Les Cathares |
Au cours de ces 500 ans, le monde intellectuel essaie de résoudre les grandes énigmes de l'univers: les mystères des origines, de la vie, la chute dans la matière, l'origine du mal, le sens du dualisme... En fonction des cultures et des époques, ces questions ont fait l'objet de systèmes créés par ceux qu'on appelle les Sages ou les gnostiques. Pour les gnostiques, l'origine du monde se trouve en Dieu le père, l'inconnaissable. Emanant de lui, règne ce que l'âme humaine peut atteindre lorsqu'elle descend en elle-même pour y trouver le silence antérieur au temps et à l'espace. A partir du Père de l'univers, 30 degrés successifs que la gnose appelle éons, ont été créés pour donner naissance à des mondes multiples de plus en plus dense. Ce n'est qu'au 31eme degré qu'apparaît le monde matériel et physique. Emprisonnée dans ce monde matériel, l'âme humaine a la nostalgie de la sagesse dont elle est séparée et va tenter de la rejoindre. Au III eme siècle en Perse s'était développée la religion de Zoroastre qui exprimait la lutte de la lumière contre les ténèbres sur le plan cosmique et du bien contre le mal sur le plan moral. Le bien et le mal représentaient deux principes subordonnés à un Dieu suprême que les gnostiques appellent l'inconnaissable. Cette conception a ensuite été reprise par Manès. Né en Perse en 215 aprés Jésus-Christ, Manès fonda la religion du Paraclet. Persécuté par les prêtres de la religion d'état d'alors, il fut exécuté en 276. A la fois artiste, peintre, mèdecin professeur et chef religieux, pénétré des religions de Zoroastre, de Bouddha, connaissant la pensée des philosophes d'Egypte et de Grèce, son enseignement se répandit en Perse, en Asie centrale,en Chine et tout autour du bassin méditerranéen. Dans l'enseignement de Manès, nous retrouvons les données de la gnose concernant la descente de l'esprit qui est lumière dans la matière qui est obscurité. Les Manichéens donnaient au Mal une existence réelle. Séparé de la divinité, il exerce une activité désordonnée en résistance à l'ordre divin. Le Bien s'oppose au progrés du Mal et cette lutte constante est à la base de tout le Manichéisme. Vaincre le mal en soi constitue une rédemption qui est le but final du Manichéisme. Croyant aux vies successives, les Manichéens avaient organisé leur religion en différentes étapes initiatiques pour transmettre leur enseignement. Férocement persécuté, le Manichéisme disparut progressivement mais certains de ses écrits furent repris par le Bogomilisme, mouvement religieux qui, à tavers la Grèce, la Bosnie et la Lombardie est arrivé dans le Languedoc vers le XI eme siècle. Il semblerait que le Catharisme soit issu des Bogomiles. La doctrine Cathare Les initiés Cathares enseignaient aux croyants la doctrine sur l'origine du Mal à peu prés dans les mêmes termes que les Manichéens. Le monde a un seul créateur tout-puissant d'où émanent des entités spirituelles obéissants au père. Ces créations vivent dans le monde spirituel qui est formé de cieux autour de la terre. On retrouve cette conception dans l'Apocalypse de Jean avec les sept cieux de la vision d'Isaïe. C'est là que réside l'homme spirituel androgyne. Les cathares désignaient les émanations divines selon neuf hiérarchies: anges, archanges, archaïes, puissances, vertus, dominations, trônes, chérubins et séraphins. Satan, appartenant à la sphère des trônes, voulut se placer au niveau du Trés-haut et se révolta. Dieu le laissa régner sur les pêcheurs et tenter les injustes. Il y eut un combat entre les esprits fidèles et les esprits séduits parmi lesquels se trouvait Lucifer. Les Cathares le nommait le fils du diable principal. Mais ni Satan ni Lucifer ne sont capables d'organiser le chaos. Ils demandent alors l'aide d'un ange et Dieu leur envoie son verbe. C'est pourquoi les Cathares ont pu répondre en toute sincérité à la question des inquisiteurs: "Est-ce le Diable qui a créé le monde ? " Les choses visibles ont été créées par la vertu de Dieu. Si Dieu ne les avaient pas créées tout d'abord, le Diable n'aurait pu les imaginer. " Car l'action de Satan ne peut être qu'une déformation de l'action du Verbe. A l'origine, l'homme est dans le monde spirituel. Mais Satan veut le mettre à son service dans un corps matériel. Pour lui donner vie, Lucifer décrit aux âmes restées dans le monde spirituel les plaisirs qui les attendent sur terre en insistant sur la beauté des femmes et les jouissances qu'elles peuvent offrir. Les Cathares considéraient donc comme les Manichéens que le corps humain était l'oeuvre de Satan. Cependant, pour sauver les âmes emprisonnées, Dieu soumet l'homme à la maladie et à la mort. Les âmes peuvent ainsi aller " de tunique en tunique "par