.

     Elaine Mills était retournée dans sa chambre comme les autres pensionnaires de l'auberge, mais alors que tous s'étaient recouchés, Elaine avait, au contraire, fini de s'habiller; elle n'avait plus envie de dormir.
     Dans les jolies mains fines d'Elaine Mills, il y avait une liasse de feuillets qu'elle ne cessait de consulter.
     Celui du dessus émanait d'une agence française de recherches et filatures qui annonçait :

     REGRETTONS VOUS INFORMER SOMMES INCAPABLES RETROUVER VOTRE ONCLE WEHMAN MILLS. STOP. DISPARU SANS LAISSER TRACES PENDANT VOTRE SEJOUR HOTEL BREST. STOP.

     Les autres disaient à peu près la même chose. Elaine Mills avait engagé des détectives privés pour rechercher son oncle et ils n'avaient pas réussi à découvrir le vieil homme.
     Un coup léger fut frappé à la porte, et le patron moustachu de l'auberge annonça
     - Un M. Smith demande à vous voir, mademoiselle. Quelques secondes plus tard, Elaine Mills examinait son visiteur d'un regard inquisiteur. C'était un homme massif au cou épais qui répondait à l'image classique qu'on se fait d'un notaire pléthorique. Son visage s'ornait d'un pince-nez et il portait une serviette.
     - J'ai à vous communiquer un message de votre oncle, Mr. Wehman Mills, déclara-t-il. Je suis son notaire.
     - J'ignorais qu'il en avait un, dit Elaine d'un ton bref. Smith poursuivit, comme s'il n'avait pas entendu
     - Votre oncle a jugé nécessaire de s'embarquer immédiatement pour l'Inde...
     - Pourquoi ? questionna Elaine.
     - Il ne me l'a pas précisé, dit Smith. Il m'a donné simplement la somme nécessaire pour que je vous envoie le rejoindre quand il m'y autoriserait. Voici le câble que je viens de recevoir.
     Il sortit de sa serviette un papier qu'il lui tendit. La jeune fille lut

     DESOLE T'AVOIR LAISSEE SANS NOUVELLES. STOP. AFFAIRE URGENTE REQUERAIT MA PRESENCE EN INDE. STOP. TOUT VA BIEN. STOP. NOTAIRE SMITH TE DONNERA BILLET BATEAU ET ARGENT POUR VOYAGE. STOP. VIENS ME REJOINDRE. STOP.

     WEHMAN MILLS.

     Elaine Mills leva les yeux et s'exclama
     - Cela ne ressemble vraiment pas à oncle Wehman.
     Smith sourit et murmura
     - Tout cela me paraît parfaitement régulier dans ces circonstances.
     Il sortit de sa serviette un paquet de billets serrés par un élastique et une de ces solides enveloppes bulle dans lesquelles les compagnies de navigation mettent leurs cartes d'embarquement. Il les lui tendit.
     - Un billet pour l'Inde sur un paquebot qui part demain et de l'argent de poche, expliqua-t-il.
     - Mais ne faut-il pas un passeport ? demanda Elaine. Smith hocha la tête.
     - Les notaires doivent prévoir jusqu'au moindre détail.
     Il extirpa de sa serviette un passeport.
     Elaine l'ouvrit et contempla avec stupeur sa propre photographie.
     - Mais c'est une photo que j'avais donnée à oncle Wehman, s'écria-t-elle.
     - Votre oncle me l'avait confiée avant son départ, dit Smith d'un ton patelin.
     Elaine manipulait d'un air interloqué le passeport, l'argent et le billet.
     - C'est vraiment très étrange. Jamais mon oncle n'a agi de cette façon.
     Smith lui tapota amicalement l'épaule.
     - A votre place, je ne me tracasserais pas. Votre oncle n'est pas un homme ordinaire, et je présume qu'il a ses raisons pour faire ce qu'il fait.
     Elaine soupira.
     - Probablement, dit-elle.
     - Vous allez vous embarquer pour l'Inde, je pense? s'enquit Smith d'un air indifférent.
     Elaine hésita, puis
     - Ma foi, oui.
      Alors je vous souhaite une bonne traversée.
     Sur ce propos banal, Smith ramassa sa serviette et prit congé.

     Cinq minutes plus tard, Smith rejoignit Paquis qui l'attendait à quelques maisons de là dans une petite voiture de marque française.
      Alors, demanda Paquis. Tout a bien marché?
     - Comme sur des roulettes.
     - Elle s'embarque pour l'Inde?
     - Elle l'a dit.
     Paquis poussa un soupir de satisfaction en mettant le contact.
     - Une idée magnifique, s'exclama-t-il. Elaine Mills va s'en aller. La traversée est longue jusqu'en Inde. La jeune demoiselle ne nous dérangera pas pendant quelque temps.
     Paquis était trop optimiste.
     Elaine Mills resta figée dans le vestibule de l'auberge, l'esprit en déroute, les yeux fixés sur les papiers que lui avait donnés Smith. Elle avait compté l'argent et s'était aperçue qu'il y en avait à peine assez pour les pourboires qu'attendrait le personnel du bateau au cours d'une aussi longue traversée, mais cela n'éveilla en elle aucun soupçon parce que Wehman Mills ne se montrait généralement pas très prodigue.
     - Pauvre oncle Wehman, murmura-t-elle, Il n'a jamais gagné beaucoup d'argent. J'espère qu'il a découvert maintenant une affaire qui l'enrichira.
     Elaine consulta sa montre-bracelet et découvrit que l'heure était très avancée.
     - Je ferais bien de commencer mes valises, conclut-elle, et elle se dirigea vers l'escalier.
     Un reflet métallique sous une chaise attira son regard. Curieuse, Elaine se pencha. C'était une montre de gousset, un chronomètre assez massif, un article d'usage.
     Elaine retourna la montre et eut une exclamation étouffée. Elle la reconnaissait. Elle ouvrit le boîtier et lut l'inscription gravée à l'intérieur
     A mon oncle Wehman Mills, de la part d'Elaine.
     Elle comprit aussitôt ce que signifiait la présence de la montre en ce lieu.
     Renonçant à monter dans sa chambre, elle sortit pour se rendre au poste de police voisin. Un agent bon enfant était de service. Il reconnut sa visiteuse.
     - Ah, c'est vous la demoiselle qui a perdu son oncle, dit-il en fort bon anglais. Nous n'avons malheureusement découvert aucun indice le concernant.
     - Moi, j'en ai un, répliqua Elaine.
     Et elle lui expliqua brièvement l'incident qui venait de se produire à l'auberge.
     - Je suis convaincue qu'il lui est arrivé malheur, ajouta-t-elle. On a dû l'enlever alors qu'il essayait de me rejoindre.
     - Votre oncle.., quelle est sa profession? demanda l'agent.
     - Il est chimiste et inventeur, répondit Elaine.
     L'agent prit sur son bureau quelques feuillets attachés ensemble qu'il compulsa, puis il se renversa en arrière dans son fauteuil grinçant.
     - Votre oncle n'a-t-il pas eu des ennuis aux Etats-Unis parce qu'il avait vendu les actions d'une mine sans valeur? demanda-t-il avec politesse.
     Elaine rougit.
     - Ce n'est pas sa faute. Il avait inventé un procédé d'extraction des métaux. Des gens ont financé son entreprise en s'assurant les bénéfices de l'opération. Malheureusement le procédé n'a rien donné de bon. Alors, ils se sont tournés contre lui et ont porté plainte. Ils n'ont pas agi loyalement. Mon oncle avait perdu plus d'argent qu'eux.
     L'agent hocha gravement la tête.
     - N'est-il pas vrai que Monsieur votre oncle a imaginé bon nombre d'inventions qui se sont révélées des échecs?
     - Je ne vois pas quel rapport cela peut avoir avec ce qui lui arrive, rétorqua Elaine.
     Le policier sourit et dit
     - Vous pouvez être certaine, mademoiselle, que nous allons poursuivre notre enquête.
     Dans la rue, Elaine s'arrêta et se mordit la lèvre inférieure.
     - Oh, flûte ! s'exclama-t-elle avec colère en tapant du pied.
     Un crieur de journaux qui se trouvait à quelques mètres de là se méprit sur le sens de son exclamation et crut qu'elle voulait un journal. Il s'approcha aussitôt avec son éventaire qu'il vanta d'un accent volubile.
     Elaine avait assez d'expérience pour savoir que le meilleur moyen de s'en débarrasser était de lui acheter un quotidien. Pas un journal de Brest ou de Paris, puisqu'elle n'avait qu'une connaissance imparfaite du français, mais un journal de Londres.

     FRANCK SAUVAGE VIENT EN ANGLETERRE

     Cela lui rappela vaguement des événements passés. Elle lut les sous-titres et l'article.

     L'HOMME MYSTERIEUX CE SOIR A SOUTHAMPTON

     Franck Sauvage doit arriver ce soir à Southampton, à bord d'un paquebot en provenance de New York.
     C'est un homme mystérieux, ce Franck Sauvage, probablement l'incarnation d'une des plus surprenantes combinaisons de science et de courage que l'on puisse rencontrer dans le monde. Sa culture est immense, ses connaissances en électricité, chimie, géologie, archéologie, mathématiques et autres sont inégalées. C'est un esprit génial.
     A ses facultés mentales correspondent ses capacités physiques. Un entraînement scientifique suivi depuis l'enfance lui a donné une puissance musculaire quasi surnaturelle.
     Ce qu'il y a de plus étrange chez lui, pourtant, c'est peut-être sa profession : il aide ceux qui sont dans l'ennui et punit les méchants. On dit qu'il n'accepte aucune rémunération financière pour ce qu'il fait.
     Franck Sauvage vient en Angleterre assister un de ses collègues, William Harper Littlejohn, archéologue et géologue réputé, qui donne en ce moment une série de conférences à l'Académie des sciences.
     William Harper Littlejohn fait partie du groupe qui s'est associé à Franck Sauvage dans son étrange carrière. Les quatre autres membres de ce groupe sont un avocat, un chimiste, un ingénieur et un spécialiste en électricité, tous célèbres dans leur profession. On dit pourtant que chacun d'eux est surclassé dans son propre domaine par Franck Sauvage, ce "superman".
 

A SUIVRE



[Mickey #1057]
 
 
Résumé :  Frank Sauvage est arrivé en Angleterre. Peu avant, un de ses amis a disparu.
A Brest, Wehman Mills a été enlevé en pleine nuit. Elaine Mills reçoit bientôt un mystérieux personnage qui prétend être le notaire de son oncle Wehman. Il lui remet de sa part de l'argent et un billet pour les Indes. Mais la jeune femme est sur ses gardes...

     - Bonté divine! s'exclama Elaine Mills, qui jeta un coup d'oeil au nom du journal, pensant qu'elle avait pris l'équivalent anglais d'un journal à sensation. Mais non, c'était un des quotidiens les plus sérieux de Grande-Bretagne.
     Que ce journal fasse un tel panégyrique de quelqu'un et d'un Américain en particulier était inhabituel. Il était connu pour ne pas se montrer tendre envers les Américains.
     Elaine replia lentement le journal, absorbée par ses réflexions.
     Elle se remémorait ce qu'elle avait entendu dire de cet homme mystérieux. Les journaux mentionnaient souvent son nom. Récemment, un criminel plein d'astuce avait imaginé d'utiliser un sous-marin dans le port de New York pour échapper aux poursuites, et Franck Sauvage avait mis fin à ses exploits.
     Peu de temps auparavant, une révolution avait avorté dans un pays des Balkans, et la rumeur en avait attribué le mérite à Franck Sauvage. Il semblait toujours être là à point nommé quand tout menaçait de mal tourner.
     - Il doit être à la hauteur, songea Elaine Mills, sans quoi ce journal collet monté ne lui consacrerait pas un article aussi enthousiaste.
     Elle prit une décision. Fourrant le journal sous son bras, elle parcourut les rues étroites de Brest en quête d'un taxi. Vingt minutes plus tard, elle était au bureau de la compagnie maritime qui avait délivré son billet pour l'Inde.
     Elle dut discuter ferme. L'employé leva les bras au ciel. Elaine resta sur ses positions. Finalement, elle obtint le remboursement de son billet et en acheta un autre à destination de Southampton, où Franck Sauvage devait être arrivé.
     Elaine avait résolu de demander son aide à cet homme mystérieux pour retrouver son oncle.
     Après son départ, l'employé de la compagnie maritime resta un peu soucieux. Il médita un moment, et le résultat fut qu'il décrocha le téléphone et appela le numéro du corpulent M. Smith, l'acquéreur du billet dont Elaine venait de récupérer le montant en espèces.
     Il voulait savoir s'il avait bien fait de rembourser cet argent.
     Smith le remercia, puis demanda où était allée la jeune fille une fois l'argent reçu. Il lui fut répondu qu'elle avait pris un passage à destination de Southampton sur un vapeur qui assurait la traversée régulière de la Manche.
     Smith s'enquit du nom du bateau.
     L'employé raccrocha en pensant que ce Smith était un bien brave homme. Il se serait bouché les oreilles s'il avait pu l'entendre ensuite jurer à faire rougir un corps de garde.
     - Que se passe-t-il? demanda Paquis.
     - Une catastrophe ! La donzelle a éventé la mèche, expliqua Smith, utilisant à nouveau son argot familier.
     Paquis ne se démonta pas.
     - Ah ! alors il faut que j'exerce encore ma remarquable intelligence.

     La Colombe était le nom du bateau que devait prendre Elaine Mills. Il ressemblait plutôt à un malheureux corbeau qui aurait essuyé le feu d'une carabine chargée de rouille en guise de chevrotines. Son étrave était massive, peinte en noir, et sa superstructure avait besoin d'un bon coup de peinture ou d'un lessivage à fond.
     Son unique cheminée était très haute et semblait trop grosse pour un navire de son gabarit Elle crachait une prodigieuse quantité de fumée noire et d'escarbilles qui s'abattaient sur le pont et noircissaient la figure des voyageurs.
     Elaine Mills regardait, par le hublot de sa cabine, Brest qui disparaissait.
     Quand elle fut sûre de se trouver au large, Elaine se dirigea vers la cabine du radio ; elle désirait envoyer un message à Franck Sauvage pour solliciter son aide.
     Elle ne l'envoya pas. Dans la cabine de transmission, elle trouva le capitaine de La Colombe et deux de ses hommes qui étaient fort embarrassés : pendant une absence du radio, un vandale avait démoli à coups de marteau l'appareil émetteur.
     Elaine Mills frissonna. Elle songea au petit pistolet qu'elle avait laissé dans son sac à main. C'était un pistolet d'alarme qui n'était pas fait pour abattre un adversaire, mais il pouvait rendre service en cas de difficultés.
     La jeune femme revenait en courant à sa cabine quand un bruit derrière elle dans la coursive l'incita à se retourner. Elle pivota sur ses talons et ouvrit aussitôt la bouche pour appeler à l'aide.
     Elle avait devant elle le touriste ivre de l'auberge. Il bondit et plaqua la main sur la bouche d'Elaine, étouffant son cri.
     Elle le mordit. Il jura, sortit d'une poche un foulard de soie et la bâillonna. Puis il la souleva et l'emporta dans la cabine voisine.
     - Mordre Paquis, voyez-vous ça ! dit-il. J'ai bonne envie de vous mettre K.O., mademoiselle.
     Elaine ne l'écoutait pas. Elle regardait les autres occupants de la cabine. Six ou sept en tout, dont elle n'avait déjà vu qu'un seul. Le gros qui, sous le nom de Smith, avait prétendu être le notaire.
     Ils aidèrent Paquis à l'attacher sur une chaise, sans se soucier des regards glacés qu'elle leur décochait.
     Smith avait disparu pour une mission qui cessa vite d'être mystérieuse : il revint avec le sac à main d'Elaine. Celui-ci fut ouvert et son contenu répandu sur le plancher. Le pistolet d'alarme apparut et le journal plié.
     Les hommes parcoururent le journal, et Paquis, justifiant set prétentions de haute intelligence, fut le premier à comprendre son importance.
     - Ce Franck Sauvage ! s'exclama-t-il. Messieurs, la jeune dame ici présente allait certainement demander son aide.
     - Diable ! s'écria Smith d'une voix étranglée.
     Il était devenu blême. Il se dirigea vers les bagages du groupe, y prit une horrible valise jaune et se hâta vers la porte.
     - Qu'y a-t-il? demanda Paquis avec surprise. Qu'est-ce qui vous prend?
     Smith fit la grimace.
     - Vous n'avez jamais entendu parler de ce Franck Sauvage ?
     Paquis haussa vaguement les épaules.
     - Si, vaguement.
     - Vaguement ! répéta Smith d'un ton sarcastique. C'est bien comme cela que vous vous en souviendrez si toutefois vous êtes encore en mesure de vous rappeler quoi que ce soit.
     - Vous semblez bien connaître ce M. Sauvage, gronda Paquis de sa voix féline.
     - Un de mes amis a essayé un jour de l'estourbir.
     L'intérêt de Paquis s'éveilla.
     - Qu'est-il advenu de cet ami? Racontez-nous ça.
     Smith fit passer la valise jaune d'une main dans l'autre en réfléchissant. Non seulement il était blême, mais son front luisait de sueur.
     - Il lui est arrivé quelque chose de bizarre, finit-il par dire. Sauvage l'a attrapé et il doit lui avoir trafiqué quelque chose dans la tête, pauvre diable. Quand je l'ai rencontré ensuite, il ne m'a pas reconnu. Il ne reconnaissait plus aucun de ses anciens camarades. Le malheureux a pris un emploi dans une fabrique d'emballages et il y travaille toujours, honnête comme pas deux. Il ne se rappelle plus rien de ce qu'il a fait avant de rencontrer Franck Sauvage.
     - Très intéressant, remarqua Paquis en éclatant de rire.
     - Je vais vous confier un secret que notre chef n'a encore partagé qu'avec moi, poursuivit-il en souriant. Un des amis de ce Sauvage, le dénommé William Harper Littlejohn, à été assez fou pour se risquer dans les parages du Wash à la recherche du fantôme du roi Jean. Nos hommes ont jugé nécessaire de lui mettre la main au collet et il est maintenant en leur pouvoir.
     - Miséricorde! gémit Smith. Autant dire que nous sommes fichus ! Ce Sauvage va...
     - Il ne va rien faire du tout, monsieur, riposta Paquis. Franck Sauvage s'est laissé leurrer par notre estimable chef.
     - Que voulez-vous dire? demanda Smith.
     - En ce moment même, Franck Sauvage est en route pour l'Amérique du. Sud, attiré sur une fausse piste, expliqua Paquis qui recommença à pouffer de rire.
     Franck Sauvage n'était pas en route pour l'Amérique du Sud.
     Se doutant que le bateau à destination du continent sud-américain serait surveillé par ses mystérieux ennemis, il avait pris ses dispositions. Un remorqueur avait rejoint le navire à bonne distance du port. Franck, Gorille, Ted et Cicéron étaient montés à son bord et avaient été débarqués sur un point de la côte où il y avait peu de chances qu'on les remarque.
     Toute l'affaire de ce faux départ avait été menée si rondement que Ted et Gorille n'y avaient pas compris grand chose.
     - Comment diable as-tu su que cet embarquement de Johnny pour l'Amérique du Sud était simulé? demanda Gorille.
     - Te rappelles-tu que ce bonhomme qui se faisait passer pour détective, ce Wall-Samuels, téléphonait au drugstore juste avant que vous ne l'appréhendiez?
     Gorille hocha la tête
     - Oui.
 

A SUIVRE



[Mickey #1058]
 
 
Résumé : Franck Sauvage est arrivé en Angleterre. Peu avant, un de ses amis a disparu...
À Brest, Wehman Mills a été enlevé en pleine nuit. Elaine, sa nièce, se trouve bientôt face à un mystérieux notaire qui lui remet de la part de son oncle un billet à destination de l'Inde. La jeune fille décide de ne pas s'y rendre et d'aller en Angleterre pour y rencontrer Franck Sauvage. Durant le trajet, elle est kidnappée par deux hommes...

     - Te rappelles-tu que je vous ai quittés après son entrée dans la cabine téléphonique et que je vous ai recommandé à ce moment-là de le surveiller et de l'arrêter quand il sortirait? dit Franck.
     Gorille acquiesça.
     - Tu as fait le tour du drugstore pendant que nous montions la garde?
     - Exactement. Je n'ai pas eu de mal à repérer par où passaient les fils du téléphone et à brancher une écoute dessus.
     Gorille sourit.
     - A qui parlait ce Wall-Samuels?
     - A un correspondant qu'il n'a pas nommé et qui lui a expliqué avec soin l'histoire à raconter pour nous inciter à partir vers cette lointaine Amérique.
     - Pourquoi diable se donnait-il cette peine ? s'enquit Gorille.
     - Il s'agit d'une affaire assez mystérieuse à laquelle sont mêlés le fantôme de Jean sans Terre, un homme appelé Wehman Mills et une jeune fille qui est la nièce de Mills.
     - Je ne vois toujours pas en quoi cette affaire nous concerne, se lamenta Gorille.
     - A cause de Johnny, répondit Franck.
     - Johnny ?
     - Apparemment, Johnny est allé se renseigner sur ce fantôme, expliqua Franck. Il a été capturé.
     - Il a été quoi ? s'exclama Gorille. Quand ? Où ?
     - A proximité du Wash, dit Franck. Et cela a dû se produire cette nuit même.

