Les nouvelles aventures de Franck Sauvage
Le naufrage de l'Océanic
[Mickey #769]
Un homme de petite taille faisait les cent
pas depuis quelques minutes devant la Salle des Concerts de New York. II
prêtait nerveusement l'oreille à la musique qui parvenait,
assourdie, par la porte de l'entrée des artistes : le récital
du violoniste Victor Vail touchait à sa fin.
Un taxi surgit d'une rue latérale et s'arrêta.
Le petit homme se précipita pour parler au chauffeur, dont le col
relevé et la casquette rabattue sur le front empêchaient de
distinguer les traits.
"Tout est prêt ?"questionna le petit homme.
"Oui, tu peux y aller", dit l'autre d'une voix rude.
Son compagnon reprit sa faction et poussa un soupir
de soulagement quand crépitèrent des salves d'applaudissements.
Le concert était enfin terminé. L'homme pénétra
dans les coulisses.
Entouré par une foule d'admirateurs, Victor
Vail se dirigeait vers sa loge. D'un air las, il répondait par monosyllabes
aux félicitations et aux compliments. Soudain, une voix cria
"Monsieur Vail. j'ai un message pour vous de la
part de Ben O'Gard."
Le visage du virtuose s'illumina. C'était
un homme d'allure aristocratique, grand, aux cheveux blancs comme la neige:
seul un observateur attentif aurait pu déceler à son expression
qu'il était aveugle. Il se retourna du côté d'où
venait la voix, et répéta
"De la part de Ben O'Gard ? Parlez vite !"
Le petit homme qui l'avait interpellé jeta
un coup d'oeil autour de lui et dit :
"Pas ici. C'est un message confidentiel."
"Suivez-moi, répliqua Vail. Dans ma loge,
nous serons seuls."
Ecartant la foule de ses admirateurs, Victor Vail
se dirigea vers sa loge d'un pas assuré. Seuls ses bras étendus
devant lui témoignaient de sa cécité. Il fit entrer
l'inconnu dans la pièce. y pénétra à son tour
et ferma la porte.
"Ben O'Gard". murmura-t-il, rêveur.
"Voilà quinze ans que je n'ai pas entendu
son nom. Je l'ai pourtant cherché. Je lui dois la vie. Maintenant
que j'ai acquis la célébrité, je serais heureux de
pouvoir lui prouver que je ne suis pas un ingrat. Dites-moi vite où
il est !"
"Dehors, dans la rue", répondit le petit
homme d'une voix mal assurée. "Il veut vous parler."
"Conduisez-moi tout de suite auprès de lui
!"s'écria Victor Vail en se précipitant vers la porte. "Ne
perdons pas un instant."
L'autre le guida aussitôt avec empressement
vers la sortie des artistes. Au moment il franchissait le seuil avec
le musicien aveugle, il croisa un homme au teint bronzé, à
la carrure athlétique, vêtu avec une élégance
discrète: mais ce qui frappait le plus, ce n'était pas tant
l'impression de force qui se dégageait de sa personne que le regard
scrutateur de ses yeux bruns où jouaient des reflets d'acier. Ce
regard fit trembler le petit homme, qui dut se raisonner pour ne pas prendre
ses jambes à son cou.
"Où est donc Ben O'Gard ?"questionna avec
impatience Victor Vail.
Son guide grommela indistinctement. Il se demandait
qui pouvait être l'homme bronzé. Un détective ? Trop
bien habillé. D'ailleurs, il les connaissait presque tous.
"C'est encore loin?" s'enquit à nouveau Victor
Vail.
"Nous arrivons."
Le petit homme dirigeait le violoniste vers une
porte cochère devant laquelle stationnait le taxi conduit par le
vieux loup de mer. S'assurant d'un coup d'oeil que ses acolytes étaient
bien dans la cour, il saisit l'aveugle par le bras en s'exclamant :"Nous
y voilà."
Aussitôt un groupe d'hommes bondit sur le
musicien, qui lutta avec courage pour se dégager mais vainement.
Il ne tarda pas à être maîtrisé, ligoté
et transporté vers le taxi.
C'est alors qu'intervint l'inconnu au teint bronzé.
Aucun des agresseurs du musicien aveugle ne l'avait vu approcher. Il n'eut
pas de peine à en terrasser deux et à mettre les autres en
fuite.
"Hé! les gars, allez-y! Tirez dessus !" cria
l'homme du taxi.
Ses comparses avaient déjà disparu.
L'homme bronzé voulut en finir avec son dernier adversaire. Une
balle siffla à son oreille et alla briser la vitrine d'un magasin.
Il s'abrita derrière une voiture en stationnement. Le faux chauffeur
de taxi continua à tirer, mais ne réussit qu'à érafler
la carrosserie de la voiture et à semer la panique parmi les passants.
Puis il démarra et disparut à toute vitesse au coin de la
rue.
Encore étourdi, le musicien aveugle sentit
des mains puissantes le relever et défaire ses liens. Un inconnu
était venu à son secours.
"Je ne sais comment vous remercier", balbutia-t-il.
"J'espère que vous n'êtes pas sérieusement
blessé ?" demanda l'inconnu avec sollicitude.
Victor Vail, dont l'ouïe était extrêmement
sensible, fut frappé par le timbre musical de la voix de l'étranger.
"Non. Je suis seulement un peu endolori. Mais à
qui dois-je..."
Un bruit de pas rapides sur l'asphalte l'empêcha
d'achever sa question. C'étaient les policiers alertés par
les coups de feu. Ils allaient se précipiter sur l'inconnu quand
leur chef aperçut son visage et recula.
"Excusez-moi", dit-il, " je ne vous avais pas reconnu."
L'autre se contenta de sourire et conduisit l'aveugle
vers une voiture qui attendait. Il l'aida à y monter, et l'auto
s'éloigna.
Les policiers relevèrent les deux malandrins
qu'avait terrassés le sauveteur du musicien.
"Ils sont bons pour la prison", remarqua l'un d'eux,
qui ajouta : mais avant il faudra les conduire à l'hôpital.
ils ont l'air mal en point."
"Cela ne m'étonne pas", observa le chef du
détachement. "Ils n'ont pas eu affaire au premier venu."
Victor Vail songea soudain qu'il ignorait l'identité
de celui qui l'avait secouru.
"Puis-je savoir qui vous êtes ?" demanda-t-il.
"Je m'appelle Franck Sauvage".
"Franck Sauvage ?" répéta le musicien
surpris. "Parmi les morceaux de musique que j'ai exécutés
ce soir, il y a une sonate signée Franck Sauvage que je considère
comme une des oeuvres les plus marquantes des dernières années.
