Voici quelques extraits d'un ouvrage à propos de la physiologie
du sommeil et du rêve.
Le sommeil et le rêve de Michel Jouvet aux Editions Odile Jacob
L'auteur : Médecin neurobiologiste, chercheur à l'INSERM et à l'Université
de Lyon I
Sa lecture a suscité quelques réflexions et interrogations.
Echangeons nos idées
!
Mécanismes du rêve
"La structure exécutrice du rêve se trouve localisée
dans le pont et le bulbe et son activité est appelée PGO (ponto-géniculo-occipitale)."
"Des peptides issus du lobe intermédiaire de l'hypophyse, peuvent
augmenter considérablement le sommeil paradoxal du chat. Et nous avons
pu montrer que les peptides pouvent agir soit par voie nerveuse
directe, entre l'hypothalamus et le tronc cérébral - à l'endroit où
se trouve la " machinerie " du sommeil paradoxal - soit par voie
sanguine, en étant libérés par l'hypophyse".
"Le système de commande neuromotrice qui agit pendant les stades
de l'éveil et du sommeil, est inhibé par une sorte de frein qui bloque
l'excitation et l'influx nerveux. Il peut y avoir des influx nerveux
puissants qui franchissent la barrière inhibitrice et ainsi on constate
des petits mouvements tels que les vibrisses, les oreilles du chat,
ou un mouvement de doigt pendant la durée du sommeil paradoxal. Seuls
les neurones oculaires et les mécanismes de la respiration échappent
à cette intense activité inhibitrice."
"L'une des caractéristiques primordiales du rêve, c'est l'absence
totale de tonus musculaire. Il se caractérise par une activité corticale
rapide similaire à celle de l'endormissement et des mouvements oculaires
rapides. "
Comment expliquer l'expérience
suivante ? Au moment de dormir, je décide de tenir
un cristal de roche dans la main. Je me réveille, après
une nuit riche de rêves, avec toujours l'objet dans mon poing
serré. Il semblerait qu'il n'y ait pas eu relâchement musculaire
de la main.
Physiologie
Le sommeil comme période de repos et de récupération.
"Dans le cycle circadien d'activité et de repos, on peut situer
le sommeil dans le cadre général des mécanismes d'économie d'énergie
de l'organisme. "
"Comme par ailleurs les neurotransmetteurs qui font que l'on est éveillé
passent leur temps à casser les molécules de glycogène, il faut bien
qu'à un moment le sommeil survienne pour permettre au cerveau
de refaire ses provisions d'énergie, essentiellement dans les
cellules gliales et pour faire baisser la température cérébrale.
(Il faut à peu près 90 minutes chez l'homme pour que la température
baisse de 0,8°C.) A ce moment-là, il y a des détecteurs qui indiquent
qu'il y a accumulation d'énergie. Alors survient le rêve qui dépense,
pour faire son travail, une grande quantité d'énergie avant que ne débute
une période d'emmagasinement énergétique."
Pendant le rêve, le cerveau se fatigue comme un muscle.
"Entre les phases de relaxation et les phases d'activité cérébrale soutenue,
la consommation de glucose des aires corticales double sans que le pourcentage
d'oxygène augmente. Ce qui signifie que notre cerveau marche en anaérobie
et qu'il produit du lactate. Donc qu'il se "fatigue" comme les muscles
dans l'effort."
Le rêve un double paradoxe
" ... le sommeil paradoxal : cette phase du sommeil est en effet
paradoxale car une activité cérébrale plus intense y correspond à un
relâchement musculaire. "
"Le sommeil paradoxal ne suit pas la loi (Van Hoff et Arrhenius) biologique
selon laquelle la vitesse de réaction chimique diminue lorsque la température
décroît."
" Or le système de régulation du sommeil paradoxal apparaît doublement
paradoxal : d'une part, la quantité de sommeil paradoxal décuple lorsque
la température centrale décroît et d'autre part, le sommeil paradoxal
met en jeu lui-même un système de refroidissement par perte de chaleur
au niveau des échangeurs thermiques (système de boucle ouverte)."
"Les prochains courants pour expliquer le fonctionnement
du cerveau sont : le modèle à partir de la biologie moléculaire des
récepteurs et le modèle issu de l'informatique, des machines douées
d' intelligence artificielle."
Les mécanismes préparatoires au rêve
"Le système d'éveil n'est plus excité : pas de danger
immédiat, les récepteurs auditifs, olfactifs et visuels ne sont pas
alertés par les signaux venant de prédateurs éventuels et que les propriocepteurs
de la douleur ne soient pas excités. Les besoins de l'organisme soient
satisfaits : faim, soif, équilibre thermique, besoin sexuel. Alors les
mécanismes de l'endormissement entrent en jeu."
"Le sommeil paradoxal ne peut apparaître que si toute activité
a cessé dans la structure qui contrôle l'état d'éveil (locus coeruleus)
et dans la structure qui est active pendant l'éveil, l'endormissement
et le sommeil léger (raphé)."
"Il y a augmentation du seuil d'éveil et d'une paralysie quasi
totale. Il existe au cours du sommeil paradoxal un contrôle central
des informations sensorielles. Et ainsi, la voie est libre aux processus
de programmation endogène qui sont déclenchés à partir du générateur
pontique. Il est probable qu'il y aurait à la fois programmation motrice
et excitation de certaines aires d'intégration sensorielle, mais d'une
manière endogène non liée à l'extérieur."