     Il héla un taxi.
     - Conduisez-nous au plus proche aéroport d'où nous puissions prendre l'avion pour Londres, demanda-t-il.
     Le taxi s'ébranla bruyamment.
     - Où allons-nous? questionna Gorille.
     - Pendant que Wall-Samuels téléphonait, on a réussi à identifier son correspondant, répliqua Franck. Il avait appelé le bureau d'un certain Benjamin Gilstein, dans Fleet Street, à Londres.
     - Benjamin Gilstein, répéta rêveusement Ted. Tu le connais, Franck?
     L'homme de bronze hocha négativement la tête.
     L'aéroport de Southampton était déjà en pleine activité à cette heure matinale, car c'est le point de départ de lignes desservant les îles de la Manche. Une autre ligne assurait la liaison avec Londres et le premier appareil de la journée s'apprêtait à décoller.
     Fleet Street est une rue de Londres qui commence à Ludgate Circus et conduit au Strand et dans le West End. C'est une des artères les plus animées de la capitale anglaise. Sa renommée tient surtout au fait que les grands journaux d'Angleterre y ont établi leur quartier général, ainsi que des maisons d'édition et autres professions qui tirent leur subsistance de l'imprimé.
     L'époque moderne est l'ère par excellence des spécialistes. Benjamin Gilstein appartenait à cette catégorie. Son domaine était la publicité.
     C'était un personnage corpulent, au teint rubicond, qui portait des guêtres et laissait pendre un pince-nez au bout d'un ruban. Les reporters impécunieux étaient toujours sûrs de pouvoir lui emprunter quelques billets de banque ; il était donc bien vu dans le monde de la presse. Son métier le voulait ainsi : les journalistes qu'il aidait lui rendaient la pareille en insérant sa publicité.
     En dépit de l'heure matinale, des reporters aux yeux brouillés de sommeil se rassemblaient déjà dans le bureau confortablement meublé de Benjamin Gilstein, dans Fleet Street. Ils grommelaient quelque peu d'avoir été frustrés de leur repos, mais il les avait convoqués par téléphone en leur annonçant une nouvelle propre à ébranler la terre entière.
     - C'est formidable, messieurs, leur dit Gilstein en les accueillant. J'attends pour vous en parler que tous soient arrivés.
     Il connaissait la plupart des grands journalistes de Londres, mais deux des arrivants avaient une physionomie dont il ne se souvenait pas. En outre, ils n'entrèrent pas ensemble.
     Le premier était un gaillard aux larges épaules, rasé de près, très pâle de teint, portant des lunettes en écaille aux verres épais. Il avait un ventre proéminent et boitait très bas. Il fumait un gros cigare qui sentait mauvais.
     L'autre, qui survint près d'une demi-heure plus tard, était un garçon maigre avec deux grosses dents en or sur le devant et une expression perpétuellement agacée. Ses vêtements déformés auraient eu grand besoin d'aller chez le teinturier. Il parlait avec un fort accent italien.
     Il expliqua qu'il travaillait pour le syndicat des journaux italiens et qu'il venait d'obtenir cet emploi.
     Le premier avait dit être reporter au Crown Daily.
 

     Benjamin Gilstein distribua d'excellents cigares, puis prit une profonde aspiration.
     - Messieurs, annonça-t-il majestueusement, je vais vous annoncer une des plus grandes nouvelles du vingtième siècle Ce que je vais vous dire va probablement bouleverser l'économie mondiale. C'est stupéfiant, c'est colossal, comme on dit à Hollywood.
     - Trêve de superlatifs ! s'exclama un journaliste. Expliquez plutôt de quoi il s'agit. Nous verrons bien si cela vaut une ligne ou deux en page intérieure.
     Gilstein répliqua patiemment
     - Vous mettrez cette nouvelle-là en première page. Tous les journaux du monde la publieront en première page.
     - Mais quelle nouvelle? répéta le journaliste.
     - Messieurs, savez-vous de quels ingrédients se compose l'eau de mer? questionna-t-il.
     - D'eau, dit un plaisantin.
     - D'eau salée, dit un autre. Avec addition de baleines, requins et poissons assortis.
     - Je vous en prie, parlons sérieusement, reprit Gilstein. L'eau de mer contient en solution à peu près trente-deux corps simples sur les quatre-vingts que l'on a dénombrés à ce jour. Dans l'eau de mer, vous trouverez en plus du sel (chlorure de sodium), du gypse, du cuivre, du zinc, du nickel, du plomb, du cobalt, du manganèse, du bromure, du chlore...
     - Nous vous croyons sur parole, interrompit un des assistants. Où voulez-vous en venir?
     - Taisez-vous et écoutez. Il y a une autre substance dans l'eau de mer. C'est l'or.
     L'assistance resta amorphe.
     - L'or! répéta Gilstein d'une voix tonnante.
     - Est-ce que nous devons applaudir? demanda un assistant, sarcastique.
     Benjamin Gilstein commençait à transpirer. Les journalistes se montraient bien peu disposés à l'égard des attachés de presse ce matin-là.
     - L'or à l'état naturel dans l'eau s'y trouve en suspension sous forme colloïdale, reprit-il. Il y a approximativement cinquante millions d'or dans quatre milliards de mètres cubes d'eau... Il y a près de douze cent mille trillions de mètres cubes d'eau de mer sur la Terre. Ce qui donne une valeur totale d'or de...
     - Ne le dites pas! gémit un reporter. Pas en ma présence, je suis fauché ! Où voulez-vous en venir ?
     - Messieurs, on vient de découvrir un procédé permettant d'extraire l'or de l'eau de mer.
     Les journalistes notèrent l'information. Ayant déjà eu affaire à des attachés de presse, ils prenaient tout ce qui venait d'eux avec beaucoup de précautions. Leur situation dépendait en grande partie de leur prudence.
     - Pas question de publier ça, dit l'un d'eux. Si nous écrivons un article là-dessus, quelqu'un en profitera pour ramasser un joli paquet d'argent en Bourse. C'est le but cherché, n'est-ce pas ?
     - Au contraire, même avec cent millions vous ne pourriez pas acheter une seule action concernant cette entreprise, riposta aussitôt Gilstein.
     - Quand sera construite l'usine pour extraire l'or? demanda quelqu'un.
     - Elle est déjà terminée.
     A cette réponse, les journalistes dressèrent l'oreille. Elle faisait passer l'affaire de la catégorie des inventions publicitaires à celle des nouvelles authentiques.
     - A quel endroit? questionna le reporter boiteux et ventripotent.
     - Avez-vous déjà entendu parler de Magna Island ? dit Gilstein.
     - Naturellement. C'est une île minuscule proche des côtes anglaises. Elle a le statut de monarchie indépendante, mais est placée sous protectorat britannique. Elle ne paie pas d'impôts et nous autres Anglais n'avons pas droit de regard sur son gouvernement ou ce qui s'y passe, répliqua l'un des deux journalistes que Gilstein n'avait jamais vus avant ce conclave.
     - Le bruit a couru qu'un magnat américain en rupture de ban avait l'intention d'acheter cette île pour s'y établir en toute sécurité, dit un autre journaliste.
     - Magna Island vient d'être achetée, déclara tranquillement Gilstein. C'est là que fonctionne dès à présent l'usine pour extraire l'or de la mer.
     - Pouvez-vous le prouver, monsieur? s'enquit le journaliste maigre au visage renfrogné et à l'accent italien.
     - J'y suis tout prêt, riposta son interlocuteur. Messieurs, si vous êtes d'accord pour louer un avion, je vous accompagnerai bien volontiers à Magma Island où vous visiterez l'usine. De plus, je vous garantis que chacun de vous emportera comme preuve un petit échantillon de cet or marin.
     - Pouvons-nous emmener avec nous un expert?
     - Bien entendu.
     Un reporter resté sceptique demanda
     - Dites donc, vous êtes vraiment sûr qu'il ne s'agit pas d'une manoeuvre pour faire baisser l'or en Bourse?
     - Absolument pas, affirma Gilstein.
     - Quel est le savant qui extrait cet or de l'eau de mer ?
     - Benjamin Gilstein prit la voix solennelle qui convenait pour répondre
     - Un inventeur américain nommé Wehman Mills.
     La réunion prit fin, car les reporters voulaient téléphoner la nouvelle à leur journal et obtenir l'autorisation d'aller visiter Magna Island.
     Cependant, le journaliste ventripotent et boiteux s'arrangea pour retrouver son confrère à l'accent italien dans un coin du vestibule au rez-de-chaussée.
     - Cette "brioche" te va admirablement, Gorille, s'exclama le faux Italien.
     L'autre eut un sourire ironique.
     - Ce costume te va à la perfection, Ted.
     Ledit Ted reprit la moue qu'il avait effacée de ses traits. Son goût de l'élégance s'offusquait du costume défraîchi qu'il avait dû arborer comme déguisement.
     Leurs amis et connaissances auraient eu du mal à reconnaître Ted et Gorille sous leur présent aspect : Franck Sauvage les avait merveilleusement grimés.
     Gorille, abandonna ses taquineries pour demander
     - Que penses-tu de cette histoire d'extraction d'or?
     - De la blague! dit Ted.
     - Pas du tout, répliqua Gorille. C'est faisable. Et cela a même été réalisé en laboratoire, mais les frais ont toujours excédé la valeur de l'or récupéré.
     Ted haussa les épaules.
     - Allons en parler à Franck.
     Ils sortirent de l'immeuble et se rendirent dans un petit hôtel à quelque distance de là, dans la même rue. Franck Sauvage y avait pris une chambre. Il était assis près d'un poste de téléphone, Cicéron - le porcelet de Gorille - à côté de lui.
     - Je viens de donner quelques coups de téléphone, annonça Franck. Johnny, à ce qu'il paraît, a loué un avion pour se rendre à Swineshead, un village proche du Wash. Il a posé des questions au sujet du fantôme du roi Jean dans les bars du pays, puis il a disparu et personne n'en a plus entendu parler.
     - C'est bizarre, murmura Gorille.
     - Qu'avez-vous appris chez Benjamin Gilstein ? demanda Franck.
 

A SUIVRE



[Mickey #1059]
 
 
Résumé : Franck Sauvage, contrairement a ce qu'espérait Wall-Samuels, ne s'est pas embarqué à destination de l'Amérique du Sud. Il a réussi à écouter la conversation téléphonique que le faux détective privé a eue avec un mystérieux correspondant au cours de laquelle il etait question du fantôme du roi Jean sans Terre, de Wehman Mills et de sa nièce Elaine. Benjamin Gilstein, de chez qui téléphonait le correspondant de Wall-Samuels, donne bientôt une conférence de presse où il annonce qu'une usine vient d'être créée a Magna Island on y procède a l'extraction de l'or en suspension dans l'eau de mer.

     En complétant le récit de l'autre, Ted et le Gorille  lui racontèrent l'histoire de la découverte qui permettait d'extraire de l'océan le précieux métal jaune et  conclurent en annonçant que ces messieurs de la presse avaient été invités à se rendre dans Magna Island pour visiter la nouvelle usine.
     - Qu'allons-nous faire à propos de cette histoire d'or ? dit Ted.
     - Continuez à jouer les journalistes, suggéra Franck, et allez dans cette île. Gorille, qui est un des meilleurs chimistes de notre époque verra bien s'il s'agit d'une supercherie.
     - Mais supposons que les gens s'aperçoivent que nous ne sommes pas journalistes ? objecta Gorille.
     - Ce n'est guère probable, répliqua Franck. Je me suis mis en rapport avec les journaux pour lesquels vous êtes censés travailler. Votre nom a été ajouté sur la liste des employés pour le cas ou il y aurait des vérifications.
     Ted et Gorille ne marquèrent pas d'étonnement. Ils savaient que Franck Sauvage pensait à tout ou presque et soignait les moindres détails.
     - Quel est ton but, Franck? demanda Gorille.
     - Johnny, dit l'homme de bronze. Il faut que nous le retrouvions.
     - Nous ferions peut-être mieux de t'accompagner, dit Ted avec espoir.
     - Non. Elucidez cette affaire d'or et d'eau de mer. Et tâchez de vous renseigner sur ce Wehman Mills qui est le découvreur du procédé.
     - Nous lui demanderons une interview, dit Gorille en riant.
     - J'en doute, rétorqua Franck.
     - Ah ? Pourquoi donc ?
     - D'après la conversation téléphonique que j'ai surprise entre Wall-Samuels et le mystérieux chef de son organisation, il semble que Wehman Mills se soit échappé et que le gang s'efforce de le récupérer. Cela s'est passé à Brest où Mills a une nièce.
     - Veux-tu que l'un de nous aille enquêter du côté de Brest ? Ce serait peut-être utile ? proposa Gorille.
     - Nous verrons cela plus tard, répliqua Franck. Johnny est plus important. Et je crois que vous obtiendrez plus de résultats tous les deux en tirant au clair l'histoire de Benjamin Gilstein et de son or sorti de la mer.
     - Je me demande quel rôle joue Wehman Mills dans cette affaire, dit rêveusement Gorille. Et à quoi diable tout cela veut-il aboutir.

     A bord de La Colombe, Elaine Mills se posait la même question. Ses tentatives pour appeler à l'aide avaient échoué et elle commençait à avoir très peur. Elle était  étroitement ligotée et bâillonnée.
     Bien qu'elle eût écouté ce que disaient ses ravisseurs. elle n'avait pas réussi à comprendre le pourquoi de leurs manigances.
     Paquis, l'homme à la voix féline, était absent depuis quelques instants. Il réapparut soudain et cligna de l'oeil à l'adresse de Smith qui était resté pour garder Elaine.
     - J'ai trouvé la façon de nous débarrasser de la demoiselle, annonça-t-il. Nous sommes maintenant des médecins, monsieur. Veillez à en prendre l'allure.
     - Vous êtes dingue ? s'exclama Smith.
     Paquis exhiba une petite bouteille qu'il tira de sa poche. Ceci, monsieur, est une drogue qui fera perdre la tête à mademoiselle. Elle commencera par avoir sommeil, puis perdra conscience.
     - Je ne comprends pas, marmotta Smith.
     - Nous sommes médecins, répéta Paquis. La malheureuse jeune fille dont nous nous occupons est atteinte de folie et nous sommes obligés de la maintenir sous l'influence de sédatifs. Nous la conduisons dans une institution anglaise.
     - Vous voulez dire que nous allons la mettre dans un asile de fous ?
     - Exactement ! dit Paquis en souriant.
     - Ca ne marchera pas.
     - Ce sera simple, au contraire, assura Paquis. Notre chef s'en occupera. Mademoiselle sera complètement hors circuit.
     - Smith rit à son tour.
     - Mes compliments ! Vous avez de ces idées
     Sous cet éloge, Paquis se rengorgea. Il plaça les pouces dans les entournures de son gilet et se balança sur ses talons.
     - Les Anglais ne se pressent jamais de libérer les personnes qu'ils ont internées, monsieur, dit-il avec un large sourire. Elaine Mills ne sortira de là que dans plusieurs mois... et, d'ici là, notre entreprise sera terminée depuis longtemps.
     Elaine Mills gardait une immobilité absolue, se détendant au maximum pour que ses liens ne provoquent pas trop d'engourdissement musculaire.
     Sur le moment, ce que ces hommes se proposaient de faire d'elle ne lui avait pas paru particulièrement inquiétant ; mais à y bien réfléchir la perspective manquait de charme. Dans un asile psychiatrique, elle serait dans l'impossibilité absolue de venir en aide à son oncle. Si elle racontait ce qui lui était arrivé ce soir, on prendrait son histoire pour le délire d'un esprit dérangé.
     Elle se redressa subitement, aussi droite que ses liens le lui permettaient. Puis elle s'affaissa ; sa tête tomba en avant.
     - Qu'a donc cette gamine ? grommela Smith.
     Paquis examina la jeune fille d'un air indécis, puis il s'approcha et lui tâta le pouls. Il pencha la tête, guettant un bruit de respiration. Il n'entendit rien.
     - Dépêchons-nous ! s'exclama-t-il. Vite ! Détachons-la ! 
     - Que se passe-t-il ? s'enquit Smith.
     Il faut lui ôter son bâillon, dit Paquis. Smith s'emporta.
     - Dites donc ! Je vous ai posé une question...
     Vous ne savez pas que les gens qui ont des végétations risquent de s'étouffer quand ils sont bâillonnés ? riposta Paquis. Ils ne peuvent respirer que par la bouche, et le bâillon les en empêche.
     Smith se précipita pour l'aider à détacher le foulard. Prêtant l'oreille et n'entendant pas la jeune fille respirer, il parut soudain inquiet.
     - Si elle est morte, nous voilà dans de beaux draps gémit-il.
     - Elle n'est qu'évanouie, répliqua Paquis. Mais il faut la ranimer, sinon elle mourra.
     Et la mort de la jeune fille lancerait certainement à leurs trousses les limiers de la police anglaise, lesquels ont la réputation de ne pas se laisser égarer facilement.
     Donc Elaine fut débarrassée non seulement du bâillon. mais aussi de ses liens, et elle fut étendue sur une couchette. Ses gardiens lui massèrent les poignets, lui tapotèrent les joues sans résultat, sinon que ses membres se raidirent légèrement.
     - Donnez-moi de l'eau ! s'écria Paquis. Non, j'y vais.
     Il se précipita vers le lavabo et ouvrit le robinet. Une exclamation de surprise derrière lui le fit pivoter sur ses talons. Ses veux s'écarquillèrent.
     Il ne s'était retourné juste à temps pour voir Elaine Mills franchir le seuil de la cabine.
     - Cette coquine nous a joués ! s'exclama Smith.
     En se précipitant hors de la cabine, Elaine avait claqué la porte derrière elle. Elle l'entendit se rouvrir. Elle n'eut pas besoin de tourner la tête pour savoir que ses ravisseurs se lançaient à sa poursuite.
     Un couloir transversal débouchait dans celui qu'elle suivait. Elaine s'y engouffra. Elle glissa sur le tapis usé, trébucha, faillit tomber.
     - Au secours ! hurla-t-elle.
     Il n'y avait personne en vue, et les machines du navire faisaient un bruit d'enfer. Ses appels ne s'entendirent probablement pas. Elle continua à courir sans cesser de crier.
     Devant elle, à sa gauche, une porte de cabine s'ouvrit.
     Elaine n'attendit pas de voir qui avait ouvert. Elle fonça tête baissée dans la cabine. Elle heurta violemment quelqu'un de l'épaule.
     La personne avec laquelle Elaine venait d'entrer en collision poussa une exclamation de surprise. La voix était masculine, mais la pénombre qui régnait dans la pièce empêchait de bien distinguer ses traits.
     Elaine referma vivement la porte, tâtonna pour trouver le verrou, le glissa en place, puis se recula de côté. Elle jugeait ses ex-ravisseurs parfaitement capables de tirer à travers le battant.
     - Une demoiselle en détresse? murmura une voix assez agréable.
     C'est l'occupant de la pièce où elle avait cherché refuge qui parlait, et Elaine l'examina avec curiosité.
     Elle vit un jeune homme bien bâti, avec de grands yeux bleus à l'expression étonnée, une bouche entrouverte laissant apercevoir de belles dents blanches, le tout dans un visage bronzé qui respirait la santé. Sous sa toison de cheveux bruns bouclés, il ne paraissait même pas avoir trente ans. Il était torse nu et tenait dans une main un tube de crème à raser, dans l'autre un rasoir mécanique.
     - Qu'est-ce qui se passe? s'écria-t-il.
     - Chut! dit Elaine.
     Elle entendait approcher ses poursuivants. Ils longèrent la coursive dans un grand tumulte de galopade, montèrent sur le pont et, à en juger par le bruit, revinrent sur leurs pas et se mirent à ouvrir l'une après l'autre les portes des cabines. Elaine crispa les poings avec anxiété.
     - Ne pouvez-vous me cacher quelque part? demanda-t-elle à son hôte involontaire.
     - Je ne vois vraiment pas ce qui m'y oblige, rétorqua ce digne personnage.
     - On me poursuit! expliqua Elaine d'une voix oppressée. On me tuera probablement si l'on me rattrape.
     - Ah ! c'est différent, dit le jeune homme.
     Il jeta rasoir et crème à raser sur la couchette, ouvrit un sac et en sortit un énorme pistolet automatique noir.
     - Nous verrons qui tuera l'autre, déclara-t-il d'un ton résolu. Qui sont ces gens?
     - Je connais seulement le nom de deux d'entre eux. Ils s'appellent Paquis et Smith, dit tout bas Elaine. D'autres sont avec eux. Ils font partie d'un gang qui s'est attaqué a mon oncle.
     Elaine et le défenseur qu'elle venait de trouver écoutèrent les bruits du couloir. Ils avaient changé. C'était maintenant un tumulte de voix, dont Elaine ne reconnut pas certaines. Soudain elle comprit.
     - Les officiers du navire ont entendu le vacarme et ils sont venus voir ce qui se passait, murmura-t-elle avec soulagement.
     Elle saisit la poignée de la porte et s'apprêtait à l'ouvrir, dans l'intention de sortir.
     D'un geste prompt, le jeune homme écarta sa main.
     - Ne soyez pas stupide ! chuchota-t-il.
     Elaine Mills le considéra avec surprise et s'écria
     - Je veux aller me plaindre de ces individus! En quoi est-ce stupide?
     - Sont-ils armés?
     - Oui, bien sûr.
     - Ne soyez donc pas sotte, reprit tout bas le jeune homme. Ils vous abattront en même temps que le personnel du navire qui n'est probablement pas armé. Et ils me tueront aussi. Ne bougez pas et, dans un petit moment, j'irai raconter votre aventure au capitaine. Vous pouvez rester dans cette cabine.
     - Certainement pas, riposta Elaine. Je risque qu'ils m'y trouvent après votre départ.
     - Je vous laisserai mon arme.
     - Vous êtes très aimable, monsieur, dit Elaine.
     - Je m'appelle Henry, répliqua-t-il. Henry Trump.
     Au-dehors, les voix s'éloignaient.
 