Votre homonyme a beaucoup de talent."
"Mon homonyme et moi ne formons qu'une seule et
même personne. Si ma sonate a obtenu quelque succès ce soir,
c'est uniquement grâce à votre interprétation.
Le désir de vous féliciter et de vous
remercier était d'ailleurs une des deux raisons qui m'avaient incité
à me rendre dans votre loge. C'est ainsi que je vous ai vu sortir
en compagnie d'un individu très louche. Je vous ai suivi, ce qui
m'a permis de vous porter secours à temps."
"Quelle est l'autre raison ?" demanda le musicien,
intrigué.
"Permettez-moi de la taire pour l'instant. Voyez-vous
un inconvénient à ce que je vous mène chez moi ?"
"Bien au contraire", dit Victor". Je serai heureux
de pouvoir faire ample connaissance avec vous."
Depuis quelque temps, un taxi suivait fidèlement
la voiture de Franck Sauvage sans que celui-ci s'en fût aperçu.
Métamorphosé par une grosse moustache
et un habillement différent, méconnaissable, l'agresseur
de Victor Vail, furieux, grommelait tout en conduisant
"Cette fois, je l'aurai. Rira bien qui rira le dernier."
La voiture de Franck Sauvage s'arrêta devant
un de ces immenses gratte-ciel qui sont l'orgueil de New York. Le musicien
et son compagnon montèrent au quatre-vingt-sixième étage
et pénétrèrent dans un bureau somptueusement meublé.
Le maître de céans avança un fauteuil confortable et
offrit un cigare à son invité.
"Vous devez avoir des ennemis implacables", dit-il.
"J'ignorais leur existence jusqu'à ce soir.
Je me demande ce que ces gens peuvent me vouloir. De quoi ont-ils l'air
?"
"Celui qui vous a fait tomber dans le guet-apens
semble un vulgaire homme à gages. Le chef de la bande était
resté dans une voiture. A plusieurs reprises, il a lancé
des ordres à ses acolytes. Vous n'avez pas reconnu sa voix ?"
"Je ne l'ai pas entendue. J'étais tout étourdi."
Il y eut un silence. Puis une voix bourrue retentit
dans le bureau :"Hé, les gars! Allez-y ! Tirez dessus !"
Victor Vail bondit sur ses pieds.
"C'est Keelhaul de Rosa !" s'exclama. t-il. "Il
a déjà voulu me tuer une fois."
"Keelhaul de Rosa n'est pas ici", répliqua
Franck Sauvage avec calme. "C'est moi qui viens d'imiter sa voix."
Victor Vail se rassit ; les sourcils froncés,
il réfléchissait.
"J'aurais juré que Keelhaul de Rosa était
dans la pièce", dit-il. "Vous êtes vraiment un homme extraordinaire."
Comme tous les êtres de valeur, Franck Sauvage
était modeste. Il s'empressa de changer le sujet de la conversation.
"J'aimerais bien savoir dans quelles circonstances
vous avez connu ce Keelhaul de Rosa."
Le musicien aveugle passa nerveusement la main dans
ses cheveux blancs. Après un bref silence, il murmura comme pour
lui-même:
"Cette tentative d'enlèvement aurait-elle
un rapport avec le naufrage de l'Océanic ? En somme, c'est possible."
C'était visiblement un chapitre de sa vie
qu'il n'évoquait pas volontiers. Au prix d'un grand effort, il se
maîtrisa et poursuivit:
"Cette histoire remonte à une vingtaine d'années.
Cela se passait pendant la Grande Guerre. Ma femme, ma fille et moi-même,
nous nous étions embarqués dans un port d'Afrique à
destination de l'Angleterre.
Notre paquebot a été pris en chasse
par un navire de guerre ennemi et s'est trouvé refoulé de
plus en plus vers le nord, où il a été emprisonné
par les glaces. Bientôt des querelles éclatèrent au
sein de l'équipage, car les réserves de vivres commençaient
à s'épuiser. Certains marins voulaient tenter leur chance
et se risquer sur la banquise. D'autres, dont Ben O'Gard et Keelhaul de
Rosa, préféraient ne pas déserter le paquebot.
"C'est alors que la catastrophe se produisit : le
bateau fut broyé par les glaces. Je fus le seul passager rescapé,
avec une trentaine de matelots. Aujourd'hui encore, j'ignore à quoi
je dois d'avoir survécu."
"Comment cela se fait-il ?"
"Quelques jours avant la perte du navire, des mutins
s'étaient emparés de moi et m'avaient administré une
drogue qui m'avait rendu inconscient. Je ne retrouvai mes esprits que le
lendemain du naufrage. J'éprouvais une douleur lancinante dans le
dos..."
"Quelle sorte de douleur était-ce ?"
"C'est difficile à dire...J'avais l'impression
de brûler..."
"Avez-vous des cicatrices ?"
"Non."
"C'est curieux. Et qui s'occupa de vous pendant
le naufrage ?"
"Ben O'Gard. Quand j'ai repris connaissance, j'étais
dans un traîneau qu'il conduisait. Je lui dois la vie. Il m'avait
déjà défendu contre Keelhaul de Rosa qui, je ne sais
pourquoi, m'en voulait. Ils s'étaient battus farouchement à
mon sujet, à la suite de quoi Keelhaul de Rosa s'était enfui
avec quelques hommes de l'équipage. Je ne devais plus entendre parler
de lui."
"Jusqu'à ce soir", rectifia Franck Sauvage.
"Oui, jusqu'à ce soir", répéta
Victor Vail." C'est bien Keelhaul de Rosa qui a tenté de m'enlever."
Le musicien cacha son visage dans ses mains. Au
tremblement léger de ses épaules, Franck devina qu'il pleurait.
"Ma pauvre femme", murmura Victor Vail." Notre petite
Roxey. Elles ont péri toutes les deux, malgré les efforts
de Ben O'Gard..."
Quand le musicien se fut calmé, Franck Sauvage,
qu'intriguaient certains détails de ce récit, questionna:
"Comment se fait-il que le naufrage de l'Océanic
n'ait été mentionné nulle part dans la presse?"
Victor Vail parut stupéfait.
"Aucun journal n'en a parlé?"
"Aucun."
"C'est extraordinaire. En ce qui me concerne, je
n'ai jamais fait allusion à ces événements. Ils étaient
trop pénibles."