Comment expliquer un rêve
dont les images oniriques sont composées d'éléments
environnementaux ? (Par exemple, je rêve qu'un ami
a une boucle de ceinture en forme de tête de dragon. Le lendemain,
je le rencontre, il porte effectivement une ceinture dont la boucle
représente un dragon. Je ne lui connais pas auparavant cet accessoire.)
Histoire naturelle du rêve
Le rêve survient par périodes de 20 à 25 minutes, séparées
par des intervalles de 90 minutes.
La durée du rêve va en s'allongeant au cours d'une même
période de sommeil.
La périodicité ultradienne du rêve au cours du sommeil est caractéristique
de l'espèce.
Espèce
|
Durée du rêve par 24 heures en minutes
|
Durée moyenne de la période de rêve en minutes
|
Périodicité du sommeil en minutes
|
Homme |
100
|
20
|
90
|
Chimpanzé |
90
|
|
|
Chat domestique |
200
|
6
|
25
|
Eléphant |
|
|
180
|
Rat |
|
2
|
10
|
Vache - Poule |
25
|
|
|
Chez l'homme, le rêve occupe 20% du temps de sommeil.
Les dauphins
rêvent-ils ?
"Le dauphin ne dort en effet qu'avec un seul hémisphère à la fois, contrôlant
sa respiration alternativement avec son cerveau droit ou gauche. Il
n'a pas encore été possible d'enregistrer des phases de sommeil paradoxal
chez le dauphin. "
Programmation génétique du sommeil paradoxal ou rêve
Question
: est-ce que la fonction du rêve est un héritage génétique (inné) ou
épigénétique (acquis) ou alors est-elle une possibilité de reprogrammation
du cerveau ?
Des relations sont faites entre l'ontogenèse et la
phylogenèse
"Le rêve est présent chez les animaux homéothermes (mammifères
et oiseaux) - dont la température reste constante indépendamment de
la température extérieure - contrairement aux animaux poïkilothermes.
Chez les poïkilothermes (amphibiens, reptiles), qui ne règlent pas leur
température, les cellules nerveuses vont se diviser pendant toute la
vie."
"Chez l'homme, passé le troisième mois, toutes les cellules nerveuses
cessent de se diviser et n'ont qu'un seul avenir : mourir." *
"Dès que la neurogenèse est arrêtée, apparaît le véritable sommeil paradoxal.
... d'où l'idée que se manifeste ainsi une programmation."
"L'hypothèse d'une programmation génétique responsable, une bonne
fois pour toutes, des connexions interneuronales à l'origine des traits
de caractère d'un individu, est impossible. (Il faudrait des milliards
et milliards de gènes dans le génome et l'environnement altérerait les
connexions.)" D'où l'hypothèse : "...d'une reprogrammation périodique
qui intervient pendant la phase du sommeil paradoxal, autrement dit
pendant le rêve... "
* Quelles
sont les dernières conclusions de la recherche en neurobiologie?
Des articles de chercheurs mentionnent effectivemnt le fait
qu'il y a d'une part évolution de la cellule cérébrale
par acquisition d'informations léguées par les cellules
qui meurent mais d'autre part que la neurogénèse continue
pour certaines catégories de cellules pendant la vie de l'individu.
L'indice de sécurité
"Ainsi ce n'est pas le critère de cérébralisation qui sert à mesurer
la quantité de rêve d'une espèce. C'est pourquoi beaucoup d'autres corrélations
ont été proposées.L'une des meilleures est un " indice de sécurité".
"L'état de rêve est en effet le moment le plus dangereux du cycle
à trois temps éveil-sommeil-rêve puisque le cerveau ferme la porte au
milieu extérieur, et donc à d'éventuels dangers, pour s'ouvrir à un
programme endogène."
"Plus un mammifère est immature (et plus sa thermorégulation est fragile),
plus le temps occupé par le sommeil paradoxal est important : 50 à 60
% de la durée du sommeil pour un nouveau-né humain, 80 à 90 % de la
durée du sommeil pour un chaton. "
"Ainsi c'est au moment où s'achève la maturation et la programmation
génétique du système nerveux que le sommeil paradoxal, qui deviendra
ensuite le rêve, atteint son taux le plus grand, pour décroître ensuite.
Voilà un bien étrange phénomène, il faut en convenir."
Le rêve un troisième état du
cerveau
"Activité cérébrale, mouvements oculaires et atonie
musculaire sont les trois caractéristiques du rêve et le différencient
donc de l'état de veille ou du sommeil."
"Nous nous sommes aperçus que le rêve n'était ni du sommeil ni
de l'éveil. Et que c'était donc obligatoirement un troisième état du
cerveau, aussi différent du sommeil que celui-ci l'est de l'éveil."
"Le rêve devenait le troisième état du cerveau, aussi différent du sommeil
que le sommeil l'est de l'éveil."
" Le concept de rêve comme troisième état du cerveau n'est qu'un nouvel
avatar d'un concept millénaire - celui des Upanishads de la mythologie
hindoue - pour qui le cerveau humain subit l'alternance de l'éveil,
du sommeil sans rêve et du sommeil avec rêve."
En conclusion
"L'histoire des sciences nous enseigne ainsi que, pour être
féconde, une discipline doit interférer avec d'autres à la fois au niveau
des concepts et au niveau des techniques. La science ne peut être réduite
à un seul discours et doit être interdisciplinaire." Michel Jouvet
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