 

A SUIVRE



[Mickey #1060]
 
Résumé : Au cours d'une conférence de presse, l'attaché de presse Benjamin Gilstein a révélé aux journalistes qu'une usine, où est pratiquée l'extraction de l'or en suspension dans l'eau de mer, fonctionne à Magna Island, île proche de l'Angleterre.
La nièce de Wehman Mills, l'inventeur de ce procédé, est séquestrée à bord du bateau qui se dirige vers l'Angleterre, ou elle se trouve. Elle parvient à fausser compagnie a ses agresseurs et trouve refuge auprès d'un certain Henry Trump...

     - Vous êtes Américain, n'est-ce pas? demanda Elaine à Henry Trump.
     Il hocha la tête.
     - Du Missouri pour être précis. Une tante m'a aimablement légué quelques milliers de dollars dans l'espoir que je me mettrais dans les affaires. Je les dépense pour visiter l'Europe.
     - Un touriste, murmura Elaine.
     - Tout juste, dit en souriant Henry Trump.
     Elaine écouta derrière la porte.
     - Je crois qu'ils sont partis, conclut-elle tout haut.
     - Attendons encore un petit peu, proposa Henry Trump. Dites-moi, êtes-vous mariée ?
     - Comment ?
     - Etes-vous liée à quelqu'un par les liens sacrés du mariage ?
     - Non, dit Elaine, et j'estime que cette question est parfaitement impertinente.
     - C'est vrai, reconnut Henry Trump en souriant, mais j'ai trouvé tout d'un coup très important de le savoir.
     -Y a-t-il autre chose que vous aimeriez apprendre ? questionna Elaine de sa voix la plus glaciale.
     - Je pense bien ! s'exclama-t-il. Je serais heureux que sous me racontiez votre aventure.
     Elaine ne voyait aucune raison d'en faire mystère, aussi se lança-t-elle aussitôt dans son récit en commençant par l'incident de l'auberge en France où, elle en était maintenant convaincue, Wehman Mills était entré, l'avait appelée, puis avait été enlevé.
     - Un mystère formidable, hein ? dit-il gaiement quand elle eut fini. Elaine, cette affaire commence à me plaire. Il me semble enfin vivre. C'est-à-dire si vous acceptez que je vous aide.
     - Je ne voudrais pas qu'il vous arrive quoi que ce soit, déclara Elaine.
     - Ne vous inquiétez pas, dit Trump avec un petit rire. Voici mon revolver. Je vais aller parler au capitaine.
     Elaine prit le gros automatique, s'en fit expliquer le fonctionnement, puis Henry Trump sortit de la cabine.
     - Je reviens tout de suite, chuchota-t-il juste avant de refermer la porte.
     De retour dans la cabine, Henry Trump referma vivement la porte sur lui, poussa le verrou et s'adossa au battant. Son visage jeune avait une expression soucieuse.
     - Drôle d'histoire, marmotta-t-il.
     - Ouvrant de grands yeux, Elaine demanda
     - Qu'y a-t-il ?
     Au lieu de répondre, le jeune homme la regarda de haut en bas, comme s'il la jaugeait solennellement, les traits toujours graves.
     - Non, dit-il à mi-voix. Ce n'est pas possible que vous le soyez.
     - Que je sois quoi? questionna Elaine.
     - Folle...
     - Alors, ça ! s'exclama-t-elle.
     - Ne vous échauffez pas la bile, lui conseilla sombrement Henry Trump. Le capitaine s'est laissé convaincre que vous étiez une dingue que l'on emmène dans un asile d'Angleterre.
     - Voilà ce que Paquis, Smith et compagnie lui racontaient ? s'écria Elaine.
     - Oui. Et ils l'ont fait avec une habileté diabolique.
     Elaine se dirigea vers la porte.
     - Laissez-moi sortir. Je vais m'occuper de ça.
     - Rien à faire, dit Henry Trump. Ce capitaine est un imbécile au crâne dur. Vous perdrez votre temps.
     La sirène gémit et Elaine attendit que se fût éteint le sinistre concert des échos.
     - Il faut cependant que je prenne une décision, déclara-t-elle.
     - Restez ici jusqu'à ce que nous abordions à Southampton, proposa Henry Trump. J'attendrai avec vous que les stewards soient passés. Ils vont venir parce qu'on fouillera tout le navire pour vous découvrir. Vous n'aurez qu'à vous cacher dans le placard, je leur affirmerai que je ne vous ai pas vue.
     Elaine ne répondit rien.
     - Peut-être aurez-vous une meilleure idée, reprit le jeune homme. Mais, après le départ des stewards, je vous laisserai seule si vous le désirez. Je m'installerai sur une chaise longue au-dehors, près de ce hublot, vous n'aurez qu'à appeler si vous avez besoin de quoi que ce soit.
     - Je ne sais pas comment je vous revaudrai jamais cela, dit Elaine en souriant.
     - C'est moi qui vous dois des remerciements, dit Henry Trump d'un ton allègre. Je n'ai jamais eu l'occasion de jouer les héros en l'honneur d'une aussi jolie jeune fille autrement que par procuration au cinéma.
     Elaine s'écria précipitamment
     - Nous devons envoyer à Franck Sauvage un message pour l'avertir qu'on l'a trompé.
     - Excellente idée, convint Henry Trump. Mais je croyais que le poste de radio du navire avait été mis hors d'usage par Paquis et sa bande.
     - Il est peut-être réparé, maintenant. Je vais à la cabine de radio.
     - Je vous accompagne, répliqua Henry Trump, mais je crois que nous courons des risques inutiles.
     Ils ouvrirent la porte de la cabine et inspectèrent les aîtres avec prudence. Ne voyant personne, ils sortirent, Elaine dissimulée dans un pardessus prêté par Henry Trump.
     Au détour de la coursive, ils virent un matelot en salopette occupé à laver le sol et fourbir les cuivres.
     - Ne laissez pas le marin voir votre visage, souffla Henry Trump tout en se hâtant au côté de la jeune femme;
     Ils passaient à la hauteur du matelot quand celui-ci plongea sa serpillière dans le seau d'eau de lessive. Mais, au lieu de la serpillière, c'est un revolver dégoulinant qu'il sortit du seau.
     - Halte, vous deux ! Ces cartouches sont imperméables, dit-il d'une voix menaçante.

     Henry Trump disait qu'il aurait aimé jouer les héros. Une occasion de le faire lui était maintenant offerte et il en profita. Se catapultant à une vitesse surprenante, il donna un coup de pied au revolver du faux matelot et l'arme fila en tourbillonnant à l'autre bout du couloir.
     Avec une exclamation de rage, l'homme recula précipitamment en plongeant la main à l'intérieur de sa chemise, si vivement que les boutons sautèrent, et en ressortit un long couteau.
     Henry Trump ramassa le seau de lessive et le lui lança à la tête. Aveuglé, l'autre jura et s'efforça d'essuyer ses yeux inondés d'eau savonneuse.
     - Venez ! s'écria Trump en saisissant Elaine par le bras. Ils se détournèrent pour fuir.., et se figèrent en plein élan : la porte d'une cabine proche venait de s'ouvrir et Paquis surgit suivi de ses acolytes, tous pistolet au poing. Henry Trump fit un geste pour prendre son arme.
     - Non ! ordonna Paquis d'un ton menaçant. Henry Trump se ravisa et leva les bras en l'air.
     - Nous avions compris que mademoiselle devait être réfugiée dans une des cabines, expliqua Paquis en riant. Une poignée de monnaie judicieusement distribuée nous a permis de poster un des nôtres en guetteur sous couleur de faire le ménage.
     - Vous vous croyez malins, bandits ! s'exclama Henry Trump.
     - Plus que vous ne le croyez, monsieur, fut la menaçante réponse de Paquis. Vous allez regretter d'avoir jamais rencontré cette charmante demoiselle.
     - Vous nous le paierez, croyez-moi ! dit Henry Trump. Sous la menace des revolvers, Elaine Mills et Henry Trump eurent les mains liées, puis ils furent bâillonnés.
     - Mademoiselle ne nous jouera plus de tour, dit Paquis en s'adressant à la jeune femme.
     On ne leur ligota pas les chevilles et la raison en devint évidente un des hommes de la bande, qui était allé en reconnaissance dans le couloir, revint dire que la voie était libre et ils entraînèrent leurs deux prisonniers.
     A cause de la pluie fine qui tombait et du brouillard, les ponts étaient déserts. Personne ne vit les jeunes gens que la bande poussait précipitamment vers l'arrière.
     Paquis donna des ordres à voix basse. Des bouées furent arrachées de la rambarde et attachées aux prisonniers avec des longueurs de cordage prises sur un canot de sauvetage.
     A chaque bouée était fixée une boîte métallique.
     Elaine vit avec horreur Henry Trump empoigné, soulevé et projeté pieds les premiers par-dessus la rambarde. Elle subit ensuite le même traitement.
     La jeune fille heurta l'eau avec une violence terrifiante. Le flanc rouillé du navire fila sous ses yeux, l'eau l'emporta dans ses tourbillons et elle faillit être attirée sous le bateau par les remous des hélices. Suffoquant, à demi-étouffée par le bâillon, elle remonta à la surface.
     Elle entendit le bouillonnement produit par le vapeur, vit s'éloigner une masse noire qui était la poupe, puis tout s'effaça et elle fut seule dans les flots de la Manche.
     Elaine était ballottée dans tous les sens, car la mer était encore agitée après le passage du bateau ; les remous cessèrent assez vite, mais restait encore le désagréable clapotis propre à la Manche : les vagues déferlaient par-dessus la bouée et lui éclaboussaient la figure.
     L'aube devait être proche, mais la brume et les nuages de pluie entretenaient d'épaisses ténèbres.
     Un sifflement assourdissant retentit soudain et une clarté toute proche l'aveugla. La jeune fille ferma les yeux et s'efforça de se dégager de la bouée, mais ses liens étaient trop solide. ment assujettis.
     Puis elle comprit ce qui provoquait cette lumière aveuglante c'était la boîte métallique fixée à la bouée. Il s'agissait d'un signal d'alarme moderne - des produits chimiques qui s'enflamment au contact de l'eau et brûlent longtemps, cela afin de permettre de repérer les naufragés pendant la nuit.

     Elaine était secouée de frissons et, comme elle tentait de se dégager, elle eut la surprise d'entendre un voix masculine toute proche appeler : Elaine!
     Peu après, Henry Trump apparut dans le cercle lumineux projeté par la fusée éclairante. Il avait les mains libres et s'était débarrassé de son bâillon. Il faisait avancer sa bouée en pagayant avec les mains.
     - J'ai réussi à me détacher, dit-il d'une voix haletante. Sapristi, je suis bien content de vous retrouver! J'étais inquiet,  j'avais peur que vous n'ayez été happée par les hélices du bateau.
     A cet instant, la fusée éclairante attachée à la bouée de Trump s'alluma et, crachant et sifflant, produisit une clarté si vive qu'ils durent fermer les yeux. Au-dessus d'eux, le tonnerre roulait et grondait ; la pluie redoubla, fouettant l'eau verte qui se mit à mousser autour d'eux comme du savon.
     - Nous voilà bien mal lotis, constata Trump d'un air morose. Je me demande si nous sommes loin du rivage.
     Les grondements qui lui répondirent le rappelèrent à la réalité. Il se mit aussitôt à détacher le bâillon de la jeune femme.
     - Trop loin, dit Elaine en frissonnant. Je ne suis pas de force à faire la traversée de la Manche à la nage.
     Trump s'activait maintenant après les cordes qui ligotaient les poignets d'Elaine et ne tarda pas à la libérer. Ensuite, ils relièrent leurs bouées avec des cordes pour ne pas être séparés par les courants.
     - Ils ont trouvé un moyen curieux de se débarrasser de nous, déclara Trump.
     - C'est ce que je ne comprends pas, murmura Elaine. Pourquoi nous attacher à des bouées de sauvetage avant de nous jeter par-dessus bord ?
     - Ecoutez ! cria Trump.
     Elaine tendit l'oreille. Au début, elle ne perçut que les crépitements produits par la combustion de leurs fusées d'alarme. Puis elle distingua une sorte de bourdonnement qui allait s'amplifiant.
     - Un avion, dit Henry Trump.
     Peu après, deux phares qui semblaient jaunâtres en comparaison de l'éclat des fusées se dessinèrent dans la nuit. L'appareil se posa sur l'eau, exploit qui ne pouvait être le fait que d'un hydravion de belle taille. Il se rapprocha des naufragés.
     Un homme sortit de la carlingue, s'agrippa des deux jambes et d'un bras à un mât et procéda au repêchage de Trump et d'Elaine avec un crochet à bateau. Il était habile. En quelques minutes, ils grimpaient tous les deux dans la cabine de l'appareil.
 

A SUIVRE



[Mickey #1061]
 
 
Résumé : Au cours d'une conférence, l'attaché de presse Benjamin Gilstein a révélé aux journalistes qu'une usine où est pratiquée l'extraction de l'or en suspension dans l'eau de mer fonctionne à Magna Island, île proche de l'Angleterre. La nièce de Wehman Mills, l'inventeur du procédé, a été séquestrée par des inconnus à bord du bateau, alors qu'elle se rendait en Angleterre. Ses agresseurs ta précipitent par-dessus bord avec un passager Henri Trump, qui était venu à son secours. Les deux naufragés sont recueillis en pleine mer par un avion...

     Trois autres hommes s'y trouvaient. Elaine les examina et fut certaine de les voir pour la première fois de sa vie.
     - Nous avons eu un mal de chien à vous découvrir, dit l'un des sauveteurs. Avec ce brouillard, nous avons cru pendant un moment que nous n'allions pas pouvoir repérer les fusées.
     - Vous nous cherchiez ? s'exclama Elaine.
     - Bien sûr
     - Mais pourquoi?
     L'homme sortit de sa poche un revolver nickelé, l'agita d'un geste négligent et déclara
     - Vous ne vous en doutez peut-être pas, mais vous avez simplement changé de moyen de transport.
     Henry Trump s'exclama avec colère
     - Alors, vous appartenez à la même bande que Paquis, Smith et consorts?
     - Je n'ai pas honte de l'avouer, dit leur nouveau ravisseur en souriant. Ce Paquis n'est pas moitié aussi malin qu'il le croit, mais cela n'en fait pas moins un monsieur très astucieux.
     Elaine dit d'une voix étranglée
     - Mais pourquoi toute cette complication de nous jeter à l'eau et de nous repêcher ensuite par un hydravion.
     - Pour nous épargner des ennuis, lui répliqua l'autre en ricanant. Voyez-vous, ma petite dame, le capitaine de La Colombe avait eu l'idée lumineuse de demander à la police de Southampton d'enquêter sur cette histoire de jeune folle.
     Elaine et Henry Trump échangèrent un regard.
     - Je regrette de ne pas l'avoir su, gémit Trump.
     Un homme exhiba des cordelettes minces, mais solides, et s'apprêta à ligoter les prisonniers.
     - Où allons-nous? demanda Elaine.
     - Rendre visite à votre oncle estimé, Wehman Mils, dit l'autre. Mais vous n'y prendrez pas plaisir, je vous le garantis.
     Un de ses compagnons gloussa de rire.
     - Parle-leur donc du second invité qui leur tiendra compagnie... ce célèbre archéologue et géologue dénommé William Harper Littlejohn.
     - Vous êtes trop bavards, les gars ! cria sèchement le pilote.
     L'avion amphibie courait maintenant à la surface de l'eau, dans le vacarme de ses moteurs ronflant à plein régime et sautait de vague en vague, chaque heurt de l'appareil sur les crêtes des lames imprimant une secousse terrifiante à l'appareil, dont les ailes semblaient prêtes à s'arracher.
     L'appréhension se peignit sur le visage du pilote et des passagers. Le moment était critique. L'atmosphère se détendit seulement quand l'hydravion s'éleva dans l'indécise clarté d'une aube voilée de brouillard.
     L'homme aux cordelettes se remit à attacher les prisonniers. Puis il sortit des mouchoirs visiblement destinés à servir de bâillons.
     - Vous, mes cocos, ça va vous coûter cher! gronda Henry Trump. Franck Sauvage s'occupe de cette affaire.
     - Franck Sauvage est en route pour l'Amérique du Sud! rétorqua l'autre, la bouche en coeur.

     Le brouillard baignait le Wash. C'était un brouillard particulièrement dense, qui déposait de grosses gouttes  sur les roseaux, dont se composait en majeure partie la végétation du marais. Le soleil semblait un gros oeil rouge dans le ciel.
     De rares vols d'oiseaux étaient les seuls signes de vie animale. Pourtant, quelqu'un bougeait, dans le Wash, avec précaution, comme ne voulant pas se signaler.
     C'était Franck Sauvage qui suivait la piste de Johnny. Les histoires qui couraient dans le village de Swineshead à propos du fantôme du roi Jean lui avaient donné une indication sur la direction probable qu'il avait prise. Les empreintes de Johnny n'avaient pas été difficiles à retrouver, car elles s'étaient imprimées profondément dans la boue molle du Wash.
     Elles étaient longues et étroites, ces empreintes, et révélaient nettement qu'elles avaient été faites par un homme quasi squelettique. Elles étaient bien reconnaissables.
     La piste indiquait le chemin parcouru par le maigre archéologue-géologue en quête du spectre du monarque anglais ou d'un être moins fantastique, susceptible d'expliquer ces histoires d'apparition. Puis il y eut l'endroit où Johnny avait rencontré le rôdeur nocturne.
     Franck Sauvage examina avec grand intérêt les empreintes de ce dernier. Visiblement, elles avaient été imprimées par un soulier d'un très antique modèle. Franck découvrit l'empreinte de l'espadon à l'endroit où il était retombé après que Johnny l'eut arraché à son adversaire et projeté au loin.
     Puis il découvrit les traces de la bagarre au cours de laquelle Johnny avait maîtrisé son étrange ennemi : les herbes étaient arrachées à l'endroit où l'empoignade avait eu lien.
     Enfin, Franck trouva une troisième série d'empreintes. Celles de l'individu qui avait frappé Johnny par-derrière, provoquant cette perte de conscience qui lui avait semblé inexplicable. Apparemment, il existait deux "fantômes" !
     Ce troisième larron, après avoir assommé Johnny, s'était éloigné et caché non loin de là, dans les herbes du marais, peut-être pendant que le premier pseudo-fantôme interrogeait Johnny puis il était revenu, et les deux "spectres" avaient emmené Johnny à travers la boue et les roseaux.
     Frank Sauvage suivit leur piste. Il marchait courbé au maximum, encore que cela ne fût guère nécessaire étant donné l'épaisseur de la brume.
     Les courants avaient creusé, çà et là, des rigoles profondes dans le grand marécage qu'inondait partiellement la marée. A ce moment-là, la mer devait être haute, car ces ruisseaux étaient pleins ou débordaient.
     Franck perdit la piste sur la rive d'un de ces ruisseaux. Il le traversa en quelques brasses, qui dénotaient un nageur exceptionnel, pour examiner l'autre berge. Il finit par se convaincre que Johnny avait été emmené dans une embarcation quelconque.
     Il se mit alors en devoir d'inspecter les berges. Comme rien ne permettait de déceler la direction prise par l'embarcation, il ne lui restait plus qu'à descendre, puis remonter le cours d'eau.