Franck Sauvage se sentait de plus en plus intéressé
par l'histoire de l'Océanic, mais il eut la délicatesse de
ne pas laisser deviner au musicien les doutes que lui inspirait le personnage
de Ben O'Gard. Aussi bien Victor Vail était-il persuadé qu'il
l'avait sauvé.
"Peut-être devrais-je vous raconter encore
un détail qui a trait à cette période de ma vie",
reprit le musicien. "Parmi les rescapés, il y avait un marin affligé
d'un tic très bizarre. Par une curieuse anomalie du système
nerveux, il claquait des dents à intervalles réguliers et
faisait entendre un cliquetis métallique. Or, au cours de cette
vingtaine d'années écoulées depuis la catastrophe
de l'Océanic, j'ai souvent entendu - ou plutôt cru entendre
- ce bruit caractéristique. Par plaiisanterie, je l'appelle le "sinistre
cliquetis". Ce n'est probablement qu'un tour joué par mon imagination,
car pourquoi ce marin m'aurait-il suivi à travers le monde pendant
tout ce temps ?"
Franck Sauvage conduisit alors son hôte dans
la pièce voisine. C'était une immense bibliothèque
contenant des milliers de volumes se rapportant aux branches les plus diverses
de la connaissance humaine.
Dans le monde entier, il n'y avait peut. être
qu'une seule bibliothèque scientifique privée pouvant rivaliser
avec celle-ci, mais Franck Sauvage était le seul à connaître
son existence elle lui appartenait aussi et se trouvait au "Fort de la
Solitude", retraite secrète où cet homme extraordinaire séjournait
de temps à autre.
A côté de la bibliothèque se
trouvait une autre pièce très vaste, équipée
en laboratoire. C'est là que Franck Sauvage introduisit son hôte.
LA SEMAINE PROCHAINE:
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VOLATILISE!
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[Mickey #771]
Manque/ missing
[Mickey #772]
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Résumé. - Musicien, chimiste, médecin
et ventriloque de surcroît, Franck Sauvage met ses multiples talents
au service des faibles et des malheureux. Avec quelques amis, aussi généreux
que lui, il essaie d'aider le violoniste Victor Vail qui a perdu la vue
lors du naufrage de l'Océanic et croit devoir la vie à un
certain Ben O'Gard. Mais Franck Sauvage et ses compagnons ont fort à
faire pour le sauver des attaques des bandits dirigés par Keelhaul
de Rosa. |
L'ÉTRANGE RETOUR
Franck s'exprimait. de façon à
être entendu dans le récepteur du téléphone
qu'une allumette maintenait soulevé. Tous les amis de Franck
connaissaient le maya et utilisaient cet idiome chaque fois qu'ils désiraient
ne pas être compris par d'éventuels témoins. Sous le
regard indifférent de ses gardiens, qui n'eurent pas l'idée
d'examiner le poste téléphonique et ne devinèrent
pas son manège, Franck donna ses instructions à Gorille.
"Renny, Tommy et Johnny doivent être arrivés.
Dis à Johnny de prendre dans le tiroir 13 de mon bureau la fiole,
le pinceau et les jumelles qu'il y trouvera et de les apporter ici. Qu'il
vienne avec l'auto équipée d'une radio."
Franck indiqua l'adresse du repaire de la bande,
puis ajouta
"Deux voitures stationnent devant la maison. Johnny
marquera d'une croix leur toit avec le liquide phosphorescent que contient
la fiole. Quand il aura fini, qu'il m'attende à proximité
de la maison. Il ralluma la lumière et téléphona à
Ted pour lui demander de venir le chercher avec sa voiture.
"Pendant ce temps-là, que Tommy et Renny
aillent à l'aérodrome et survolent la ville avec mon appareil.
Renny pilotera et Tommy cherchera à repérer les voitures
marquées d'une croix lumineuse. Qu'il indique par radio à
Johnny le chemin qu'elles suivront. Toi, Gorille, va au poste de police
où ont été conduits les agresseurs de Victor Vail
et tâche d'apprendre où le marin que je suppose être
Keelhaul de Rosa avait l'intention d'emmener Victor Vail.
"Quant à Ted, qu'il reste au bureau. Il pourra
essayer de cuisiner le type que j'ai laissé évanoui au laboratoire
pour savoir où se cache Keelhaul de Rosa."
"Si tu as bien compris mes instructions, appuie
à deux reprises sur le crochet du téléphone."
Deux déclics résonnèrent dans
l'appareil. Les bandits n'y prirent pas garde. Ils étaient loin
de se douter de ce que représentaient les balbutiements de leur
prisonnier. Franck se tut et son corps se figea dans une parfaite immobilité.
Selon ses estimations, vingt minutes étaient nécessaires
pour que ses amis exécutent son plan. Il leur accorda une demi-heure
puis, se tournant sur le côté comme s'il remuait dans son
sommeil, il imita la voix rauque du bandit qui montait la garde sur le
palier .
"Vite ! Filons, la police est dans l'escalier !"
Pris de panique, les forbans se dressèrent
tous à la fois, ne sachant que faire. L'un d'eux aperçut
Franck qui se relevait et sortit son revolver, mais, avant qu'il n'ait
tiré, Franck appuya sur le commutateur et plongea la pièce
dans l'obscurité.
"Nous sommes fichus, voilà les flics !" reprit-il
avec la voix du bandit en brisant d'un coup de poing la vitre. "Par ici
! Par ici !"
Les bandits obéirent immédiatement
et se hâtèrent de sauter au-dehors. Un instant après,
Franck entendit ronronner deux moteurs. Les voitures démarraient.
Il se mit alors à siffloter l'air mélodieux et bizarre qui
lui servait soit à se faire reconnaître de ses amis, soit
à masquer sa satisfaction. Cette fois, il sifflait de joie il n'avait
pas espéré donner si facilement le change aux amis du pauvre
Honkey dont il avait si bien joué le rôle.
Dix minutes plus tard, le jeune juriste gravissait
l'escalier du repaire de Ben O'Gard. L'élégance de sa tenue
contrastait singulièrement avec l'aspect sordide de la maison.
"As-tu tiré quelque chose de l'homme de Keelhaul
de Rosa ?" questionna Franck.
"A peu près rien", répondit Ted d'un
air morose. "Il a été engagé sur place avec ses camarades,
juste pour enlever Victor Vail. Il n'a aucune idée de l'endroit
où joindre Keelhaul de Rosa."
Quand ils revinrent au domicile de Franck, ils eurent
la stupeur d'y découvrir Victor Vail.
"Je suis heureux que vous soyez de retour, monsieur
Sauvage", s'exclama le virtuose avec chaleur.
Il avait reconnu Franck à son pas.
"Que vous est-il arrivé? Parlez vite !"
"J'ai été enlevé par des hommes
à la solde de Keelhaul de Rosa."
"Je m'en doutais", dit Franck," mais comment avez-vous
pu leur échapper ?"
Victor Vail passa sa main aux doigts fins et nerveux
sur ses cheveux blancs. Son visage exprimait la plus profonde perplexité.
"Voilà une question à laquelle je
ne saurais guère répondre. J'ai été chloroformé.
Quand j'ai repris connaissance, je me trouvais sur le trottoir d'une ruelle
de banlieue. J'ai demandé à un passant de me mettre dans
un taxi et je me suis fait conduire ici."
"Et vous n'avez pas la moindre idée de ce
qui vous est arrivé ?"
"Pas la moindre. Tout ce que je sais, c'est qu'on
m'a pris ma chemise."
"Votre chemise ?"
"Oui. Et comme, à en croire le dicton, l'homme
heureux n'a pas de chemise", ajouta le musicien avec un sourire amer,"
me voilà dans les conditions parfaites du bonheur. Plaisanterie
à part, je ne comprends pas pourquoi on m'a volé mon linge."
Franck réfléchit un instant.
"Peut-être vos ravisseurs vous ont-ils déshabillé
pour chercher un signe sur votre corps, par exemple, et ont-ils négligé
de vous remettre votre chemise."
"Quel signe pouvaient-ils bien chercher?"
"Je pense à l'histoire de l'Océanic.
Lorsque vous vous êtes réveillé après le prétendu
naufrage du paquebot, vous éprouviez des brûlures dans le
dos."
Du geste qui lui était familier, le musicien
se passa la main dans les cheveux.
"Pourquoi dites-vous "prétendu"?"
"Parce que rien ne prouve qu'il y ait eu naufrage,
sinon les affirmations de Ben O'Gard."
"J'ai la plus grande confiance en Ben O'Gard. Je
lui dois la vie."
"Votre reconnaissance est un sentiment qui vous
honore. Cela dit, j'aimerais bien que vous me permettiez d'examiner votre
dos."
Victor Vail ôta docilement son veston. Franck
eut beau le soumettre à un examen attentif, il ne découvrit
rien d'anormal.
"C'est bizarre", dit-il à son ami Ted. "Tu
ne penses tout de même pas que Keelhaul de Rosa aurait enlevé
Mr. Vail uniquement pour lui regarder le dos ?" demanda Ted.
"Si, mais qui m'étonne, c'est qu'il l'ait
relâché aussitôt."
Franck Sauvage alla à la fenêtre et
contempla pensivement la ville qu'assombrissait déjà la nuit.
Ses réflexions furent interrompues par l'arrivée de Gorille.
"As-tu appris quoi que ce suit sur les hommes de
Keelhaul de Rosa ?" demanda Franck.
"Non. Ce sont tous des hommes de main recrutés
pour la circonstance et qui ignorent jusqu'à son adresse."
Franck ne fut pas déçu, car il s'attendait
à cette réponse.
"Ted, tu es avocat et tu connais pas mal de gens
bien placés. Tâche d'obtenir des renseignements sur le sort
du paquebot Océanic."
Ted acquiesça d'un signe et s'en fut.
Peu après son départ, le téléphone
se mit à sonner : une voix cultivée aux expressions recherchées
résonna dans l'appareil, celle de Johnny. De son vrai nom William
Harper Littlejohn, Johnny était un des archéologues les plus
éminents du monde.
"J'ai repéré vos hommes", dit-il.
"Tommy et Renny m'avaient indiqué par radio où je pourrais
les dénicher."
Il donna une adresse proche du quartier chinois
et raccrocha.
Après avoir confié à Gorille
le soin de monter la garde auprès de Victor Vail, Franck partit.
Non loin de la maison suspecte, un homme grand et
maigre vendait des journaux. Quand il aperçut Franck. il se dirigea
vers lui, et annonça "Ils sont toujours là. Troisième
étage, première porte à droite."
"Bravo! Johnny. Es-tu armé ?" demanda Franck.
Johnny ouvrit sa pile de journaux comme un livre,
découvrant une petite carabine automatique.
"Parfait", dit Franck." Attends-moi. Je n'en ai
pas pour longtemps, du moins, je l'espère."
Arrivé au troisième étage,
il écouta un instant, l'oreille collée au panneau de
la porte. Puis il gagna le toit de l'immeuble et, fixant à la cheminée
une solide cordelette de soie, il se laissa glisser le long de la façade
jusqu'à la fenêtre du troisième étage. D'un
coup de poing, il la brisa et jeta dans la pièce une poignée
de billes de verre incolores. Des cris de surprise retentirent, tandis
que Franck, avec l'adresse d'un singe, remontait sur le toit. Une fois
en haut, il enroula tranquillement sa cordelette. Un silence de mort régnait,
rompu seulement par les appels du vendeur de journaux "Dernière
édition ! Dernière !"
C'était Johnny qui s'égosillait pour
couvrir les bruits pouvant venir de la maison.
Au bout d'une dizaine de minutes, Franck descendit
au troisième. Sur le sol, il trouva quelques billes intactes les
autres avaient été écrasées par les malandrins
dans le tumulte qui avait suivi le bris de la fenêtre - elles contenaient
un puissant anesthésique auquel ils n'avaient pas résisté.
Ils s'étaient effondrés, çà et là, dans
la pièce. Franck les examina l'un après l'autre et ne put
retenir un geste de dépit. Pas un visage n'avait le hâle caractéristique
des marins. Ben O'Gard n'était pas parmi les vaincus qui, tous,
avaient le teint blême de la pègre des grandes villes.
Franck revint au bureau avec Johnny, les abandonnant
à leur sort, pour trouver Gorille affalé sur une chaise et
se tenant la tête à deux mains en gémissant, tandis
que Ted se tordait de rire.
Un coup d'oeil suffit à Franck pour découvrir
l'objet avec lequel Gorille avait été frappé : un
presse-papier qui gisait sur le sol. Un second coup d'oeil lui apprit que
Victor Vail avait disparu.
"Que s'est-il passé ?"demanda-t-il.
Maîtrisant son hilarité, Ted répliqua
"Vail a raconté à Gorille qu'il pouvait
lui prédire l'avenir d'après la forme de son crâne,
et notre bon ami a eu la naïveté de se laisser faire..."
"C'est arrivé après une communication
téléphonique qu'il a reçue", compléta Gorille
avec humeur.