     Quelque huit cents mètres de l'endroit où se trouvait Franck Sauvage, une étrange silhouette était accroupie dans les joncs. C'était un homme au visage envahi par une barbe noire en broussaille, qui portait un haubert et une tunique de soie blanche. Un espadon était planté dans la terre molle à côté de lui.
     Cet individu offrait une image extraordinaire, un souvenir du XIIIe siècle. Il ressemblait à un portrait du roi Jean sans Terre...
     A ceci près qu'il avait ôté son heaume pour coiffer un casque à écouteurs d'un aspect extrêmement moderne. Le fil du casque était relié à un appareil électrique, d'où partaient d'autres fils aboutissant à des micros enfouis dans le sol ou plongés dans le courant du ruisseau que Franck Sauvage venait de traverser.
     Le dispositif sur lequel se penchait le bizarre personnage était un appareil d'écoute comprenant des microphones extrêmement sensibles, des amplificateurs et le casque. Il permettait de percevoir les plus faibles vibrations de la terre et de l'eau dont il magnifiait le volume. Le bruit d'un poisson sautant hors de l'eau à quatre cents mètres de là se traduisait par de violents crépitements.
     Le guetteur débrancha son casque et mit en marche un petit émetteur de radio. Il approcha sa bouche du micro.
     - Quelqu'un vient, annonça-t-il.
     - Vous l'avez vu? demanda son correspondant.
     - Non, mais il semble se diriger par ici.
     - Faites-lui le coup du roi Jean, commanda la voix lointaine. Effrayez-le pour qu'il s'en aille.
     Le roi Jean prit alors son espadon, essuya la boue qui en souillait la pointe, examina le tranchant pour vérifier s'il était bien coupant comme un rasoir, puis s'éloigna. Il avançait, courbé en deux, posture que son armure rendait inconfortable, et il s'arrêtait souvent pour masser ses reins douloureux et reposer ses muscles. Cette méthode de progression était malheureusement nécessaire pour que sa tête ne dépasse pas des roseaux.
     Il s'immobilisait fréquemment pour appliquer son oreille contre le sol. Il n'entendit rien. Après avoir répété cette opération à plusieurs reprises, il parut soucieux. Il commença à chercher des empreintes.
     Il finit par tomber sur l'endroit où Franck Sauvage avait traversé le cours d'eau. Mais de Franck Sauvage point.
     Le guetteur essaya de suivre sa piste. Il y réussit sur une centaine de mètres. Ce qu'il découvrit lui fit pincer les lèvres.
     Il était parfaitement évident que Franck Sauvage l'avait entendu approcher... et le pistait à son tour!
     L'homme en haubert et tunique de soie n'avait pas peur, il était seulement intrigué. Fourrant son espadon sous son bras, il prit à l'intérieur de sa tunique le plus moderne des pistolets, qu'il garda à la main. Puis il s'appliqua méthodiquement à chercher sa proie. Il ne la trouva pas.
     S'avançant avec prudence, évitant les hautes touffes de roseaux, il revint à l'endroit où était dissimulé son matériel. Il se saisit de l'écouteur. Ne lui parvinrent que des bruits d'origine manifestement naturelle.
     L'homme se tourna vers son émetteur et entra en contact avec ses compagnons.
     - Il se passe quelque chose de bizarre, dit-il. Je n'ai pas réussi à trouver le type, mas j'ai repéré ses empreintes. Je crois qu'il me suit.
     - Il est seul ?
     - D'après les traces, oui. Qu'est-ce que je fais ?
     - Ayez l'air d'avoir peur, ordonna son correspondant. Ramassez votre équipement et remontez le long du cours d'eau.
     - Mais cela va le mener vers...
     - Ne vous tracassez pas pour ça, répliqua l'autre. Nous nous chargeons de cette personne. Vous ne l'avez pas vue? Vous n'avez aucune idée de son apparence ?
     - Aucune.
     La conversation achevée, le roi Jean ramassa ses appareils selon l'ordre reçu et s'éloigna en longeant la berge.

     L'air devenait légèrement plus tiède et le brouillard, par conséquent, plus oppressant. La brume se changea en vapeur chaude. De temps à autre, un souffle de brise effleurait les basses terres du Wash et faisait danser et se tordre le brouillard en masses nébuleuses. Ces formes, quand on ne s'attendait pas à les voir, offraient une ressemblance frappante avec des hommes en train de ramper ; le pseudo-roi Jean braqua sur plus d'une sort revolver en se croyant attaqué.
     Il n'avait pas relâché sa vigilance. Il était certain de la présence d'un inconnu dans le marais, mais l'habileté déconcertante dont il faisait preuve pour se dissimuler était des plus décevantes.
     Le terrain s'éleva, s'assécha. Le ruisseau qu'il suivait coulait à peine, l'eau dont il était plein était d'une teinte verte peu plaisante. Un oiseau s'envola dans de grands claquements d'ailes, traînant un instant ses pattes à la surface de l'eau en prenant son essor.
     Le pseudo-roi Jean progressa encore d'une centaine de mètres en trébuchant. La sueur coulait par toutes les ouvertures de sa cotte de mailles, car l'armure était lourde et les boîtes de matériel électrique ajoutaient encore à son poids.
     La tension nerveuse et l'effort physique avaient presque épuisé le faux revenant. Sur un dernier achoppement, il déposa ses boîtes et s'assit dessus, haletant.
     A quatre pas sur sa gauche et un peu en arrière, un coup de feu claqua et la détonation se répercuta longuement sur le marais.
 
 

A SUIVRE



[Mickey #1062]
 
 
Résumé : Au cours d'une conférence, l'attaché de presse Benjamin Gilstein a révélé aux journalistes qu'une usine où est pratiquée l'extraction de l'or en suspension dans l'eau de mer fonctionne à Magna Island, île proche de l'Angleterre. L'inventeur du procédé, Wehman Mills, a disparu ainsi que sa nièce Elaine, cependant que Franck Sauvage, alerté par un fait divers, poursuit son enquête dans les marais de Wash. Il découvre un étrange personnage...

     Le roi Jean se dressa d'un bond. Il crut d'abord qu'on l'attaquait. Cependant, aucune balle n'avait sifflé à proximité.
     D'autres détonations retentirent. Une mitrailleuse cracha ses balles. Les coups partaient de chaque côté de lui et derrière. Des hommes s'étaient dressés un peu partout dans les herbes et les roseaux.
     Tous étaient costumés en roi Jean et c'étaient eux qui tiraient. Sans cesser de faire feu, ils couraient sur la piste que venait de croiser le premier roi Jean.
     Celui-ci comprit soudain ce qui se passait. Ses compagnons avaient tendu une embuscade pour capturer le mystérieux individu qui le suivait. Ils avaient dû le repérer.
     Abandonnant son matériel, le premier roi Jean courut vers eux, sa fatigue oubliée. Il rejoignit un des comparses en cotte de mailles qui était armé d'une mitraillette.
     - Vous avez repéré le type? cria-t-il.
     - Pas nettement, rétorqua l'autre. Il était dans ces satanés roseaux. L'ai juste entrevu. Mais il ne réussira pas à nous fausser compagnie.
     Criant et tirant sans arrêt, les rois Jean convergèrent vers la berge. Ils avaient encerclé leur proie.
     Un homme s'exclama soudain. Le canon de son arme cracha une flamme rouge ; le mécanisme éjecteur éparpilla des cartouches de cuivre vides.
     Il y eut un fracas d'éclaboussures.
     - Je l'ai eu ! proclama le tireur.
     Ils se précipitèrent sur la berge. La pente boueuse était défoncée et creusée comme si un corps avait glissé tout du long. Du fond de l'eau vert sombre montait une procession de bulles qui éclataient l'une après l'autre,
     - Il est là-dessous, dit avec un petit rire le roi Jean qui avait fait feu le dernier.

     - Plongeons-nous pour le repêcher? dit quelqu'un.
     - Avec ces carapaces de fer-blanc sur le dos? riposta un autre. On coulerait comme des pierres.
     Deux hommes se mirent aussitôt en devoir de se dépouiller de leur cotte de mailles, mais c'était une tâche de longue haleine. Ils grommelèrent, jurèrent, se cassèrent les ongles sans grand résultat.
     Un autre roi Jean, plus rapide, fouilla dans la musette qu'il portait et en sortit des objets qui ressemblaient à des chandelles entourées de papier et attachées ensemble par une ficelle. C'était de la dynamite, déjà munie d'une mèche et d'une amorce, Il se servit d'un briquet automatique pour allumer la mèche.
     - Détalez tous! ordonna-t-il.
     Il se pencha et lâcha avec précaution le paquet de dynamite au milieu des bulles qui montaient encore à la surface. L'explosif s'enfonça lentement et disparut. Seul un ruban de fumée s'élevant de l'eau dénotait sa présence.
     Le dynamiteur tourna précipitamment les talons et s'enfuit. A cause de son armure, il avançait par curieux bonds saccadés. Se prenant les pieds dans les joncs, il tomba en dévidant tout un chapelet de jurons.
     Une haute nappe d'eau escalada la berge et retomba sur le gisant qu'elle recouvrit de la tête aux pieds. Une flamme. une bouffée de fumée jaillirent dans le brouillard. La terre donna l'impression de s'enfoncer de plusieurs centimètres puis de se remettre en place.
     Le souffle de l'explosion courba les roseaux et les laîches sur une étendue considérable et des oiseaux s'envolèrent, affolés. Le ruisseau n'était plus qu'un bouillonnement de vase et l'eau projetée en l'air par l'explosion retombait dans le lit du ruisseau en gargouillant.
     L'homme qui avait lancé la dynamite se releva, toujours jurant, l'armure dégoulinante d'eau, il courut au ruisseau. Ses compagnons le rejoignirent et ils attendirent, l'oeil aux aguets.
     - Le corps devrait remonter, marmotta l'un d'eux.
     - Il a dû s'enfoncer dans la boue sous l'effet du choc, expliqua le dynamiteur.
     - Regardez ! s'écria un autre.
     Le ruisseau n'était plus qu'un magma de boue, mais cette boue prenait une teinte nettement rougeâtre.
     - Du sang! dit quelqu'un.
     - Si on s'en allait, qu'est-ce que vous en penseriez? proposa le premier roi Jean.
     Ils s'éloignèrent.

     La végétation n'excédait nulle part la taille d'un homme mais, çà et là, le terrain se haussait pour former des huttes visibles de loin. Il y en avait une demi-douzaine près de la rive du ruisseau dynamité. A cet endroit, son lit devenait plus large, formant presque un lac. Ces buttes n'étaient pas l'oeuvre de la nature, mais il aurait fallu les observer de bien près pour s'en apercevoir. Les herbes et les joncs y verdoyaient, on ne peut plus normalement ils avaient été passés à la peinture verte ou à une teinture quelconque, et le camouflage était parfait. Les baraquements étaient bas et assez longs, ils étaient constitués par des charpentes en bois recouvertes de tôle, le tout peint et recouvert d'herbes et de joncs tintés.
     Un des baraquements, en avancée sur l'eau, abritait un hydravion. C'était un gros appareil robuste, construit pour faire de l'usage plutôt que de la vitesse ou des acrobaties.
     Ce qu'abritaient les autres bâtiments n'était pas apparent, mais de l'un d'eux provenait un ronronnement assourdi audible seulement à quelques mètres, en quoi un spécialiste aurait reconnu le bourdonnement d'un moteur parfaitement insonorisé.
     La troupe des rois Jean se dirigea vers le groupe de baraquements camouflés. Ils marchaient vite et tous ruisselaient de sueur.
     Paquis sortit de la baraque au moteur. Il s'était changé et arborait une tenue impeccable veste de chasse en tweed, culotte de sport et bottes de caoutchouc.
     Smith surgit à son tour, attiré par le cliquetis des armures et le tintement des espadons qui s'entrechoquaient de temps à autre. Ii était couvert de vase de la tête aux pieds et tenait à la main un grand chiffon avec lequel il s'essuyait la figure.
     - Bonjour, messieurs, dit Paquis sèchement. Qu'est-ce qui vous ramène ici dans un tel état d'excitation ?
     Les rois Jean se laissèrent choir sur le sol élastique en haletant et celui qui avait lancé l'a dynamite raconta leur aventure sans omettre aucun détail.
     - Qui était cet homme que vous avez fait sauter? demanda Paquis.
     - Nous n'avons pas vu son visage, répliqua l'autre. Nous n'en avons même pas vu assez pour savoir à quoi il ressemble.
     - Vraiment? s'exclama Paquis. Vous n'avez rien examiné? Vous n'avez pas recherché les restes du cadavre?
     L'autre haussa de nouveau les épaules.
     - Le sang...
     - Suis-je donc le seul ici à avoir de l'intelligence ? hurla Paquis. Vous deviez vérifier, messieurs. L'homme pouvait n'être que blessé. Nous allons retourner vérifier, conclut-il sèchement. Dépêchez-vous! Vite!
     Retourner sur la berge demanda une demi-heure, car les rois Jean étaient épuisés. Ils maudissaient le poids de leur armure à chaque pas, et certains s'arrêtèrent pour l'ôter.
     Sur l'ordre de Paquis, donné sans aménité, deux rois Jean se déshabillèrent et plongèrent en slip dans l'eau verdâtre qui n'avait d'ailleurs de malsain que l'aspect, dû à sa couleur.
     Ils ramenèrent à la surface des morceaux de verre qui, rejoints, se révélèrent faire partie de deux petites fioles.
     Ils ne trouvèrent rien d'autre.
     - C'est impossible! murmura Paquis. Invraisemblable! Oui, il devrait rester quelque chose de ce cadavre.
     - Probable qu'il a été emporté par le courant, monsieur, grommela Smith.
     - Peut-être, admit Paquis, mais nous ne pouvons pas courir de risques.
     - Quelle importance? rétorqua Smith. Nous aurons fini ici aujourd'hui, de toute façon.
     Paquis hocha la tête.
     - Oui, mais personne, monsieur, ne doit établir de lien entre ceci et notre merveilleux arrangement à Magna Island.
     Smith eut un geste d'agacement.
     - Si quelqu'un soupçonne quoi que ce soit à propos de Magna Island, ce sera la faute de ce type de la publicité, Benjamin Gilstein.
     - Gilstein connaît parfaitement son métier, dit Paquis. Il s'en débrouillera.
     Ils discutèrent encore pendant un moment et, comme ils ne pouvaient rien faire d'autre, ils s'en retournèrent.
     Tout était tranquille aux alentours des ateliers camouflés. Le moteur ronronnait toujours, assourdi par ses silencieux. Un homme était accroupi au ras des bâtiments. Il faisait le guet, une mitraillette sur les genoux.
     - Rien à signaler ici, monsieur, annonça-t-il.
     Paquis entra dans un autre bâtiment, en ressortit peu après.
     - Nous allons terminer le travail ici, ordonna-t-il en réapparaissant. Je viens de consulter notre chef.
     - Le patron se donne vraiment un mal de chien pour éviter qu'on voie sa tête, commenta un des hommes.
     - Le chef prend des précautions, messieurs, répliqua Paquis. Il est intelligent.
     Ce qui, venant de Paquis, toujours prompt à vanter sa propre astuce, était certes un grand compliment.
     Les hommes entrèrent dans la baraque camouflée et se mirent à l'oeuvre. De temps à autre, on entendait tinter des outils. Les ouvriers restaient invisibles, car les baraquements étaient reliés entre eux par des passages couverts en paille. Une certaine animation régnait aussi dans le hangar qui abritait l'hydravion. Un mécanicien s'affairait autour du moteur.
     À un moment donné, toute activité cessa : un avion survolait le marais en direction du nord. Aucun bruit, aucun mouvement ne laissait deviner qu'il se passait en bas quelque chose d'anormal.
     Paquis s'installa devant un poste de radio émetteur-récepteur et se mit à parler à voix basse. L'appareil était de faible puissance, et il y avait peu de chances que ses émissions dépassent les limites du Wash.
     Un peu plus tard, sur l'ordre de Paquis, survint une troupe de rois Jean qui se débarrassèrent de leurs lourdes armures avec des soupirs de soulagement. Il était évident qu'un nombre imposant d'hommes tous revêtus du même déguisement avaient été postés dans le marais pour écarter les promeneurs éventuels soit par la terreur, soit par la violence.
     En fait, les marais n'étaient fréquentés pratiquement que pour la chasse au gibier d'eau, et ce n'était pas la saison.
     Les fausses barbes, les armures, les espadons qui composaient l'attirail des pseudo-fantômes furent rassemblés en paquets compacts et jetés dans une fondrière qui se trouvait à proximité et dont le sol mouvant les engloutit rapidement.
     - Il serait sage de mettre quelqu'un en sentinelle avec les dispositifs d'écoute, décida Paquis.
     Et il désigna un homme qui s'éloigna avec tout son matériel.
     Il s'enfonça à quelque distance dans les joncs, s'agenouilla et installa ses appareils.
     Il entendit soudain un léger craquement à côté de lui. Il regarda. De minuscules fragments brillants étaient éparpillés par terre; on aurait dit des éclats de verre extrêmement minces et ils reposaient dans une petite flaque de liquide qui s'évapora avec une rapidité magique.
     L'homme soupira profondément et s'étendit à côté de son matériel dans une immobilité presque parfaite.
     Le brouillard ondula et un géant aux traits de bronze surgit d'entre les joncs. Il s'approcha et palpa d'un geste bref le poignet du gisant. Son pouls était fort. La lèvre inférieure de l'homme palpita, et le bruit de sa respiration se mit à ressembler un peu à un ronflement.
     Ce qui s'était brisé à côté de l'homme inconscient était une ampoule ronde en verre contenant un produit chimique très volatil qui endormait quiconque en respirait même à quelques pas.
     Franck Sauvage portait sous ses vêtements un gilet d'une fabrication assez particulière. Il se composait de légères plaques pare-balles disposées comme des écailles et, sur ces plaques, étaient fixées de nombreuses poches. Un rembourrage astucieux les rendait à peu près invisibles.
     Leur contenu formait un assortiment remarquable. C'étaient de délicats dispositifs mécaniques, d'étranges armes scientifiques, des fioles de verre remplies de mélanges chimiques calculés pour accomplir des miracles.
     Deux de ces fioles avaient permis à l'homme de bronze de feindre sa mort dans le ruisseau. L'une contenait un produit qui, au contact de l'eau, émettait des bulles ; l'autre renfermait simplement un colorant imitant le sang.
     Cerné, le géant de bronze qui ne désirait pas être reconnu, avait plongé et nagé entre deux eaux jusqu'à ce qu'il fût en sécurité. Il avait déjà regagné la terre ferme quand l'explosif avait été jeté dans le ruisseau.
     Frank Sauvage se déplaçait comme un fantôme dans le brouillard. Il arriva bientôt près de l'étrange installation du marais. Il se laissa tomber à plat sur le sol, disparut, puis réapparut peu après contre la paroi d'un des baraquements. La peinture avait l'air fraîche, comme si elle n'avait pas été appliquée depuis bien longtemps. Franck plaqua son oreille contre le métal.
     Non loin de là, le moteur ronflait avec régularité. On pouvait entendre un faible bruissement, comme si des pompes étaient en marche, qu'accompagnait de temps à autre un crépitement assourdi. Des allées et venues ajoutaient au bruit.
     Franck Sauvage comprit que la baraque contre le mur de laquelle il se trouvait était occupée. Une ou deux fois, il entendit quelqu'un changer de place.
     Une voix déclara :
     - Cette inaction se range dans la catégorie des états purement insupportables.
     Franck Sauvage ne broncha pas, mais alors s'éleva un petit son si difficile à définir qu'on l'aurait aisément confondu avec une des bouffées de brise qui agitaient le brouillard - une modulation pareille au sifflement du vent dans une forêt dénudée ou encore le chant d'un oiseau tropical.
     C'était un chant propre à Franck Sauvage, qu'il émettait. souvent dans les moments de tension, mais avec un tel art de ventriloque que quiconque se trouvant près de lui et le regardant n'aurait pas pu dire d'où le son provenait. Les lèvres ne remuaient pas, les muscles de la gorge n'ondulaient pas. Franck lui-même ne savait peut-être pas comment ce son étrange se formait.
     Ce sifflement musical avait dû s'entendre dans le baraquement. La voix qui avait déjà parlé retentit à nouveau. Ce qu'elle proféra n'appartenait à aucun langage connu dans le monde dit civilisé. C'était la langue d'une race éteinte, celle des anciens Mayas de l'Amérique centrale. Une langue que connaissaient seuls quelques hommes blancs et les habitants d'une vallée perdue d'Amérique centrale où Franck Sauvage était allé chercher - et avait découvert - l'immense trésor des Indiens Mayas.
     - Il y a une sentinelle ici, Franck, disait la voix en langue maya.
     Elle avait l'accent érudit de Johnny.
     - Qu'est-ce que vous dites? questionna son gardien d'un ton hargneux en dévisageant son prisonnier.
     - Il s'agit d'une incantation calculée pour engendrer un sourire chez Dame Fortune, répliqua froidement Johnny.
     Le garde médita cette réponse sentencieuse en faisant la grimace. C'était un balourd aux sourcils en broussaille et au front bas.
     - Mettez une sourdine! s'exclama-t-il.
     - Je suis un individu atteint d'une superprépondérance de terminologie, répliqua Johnny. Je suis un verbarien, un glossographe profondément intéressé par les complexités du discours.
     - Pfou! fit le gardien. Quel charabia! Taisez-vous un peu, s'il vous plaît
 
 

A SUIVRE



[Mickey #1063]
 
 
Résumé : Au cours d'une conférence, l'attaché de presse Benjamin Gilstein a révélé aux journalistes qu'une usine ou est pratiquée l'extraction de l'or en suspension dans l'eau de mer fonctionne à Magna Island, île proche de l'Angleterre. Johnny, qui s'est rendu sur place pour enquêter, a été découvert et emprisonné par tes hommes de Paquis. Franck Sauvage part à sa recherche et entre en contact avec lui, de l'extérieur, grâce à leur signal : un sifflement musical...