"Qui donc l'appelait ici ?"
"Un certain Smith. J'ai passé l'appareil
à Vail. Il s'est borné à écouter en murmurant
de brèves interjections, puis il a raccroché brusquement.
Ensuite, je ne sais comment, nous en sommes venus à parler de phrénologie
et il m'a affirmé qu'il avait un don pour prédire l'avenir
d'après la conformation du crâne. Comme j'avais l'air incrédule,
il m'a proposé de me le prouver..."
"Et il t'a caressé gentiment le crâne
avec ce moelleux presse-papier de bronze", commenta Ted en s'esclaffant
de plus belle.
"Tu n'étais pas là?" lui demanda Franck.
"Non", dit Ted, "je suis arrivé pour trouver Gorille assis par terre
et encore tout étourdi."
"Je me demande ce qui a pu déterminer Victor
Vail à agir de la sorte", dit Franck d'un air préoccupé.
Soucieux, il se rendit dans son laboratoire et prit
sur un rayon un appareil couvert d'une housse noire qu'il apporta dans
son bureau.
"Qu'est-ce que c'est ?"demanda Gorille avec intérêt.
Avant que Franck ait pu répondre, des détonations
retentirent. Il courut à la fenêtre et aperçut une
magnifique voiture de sport d'où émergeaient les canons de
deux carabines.
"C'est Tommy et Renny", s'écria-t-il en se
précipitant dans le couloir, suivi de près par Johnny, Ted
et Gorille, ce dernier maintenant un peu remis de ses émotions.
L'ascenseur ultrarapide de Franck les amena en quelques
secondes au niveau de la rue.
LA SEMAINE PROCHAINE:
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SUR LES TRACES DU VIRTUOSE...
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[Mickey #773]
|
Résumé. - En compagnie de ses amis, Franck
Sauvage essaie de tirer le virtuose aveugle Victor Vail des griffes des
bandits qui le pourchassent. Le musicien, qui croit devoir la vie à
un certain Ben O'Gard, échappe à la surveillance d'un ami
de Franck Sauvage, surnommé "Gorille" et prend la fuite. |
SUR LES TRACES DU VIRTUOSE
Renny et Tommy étaient embusqués derrière
la belle voiture de sport qui appartenait à Tommy. Leurs adversaires
s'étaient abrités dans l'entrée d'un immeuble, de
l'autre côté de la rue.
Quelqu'un avait tiré sur les ampoules des
réverbères et l'obscurité régnait. Franck s'avança.
Une balle siffla à son oreille. Puis une voix cria:
"C'est l'homme de bronze! Filons !"
Les bandits s'élancèrent vers une
puissante automobile qui démarra dès qu'ils y furent montés.
Une silhouette menue jaillit de derrière
la voiture de sport et déchargea son pistolet dans leur direction.
"Tu perds ton temps, mon pauvre Tommy", dit Franck.
"Ces individus ont transformé ma voiture
en écumoire !" s'exclama l'autre avec dépit.
C'était un jeune homme de petite taille,
blond aux yeux clairs, rayonnant d'intelligence. Tommy, c'est-à-dire
Thomas J. Roberts, était un ingénieur hors ligne, spécialiste
de tout ce qui touchait à l'électricité. Sous ses
apparences malingres se cachaient une énergie débordante
et une volonté de fer.
Il formait un contraste frappant avec Renny, colosse
de près de deux mètres de haut et large en proportion. Ingénieur
également, Renny était doué d'une force herculéenne.
"Eh bien, mes amis, qu'est-ce que c'est que cette
bataille dans laquelle vous vous étiez engagés avec tant
d'ardeur ?" demanda Franck.
"Nous arrivions aussi innocents que l'agneau qui
vient de naître", répliqua Renny de sa vibrante voix de basse,"
quand ces coquins nous ont tiré dessus puis ont tourné les
talons dès qu'ils nous ont vus de près. Ce n'était
pas à nous qu'ils en avaient, mais nous avons pensé que s'ils
voulaient se battre nous en valions bien d'autres, et nous avons chargé
nos fusils de leur répondre sur le ton qu'ils avaient employé."
Franck eut un léger sourire.
"En tout cas, cette escarmouche m'a permis d'éclaircir
un point encore obscur de cette affaire."
Lequel?" demandèrent en chœur ses amis.
"Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi
Keelhaul de Rosa avait laissé Victor Vail repartir sain et sauf",
expliqua Franck.
"Je pense que Keelhaul de Rosa est en rivalité
avec Ben O'Gard pour une affaire quelconque dans laquelle l'aveugle est
un atout.
Il s'est emparé de lui pour une raison que
nous ne tarderons pas à découvrir, puis il l'a relâché
afin de s'en servir comme appât pour attirer Ben O'Gard et le faire
abattre par ses hommes. Ceux-ci se sont attaqués à vous et
ont pris la fuite en constatant qu'ils se trompaient."
Franck fit signe à Renny de le suivre et
remonta dans son bureau, laissant Gorille, Ted, Tommy et Johnny s'expliquer
avec les agents accourus au bruit de la fusillade.
L'affaire fut très vite réglée.
Les amis de Franck Sauvage étaient bien connus et, en haut lieu,
des ordres avaient été donnés pour que rien n'entrave
leurs activités dont on connaissait le but chevaleresque.
Franck prit en main le curieux instrument en forme
d'arrosoir qu'il avait abandonné quand il avait entendu la bagarre.
"Qu'est-ce que c'est ?"demanda Renny avec intérêt.
"Tu vas le savoir."
Franck désigna le sol devant la porte de
son bureau : une matière translucide, à peine discernable,
couvrait une certaine partie du parquet.
"Tu vois cette flaque ?"
"Oui", répliqua Renny," mais je n'aurais
rien remarqué si tu ne me l'avais pas montrée."
"J'ai eu la prévoyance de répandre
cette préparation devant la porte avant de laisser Gorille avec
Victor Vail, et je m'en félicite à présent."
"Qu'est-ce que c'est ?"
"Je vais te l'apprendre. Retire tes souliers."
Renny le regarda en se demandant s'il se moquait
de lui, mais comme Franck, imperturbable, ôtait déjà
les siens, il obtempéra.
Franck dirigea le jet de son appareil dans le couloir
à côté de la flaque. Un léger nuage de vapeur
s'éleva du sol
"Ne remarques-tu rien? Respire un peu plus fort."
"Ma foi, non. Rien du tout", dit Renny en humant
l'air consciencieusement.
"Et maintenant ?"
"Pouah!" s'exclama Renny en suffoquant. "Ouvre la
fenêtre. Je n'ai jamais senti une puanteur aussi abominable."
Franck entraîna Renny vers l'ascenseur. Pendant
qu'ils descendaient, il fournit des explications:
"La combinaison, même en quantité infime,
du produit chimique contenu dans cet appareil et de la matière répandue
sur le parquet provoque une odeur nauséabonde, fugace mais intense."
"Je ne sais pas si elle est fugace", rétorqua
Renny," mais pour intense elle l'est, c'est sûr."
"Ces produits ont une telle puissance que quiconque
a marché sur cette matière laisse une trace susceptible d'être
relevée plusieurs heures après son passage. C'est pour cette
raison que nous avons dû ôter nos chaussures..."
"Je ne comprends toujours pas."
"Nous allons suivre la piste laissée par
Victor Vail. Rien de plus facile, à moins que..."
"Que quoi ?"
"A moins qu'il n'ait pris un taxi. Auquel cas nous
devrons chercher un autre moyen de le retrouver."
Mais Victor Vail n'avait pas pris de taxi. Il s'était
dirigé vers la plus proche station de métro en longeant les
murs.
"Quelle malchance !"s'exclama Renny. "Pourquoi donc
?" répliqua Franck
"Nous allons simplement faire comme lui et vaporiser
du liquide à chaque station jusqu à ce que nous ayons repéré
à l'odeur le chemin suivi par Vail."
Renny éclata d'un rire sonore.
"Nous voilà passés chiens de chasse",
dit-il en s'engouffrant dans le métro derrière Franck.
A la huitième station, Franck retrouva la
piste de Vail. Elle les conduisit dans la rue.
"Je ne comprends pas comment un aveugle a pu suivre
tout seul un itinéraire aussi compliqué", dit Renny.
"Simplement en demandant sa route aux passants.
On est toujours heureux d'aider un aveugle", déclara Franck.
Des passants, il y en avait peu à cette heure
tardive, mais les quelques badauds qu'ils croisèrent ne tardèrent
pas à s'intéresser à ces deux hommes qui se promenaient
en vaporisant un liquide nauséabond sur le trottoir. D'autant plus
que Franck et Renny avaient une carrure hors du commun. Agacé par
ces curieux, Renny se tourna vers eux et leur intima de déguerpir.
Sa voix de stentor les mit en fuite.
Cinq minutes plus tard, Franck et Renny s'arrêtèrent
devant une porte sur laquelle était fixée une plaque de "chirurgien-dentiste".
Franck et son compagnon inspectèrent les
alentours. Le quartier était bourgeois, paisible et retiré.
"Attends-moi" ordonna Franck.
LA SEMAINE PROCHAINE:
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CHEZ LE DENTISTE...
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[Mickey #774]
Manque/ missing
[Mickey #775]
Manque/ missing
[Mickey #776]
Manque/ missing
[Mickey #777]
Manque/ missing
[Mickey #778]
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[Mickey #779]
Manque/ missing
[Mickey #780]
Manque/ missing
[Mickey #781]
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Résumé - Partis à la recherche de l'épave
de l'Océanic qui contient un immense trésor, Franck Sauvage
et ses amis doivent lutter contre deux bandes de malfaiteurs dirigées
par Ben O' Gard et Keelhaul de Rosa. Victor Vail, un musicien qui a perdu
sa femme et sa fille dans le naufrage de l'Océanic, vient rejoindre
Franck Sauvage mais disparaît mystérieusement au moment où
Franck arrive enfin sur l'épave. A son grand étonnement,
il y retrouve la fille de Victor Vail qui lui raconte comment, en compagnie
de sa mère, elle a échappé au naufrage. |
AU ROYAUME DU FROID
"Vous ne m'avez pas dit ce qui vous a amené
dans ce pays", reprit la jeune fille.
Franck lui conta brièvement les circonstances
qui l'avaient incité à entreprendre cette expédition
au pôle.
"Où est le trésor ?" demanda Roxey.
Je n'en ai pas la moindre idée. Keelhaul de Rosa espérait
certainement le trouver dans la chambre forte, d'après ce que vous
m'avez dit. Il a enivré et drogué les Esquimaux dans l'espoir
de leur faire avouer où ils l'ont caché."
"Je suis persuadée qu'il n'est pas en leur
possession. Le trésor a été enlevé avant le
départ des mutins."
Roxey Vail continuait à examiner Franck avec
curiosité.
"Qu'êtes-vous venu faire ici exactement ?"
demanda-t-elle tout à coup. "Vous ne semblez pas en proie à
la soif de l'or qui conduit tous les autres."
Un léger haussement d'épaules fut
la seule réponse de Franck. Il était trop modeste pour révéler
qu'il s'était donné mission de secourir les faibles et de
punir les méchants.
Ils descendirent prudemment le long de la coque
verglacée de l'épave. L'instinct de vigilance si aiguisé
chez Franck leur sauva la vie. Il plaqua au sol la jeune fille et s'allongea
dans la neige près d'elle à la seconde même où
une grêle de balles ricochait contre le paquebot échoué.
Les Esquimaux étaient revenus avec Keelhaul
de Rosa et quatre ou cinq de ses hommes.
Franck fouilla dans sa veste et en sortit un petit
cylindre qu'il lança vers le groupe en train de recharger les armes.
Une formidable explosion ébranla le sol, soulevant une poussière
de neige qui obscurcit tout pendant un instant.
Des clameurs et des cris de détresse retentirent.
Affolés, les Esquimaux, dont plusieurs avaient été
blessés, semblaient prêts à s'enfuir.
"En avant ! En avant !" cria quelqu'un. "Ne les
laissez- pas échapper."
C'était la voix de Keelhaul de Rosa. La fusillade
reprit, mais plus mollement et sans danger pour les jeunes gens, car leurs
assaillants, terrifiés, avaient reculé hors de portée
de fusil. Franck poussa la jeune fille dans une anfractuosité de
rocher et lui recommanda de ne pas quitter sa cachette jusqu'à ce
qu'il revienne la chercher.
"Quoi que je fasse et quoi que vous entendiez",
dit-il, "ne bougez pas."
Il lui sourit et s'éloigna, bientôt
caché par le brouillard.
Keelhaul de Rosa, furieux, houspillait les Esquimaux,
oubliant que ces derniers ne le comprenaient pas.
"Dire que nous les tenions !"clama le bandit.
"Je vous répète que cet homme est
un démon", murmura un des Blancs qui l'accompagnaient.
"Sans cette maudite explosion, il était à
nous", dit un autre.