     L'homme agita son arme, mais sans menace définie il semblait intrigué par ce flot de mots qu'il ne comprenait pas.
     Johnny n'en continua pas moins à parler. Le trille lui avait appris que Franck se trouvait à proximité. Nulle trace de l'excitation qu'il ressentait n'apparaissait sur ses longs traits anguleux, mais il s'efforçait de capter l'attention de son gardien jusqu'à ce que Franck ait mené à bien ce qu'il avait dû entreprendre.
     - L'art de la harangue, reprit donc Johnny, est l'essence de l'érudition, une des acmés de la mentiliculture. C'est...
     L'entrée de la baraque sembla soudain bouchée par un nuage métallique qui, se déplaçant à la vitesse de l'éclair, fonça vers le garde fasciné par Johnny.
     Alerté par une ombre mouvante, le garde se retourna subitement. Sa bouche béa, son arme se releva. Mais ses mouvements étaient infiniment lents comparés à la rapidité de ceux de Franck Sauvage.
     Des doigts d'acier se refermèrent sur le poignet du garde, le tordirent et lui retirèrent l'arme de la main. D'autres doigts s'étaient plaqués sur sa bouche, l'empêchant de crier.
     Franck Sauvage laissa choir l'arme et, de sa main ainsi libérée, tâta la nuque du prisonnier. Ses doigts se raidirent, exerçant une pression formidable sur certains centres nerveux.
     Alors se produisit un phénomène étrange. Les membres de l'homme tressautèrent violemment, puis se raidirent.
     Franck Sauvage le déposa sur le soi. Le garde, parfaitement conscient, essayait de bouger mais en était empêché par une sorte de paralysie.
     Le garde ne recouvrerait pas, avant des heures, l'usage de ses membres, à moins que Franck ne fasse une manipulation qui supprime la pression paralysante. Cet exploit était rendu possible par la remarquable connaissance de l'anatomie humaine que possédait l'homme de bronze.
     Franck Sauvage s'accroupit vivement à côté de Johnny. saisit les anneaux de ses menottes et ses muscles puissants se ramassèrent et se durcirent. Sur ses larges épaules, ils saillaient comme de petits et longs ballons.
     Johnny ouvrit de grands yeux quand ses chaînes se rompirent. Il savait quelle force cela demandait. Rares étaient les professionnels qui auraient pu en faire autant.
     - Que se passe-t-il ici? demanda Franck.
     - Du diable si je le sais, répliqua Johnny. Ils ont pris bien garde de me laisser dans l'ignorance!
     Franck leva la main pour lui intimer silence.
     - Ecoute!
     Johnny tendit l'oreille.
     - On vient!
     C'était Smith qui approchait. Il avait chaussé des bottes cuissardes et avait enlevé sa veste, ce qui permettait de voir le harnais soutenant un automatique sous chacune de ses aisselles.
     En arrivant à la baraque où était retenu le prisonnier, il se pencha pour regarder par la porte.
     Johnny était assis par terre, les bras réunis devant lui comme s'il avait toujours les menottes aux poignets. Une clarté diffuse se reflétait sur les cercles de métal.
     Smith resta bouche bée en voyant le gardien allongé sans mouvement sur le sol.
     - Que s'est-il passé ? s'exclama-t-il.
     - Votre garde a été victime d'un ensemble de circonstances malencontreuses, dit Johnny.
     - Allez au diable, vous et vos grands mots ! Qu'avez-vous fait à ce type ?
     - Je ne l'ai pas molesté, répondit sans mentir Johnny.
     Smith, ne se doutant de rien et furieux contre Johnny, se précipita dans la pièce en plongeant la main sous son bras gauche. Le hasard voulut qu'alors il trébuche et se tourne à demi pour prendre un point d'appui avec sa main libre.
     Il se trouva ainsi face à face avec Franck Sauvage qui se tenait debout près de la porte.
     Smith poussa un hurlement. Il continua à essayer de dégager l'arme, et comme celle-ci était placée du côté de Franck, il leva le bras qui la recouvrait et commença à presser la gâchette d'un même mouvement. C'était une erreur, car l'arme s'enraya.
     Franck s'élança. Smith tourna les talons et s'enfuit. Son visage devenait un masque de terreur, car il avait reconnu Franck Sauvage, et sa peur de l'homme de bronze lui était revenue, centuplée.
     Smith ne courait pas en direction de la porte, la paroi de tôle lui barrait le chemin. Il baissa la tête, replia ses bras pardessus son crâne rond pour le protéger et se précipita avec violence contre le mur. La construction n'était pas solide. Les minces plaques de métal plièrent et s'écartèrent, laissant s'échapper l'homme affolé.
     Johnny se releva brusquement, l'air irrité, tel un épouvantail squelettique.
     - Qui aurait pu imaginer qu'il fuirait par-là? s'écria-t-il. Quelle déveine noire!
     Les alentours étaient en rumeur. Des hommes criaient, juraient. Smith hurlait comme un homme lacéré par un tigre. Sa voix exprimait la terreur.
     A l'intérieur de la baraque retentit soudain un bruit de grêle. Les parois se percèrent de trous. Le crépitement des balles dominait le rugissement lointain de la mitrailleuse au point de le rendre inaudible.
     Le tir s'interrompit. Ils entendirent des touffes de joncs détachées du toit par les balles glisser avec un petit bruit sec.
     - Combien sont-ils ici? questionna Franck.
     Une douzaine ait moins, répondit Johnny.
     - Viens, dit Franck. Sortons de là, c'est plus prudent. L'homme de bronze s'approcha d'une des parois de tôle, se tourna sur le côté quand il fut tout près et passa au travers aussi aisément que si la cloison avait été en papier. Johnny le suivit.
     Franck Sauvage plongea la main sous sa veste, en sortit une minuscule sphère de métal qu'il lança. Elle passa par-dessus le toit du baraquement et atterrit au milieu des hommes qui se trouvaient derrière. Elle s'ouvrit avec un claquement sec. Une fumée noire en jaillit et se répandit avec une rapidité prodigieuse.
     Paquis et ses hommes s'enfuirent en hurlant. Ils craignaient que ce nuage ne soit asphyxiant. Ils s'engouffrèrent dans une autre baraque et, au bout d'une dizaine de secondes, ressortirent les uns derrière les autres en enfilant des masques à gaz.
     - Ils ont l'intention de se battre, pour de bon, Franck, constata sèchement Johnny.
     L'homme de bronze acquiesça d'un signe de tête, puis se baissa et se coula au milieu des hautes tiges des joncs.
     Johnny le suivit en faisant le moins de bruit possible, car leurs ennemis étaient devenus silencieux. La fumée les dissimulait pour le moment. Paquis et sa bande s'efforçaient de les localiser au son.
     Franck avançait comme un fantôme couleur de bronze. Johnny choisissait avec précaution les endroits où il posait les pieds. Ils parcoururent une centaine de mètres. Une bouffée de brise emporta la fumée qui enveloppait les baraques camouflées. Paquis se mit à crier des ordres.
     - Ils vont nous pister, murmura Johnny qui oubliait généralement ses grands mots quand la situation devenait grave.
     A cela, Franck Sauvage répondit en s'arrêtant pour faire un petit trou du bout du doigt dans le sol. Il y enterra une de ses minces fioles de verre contenant un gaz anesthésiant. Il la laissa près de la surface - marcher dessus suffirait à la briser. Le gaz, étant inodore, agirait sans qu'on s'en doute.
     - Mais ils portent des masques, objecta Johnny.
     - Ils les auront enlevés quand ils arriveront par ici, dit Franck. Ce brouillard salira les verres de leurs masques, ce qui les gênera.
     Les deux amis continuèrent leur chemin en rampant. Ils étaient trempés, le brouillard ayant déposé comme des gouttes de pluie sur la végétation. Franck enterra une autre fiole d'anesthésique.
     Au bout d'un moment, ils entendirent des hurlements de surprise et d'horreur. Comme Franck avait prévu, les masques avaient dû être ôtés et une des fioles avait été écrasée. Ils ne virent pas combien de leurs adversaires étaient ainsi neutralisés, mais la poursuite fut subitement interrompue.
     Johnny eut beau écouter avec attention, il fut incapable de deviner ce que faisaient leurs ennemis.
     - Ils s'en retournent, lui dit Franck.
     Johnny hocha la tête, nullement surpris par ce témoignage de la supériorité auditive de son compagnon.
     Johnny s'accroupit pour réfléchir. C'est à peine si sa respiration était un peu plus rapide. Il jouissait d'une endurance étonnante en dépit de sa maigreur et ce n'était pas la première fois qu'il se trouvait dans une situation critique.
     - Rassemble tes souvenirs, dit Franck. As-tu entendu quoi que ce soit qui puisse indiquer ce qu'ils font dans ce marais?

     - On m'avait bandé les yeux avant de m'amener ici, répliqua lentement Johnny. Ce que j'ai vu était insignifiant.
     - Le moteur semble actionner un compresseur, déclara Franck.
     Johnny hocha la tête.
     - Oui. Une pompe ou quelque autre appareil du même genre.
     - Sens-tu une odeur? questionna Franck.
     Johnny aspira l'air.
     - Rien que l'arôme assez peu plaisant de ce terrain inélégant.
     - Ammoniaque, dit Franck.
     Johnny fit travailler de nouveau ses papilles olfactives. Puis il hocha gravement la tête.
     - Très juste, reconnut-il. Je l'avais pris pour une des odeurs du marécage. Y attaches-tu une signification?
     - Il faut que nous examinions leur usine.
     Quelques pétarades en ordre dispersé retentirent dans la direction de leurs adversaires. Une oreille inexpérimentée aurait pu les prendre pour des coups de feu.
     - Des ratés de moteur, dit Franck.
     Peu après, le moteur démarra. Un moteur d'avion, car à son ronflement s'ajoutait le bruit d'une hélice qui tournait une espèce de sifflement sourd. Ils entendirent des appels, des voix qui se forçaient pour couvrir le bruit du moteur.
     - Peut-être vont-ils nous pourchasser par air? dit Johnny avec inquiétude.
     - Ne te tracasse pas, répliqua Franck. J'ai assez de bombes fumigènes pour nous mettre à l'abri.
     Franck et Johnny se frayèrent un chemin vers l'étrange installation de leurs ennemis, mais ils en étaient encore à une certaine distance quand l'appareil partit. Il descendit le cours d'eau et disparut dans le brouillard avant d'avoir pris l'air. Il semblait avoir du mal à s'élever et, au lieu de revenir au-dessus d'eux, il continua à survoler l'e Wash et son vrombissement ne tarda pas à s'éteindre.
     - Que je sois superamalgamé si j'y comprends quelque chose ! s exclama Johnny.
     Franck tendit le bras.
     - Regarde, dit-il.
     Le brouillard devenait noir au-dessus des baraquements camouflés comme si on y avait vaporisé de l'encre.
     - De la fumée! s'écria Johnny.
     - Exactement!
     Franck se mit à courir.
     - Ils ont mis le feu à leur installation.
     Johnny allongea ses longues jambes pour rattraper l'homme de bronze. Ils avancèrent vite et, bientôt, les baraquements - maintenant entourés de flammes rouges - se dessinèrent dans le brouillard. Les deux hommes ralentirent l'allure, s'arrêtèrent même pour écouter.
     Mais ils auraient aussi bien pu continuer sans précaution; ils découvrirent quelques instants plus tard que Paquis et leurs autres ennemis étaient partis, emmenant les hommes que Franck avait réduits à l'impuissance.
     - Nous les avons fait fuir! s'écria Johnny.
     Franck Sauvage ne répondit pas. Le moteur ne marchait plus. Il s'élança vers le baraquement qui l'abritait, mais, au lieu de franchir la porte, bondit vers le côté et enfonça d'un coup de pied une des plaques de tôle.
     Johnny courut vers la porte.
     - Attention ! cria Franck. Ne passe pas par là!
     Johnny vint rejoindre Franck. Il regarda à l'intérieur. Ses pupilles se dilatèrent : la porte était légèrement entrouverte et une grenade à main était calée dessous, dans une position telle qu'un mouvement du battant la dégoupillerait et l'a ferait exploser.
     - Leur cadeau d'adieu, commenta tranquillement Franck.
 

A SUIVRE



[Mickey #1064]
 
 
Résumé : Au cours d'une conférence, l'attaché de presse Benjamin Gilstein a révélé aux journalistes qu'une usine où est pratiquée l'extraction de l'or en suspension dans l'eau de mer fonctionne à Magna Island, île proche de l'Angleterre. Franck Sauvage et Johnny, qui se sont rendus sur les lieux, surprennent Paquis et sa bande. Ceux-ci mettent le feu aux baraquements qui abritent une curieuse installation avant de s'enfuir... 

     La chaleur était intense à l'intérieur de la baraque, car des flammes dévoraient les joncs et les roseaux qui camouflaient la toiture. La charpente en bois avait dû être aussi arrosée d'essence, car elle flambait avec violence.
     Des machines occupaient le centre du hangar. Il s'y trouvait un gros moteur Diesel équipé d'un silencieux ; on y voyait aussi un compresseur. L'odeur d'ammoniaque était très nette.
     - Reculons, dit Franck. Un des tuyaux s'est rompu.
     - Je n'y comprends goutte ! s'exclama Johnny. Cela ressemble à un....
     - Réfrigérateur, compléta Franck. Et c'en est un aussi.
     - Mais pourquoi installer une usine de réfrigération dans ce marais?
     - Voyons si l'un des autres baraquements nous donnera la réponse.
     Le bâtiment suivant se révéla un dortoir à l'installation primitive. Couchettes et tables avaient été systématiquement incendiées. Ils allèrent à un autre baraquement qui était de beaucoup le plus vaste de tous.
     Son toit et ses parois flambaient, mais un foyer infiniment plus intense brûlait au centre du plancher. Des flammes sortaient en rugissant d'un orifice semblable à une cheminée.
     - Un trou, une espèce de puits, commenta Franck.
     - Ils ont dû verser dedans un baril d'essence et y jeter une allumette, ajouta Johnny.
     Des tuyaux formaient un entrelacs compliqué autour du puits en feu. Certains se dirigeaient vers l'atelier de réfrigération. D'autres allaient vers le ruisseau voisin. Des tuyaux plus petits se dressaient comme des piquets autour de l'entrée du puits. Ils découvrirent un autre moteur et une pompe aspirante de forte capacité.
     - Simple, conclut Franck.
     - D'une simplicité lumineuse, renchérit Johnny. Si lumineuse qu'elle me crève les yeux et que je n'y vois rien.
     - N'as-tu jamais entendu parler de la méthode utilisée pour forer les puits de ventilation du grand tunnel routier d'Anvers, en Belgique, quand il a fallu traverser des sables mouvants et des poches de boue comme ici ?
     - Je ne suis pas ingénieur, répliqua Johnny.
     On a simplement monté une vaste usine de réfrigération pour geler la boue, expliqua Franck. Ainsi a-t-il été possible de forer sans installer des caissons.
     - Tu veux dire...
     - Que nos amis ont simplement foré un puits en utilisant les méthodes les plus modernes.
     - Mais que cherchaient-ils donc?
     Si Franck Sauvage en avait une idée, il ne la formula pas. Dans la baraque régnait une chaleur de four ; des fragments de paroi s'effondraient déjà à l'intérieur. Ils sortirent à reculons.
     - A mon avis, ils ont terminé ce qu'ils avaient à faire ici, dit Johnny pensivement.
     Les étranges yeux pailletés d'or de Franck Sauvage allaient de-ci de-là, investigateurs. Sans regarder son ami, il demanda
     - Qu'est-ce qui te fait penser ça?
     - Des bribes de conversation que j'ai entendues, dit Johnny. A plusieurs reprises, mes gardes ont déclaré que leur travail ici était presque achevé. Il devait être fini aujourd'hui, d'après ce que j'ai compris, Ils voulaient m'emmener ensuite dans une île où j'aurais été détenu jusqu'à ce que je ne risque plus de déranger leurs projets.
     - Tu connais le nom de cette île?
     - Maggie ou quelque chose de ce genre, murmura Johnny.
     - Magna Island?
     - C'est ça, acquiesça Johnny avec un hochement de tête véhément. Mais, que sais-tu de cette Magna Island?
     - Gorille et Ted y enquêtent en ce moment même.
     L'homme de bronze s'éloigna. Il avançait avec décision à grands pas à travers les roseaux et les flaques. Johnny, que la curiosité avait entraîné derrière lui, s'aperçut que Franck suivait des traces de pas.
     - Tu crois que l'un d'entre eux est resté ici? dit Johnny qui s'interrompit en voyant que les empreintes étaient doubles ; elles allaient dans un sens et revenaient dans l'autre.
     - J'ai l'impression qu'un des hommes s'est faufilé hors du camp juste avant le départ, répliqua Franck. Les empreintes sont récentes. Et tu verras, en y regardant de près, que cet homme a pris des précautions pour ne pas être vu par ses compagnons. Comme s'il avait caché quelque chose par ici et soit revenu le chercher avant de partir.
     L'hypothèse de Franck semblait juste, car ils atteignirent bientôt un endroit où la terre humide avait été creusée à la hâte.
     - Quelle confiance ils avaient les uns dans les autres, ironisa Johnny, pour que ce bonhomme enfouisse ce qu'il avait de précieux de peur d'être dépouillé par ses amis!
     Franck ne répondit pas. Il s'agenouilla et fit passer entre ses doigts la terre meuble, tournant les mottes dans tous les sens comme pour vérifier si une empreinte en creux ne pourrait pas lui indiquer la nature de l'objet enterré. Il ne trouva pas ce genre de moulage, mais il découvrit un objet probablement oublié dans la précipitation du départ.
     L'homme de bronze le débarrassa de la glaise qui l'enrobait et l'essuya soigneusement avec son mouchoir. Puis il le leva en l'air. L'objet était en métal jaune brillant.
     C'était un grand hanap de forme assez curieuse et d'une contenance dépassant presque le litre. Des émaux ornaient une de ses faces selon un dessin assez compliqué.
     Johnny l'examina attentivement.
     Les armes du roi Jean, murmura-t-il. Est-ce du cuivre? De l'or, rectifia Franck. Et le métal est assez tendre pour être rayé d'un coup d'ongle. Ce qui signifie qu'il s'agit d'or très pur.
     - Un faux ancien? demanda Johnny.
     - Non, authentique. Une pièce de musée. Tu es une autorité pour tout ce qui est ancien. A ton avis, combien cela vaut-il ?
     - Un million et demi, disons.
     - Un peu plus, estima Franck. Tu te rappelles ce paysan qui avait été blessé par un des rois Jean, l'autre nuit ?
     - Oui, dit Johnny avec un hochement de tête prononcé. On disait qu'il avait une pièce de monnaie dans sa poche. Une pièce datant du règne du roi Jean. Mais comment le sais-tu ?
     - Par les journaux.
     - Ils ont dû cambrioler un musée, murmura Johnny. Oui, ils voulaient probablement des reliques pour authentifier leur histoire de spectre. Mais dans quel but ?
     - Le fantôme était destiné à éloigner les gens du pays pour qu'on ne découvre pas ces baraquements.
     - Ce n'est pas ce que je voulais dire, répliqua Johnny. Pourquoi toutes ces complications ? Qu'est-ce que cela cache ?
     - La réponse à cette question doit se trouver dans Magna Island, conclut Franck pensivement. Ted et Gorille la découvriront peut-être.

     Pressant leurs visages contre un hublot du grand hydravion, Ted et Gorille aperçurent enfin Magna Island. Une douzaine des correspondants de presse en firent autant.
     - On dirait une grande grenouille verte étalée sur l'océan, remarqua Gorille.
     - Si, si, excellentissime manière de décrire cette île s'écria Ted avec son plus bel accent italien.
     Du coin des lèvres, Gorille lui souffla
     - Pour l'amour du ciel, ne reste pas à côté de moi. Tu vas éveiller leurs soupçons.
     - Si tu t'imagines que je tiens à ta compagnie, tu te trompes, répliqua Ted d'un ton narquois.
     Il changea de place, ostensiblement pour mieux voir l'île et prendre des photographies avec l'appareil qu'il avait eu la précaution d'apporter. C'était la première fois depuis leur départ de Londres que Ted et Gorille se trouvaient ensemble.
     L'affable Benjamin Gilstein était à l'avant, d'où il avait harangué à pleins poumons les journalistes jusqu'au moment où Magna Island était apparue. L'appareil loué par Gilstein avait une cabine assez bien insonorisée, ce qui permettait les conversations à condition de forcer légèrement la voix.
     Si Benjamin Gilstein nourrissait des soupçons à l'égard de Gorille et de Ted, il n'en avait rien laissé paraître. Il les traitait avec la cordialité habituelle des attachés de presse à l'égard des journalistes.
     L'hydravion décrivit un cercle au-dessus de Magna Island à une altitude inférieure à deux cents pieds. L'île était basse, légèrement rocheuse et ressemblait effectivement à une grenouille allongée, d'un vert particulièrement bilieux.
     Les pattes étalées s'étiraient dans la direction du courant marin dominant et pouvaient assez bien faire penser à des digues.
     Benjamin Gilstein désigna le point de jonction de ces deux curieuses pattes.
     - Regardez, messieurs ! annonça-t-il. Voici l'usine qui réalise ce dont les hommes rêvent depuis si longtemps extraire l'or de l'eau de mer
     C'était un complexe de bâtiments en brique neuve, aux toits fraîchement peints. Il y en avait quatre. Le premier, le plus proche de l'eau, abritait une vanne. Un canal en partait vers un autre bâtiment très vaste. Les deux derniers étaient manifestement un hangar à outils et une station génératrice d'électricité.
     Du grand bâtiment, un canal emportait les eaux usées à l'extrémité opposée de l'île et les déversait dans la mer à l'endroit où se serait située la bouche de la grenouille.
     Vous voyez, l'île convient à la perfection, déclara Gilstein. Les courants dominants entraînent l'eau entre les deux langues de terrain et, après extraction de l'or, l'eau peut s'en aller à l'autre bout de l'île où les courants l'emportent. De cette façon, nous ne traitons jamais la même eau deux fois.
     Gorille ne l'écoutait que d'une oreille. Il examinait le reste de Magna Island. Du côté ouest, où le terrain était un peu plus élevé, il y avait plusieurs maisons de pierre d'apparence ancienne alignées le long d'une rue.
     - Qu'est-ce que c'est? demanda Gorille en posant la main sur le coude de Gilstein.
     - Le petit village qui existait autrefois dans l'île, dit l'attaché de presse. Il est maintenant occupé par les ouvriers qui travaillent à l'usine d'extraction d'or.
     Le pilote de l'hydravion se posa entre les deux langues de terre et immobilisa son appareil.
     Les journalistes enlevèrent chaussures et chaussettes pour patauger jusqu'au rivage; ceux qui avaient des appareils photographiques les soulevaient au-dessus de leur tête.
     Plusieurs hommes à l'expression menaçante vinrent au devant d'eux. Ils étaient armés de fusils et de pistolets.
     Tous ces hommes portaient un uniforme veste, culotte lacée, bottes et béret - assez pittoresque.
     - Pourquoi cette tenue de cérémonie ? demanda le représentant d'un quotidien du soir londonien.
     - Ce sont les gardes royaux de Magna Island, répondit Gilstein.
     - Royaux? répéta l'autre d'un air interrogateur.
     Benjamin Gilstein sourit.
     - Avez-vous oublié ce que je vous ai dit? Cette île est indépendante. Le roi de Magna Island est un monarque absolu : Wehman Mills.
     - L'homme qui a découvert le procédé pour extraire l'or marin?
     - Exact.
     - Nous sera-t-il possible d'interviewer Sa Majesté Wehman Mills ? demanda aussitôt Gorille.
 

A SUIVRE



[Mickey #1065]
 
 
Résumé : Franck Sauvage et Johnny surprennent Paquis et sa bande. Ceux-ci mettent le feu aux baraquements avant de s'enfuir. Franck et Johnny traversent d'étranges constructions et découvrent de surprenantes installations. Ils atteignent un endroit où ils trouvent dans la terre humide un curieux objet de valeur aux armes du roi Jean.
     De leur Cote, Gorille et Ted, en compagnie de Benjamin Gilstein et d'autres journalistes, survolent, à bord d'un hydravion, Magna Island où est située la fameuse usine destinée à extraire de l'or de l'eau de mer...

     - Désolé, dit Gilstein en souriant. Wehman Mills ne  reçoit pas la presse.
     - Alors posera-t-il pour une photo ? insista Gorille.
     -Non, dit Gilstein, mais je vous donnerai tout à l'heure, messieurs, un portrait de Wehman Mills.
     Ils se dirigeaient vers le groupe de bâtiments abritant l'usine d'extraction d'or.
     Ted s'arrêta brusquement. L'élégant avocat était méconnaissable dans son costume tout déformé. Il faut lui rendre cette justice qu'il portait son déguisement avec un naturel parfait. Nul n'aurait pu s'apercevoir à l'oeil nu que son teint bistré était synthétique ; quant à ses dents de devant en or, il s'agissait simplement d'une feuille d'or appliquée sur chaque dent véritable.
     - J'ai oublié mes films ! s'exclama Ted. Il faut que je retourne sur mes pas, sinon je ne pourrai pas prendre de photos.
     Il repartit vers l'hydravion.
     - Attendez! ordonna sèchement Benjamin Gilstein. Un des gardes royaux va vous accompagner.
     - Et pourquoi donc ? s'étonna Ted.
     - C'est la règle au royaume de Wehman Mills, dit l'autre d'un ton sans réplique.
     Ted se retrouva escorté d'un grand gaillard à l'expression peu amène, un fusil sous le bras. L'avocat fut déconfit. Il avait espéré saisir cette chance d'explorer les aîtres une fois qu'il aurait été éloigné des autres.
     Ted ne comprenait pas pourquoi les correspondants de presse avaient été amenés dans l'île. Sa seule certitude était qu'on leur montrerait uniquement l'usine d'or marin. Gorille, qui comptait peu de rivaux dans le domaine de la chimie, vérifierait s'il s'agissait bien d'une usine capable de fonctionner. Lui-même désirait examiner d'autres parties de l'île, notamment le petit village qui se trouvait à l'ouest.
     Avec son escorte il traversait maintenant une zone broussailleuse. Les bruits de l'autre groupe ne leur parvenaient plus.
     D'un geste négligent, Ted glissa la main à l'intérieur de ses vêtements. Quand il l'en ressortit, il tenait une des petites bombes de gaz anesthésique inventées par Franck Sauvage.
     Il s'arrêta brusquement.
     - Pouah ! s'écria-t-il. Vous sentez cette odeur? Le garde huma l'air et répliqua d'un ton morose
     - Je ne sens rien du tout.
     Ted figea ses traits, ouvrit largement la bouche, chancela violemment, puis se laissa choir à quatre pattes et s'étala de tout son long. Ce faisant, il retint sa respiration et brisa l'ampoule de gaz qu'il avait dans la main.
     Son escorte le regarda avec stupeur. Il flaira de nouveau l'air, se demandant ce qui avait terrassé Ted. Puis il s'effondra sur le dos, profondément endormi.
     Ted se releva d'un bond. Le gaz s'était dissipé en moins d'une minute, et il avait échappé à ses effets en s'abstenant simplement de respirer.
     Il avait l'intention d'aller repérer un peu les environs, puis de revenir s'allonger près du garde en feignant d'être inconscient lui aussi. Quand le garde reprendrait ses esprits, il croirait que tous deux s'étaient évanouis.
     Le village situé du côté ouest de l'île n'avait jamais été très prétentieux, mais certains signes dénotaient qu'il était à l'abandon depuis plusieurs semaines. Les herbes folles n'avaient pas été fauchées, ni le gazon tondu ; les fenêtres auraient eu besoin d'un bon lavage et quelques vitres brisées avaient été bouchées avec des journaux.
     Les maisons étaient en pierre, certaines avec des toits de tuile, d'autres couvertes de chaume. L'unique rue étroite n'était pas pavée, mais cela n'avait guère d'importance, le sol étant sablonneux. Il n'y avait pas de trottoirs, seulement des sentiers de terre battue.
     Bénissant en silence la hauteur et l'abondance des herbes folles, Ted se mit à quatre pattes et avança en rampant. Sa canne-épée lui manquait; mais emporter cette arme assez rare était hors de questions, car elle l'aurait rendu trop facile à identifier.
     La porte de derrière d'une maison était béante, comme pour inviter à y entrer. Ted qui s'en approchait s'arrêta subitement, car une voix résonnait à l'intérieur.
     - Vous n'avez aucune raison de vous inquiéter, monsieur. Quelle importance si Franck Sauvage est allé dans la région du Wash? Il n'y aura rien appris. Nous avons détruit notre installation, il ne pourra donc pas savoir ce que nous faisions.
     - Moi, je n'en suis pas si sûr, Paquis, grommela une autre voix. Cet homme de bronze n'est pas un être humain
     - Je dois admettre qu'il est difficile à tromper, répliqua Paquis. Oui, j'ai éprouvé une émotion sérieuse quand il est venu récupérer son ami William Harper Littlejohn. Quelle honte! Quel dommage! Mais Franck Sauvage ne se doute pas du lien qui existe entre cette île et le Wash.
     Ted, qui enregistrait toute la conversation, se permit un large sourire. Ainsi Johnny était maintenant sain et sauf.
     Smith déclara
     - Si l'un des prisonniers que nous avons ici réussit à parler à un journaliste, nous en aurons de la publicité, mais pas du genre qu'il nous faut.
     - Oui, convint Paquis. Et pour cette raison je suggère que vous alliez seconder le garde qui surveille nos prisonniers.
     Un grand gaillard à l'expression soucieuse sortit de la maison et s'engagea dans un des sentiers. C'était Smith.
     Ted se faufila à sa suite au milieu des herbes. Il se remettait de sa surprise. Il ignorait qu'il y avait d'autres prisonniers et était très curieux de voir de qui il s'agissait.
     Arrivé devant une maison de pierre couverte en chaume, Smith s'arrêta sur le seuil pour inspecter les alentours avec attention. Ted se tint parfaitement immobile dans les hautes herbes.
     Smith entra dans la maison.
     Ted plongea la main sous son aisselle, où se logeait un étui si astucieusement entouré de rembourrage que sa présence était à peine discernable. Il en sortit un des pistolets perfectionnés par Franck Sauvage. Une poche près de l'étui renfermait un dispositif qui ressemblait à une boîte de conserve : c'était un silencieux.
     Ted le fixa sur le canon, puis examina le chargeur pour s'assurer qu'il était bien garni de balles anesthésiantes : ces balles endormaient aussitôt le sujet rien qu'en effleurant sa peau. Il régla le tir pour qu'une seule parte à la fois, puis il changea de position afin de prendre Smith dans sa ligne de mire. Son corpulent gibier se tenait dans l'embrasure de la porte. Ted ajusta soigneusement son tir et l'atteignit au mollet.
     La détonation, grâce au silencieux dont était muni le pistolet, ne résonna pas plus fort qu'un claquement de langue.
     Smith sursauta, plaqua la main à l'endroit où la balle l'avait frappé et se retourna pour tenter d'examiner la blessure. Il était encore cambré en arrière quand il vacilla et s'effondra lourdement sur le soi, puis resta sans bouger.
     Un autre homme surgit à côté de Smith. Il était bâti en force et portait une mitraillette au creux du bras.
     Le pistolet de Ted claqua une fois encore ; la cartouche vide qui jaillit de l'éjecteur heurta un caillou en tombant et fit presque autant de bruit que la détonation.
     Dans la maison, le grand gaillard se redressa avec raideur et porta la main à son flanc. Il chancela jusqu'à la porte, se pencha pour regarder dehors et sembla incapable de garder son équilibre. Il roula sur le seuil, avec des gestes mous des bras et des jambes.
     Ted courut vers la maison. S'il restait encore quelqu'un à l'intérieur, il avait peu de chances de le surprendre sur place. Ted était tin tireur d'élite ; en cas de besoin, il savait tirer en courant et atteindre son but.
     Mais il ne vit qu'une personne dans la maison : un vieil homme tout en os et en nerfs dans un costume noir fripé qui avait connu des jours meilleurs.
     Il était retenu par un volant d'acier qui pesait bien dans les cinq cents livres, attaché à l'une de ses chevilles.
     Ted empoigna sa dernière victime par les cheveux et la tira au fond de la pièce pour qu'on ne la voie pas du dehors. Puis il examina le prisonnier.
     - Qui êtes-vous ? demanda-t-il.
     L'autre se leva. Il semblait près de mourir d'inanition. 
     - Où est ma nièce ? dit-il. Va-t-elle bien?
     - Je vous ai demandé qui diable vous êtes ! s'exclama Ted.
     - Wehman Mills, murmura le vieil homme.
     Ted ne savait pas à quel nom s'attendre, mais celui-là le surprit. Wehman Mills était censé être le roi de l'île en même temps que l'inventeur du procédé pour récupérer l'or marin.
     - Ma nièce, répéta avec anxiété Wehman Mills. Trouvez-là ! Ne vous occupez pas de moi. Allez chercher Elaine
     - Où est-elle ? demanda Ted.
     Wehman Mills agita la jambe enchaînée au volant d'acier et les anneaux de sa chaîne cliquetèrent.
     - Est-ce que je le sais ? gémit-il. Quelque part par ici.
     Ted changea le chargeur de son pistolet et leva le canon de son arme curieuse.
     Wehman Mills recula, tenta avec affolement de briser sa chaîne, puis gémit
     - Je vous en prie, je n'ai rien fait de mal. 
     Ted pressa la détente et un son bizarre retentit, comparable à celui que produirait sur les piquets d'une barrière un bâton tenu par quelqu'un placé dans une voiture qui roule à grande vitesse. Le plomb s'abattit en grêle sur le volant. la chaîne de Wehman Mills tressauta follement. Puis le cadenas qui la retenait se rompit et tomba en morceaux sur le sol.
     - Vous auriez pu m'avertir ! s'exclama Wehman Mills. Vous m'avez rendu à moitié fou de peur !

     - Où pensez-vous que soit cette Elaine ? questionna Ted.
     - Ils en parlaient comme si elle se trouvait à côté d'ici, dit Mills. Allons jeter un coup d'oeil.
     Le vieil homme se serait précipité au dehors si Ted ne l'avait retenu par le bras. Ted examina les alentours par une fenêtre et vit un homme apparaître sur le seuil de la maison où il avait entendu parler deux personnes. L'inconnu avait perçu le bruit causé par le pistolet en détruisant le cadenas et sa curiosité était éveillée.
     - Il y a quelque chose qui cloche, monsieur Smith? cria-t-il.
     Ted était loin de posséder le don d'imitateur de Franck Sauvage, mais il fit de son mieux.
     - Parbleu, non, répliqua-t-il.
     Il grommela tant bien que mal à la façon de Smith et l'écho de la pièce masqua sa voix, si bien que les soupçons de Paquis s'apaisèrent et, tournant sur ses talons, il disparut à l'intérieur.
     Ted se dirigea vers une fenêtre à guillotine qui se trous ait du côté opposé et se mit en devoir de l'ouvrir.
     - Est-ce que cette usine pourra vraiment extraire de l'or de la mer ? demanda-t-il.
     - Oui, dit Wehman Mills. Naturellement
     - Alors pourquoi tout ce cirque ?
     - On est en train de me dépouiller de ma découverte, répliqua Mills avec irritation. Des hommes ont pris contact avec moi et ont financé la construction de l'usine. Puis je me suis aperçu qu'ils avaient intercepté des lettres que j'adressais à ma nièce Elaine. J'ai prétendu que j'avais besoin de matériel qu'on peut se procurer seulement en France, à Brest où résidait Elaine. Ils m'y ont conduit et j'ai réussi à m'échapper. Mais ils m'ont repris. Puis ils se sont emparés d'Elaine quand elle a eu des soupçons et a commencé une enquête.
     Ted avait réussi à faire coulisser un des panneaux de la fenêtre. Il regarda dehors, ne vit personne et se glissa à l'extérieur.
     - Vous vous êtes évadé à Brest, répéta Ted. Ils vous ont rattrapé et ramené. Puis ils ont capturé aussi Elaine.
     - Elaine et un jeune homme nommé Henry Trump.
     Mills témoigna de son grand âge par la difficulté qu'il eut à passer par la fenêtre. Ses jointures raidies le faisaient gémir et grimacer.
     - Quel rôle joue le Wash dans cette affaire ? demanda Ted.
 

A SUIVRE



[Mickey #1066]
 
 
Résumé : Gorille et Ted sont arrivés avec des journalistes invités par Benjamin Gilstein à Magna Island. Ted parvient, bien que surveillé de très près, à fausser compagnie aux autres et à repérer les environs. Il surprend Paquis et un homme, les anesthésient grâce à une ampoule spéciale mise au point par Franck Sauvage. Il découvre, attache à une roue, un vieil homme : c'est Wehman Mills que les bandits ont dépouillé de sa découverte : l'extraction de l'or de l'eau de mer...

     - Comment ça?
     - Le Wash. Ces hommes fricotaient quelque à chose là-bas. Vous connaissez, c'est la région marécageuse qui se trouve sur la côte est de l'Angleterre.
     - Je ne vois vraiment pas ce que ces hommes auraient eu à faire là-bas, déclara Wehman Mills. L'affaire est simple. Il me volent mon invention pour extraire l'or marin. C'est tout.
     - Allons chercher Elaine et Henry Trump, dit Ted. Nous discuterons ensuite.
     Ils découvrirent Elaine dans la première maison où ils entrèrent. Comme Wehman Mills, elle était enchaînée à une lourde pièce mécanique.
     Un garde était auprès d'elle. Ted, après avoir remis des cartouches anesthésiantes dans son pistolet, tira sur lui par la fenêtre et l'homme ne vacilla qu'un instant avant de s'abattre sur le sol, inconscient.
     - Oncle Wehman ! s'exclama la jeune fille d'une voix étranglée.
     Ted la considéra avec surprise en se disant qu'elle était vraiment jolie.
     Le pistolet perfectionné crépita à travers son silencieux. Le cadenas ne céda pas et Elaine Mills étouffa un cri quand des fragments de plomb fins comme des aiguilles s'enfoncèrent dans sa cheville.
     Ted enleva sa veste, la plia et en fit un tampon de protection, puis il recommença sa mitraillade. Cette fois, la serrure céda.
     - Henry Trump, s'écria Elaine, il faut que nous le libérions aussi
     Ted fronça les sourcils.
     - Qui est Henry Trump ?
     - Un jeune homme qui s'est montré très serviable envers moi sur le bateau, expliqua Elaine Mills. Il est emprisonné dans la maison d'à côté, je crois.
     Ted hocha la tête et regarda au dehors par une fenêtre pour voir si le vacarme l'impact des balles sur le cadenas avait fait pas mal de bruit - n'avait pas attiré l'attention, mais le village dont les maisons étaient assez distantes les unes des autres restait désert.
     - Qu'est-il arrivé aux gens qui habitaient ici auparavant? questionna Ted.
     - Ils ont été évacués quand le village a été vendu, répondit Wehman Mills.
     - Pourquoi cette île a-t-elle été choisie pour tirer l'or de la mer ? s'enquit Ted avec curiosité.
     - Parce qu'elle est indépendante, lui dit le vieil inventeur.
     - Il n'y a pas d'impôts à payer, et elle n'a coûté que cinquante milles dollars, répliqua Wehman Mills. Soit seulement que le procédé d'extraction de l'or.
     - A quel rythme pensez-vous que l'usine produira cet or?
     - Elle fournira au moins cinq cent mille dollars d'or par jour, déclara le vieil homme gravement.
     Ted guettait toujours les signes dénotant que l'alerte avait été donnée, mais tout était apparemment calme dans Magna Island.
     - Pouvez-vous m'indiquer la maison où vous pensez qu'est détenu Henry Trump? demanda-t-il.
     - Là, dit-elle.
     - Nous pouvons très bien y aller en restant à couvert, estima Ted.
     La maison vers laquelle ils se dirigèrent avait ses volets clos et sa porte fermée.
     Ted en fit le tour en s'abritant derrière un mur bas en pierres sèches et une treille qui n'avait pas été taillée depuis longtemps.
     - Vous êtes sûre que c'est ici? demanda-t-il à Elaine Mills.
     - Je le crois, répondit la jeune fille.
     Ted rechargea son arme avec des cartouches anesthésiantes, la dissimula sous sa veste et frappa à la porte. Elaine Mills se tenait à côté de lui.
     Oui, dit à l'intérieur une agréable voix masculine. C'est Henry Trump, chuchota Elaine.
     Ted donna un coup d'épaule dans la porte. Elle était simplement poussée et non fermée à clef ; elle s'ouvrit brusquement et il fut précipité à l'intérieur.
     Les volets rabattus rendaient la pièce sombre. L'avocat regarda autour de lui en clignant des paupières, son arme au poing.
     Un cliquetis de métal monta d'un coin.
     - Par ici, dit la voix de Henry Trump.
     Ted aperçut alors le jeune homme. Il était assis par terre, poignets et chevilles attachés avec des menottes.
     - Vous avez une épingle à cheveux? demanda Ted à Elaine.
     Une pince seulement, dit-elle en plongeant la main dans ses cheveux.
     Ted prit la pince, plus pratique pour lui que des épingles ordinaires, car elle était plus rigide, et se mit à l'oeuvre. Il avait beaucoup étudié en dehors du droit, notamment le fonctionnement des serrures.
     - Que se passe-t-il ici ? demanda Henry Trump. Quelle est la raison de toutes ces histoires ?
     - Aucune idée, répliqua Ted.
     - Ces hommes essaient de me voler mon procédé! s'exclama Wehman Mills. Voilà la raison.
     Les serrures des deux jeux de menottes cédèrent l'une après l'autre.
     - Eh bien, ça alors! dit Trump en souriant. Dire que je me suis esquinté sans arriver à les ouvrir
     Il se leva.
     Il y eut tin fracas. Des lattes tombèrent d'un volet. Un flot de verre brisé se répandit sur le sol.
     Le canon de fusil qui avait défoncé le volet et la vitre apparut. D'après la forme de son magasin, il était visible que l'arme appartenait à la catégorie des automatiques.
     - Ne bougez pas ! commanda en français la voix mielleuse de Paquis.