"Mille millions de tonnerre !"lança Keelhaul
de Rosa. "Nous le rattraperons ou j'y perdrai mon nom."
Les Esquimaux s'étaient regroupés
à l'écart des Blancs. L'un d'eux qui formait l'arrière-garde
passait près d'un monticule de neige quand un bras en sortit brusquement
et des doigts bronzes lui effleurèrent la joue. L'Esquimau s'affaissa
sans un mot.
Franck cria quelque chose dans l'idiome local. Le
métis qui servait d'interprète à la bande de Keelhaul
de Rosa sursauta en entendant sa voix.
"Esquimau avoir tué homme bronzé !"
traduisit-il triomphalement à l'intention de Keelhaul. "Dit qu'il
faut venir tout de suite.".
Trois hommes se précipitèrent dans
la direction indiquée. ils trouvèrent deux corps inertes
et reconnurent dans l'un celui de Franck Sauvage.
"C'est bien lui !"annoncèrent-ils aux autres.
Tout à coup le gisant se redressa d'un bond.
Ses poings s'abattirent avec la rapidité de la foudre, et deux des
hommes de Keelhaul s'écroulèrent inanimés dans la
neige. Le troisième s'enfuit aussi vite que le lui permettait le
terrain, persuadé qu'il allait subir le même sort. Franck
s'apprêtait à le poursuivre quand s'éleva un cri de
détresse.
Roxey Vail avait été découverte!
Franck devina aussitôt ce qui s'était
passé.
En dépit de ses recommandations, la jeune
fille était sortie instinctivement de sa cachette sous le coup de
l'affolement quand elle avait entendu annoncer sa mort. Il s'élança.
Comme une balle sifflait près de son oreille, il se jeta sur le
sol et rampa à quatre pattes avec une rapidité qu'un lézard
lui aurait enviée.
"Emmenons la fille sur le bateau", ordonna la voix
rude de Keelhaul de Rosa. "Dépêchons-nous!"
Franck voulut les rejoindre, mais les bandits s'éloignaient
en couvrant leur retraite à coups de feu. Il n'était pas
de ceux qui s'exposent inutilement et jugea préférable, pour
le moment, de réparer ses forces. La nourriture ne lui manquait
pas, puisqu'il avait réussi à abattre l'ours polaire. Il
en dépeça un quartier et mangea la viande crue, faute de
pouvoir la griller sur un feu de bois.
Il terminait son festin primitif quand il eut conscience
que quatre ou cinq hommes au moins passaient près de lui. Ils ne
s'aperçurent pas de sa présence, à cause du brouillard.
Il les suivit pour écouter ce qu'ils disaient.
"Il s'en est fallu de peu que ce bonhomme au teint
bronzé nous débarrasse de Keelhaul. Sans compter qu'il a
semé la panique parmi les Esquimaux. Keelhaul a décidé
de se retrancher sur le paquebot. Il s'y croit en sûreté."
"Tu es certain qu'il ne se doute pas de notre présence
?"reprit un autre.
"Absolument ! L'homme bronzé s'imagine que
nous sommes noyés. Il l'a dit à la fille blonde et elle l'a
répété à Keelhaul de Rosa. Il a donc toutes
les raisons du monde de supposer qu'il n'entendra plus jamais parler de
nous!"
Un mauvais rire secoua les bandits.
"Nous allons le détromper de la belle manière
!" s'exclama l'un.
"Si, toutefois, une balle ne lui casse pas la tête
auparavant..."
"Quand commencera la danse ?"
"Dans une heure. Il ne faut laisser personne derrière
nous. Nous allons les exterminer tous."
Franck s'écarta sans bruit. Il en savait
assez.
Une fois de plus, il avait sous-estimé Ben
O'Gard. L'ex-capitaine Mac Cluskey avait dû faire fabriquer par ses
hommes une valve de rechange en s'apercevant que Franck avait emporté
la pièce, lors de l'épisode de la fausse chasse aux phoques.
Pas encore prête quand les aviateurs de Keelhaul de Rosa avaient
attaqué le Helldiver, elle n'avait sans doute été
achevée que grâce au répit obtenu par la bataille aérienne
entre Franck et les hommes de Keelhaul.
Après s'être dégagé de
l'emprise des glaces en plongeant dans les profondeurs, Ben O'Gard songeait
maintenant à supprimer tous les êtres vivants de la région...
Franck réfléchit avec intensité.
Il fallait en finir avec cette bande d'assassins.
LA SEMAINE PROCHAINE:
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TOUS VIVANTS!
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[Mickey #782]
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Résumé - Partis à la recherche de l'épave
de l'Océanic qui contient un immense trésor, Franck Sauvage
et ses amis luttent contre deux bandes de malfaiteurs dirigées par
Ben O' Gard et Keelhaul de Rosa. Ils sont rejoints par le musicien Victor
Vail qui retrouve sa femme et sa fille qu'il croyait disparues lors du
naufrage de l'Océanic. Mais au moment où Franck Sauvage et
ses amis pensent enfin au retour, les malfaiteurs s'emparent de la jeune
Roxey Vail.. |
TOUS VIVANTS
Il était minuit, mais le soleil luisait dans
le ciel enfin dégagé. La tempête s'était apaisée,
laissant derrière elle un paysage complètement bouleversé
et méconnaissable dans son épais revêtement de neige.
Sous la poussée du vent, le pack s'était disloqué
et les blocs de glace étaient partis à la dérive.
Un vaste chenal d'eau libre brillait jusqu'à l'horizon.
Keelhaul de Rosa arpentait la cabine principale
de l'Océanic comme un ours en cage. Il était furieux.
"Par le diable !"s'exclama-t-il." Ce trésor
ne s'est tout de même pas évaporé."
Il se planta devant Roxey Vail, encadrée
par deux de ses marins.
"Où est l'argent ?" demanda-t-il, avec exaspération.
"Je n'en sais rien."
C'était peut-être la quinzième
fois qu'il lui posait la question.
"Vous avez volé l'or et les diamants !" hurla
le pirate.
Roxey ne répondit rien.
"Les Esquimaux m'ont parlé de votre mère.
Où est-elle ? C'est elle qui garde le trésor, hein ?"
"Vous vous trompez."
"Alors pourquoi se cache-t-elle et où se
cache-t-elle ?"
Roxey serra les lèvres. Elle était
visiblement résolue à ne pas révéler le refuge
de sa mère.
Le pirate tenta de l'amadouer.
"Dites-moi tout et, parole de marin, je vous ramène
en Amérique, votre mère, le vieux bonhomme et vous."
"Comment ferez-vous ?" répliqua Roxey. "Vous
n'avez pas de bateau et votre avion est détruit."
"Les Esquimaux nous conduiront jusqu'au Groenland."
"Et là, vous nous tuerez tous", dit-elle
froidement.
Keelhaul lui jeta un regard mauvais.
"Il vous faudra aussi compter avec Franck Sauvage",
ajouta-t-elle. "Vous ne le tenez pas encore."
"Celui-là, il est déjà mort",
riposta-t-il d'un air triomphant, sûr que la nouvelle allait ébranler
la résistance de la jeune fille.
Au même instant, une voix cria du haut du
pont
"Attention ! Voilà Ben O'Gard et ses hommes
!"
"Malédiction !" s'exclama Keelhaul de Rosa
en pâlissant. "Que l'un de vous reste ici, pour garder cette fille.
Les autres, venez avec moi."
Il se précipita hors de la pièce.
Roxey Vail tenta de s'échapper à la faveur de la confusion
qui s'ensuivit. Son gardien voulut l'en empêcher et ils commencèrent
à se battre. Bien que sa vie au pôle l'ait rendue forte et
agile, elle aurait eu le dessous, si une main fine aux doigts bruns ne
s'était soudain plaquée sur le visage du bandit, qui s'effondra
inanimé.
"Vous !" s'écria Roxey. "Oh ! merci."
"Ne perdons pas de temps", dit Franck. "Allez chercher
votre mère et conduisez-la jusqu'à la presqu'île de
glace, au nord de cette grève. Vous voyez où je veux dire
? Vous m'y attendrez. N'en bougez sous aucun prétexte, cette fois,
vous avez compris ?"
Roxey acquiesça d'un sourire un peu tremblant
et partit. Elle n'eut aucune difficulté à quitter le navire,
car tous les hommes étaient rassemblés dans un coin du pont
de l'Océanic où la bataille faisait rage. Les deux bandes
rivales de Keelhaul de Rosa et de Ben O'Gard étaient décidées
à s'exterminer.
Franck longea une étroite coursive et s'arrêta
devant une cabine: elle était fermée à clef. Il défonça
la porte d'un coup d'épaules et apparut aux yeux du violoniste stupéfait.
"Ils m'avaient annoncé que vous étiez
mort ! s'écria ce dernier, d'une voie émue.
"Avez-vous déjà vu votre fille ?"
questionna Franck.
Un sourire de bonheur illumina le visage de Victor
Vail. "Elle est ravissante, n'est-ce pas ?" dit-il avec joie." Elle est
allée chercher sa mère", reprit Franck. "Nous avons rendez-vous
avec elles. Dépêchons-nous de sortir d'ici."
Franck guida le violoniste dans le dédale
des profondeurs du navire. Au détour d'une coursive, une porte de
cabine se fendit brutalement près d'eux, les morceaux brisés
du panneau furent arrachés, et un géant s'encadra dans l'embrasure.
"Renny !" s'écria Franck. "Par exemple !"
Il aurait voulu exprimer l'allégresse qu'il
ressentait à retrouver ses amis, mais il avait la gorge trop serrée
pour parler. Derrière Renny venaient d'apparaître Tommy, Ted
et Gorille.
"J'ai bien cru ne plus jamais vous revoir", finit-il
par dire." J'ai trouvé l'épave de votre appareil."
"A quoi penses-tu que serve un parachute?" riposta
Gorille. "Mais... j'ai survolé le terrain et je n'ai aperçu
aucun de vous."
"Le vent a déporté nos parachutes,
si bien que nous avons atterri au beau milieu d'un camp d'Esquimaux. Nous
avions laissé nos armes dans l'avion", expliqua Gorille. "Ils ont
eu beau jeu de nous sauter dessus, de nous ligoter et de nous amener à
bord de cette épave. Nous venons seulement de parvenir à
nous libérer."
Franck tendit l'oreille. Tout bruit de lutte semblait
avoir cessé sur le pont.
"A cinq cents mètres d'ici, vers le nord,
vous trouverez une bande de glace qui forme presqu'île", dit vivement
Franck. "Allez-y. Roxey Vail et sa mère doivent déjà
y être. Vous m'attendrez là-bas."
"Tu ne viens pas avec nous ?" questionna Ted.
"J'ai à intervenir ailleurs. Je vous rejoindrai
bientôt." Ils montèrent sur le pont, qui paraissait désert.
L'un après l'autre, les jeunes gens descendirent le long de la coque
de l'Océanic. Gorille était le dernier. Il se retourna, hésitant.
Visiblement, il aurait préféré rester avec Franck.
Celui-ci le prit en riant au collet, et le fit passer par-dessus bord avec
autant d'aisance que s'il s'était agi d'une plume. Gorille se retrouva
parmi ses camarades avant d'avoir compris ce qui se passait
"Dépêchez-vous !" leur cria Franck.
Ils se mirent à courir. Un des hommes de
Ben O'Gard les aperçut, visa, tira et manqua son coup.
Rechargeant son arme, il avança de quelques
pas pour se rapprocher de sa cible mouvante. Tout à coup, une main
lui effleura la joue au moment où il appuyait sur la détente.
Ses bras retombèrent et il s'écroula de tout son long sur
le sol, inanimé, sans se rendre compte de ce qui l'avait touché.
Franck s'éloigna aussi silencieusement qu'il était venu.
D'un geste rapide, il ôta de ses doigts les
capsules métalliques qui les recouvraient. Elles épousaient
si parfaitement la forme de sa main que l'œil le plus perçant ne
pouvait déceler leur présence. Tout au plus, si ses doigts
paraissaient plus longs, car chaque capsule était en fait un réservoir
muni à son extrémité d'une minuscule seringue hypodermique.
Franck avait rempli ces réservoirs avec un produit chimique de sa
composition, qui plongeait instantanément dans l'inconscience quiconque
subissait son contact.
Tel était le secret de ses attouchements
mystérieux et foudroyants au sens littéral du terme.
Il vit, tout à coup, les hommes de Ben O'Gard
se grouper à l'arrière du navire. Deux d'entre eux maintenaient
d'une main ferme un prisonnier, en qui il reconnut Keelhaul de Rosa. Un
coup de pistolet, tiré par Ben O'Gard lui-même, mit fin à
sa carrière de bandit .
Franck poussa un cri sonore qui se répercuta
d'un bout à l'autre de l'épave.
LA SEMAINE PROCHAINE :
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SOUS LE PLANCHER DE LA CABINE
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[Mickey #783]
Manque/ missing
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