     L'oeil collé à la mire, le fusil braqué, Paquis donna un ordre à quelqu'un qui se trouvait derrière lui. Puis la porte s'ouvrit toute grande et des hommes entrèrent, qui pointèrent sur Ted et ses compagnons le canon de leur mitraillette.
     Ted agit avec sagesse. Il se rendit.
     Gorille entendit le cri d'appel de Paquis. Le chimiste s'arrêta. Avec son visage rasé de près au teint blafard, ses verres de lunettes épais. sors faux ventre, sa boiterie prononcée et le gros cigare malodorant qu'il fumait, Gorille était à peu près méconnaissable. Les verres grossissants de ses lunettes lui gênaient quelque peu la vue, mais faisaient paraître ses yeux plus grands. 
     - Qu'est-ce que c'est que ça ? s'exclama-t-il.
     - Un des ouvriers qui exprime sa joie, probablement, dit avec un sourire plein d'onction Benjamin Gilstein. Entrons dans l'usine.
     On venait de montrer au groupe de journalistes le canal adducteur d'eau de mer. Ce n'était qu'un fossé hâtivement creusé par où arrivait jusqu'à l'usine un vif courant d'eau.
     Deux hommes armés gardaient la porte de l'usine. Sur un mot de Gilstein, ils l'ouvrirent. Avant d'escorter les journalistes à l'intérieur, Gilstein leur fit un petit discours.
     - Quand vous serez de retour à Londres, messieurs, vous voudrez certainement expliquer le procédé utilisé dans le traitement de l'eau de mer. Pour rendre vos articles intelligibles, il vous suffira de décrire la méthode ordinairement appliquée dans l'extraction du brome.
     Suivit alors un exposé technique plutôt austère pendant que le groupe était conduit d'une machine à l'autre. Benjamin Gilstein démontra une parfaite maîtrise du vocabulaire technique.
     Gorille hocha la tête gravement pour lui-même. Jusqu'à présent, le procédé était parfaitement viable. Il ne nourrissait aucun doute à ce sujet.
     - Où se trouve l'or, maintenant ? demanda un journaliste. Gilstein désigna la vapeur qui montait comme un épais brouillard.
     - Là, dit-il.
     - Allons donc ! s'exclama ironiquement le journaliste. A présent, j'ai la preuve qu'il s'agit d'une farce. L'or est un métal jaune et lourd.
     - Voyez-vous de l'or dans l'eau de mer? rétorqua Benjamin Gilstein.
     - Non, avoua l'autre que cet argument réduisit au silence.
     - Très bien, reprit sèchement l'attaché de presse, vous ne le voyez toujours pas. Mais suivez-moi et vous le verrez.
     Le groupe entra dans une pièce qui contenait un long cylindre métallique. Ce cylindre était hérissé de câbles et de tuyaux.
     Gilstein donna un ordre et des valves furent tournées. interrompant l'afflux de vapeur après quoi le cylindre fut ouvert pour que les journalistes en examinent l'intérieur. Il était vide.
     Nous voici au coeur de l'opération. dit Gilstein. Des produits chimiques sont introduits, l'or y adhère et est filtré à sa sortie.
     - Quels sont les produits utilisés ? demanda le représentant d'un journal du soir.
     - Je ne peux pas le révéler, répliqua Gilstein. C'est cela l'invention, le secret.
     Le jet de vapeur fut alors de nouveau admis dans le réservoir; peu après, une valve s'ouvrit et laissa d'écouler une épaisse masse crémeuse.
     - L'or ! s'exclama Gilstein d'un ton théâtral. 
     - Ça n'en a pas la couleur, ironisa quelqu'un.
     L'attaché de presse ignora le sarcasme et suivit le flot crémeux jusqu'à son entrée dans un creuset ardent.
     - Les produits chimiques sont maintenant dissociés de l'or sous l'effet de la chaleur, expliqua-t-il. Il reste l'or à l'état brut.

     Alors, un homme survint avec une cuiller de coulée, une  espèce de louche à long manche. Il ouvrit une valve. Une vague de chaleur intense monta du creuset.  L'homme à la cuiller courut déverser sa louchée dans un moule. Quelques instants plus tard, il brisa ce moule : un petit cube jaune apparut.
     L'ouvrier plongea le cube dans l'eau pour le refroidir, puis le tendit Gilstein qui le passa au plus sceptique des reporters.
     - En or, annonça-t-il. Il vaut approximativement un demi million.
     - Bonté divine ! s'exclama le journaliste. C'est bien de l'or, ma parole
     - Ce cube est à vous, dit l'attaché de presse. Faites-le expertiser quand vous rentrerez à Londres.
     - Comment ? dit l'autre avec stupeur. Il est à moi ?
 

A SUIVRE



[Mickey #1067]
 
 
Résumé : Ted est parvenu à fausser compagnie au groupe de journalistes qui visitaient Magna Island où se trouvent les installations destinées à extraire l'or de l'eau de mer. Il a délivré Wehman Mills, l'inventeur du procédé et sa fille. Plus tard, ils se sont fait surprendre par Paquis, l'un des bandits et ses hommes. Pendant le même temps, les journalistes assistent à l'opération d'extraction de l'or...

     Gilstein eut un sourire condescendant.
     - Il y en aura un pour chacun de vous, messieurs. Ce n'est pas l'or qui manque. Les océans de ce monde sont vastes et chaque mille cubique d'eau de mer en contient pour cinquante millions.
     Gorille joua des coudes pour arriver au premier rang. Il prit le cube des mains du journaliste qui le lui céda à regret. Il le gratta de l'ongle, l'examina attentivement, puis le rendit, l'air un peu surpris.
     C'était bien de l'or
     Pendant les cinq minutes qui suivirent, ce fut un beau tapage. Les journalistes n'étant pas mieux payés en Grande-Bretagne qu'ailleurs, se voir offrir un cube d'or d'un demi million leur causait un choc comparable à celui produit par la foudre. Finalement, ils se calmèrent et l'un d'eux demanda :
     - Dites-nous quel piège se cache là-dessous.
     - Il n'y a pas de piège, répliqua Gilstein. Wehman Mills, le propriétaire, roi et souverain unique de Magna Island, est un homme qui ne tient pas à gaspiller son argent sous forme d'impôts au profit des ronds de cuir du gouvernement.
     - Riche idée, dit un des assistants avec un petit rire approbateur.
     - Nous donnerons un tiers de notre or à des oeuvres de charité, poursuivit Benjamin Gilstein. Et cela j'aimerais que vous en parliez dans vos articles.
     - Certes, acquiesça le reporter, mais cela ne nous dit pas pourquoi vous désirez que les journaux s'occupent de cette affaire.
     - Wehman Mills est inspiré en partie par un esprit philanthropique, en partie par le sens des affaires, reprit son attaché de presse. Voyez-vous, si nous créons un climat favorable dans le public, cela nous servira puissamment au cas où le gouvernement anglais essaierait de s'emparer de l'île : les gens réagiront.
     - Le gouvernement peut-il légalement le faire ?
     - Non, monsieur. Nous avons chargé des hommes de loi de s'en assurer avant d'acheter l'île.
     Un homme entra dans la salle. Il semblait énervé. Attirant Benjamin Gilstein à l'écart, il lui chuchota précipitamment quelque chose qui resta inaudible pour le groupe des journalistes.
     Gorille l'observait avec attention. Son visage ingrat devint plus blême que le fard qui lui faisait le teint blanc. Franck Sauvage était un spécialiste de la lecture sur les lèvres, et Gorille avait étudié cet art avec lui. Il n'avait pas acquis une maîtrise aussi parfaite que l'homme de bronze, mais il n'en comprit pas moins une partie de ce que le messager annonçait.
     Et ce qu'il annonçait, c'est qu'un dénommé Ted, un des compagnons de Franck Sauvage, venait d'être capturé.
     Le reste échappa à Gorille.
     Gorille porta prestement la main à son aisselle. Un garde qui se trouvait à côté de lui sursauta et commença à redresser son arme. Il se figea quand il vit devant lui le canon court du pistolet mitrailleur que Gorille braquait sur lui.
     - Les mains en l'air ! ordonna Gorille qui cracha en même temps son infect cigare.
     Benjamin Gilstein s'exclama:
     - Qu'est-ce que cela signifie?
     - Une averse de plomb si vous ne faites pas ce qu'on vous commande! rétorqua Gorille d'une voix irritée. Je veux découvrir le fin mot de cette histoire quand bien même je devrais pour cela vous transformer en passoire!
     Gorille avait une tendance dont il n'était pas toujours maître : il aimait l'action violente. Quand il se trouvât pris dans une situation difficile, il avait l'habitude de s'en sortir en cassant les vitres. Et c'est ce qu'il avait décidé de faire maintenant.
     Benjamin Gilstein essaya de parler, mais il était si ému qu'il ne put que bégayer.
     Gorille enleva ses lunettes aux verres épais et les jeta de côté. Elles se brisèrent sur le sol en béton.
     Un reporter ramena subrepticement en arrière la main dans laquelle il tenait un cube d'or, avec l'intention manifeste de le lancer à la tête de Gorille.
     - Si vous vous croyez à l'épreuve des balles, allez-y! lui cria Gorille.
     Le journaliste frissonna et laissa choir son cube.
     Gilstein tendit le bras vers Gorille et parvint à proférer:
     - Cet homme n'est pas journaliste ! J'aurais dû m'en méfier dès le début ! Gardes, abattez-le
     Le pistolet de Gorille claqua. Gilstein fit un bond énorme et s'affala par terre, roulant sur lui-même, la main pressée contre le côté.
     Les journalistes virent du rouge suinter entre les doigts de l'attaché de presse. Ils ne pouvaient pas savoir que la blessure était seulement superficielle et provoquée par une balle anesthésiante. Quand Benjamin Gilstein resta allongé sans mouvement, ils le crurent mort.
     - Assassin ! cria l'un d'eux à Gorille.
     Gorille aperçut un garde qui, au-dehors essayait d'ouvrir une des fenêtres. Il tira à travers la vitre, mais le garde s'était baissé à temps et, passant son fusil à l'intérieur, se mit à tirer au hasard.
     Ce fut la bousculade chez les journalistes pour se mettre à l'abri derrière la grande cuve de l'or marin.
     Un autre garde voulut profiter de la confusion pour abattre Gorille. Ce dernier le frappa. Le garde tourna sur lui-même comme une toupie, assommé.
     Gorille avait assez de puissance dans les doigts pour détordre un fer à cheval et le coup qu'il avait assené était fort en proportion.
     Le premier garde tirait toujours sans viser par la fenêtre. Gorille courut à lui, saisit son arme par le canon brûlant, la lui arracha des mains puis, se penchant au-dehors, le frappa à la tête avec la crosse du fusil comme il l'aurait fait pour une boule de billard.
     - Et de trois ! s'exclama-t-il.
     Puis il fit tranquillement monter le total à sept en fauchant quatre autres gardes d'une giclée de balles de son pistolet. Ils oscillaient encore, déjà atteints par l'anesthésiant, quand le chimiste se précipita au-dehors dans le soleil de l'après-midi.
     Gorille ne s'était probablement pas attardé à supputer les chances qu'il avait de s'emparer à lui tout seul de Magna Island, mais le fait est qu'il se conduisait comme si telle était son intention.
     Deux autres gardes qui veillaient à la porte l'ajustèrent avec leur mitraillette.
     Avec la prestesse de l'homme qui a l'habitude de regarder en face la gueule d'un fusil, Gorille se jeta de côté. Son pistolet entra en action comme il tombait. Au son, on aurait cru qu'un archet attaquait avec violence la corde la plus basse d'un énorme violoncelle.
     Le choc des balles anesthésiantes fit basculer en arrière ses deux adversaires et, avant qu'ils aient repris leur équilibre, le puissant produit chimique contenu dans les balles les paralysa.
     Et de neuf! compta Gorille.
     Il semblait n'y avoir personne d'autre dans le voisinage immédiat de l'usine d'or. Gorille tendit l'oreille.
     De la direction du village monta un appel:
     - Pourquoi tire-t-on là-bas?
     - Z'inquiétez pas! répliqua Gorille. Les gardes font une démonstration.
     Le chimiste se mit alors à courir vers le village, tête haute et pistolet au poing. Il s'engagea dans un sentier, faisant s'envoler des passereaux perchés dans les buissons et les branches basses des arbres.
     Des broussailles se froissèrent derrière lui et une voix ordonna
     - Hé, là ! Halte !
     Gorille avait trop d'expérience pour tenter d'esquiver le tir d'une arme qu'il ne voyait pas. Il s'arrêta, pivota lentement sur ses talons et examina l'individu qui lui adressait cette sommation. Le personnage avait émergé des buissons bordant le sentier. C'était un petit homme quelconque, à l'exception de son regard qui était méchant.
     Un automatique braqué sur Gorille, il demanda
     - Qui êtes-vous? Qu'est-ce qui se passe?
     - Je fais partie du groupe des journalistes, répliqua aussitôt Gorille. Je venais chercher de l'aide.
     - Pourquoi? grommela l'autre.
     - Un de ces diables de reporters a été pris d'un coup de folie, déclara Gorille. Il a abattu quatre ou cinq personnes. Peut-être qu'il veut s'emparer de l'or que vous avez sur l'île.
     Ce qui n'était pas exactement vrai, mais pas, non plus, tout à fait faux. Néanmoins, à la grande contrariété de Gorille, l'homme qu'il avait rencontré ne parut pas le croire.
     - Courez-y ! dit Gorille d'une voix pressante. Je vais chercher d'autres renforts.
     L'autre grimaça en agitant son automatique d'un geste évocateur.
     - Pas fort comme invention, mon gars. Lâche cette arme! Gorille obéit aussitôt. Il laissa choir le pistolet tout contre lui et leva les bras avec promptitude. L'autre avança.
     Gorille lança une ruade du pied droit: son pistolet qui avait atterri sur son pied se trouva ainsi projeté en avant.
     L'autre essaya de l'éviter, n'y réussit pas complètement et trébucha de côté, étourdi par l'arme qui l'avait atteint à la tempe.
     Quelques secondes plus tard, le poing de Gorille acheva de l'assommer.
     - Et de dix! commenta joyeusement Gorille.
     Il reprit sa course, évitant cette fois le sentier, sourit, détacha sa ceinture en se débarrassant du rembourrage qui formait son faux ventre. Il enleva sa veste, son gilet et sa chemise. Puis il boucla sa ceinture bien serrée autour de ses reins.
     Un groupe venait à sa rencontre. Les hommes avançaient bruyamment et rapidement. Gorille se dissimula derrière un arbre pour les laisser passer. Il les examina. Il n'en reconnut aucun.
     Gorille poursuivit sa route, résolu à découvrir Ted et à le libérer mais à peine eut-il parcouru trois mètres qu'il s'arrêta.
     Des pas rapides martelaient le sentier. Un retardataire devait se hâter pour rattraper le groupe qui venait de passer. Gorille se glissa dans un buisson proche et s'y tapit.
     Le retardataire avait la bouche grande ouverte pour pouvoir respirer plus facilement si bien qu'il paraissait dépourvu de menton. Il émit une espèce de bêlement quand Gorille lui sauta dessus par-derrière, ils roulèrent sur le sentier et, lorsqu'ils s'immobilisèrent, Gorille était à califourchon sur son captif.
     - Où est Ted? demanda-t-il.
     - Dans la quatrième maison à partir de l'entrée du village, répondit l'autre d'une voix étranglée.
     Gorille le saisit par son menton tremblant et l'endormit d'un coup de poing.
     - Onze! compta Gorille en souriant.
     Un gros homme était posté devant la porte, un fusil dans une main et l'autre main en abat-son derrière l'oreille.  Comme il concentrait toute son attention pour capter les bruits en provenance de l'usine d'or, il n'entendit pas Gorille se glisser derrière lui. Quand il le voulait, ce dernier se déplaçait avec une légèreté étonnante chez quelqu'un de sa corpulence.
     D'un revers de main, il fit voler au loin le fusil de l'autre qu'il empoigna dans ses bras herculéens, puis il enfonça l'a porte.
     Il s'attendait à ce que la maison soit vide. Il pensait que tous étaient partis à sa recherche.
     Il eut une surprise.
     Plusieurs hommes se trouvaient à l'intérieur. Il y avait une table au centre de la pièce et sur cette table une caisse autour de laquelle ils étaient rassemblés. Ils étaient occupés à se distribuer les fusils qu'elle contenait.
     Ils se retournèrent vivement quand Gorille entra derrière son bouclier gigotant. Ils béèrent de stupéfaction.
     Gorille leva son pistolet endormeur et crispa le doigt sur la détente. Il avait l'intention d'anesthésier tout le groupe avant qu'il ait le temps de réagir.
     Son captif l'en empêcha. Il saisit le pistolet à deux mains et s'y cramponna comme s'il se noyait au beau milieu de l'océan et que ce fût le seul objet auquel se raccrocher.
     Gorille tenta de dégager son arme d'un coup de poing. L'un de ses ennemis lui sauta sur le dos. Le choc aurait rompu la colonne vertébrale de n'importe qui. Gorille ne fit que grogner et se retourna en balançant son poing avec vigueur.
     Puis il frappa de nouveau l'homme cramponné à son pistolet.
     - Et de douze! rugit-il.
     Il aurait voulu libérer son arme des doigts crispés de son adversaire, mais n'eut que le temps de se relever car la porte d'entrée s'obscurcit : des hommes se précipitèrent à l'intérieur - le groupe croisé par Gorille sur le sentier était revenu en entendant le fracas de la bagarre.
 

A SUIVRE



[Mickey #1068]
 
 
Résumé : Ted est parvenu à fausser compagnie au groupe de journalistes qui visitaient Magna Island où se trouvent les installations destinées à extraire l'or de l'eau de mer. Il est parvenu à délivrer Wehman Mills, l'inventeur du procédé, et sa fille. Plus tard, ils se sont fait surprendre par Paquis, l'un des bandits et ses hommes. Gorille a pu comprendre ce qui est arrivé à son camarade. Il se rend à son secours, mais tombe à son tour aux mains des bandits...

     - Il faut le prendre vivant! cria quelqu'un. Il faut qu'il nous dise ce que Franck Sauvage sait sur nous
     Deux hommes jetèrent de côté la caisse d'armes et empoignèrent la table, puis coururent sus à Gorille en le soulevant suffisamment haut pour empêcher leur adversaire d'utiliser sa chaise-massue. Ils le coincèrent contre le mur.
     Plus le combat augmentait de violence, plus la voix de Gorille prenait d'ampleur. Le volume de son émis par Gorille permettait toujours de mesurer l'intensité de la lutte. Il commençait par un murmure et, quand la bagarre devenait particulièrement dure, il rugissait comme un lion.
     A l'heure présente, il était au bord de l'extinction de voix. Il était enfoui sous une grappe humaine. Par un effort herculéen, il sortit la tête du tas pour respirer.
     Quelqu'un lui assena un coup de pied. Gorille tenta de rentrer sous l'amas de corps à la façon des tortues, mais n'y parvint pas. Le pied lui martelait toujours la tête. Ces chocs répétés eurent finalement raison même de l'endurance prodigieuse du chimiste.
     -Et de treize ! murmura-t-il en perdant connaissance.

     Un peu moins d'une heure plus tard, le gros hydravion reprit l'air, s'élevant avec aisance au-dessus de la bande d'eau relativement calme qu'enserraient les deux caps qui évoquaient du haut du ciel les deux pattes de derrière d'une gigantesque grenouille verte.
     Dans la cabine, les correspondants de presse bavardaient entre eux - du moins ceux qui n'étaient pas déjà courbés sur leur machine à écrire portative pour rédiger un article qui serait confié à l'imprimerie dès qu'ils auraient franchi la porte de leur journal.
     Gorille et Ted, leur avait-on dit, n'étaient nullement des journalistes, mais des forbans qui avaient voulu s'emparer du secret permettant de tirer l'or de l'onde amère.
     Gorille et Ted n'étaient pas dans l'appareil. Ils étaient prisonniers, déclara-t-on aux journalistes, et le resteraient jusqu'à ce qu'ils soient jugés par les autorités compétentes de Magna Island.
     Benjamin Gilstein, l'aimable agent de publicité, n'avait pas pris place dans l'hydravion. Les reporters croyaient toujours qu'il était mort, car ce digne personnage subissait les effets de la balle anesthésiante de Gorille.
     En guise de souvenir, chaque journaliste emportait un petit cube d'or, valant approximativement un millier de dollars.

     Les journaux s'emparèrent de l'affaire. Ceux dont les envoyés spéciaux avaient négligé d'emporter un appareil photographique pour se rendre à Magna Island publièrent des croquis qu'ils firent établir précipitamment par leurs dessinateurs.
     Un garçon d'étage vint apporter les dernières éditions spéciales à Franck Sauvage dans la chambre d'hôtel qu'il occupait à Londres. L'homme de bronze était seul. Il parcourut les journaux sans que le moindre changement n'apparaisse sur ses traits à l'aspect étrangement métallique.
     Les journaux parlaient du procédé pour extraire l'or de l'eau de mer, ce rêve quasi millénaire de l'humanité. Les plus rassis mettaient l'accent sur ce point, ne réservant qu'une petite place à la tentative de deux criminels pour s'emparer du procédé. Les journaux à sensation exploitaient principalement le vol manqué.

     L'homme de bronze posa les journaux, décrocha le récepteur et téléphona à la prison de Southampton où Wall-Samuels avait été détenu.
     Avait été, oui, car un avocat astucieux avait réussi à le faire libérer sous caution quelques heures auparavant et Wall-Samuels s'était empressé de prendre le large. On ignorait où il s'était rendu.
     Franck éteignit toutes les lumières, puis s'approcha de la fenêtre et regarda dans la rue. Le crépuscule était presque tombé, et il attendait le retour de Johnny. Il avait éteint par mesure de précaution, une des mesures habituelles grâce auxquelles l'homme de bronze était resté en vie au cours de toutes ces années semées de perpétuels dangers.
     Dans la rue, un taxi s'arrêta. Un homme de haute taille en sortit, si maigre qu'il semblait n'être qu'un vêtement animé. Le corps squelettique de Johnny était reconnaissable même à cette distance.
     Johnny paya la course et entra dans l'hôtel.
     Environ trois minutes plus tard, une main tourna la poignée, constata que la porte était verrouillée et frappa vivement.
     Franck alla tourner la clef, puis ouvrit le battant.
     Une détonation rugit dans ses oreilles et un dard rouge se précipita vers sa poitrine.
     Pliant les bras, Franck les leva au niveau de ses épaules massives pour les mettre hors d'atteinte, tout en pivotant de côté. Il portait un gilet pare-balles, mais ses bras n'étaient pas protégés. Il avait reculé du côté où s'articulait le battant. Il le repoussa pour fermer la porte. Une épaule s'accota au panneau pour l'empêcher de se rabattre. L'homme de bronze banda ses muscles et réussit à fermer la porte dont la serrure à ressort s'enclencha en cliquetant.
     De grosses échardes de bois se mirent à tomber du panneau cependant que des balles s'écrasaient dessus.
     - Imbéciles ! cria la voix de Wall-Samuels. Tirez sur la serrure!
     Le tir se fit plus précis et « tactaca » avec violence. La serrure tressauta, puis jaillit de son logement en arrachant avec elle des fragments de bois, et s'abattit en tournoyant sur le plancher.
     - Attention! cria Wall-Samuels.
     Il ouvrit la porte d'un coup de pied et arrosa de balles de revolver tous les coins de la pièce en jurant parce qu'elle était sombre. Puis il tâtonna pour trouver le commutateur, le releva. La lumière ne jaillit pas et il jura de plus belle.
     Wall-Samuels inspecta la pièce. Elle était manifestement vide. Finalement, son regard se posa sur la fenêtre à guillotine et il s'élança. Le panneau était baissé mais non bloqué.
     - Il est sorti par-là, constata Wall-Samuels.
     Mais après avoir jeté un coup d'oeil au dehors, il changea d'avis, car le mur était en briques emboîtées sans solution de continuité et aucun acrobate, quelque habile qu'il fût, n'aurait pu y prendre appui pour descendre ou monter, Wall-Samuels en était sûr.
     Tous partirent en toute hâte.
     Dans les étages inférieurs monta un cri de femme.
     La femme qui criait était d'un certain âge, maigre,  avec un visage chevalin. Elle ouvrait tout grand la bouche et les hurlements qui en sortaient étaient rauques, haletants. Elle était l'image même d'une vieille demoiselle affolée.
     - Un homme dans ma chambre! disait sa voix aiguë.
     - Du calme, madame, je vous en prie, répliqua Franck sans hausser le ton.
     L'homme de bronze était entré par la fenêtre; il était descendu de la pièce au-dessus grâce à une fine cordelette de soie qui l'avait amené sur le rebord de la fenêtre. Un grappin était attaché à la cordelette ; Franck l'avait fixé à la corniche supérieure et l'avait ensuite dégagé d'une saccade imprimée à la cordelette.
     Franck enroula celle-ci autour du grappin qui était pliant et glissa le tout dans ses vêtements.
     La clef était dans la serrure. L'homme de bronze la tourna et, la seconde d'après, s'éloigna dans le couloir.
     La femme au visage chevalin se remit à crier.
     Franck Sauvage s'arrêta près des cages d'ascenseur et prêta l'oreille. Il entendit dans l'une d'elles un vacarme témoignant d'une bagarre - on réduisait probablement le liftier à l'impuissance. Il descendit en courant l'escalier, à une vitesse étonnante. Des coups de feu retentissaient en bas.
     Il trouva le hall en rumeur, Wall-Samuels et son gang ayant décroché à coups de revolver le grand lustre central pour terroriser les personnes présentes. Des voitures qui attendaient dehors avaient emporté toute la bande. Franck entrevit la dernière.
     Un ascenseur descendit et Johnny en sortit, sa haute silhouette dégingandée traduisant le dégoût personnifié.
     - Cette cruelle adversité n'a jamais eu pire caprice déclama-t-il. J'ai manqué le divertissement.
     - Ils ont voulu faire coïncider leur attaque avec ton arrivée, dit Franck. Ils étaient persuadés que je t'ouvrirais moi-même et que cela leur donnerait une chance de me tirer dessus.
     - Ils l'ont fait ? questionna le maigre archéologue.
     - Oui.
     - Ultrarépréhensible ! s'exclama Johnny. Et ils se sont enfuis?
     - A ce qu'il paraît, répliqua l'homme de bronze. Mais j'ai vu la dernière de leurs voitures et relevé son numéro.

     Franck sortit à grands pas, découvrit un agent de police et lui indiqua le numéro de la voiture. L'agent promit de diffuser aussitôt un avis de recherche.
     Johnny lisait les éditions spéciales des journaux du soir quand Franck le rejoignit. Les pensées de l'archéologue se reflétaient sur ses traits anguleux pendant qu'il lisait. Les noms de Ted et de Gorille n'étaient pas mentionnés, les autorités de Magna Island en parlaient comme de simples escrocs, mais Johnny savait de qui il était question.
     Il leva les yeux vers Franck et, oubliant sa manie de tourner des belles phrases, dit avec lenteur
     - Quelle histoire
     Franck Sauvage l'entraîna vers un coin du hall qui était désert.
     - Qu'as-tu appris? demanda-t-il.
     Johnny tapota le journal.
     - D'après cet article, c'est difficile à dire...
     - Je ne parle pas de cela, coupa Franck. Avant de revenir à l'hôtel, tu cherchais de la documentation sur les événements survenus pendant le règne du roi Jean sans Terre.
     - Ah, ça ! - le maigre archéologue fouilla dans les plis de sa veste et en sortit une liasse de feuillets. Voici un bref résumé de son règne.
     A cet instant, un policier vint les prévenir que la voiture de Wall-Samuels avait été repérée près de Kentish Town. Des agents avaient essuyé des coups de feu quand ils avaient voulu les arrêter et la voiture avait disparu en direction du nord.
     Franck Sauvage écouta en silence ces nouvelles. Puis il feuilleta les documents concernant le roi Jean que lui avait apportés Johnny.
     - Viens, dit-il à Johnny.
     Ils montèrent prendre dans la chambre de Franck un certain nombre de boîtes métalliques munies de poignées. Ces boîtes contenaient les multiples inventions scientifiques de l'homme de bronze. Elles étaient son "sac à malices" pour ainsi dire, et il les emportait toujours avec lui.
     Ils prirent devant l'hôtel un taxi qui les conduisit à vive allure jusqu'à un aéroport à travers les encombrements du début de soirée. Pas à l'aéroport de Croydon, où atterrissent les lignes commerciales, mais un autre terrain fréquenté par les sportifs et de petites compagnies qui louent et vendent des avions.
     L'homme de bronze en acheta un, un modèle récent très rapide, qui lui fut vendu pour un peu plus de deux mille livres.
 
 

A SUIVRE



[Mickey #1069]
 
 
Résumé :  A son tour, Gorille est tombé aux mains des bandits de Magna Island où est située l'usine à extraire l'or de l'eau de mer.
Franck Sauvage s'est fait attaquer dans sa chambre par Wall-Samuels, libéré de prison sous caution, et par ses acolytes. Il est parvenu à se sauver. Il a retrouvé Johnny, l'archéologue, et a décidé de louer un avion...

     L'homme de bronze paya comptant sans sourciller.
     Avant de prendre l'air, pendant que l'on faisait le plein d'essence et d'huile de l'appareil, Franck téléphona à la police.
     La voiture de Wall-Samuels avait été retrouvée.., dans un autre aéroport. Et Wall-Samuels était monté avec ses quatre acolytes dans un avion qui avait disparu dans la nuit.
     - Mon hypothèse est qu'ils sont partis pour Magna Island, dit Johnny.
     Franck essaya le moteur puissant de son engin. Il tournait à la perfection.
     - Je le pense aussi, dit-il.
     Johnny se mit à charger leurs bagages dans la carlingue.
     - Si j'ai bien compris, nous allons examiner le mystère de Magna Island, reprit-il.
     - Exactement, dit Franck.

     Franck Sauvage dirigea son avion vers Magna Island à une altitude de quatorze mille pieds, où l'air était clair et froid. Johnny vérifiait les chargeurs des pistolets mitrailleurs sortant les cartouches et les introduisant dans un appareil spécial permettant de s'assurer qu'il n'y avait pas de défaut microscopique susceptible de faire s'enrayer l'arme.
     Cette affaire reste une énigme, murmura-t-il. Le fait est que nous sommes incapables d'émettre une hypothèse élucidant le rapport entre le Wash et Magna Island.
     - Les armes sont prêtes? demanda Franck.
     - Oui.
     - Nous allons descendre. Magna Island se trouve à quelques kilomètres droit devant nous.
     L'homme de bronze coupa le contact; l'avion s'inclina et plongea comme un fantôme gémissant aux ailes déployées.
     La masse des nuages monta vers eux. Des lambeaux de vapeur les dépassèrent comme des flocons d'écume ; des pics et des gouffres plus sombres apparurent, telles des gueules avides aux crocs noircis.
     - Le projecteur aux infrarouges, demanda Franck.
     Johnny bondit vers une des caisses de matériel, l'ouvrit et en sortit un appareil massif. Un câble en partait qu'il brancha sur une autre caisse contenant un générateur.
     Une troisième caisse fournit des lunettes carrées que Franck et Johnny mirent sur leur nez. Puis Johnny ouvrit un hublot, y fit passer le projecteur et appuya sur un commutateur.
     Il n'y avait eu devant et au-dessous d'eux que des ténèbres denses, une obscurité extrêmement sinistre. Le rayon du projecteur opéra un changement surprenant. Nuages et brouillard étaient transpercés bien plus efficacement qu'avec un phare ordinaire.
     Les rayons infrarouges, ainsi appelés parce qu'ils sont situés en deçà du rouge dans le spectre, ne sont pas perceptibles à l'oeil nu. C'est seulement grâce aux lunettes spéciales que Franck et Johnny avaient chaussées que le faisceau du projecteur était utilisable pour inspecter les environs.
     Avec une soudaineté qui fit sursauter Johnny, ils sortirent de la mer de nuages. Il se pencha.
     - Là ! s'écria-t-il.

     Magna Island se trouvait au-dessous d'eux. Franck  Sauvage ne la survola pas. Il décrivit un large cercle autour, à bonne distance du rivage. Ils distinguèrent le village, l'usine d'or marin. Celle-ci était plongée dans l'obscurité.
     Entre les deux langues de terre s'étendait une plage. En dehors de cette plage, ils ne virent aucun endroit où atterrir.
     Franck rapprocha l'avion du sol.
     Sur l'île, il y eut un petit éclair, suivi d'une traînée d'étincelles qui montèrent en l'air, passèrent à côté de l'avion et s'épanouirent soudain en une boule de feu aveuglante qui plana, presque immobile, d'ans le ciel nocturne.
     - Une fusée éclairante à parachute, dit Franck d'un ton grave. Ils veillaient.
     L'avion se mit à vibrer légèrement ; à l'extrémité de l'aile gauche, le revêtement fut déchiqueté tandis qu'en bas une mitrailleuse ouvrait un oeil rouge.
     - Le début d'une nuit agitée, prophétisa paisiblement Johnny.

     Franck fit se pencher l'avion à droite, puis à gauche, à droite encore et sortit du flot de balles de mitrailleuse. La fusée éclairante oscillant sous son parachute s'enfonça au dessous d'eux. Ils disparurent dans la pénombre.
     Sur la presqu'île ouest figurant l'une des deux pattes de grenouille, deux hydravions étaient poussés à l'eau. Ils avaient été jusque-là invisibles sous les arbres qui couvraient cette extrémité de l'île.
     Une seconde fusée s'éleva et s'épanouit en flamme blanche; les mitrailleuses crépitèrent de nouveau. Leurs ennemis utilisaient cette fois des balles traçantes et les plus habiles manoeuvres de Franck n'empêchèrent pas que leur avion soit touché de temps à autre.
     - J'ai un remède contre les manifestations aussi bruyantes, commenta Johnny.
     Il remplaça les balles anesthésiantes de son pistolet par un chargeur portant un numéro d'identification différent, puis il se pencha, visa avec soin et tira.
     En bas, une grosse flamme jaillit, un arbre s'abattit, déraciné, non loin d'une des mitrailleuses.
     Johnny tira encore. Cette balle-là creusa un grand trou dans la terre. L'explosif qu'elle contenait se révélait d'une prodigieuse puissance.
     Johnny continua à tirer et les servants de la mitrailleuse qui était du type utilisé dans l'armée pour la défense antiaérienne - prirent peur et s'enfuirent. Johnny dut tirer cinq fois encore avant de réussir à détruire la mitrailleuse.
     Les deux hydravions filaient maintenant à la surface de l'eau, laissant derrière eux un long sillage. Franck inclina son appareil sur une aile et descendit au-dessus de l'un d'eux. Johnny ajusta son tir, puis lâcha une rafale de balles explosives.
     L'eau se mit à bouillonner en avant d'un des hydravions.
     L'appareil se souleva, se cabra. Pendant un instant, il parut vouloir continuer sa course, puis il s'inclina, la pointe de son aile s'engagea dans l'eau dont le poids le fit pivoter si violemment qu'il capota. Comme il commençait à couler, des hommes affolés sortirent par les hublots de la cabine de pilotage.
     Le second hydravion prit de la vitesse et décolla. Le pilote vira sur l'aile brutalement et attaqua son ascension selon l'angle le plus aigu que l'appareil pouvait supporter. En quelques instants, il fonça droit sur l'avion de Franck. Deux faibles étincelles rouges dansèrent au-dessus du capot du moteur.

     Il y eut une violente vibration, Franck pesa sur le manche à balai et fit faire une embardée à son appareil. Il ouvrit la vitre du cockpit et se pencha pour regarder sous l'avion.
     Le train d'atterrissage pendait au bout de traverses mutilées.
     - Des mitrailleuses synchronisées, dit-il à Johnny. Ce second hydravion ne sera pas facile à neutraliser.
     Dès que la dernière fusée se fut abîmée en grésillant dans la mer, Franck changea de cap et inclina le nez de son appareil vers la terre.
     - Nous sommes venus secourir Ted et Gorille, dit l'homme de bronze à Johnny, et non pour nous amuser à nous battre.
     Johnny se plaqua contre le tableau de bord et interposa sa veste en tampon devant son visage. Ils n'avaient plus de train d'atterrissage et un accident pouvait se produire.
     Franck Sauvage repéra un endroit à quelques mètres du bord où le ressac était faible, freina au maximum l'élan de l'appareil en se servant du gouvernail, puis fit se poser l'avion. Il y eut un choc, un rebond, puis une secousse terrifiante quand les vagues s'abattirent sur eux. Une des ailes se détacha dans un grincement métallique et l'avion s'immobilisa sur le nez.
 

A SUIVRE



[Mickey #1070]
 
Résumé : Franck Sauvage a retrouvé Johnny l'archéologue. Les deux hommes ont loué un avion. Ils survolent Magna Island, de où est expérimenté le procédé destiné à extraire l'or de l'eau de mer, dont l'inventeur est Wehman Mills. Pris en chasse par deux hydravions, l'homme de bronze tente de poser son appareil...

     - Es-tu blessé? s'enquit Franck.
     - Non, dit Johnny.
     L'homme de bronze sortit du cockpit, constata  qu'il avait de l'eau jusqu'à la taille et pataugea jusqu'au rivage. Johnny le suivit en soulevant force éclaboussures.
     Ils n'eurent aucune peine à progresser dans la direction de l'usine d'or. Cependant, derrière eux, des lampes torches et des projecteurs traçaient dans la nuit d'inquiètes aigrettes de lumière.
     Devant Franck se profila un bâtiment carré. A côté, des ruines fumaient et rougeoyaient les restes du hangar détruit par Johnny.
     - Attends-moi, dit Franck à son compagnon.
     Johnny ouvrit la bouche pour lui demander ses intentions, mais l'homme de bronze avait déjà disparu. Le maigre géologue attendit, rigide, l'oreille au guet, la respiration rauque et rapide.
     Franck Sauvage s'approcha de l'usine d'extraction d'or. A la porte, il vit un gros cadenas qui céda néanmoins à la pression du rossignol que Franck sortit de son veston à poches multiples.
     Une fois à l'intérieur, il prit dans une autre poche une lampe dont le faisceau pouvait s'élargir ou s'amenuiser jusqu'à n'être plus qu'un mince filet de clarté.
     Au-dehors, Johnny oscillait d'un pied sur l'autre. Il commençait à s'inquiéter, car il entendait leurs ennemis se rapprocher.
     Johnny plaça son pistolet en position de tir rapide et s'assura qu'une charge de balles anesthésiantes était en place.

     Quand Franck surgit à côté de lui, il sursauta et c'est tout juste s'il ne lui tira pas dessus.
     - Qu'as-tu découvert? demanda-t-il d'une voix légèrement oppressée.
     - On risque de nous entendre, souffla Franck. Allons au village.
     Ils s'éloignèrent en rampant. L'obscurité était si opaque qu'ils devaient avancer à tâtons. Franck passa en tête. Ses mains guidèrent à maintes reprises Johnny pour escalader ou contourner des obstacles qu'il n'avait pas aperçus.
     - Ils ne nous entendront pas ici, chuchota Johnny an bout d'un moment. As-tu trouvé quelque chose d'intéressant?
     - Je pense bien ! s'exclama Franck. L'usine d'extraction d'or est une blague.
     - Comment cela ?
     - Une blague ! répéta Franck. Ils n'extraient pas d'or de la mer.

     Johnny suivit Franck Sauvage en silence pendant quelques instants. Il ruminait ce qu'il venait d'apprendre.
     - Mais les journalistes disaient.., commença-t-il.
     - Ils ont été trompés.
     - Alors, que cachent ces manigances? s'exclama Johnny avec un grognement de dégoût. Ils ont dépensé un argent fou pour acheter l'île et construire cette usine.
     - Bien moins de cent mille dollars, certainement, affirma Franck. Quand on traite par millions, cela ne représente pas une grosse somme.
     - Aie donc la bonté de m'expliquer pourquoi ils ont bâti cette usine.
     - Nous le découvrirons peut-être d'ici peu, répliqua Franck. Chut ! Nous voici au village.

     - Ils se sont préparés à soutenir un siège, ma parole, chuchota Johnny.
     Franck ne répondit rien; il observait avec attention. Un autre homme apparut sur le seuil éclairé, les mains pleines de boules métalliques qui étaient indubitablement des grenades. Franck en conclut que cette maison faisait office d'armurerie.
     - Attends-moi ici, dit-il à Johnny.
     Il avança à pas feutrés, presque sans bruit.
     Le sol de la pièce, fort vaste, était jonché de caisses d'armes et de munitions. Franck força la fermeture de la fenêtre et se glissa à l'intérieur. Il trouva un petit marteau qui avait servi à ouvrir les caisses.
     Des coups de marteau assenés avec vigueur rendirent les armes inutilisables.
     Il découvrit une caisse de chargeurs pour les mitrailleuses. Franck les détruisit aussi à l'aide d'un canif.
     Son intérêt fut également retenu par une caisse de dynamite, qui avait dû être employée pour l'installation de l'usine.
     A proximité se trouvaient un grand rouleau de fil électrique et un détonateur d'un type ancien, muni d'une poignée verticale. Abaisser la poignée déclenchait la mise en marche d'un générateur qui envoyait du courant aux capsules détonantes électriques attachées au dispositif.
     Franck Sauvage transporta en deux voyages d'abord les grenades, puis la dynamite, le fil et le générateur. Tout cela se révélerait peut-être utile par la suite. Aussi, les dissimula-t-il dans les buissons, les recouvrant d'une légère couche de terre.
     Johnny attendait avec anxiété.
     - Que faisons-nous maintenant? questionna-t-il.
     - Nous allons chercher Ted et Gorille, chuchota Franck. Mais d'abord il faut que ce gang nous croie à l'autre bout de l'île. Attends-moi ici.

     Cinq minutes plus tard, Paquis conférait avec ses séides sur la côte opposée de Magna Island. L'effet des ampoules d'anesthésiant qui s'étaient brisées dans la poche de Ted s'était complètement dissipé et Paquis était de nouveau en forme.
     - Non, non, disait-il avec obstination. Ils n'oseraient pas aller vers ce village.
     - Ce Franck Sauvage est capable de tout, monsieur, insistait Smith.
     Paquis haussa les épaules.
     - En tout cas, dans l'île il est coincé. L'hydravion qui nous reste est le seul moyen de transport dont il puisse disposer pour partir d'ici. Et j'ai ordonné que l'appareil prenne l'air et reste là-haut où ce Sauvage ne pourra pas l'atteindre jusqu'à ce que nous en ayons terminé avec cette affaire.
     Peu après, le moteur de l'hydravion se mit à rugir. Son vrombissement s'éloigna, changea de registre comme l'appareil prenait son essor, puis ses phares apparurent comme deux gros yeux qui couraient à la cime des arbres. L'hydravion commença à tourner lentement en cercle au-dessus de l'île.
     - Les imbéciles ! s'écria Paquis. Ils sont si près que le vacarme de leur moteur va nous empêcher d'entendre ce Franck Sauvage.
     Il se mit à vociférer en brandissant une lampe pour essayer de faire comprendre au pilote qu'il devait s'éloigner de l'île.
     Presque aux pieds de Paquis, il y eut un éclair et une détonation assourdissante. Les cheveux de Paquis se dressèrent sur sa tête et il perdit son chapeau en plongeant vers le sol pour s'abriter.
     - Prenez garde ! cria-t-il. Attention !
     Les hommes s'égaillèrent. Certains eurent la présence d'esprit de balayer la campagne avec le rayon de leurs lampes. Les pinceaux blancs, trouant l'ombre et les feuillages, se posèrent sur une silhouette de géant.
 

A SUIVRE


[Mickey #1071]
     Manque/ missing
[~Mickey #1072]
     Manque/ missing
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