incarnations successives jusqu'à ce qu'elles aient retrouvé par purification complète, le monde spirituel. Il est dit dans la prière Cathare: "Dieu vous a permis seulement de faire le Bien. Descendez sur terre et vous aurez la puissance de faire le Bien et le Mal et ce sera mieux pour vous. " Le Mal est donc indispensable pour que l'homme puisse devenir libre et créateur s'il peut par son libre arbitre, transformer le Mal en un Bien supérieur. Mais l'être humain est faible et succombe souvent à Satan. Un sauveur est donc nécessaire et ce sauveur est le Christ qui vient porter les péchés du monde. Pour lutter contre le Mal, deux armes sont à utiliser: le perfectionnement intérieur d'une part et la pureté et l'amour d'autre part qui permettent de ne voir en l'autre que l'être spirituel qui se manifeste au cours des vies successives. Les Cathares méridionaux enseignaient en effet la doctrine des réincarnations et de la vie de l'âme aprés la mort. Les Cathares comme les Manichéens étaient des chrétiens. Ils appuyaient leur croyances entre autres sur l'évangile de Jean. Mais ils ne voulaient pas se satisfaire d'une foi aveugle imposée par les dogmes. Les méditations avaient pour but de développer les organes suprasensibles leur permettant une expérience spirituelle personnelle. Une des cérémonies importantes était le Consolament; rite solennel qui permettait au croyant aprés une longue purification de recevoir l'initiation spirituelle c'est-à-dire d'acceuillir en son âme l'esprit consolateur. Il recevait alors le vêtement noir à l'origine remplacé au temps de la persécution par un simple fil de laine que l'initié portait sous son vêtement. Les "revêtus" qui se désignaient aussi "bonshommes" étaient appellés "les parfaits"par les populations qui admiraient leur rectitude morale et leur souci d'entraide. Les Cathares inistaient sur la nécessité de purifier ses désirs et ses passions, de résister aux tentations égoïstes afin de renouer leur union avec l'esprit. Ils essayaient de développer en eux la chasteté seulement imposée aux " bonshommes " les croyants vivant une vie normale. Chasteté, véracité et humilité constituaient trois vertus essentielles chez les Cathares. Considérer ses erreurs et ses fautes sans se décharger sur les autres, rechercher la perfection morale étaient les principes directeurs des Cathares. C'est aussi pour mieux oeuvrer socialement qu'ils travaillaient à cette perfection en appliquant l'adage des anciens mystères: "Nul n'est initié s'il n'a sauvé un homme de sa perte." Les accusations Au XIIeme siècle, l'église romaine était particulièrement corrompue. Alourdie de matérialisme, elle exerçait toujours plus de domination sur la masse des fidèles qui étaient épouvantés par la menace de l'excommunication. Pour obtenir les faveurs de l'église, les donaions en terres ou en argent sont reçus par les abbayes ou les prélats. Ainsi, l'abbaye de Fontfroide créé au Xeme siècle posséde la valeur en terres de deux départements Français. Les papes couronnent Rois et empereurs démontrant ainsi la suprématie de leur puissance sur le pouvoir civil et politique. C'est pourquoi les Cathares traitent l'église romaine d'église de Satan à laquelle ils opposent l'église de l'esprit, leur propre communauté. Dans tout le Languedoc, les populations désertent l'église romaine et ses offices religieux pour se tourner vers les "bonshommes" plus crédibles à leurs yeux. Par ailleurs, les prêtres tenaient à représenter l'intermédiaire indispensable entre le fidèle et la divinité alors que les Cathares privilégiaient l'expérience personnelle et la possibilité pour chacun de se relier individuellement au divin. Le Catharisme est donc dangereux et il faut le détruire. C'est ainsi que plusieurs chefs d'accusation vont être retenus contre les Cathares: Dans certains initiations cathares, le jeûne était préconisé en vue de libérer des forces pour réaliser une expéreince spirituelle. On les accusa de vouloir l'extinction de la race humaine par le suicide. On a vu que les Parfaits s'imposaient la chasteté. Il n'en fallu pas plus pour qu'on les accusât de préconiser le refus de la procréation et donc de favoriser le déclin de l'humanité. Mais beaucoup de Parfaits furent au préalable mariés et eurent des enfants. Par ailleurs, l'église de Rome affirme que l'union sexuelle est impure mais qu'elle peut être purifiée par la bénédiction ecclésiastique. Les cathares considéraient que le sacrement ne changeait rien et que l'amour naturel impure n'était en rien transformé par une bénédiction qui ne spiritualise pas l'union charnelle. Cela voulait dire qu'ils mettaient sur un même pied d'égalité le mariage religieux et l'union libre. Plus subversif encore, ils rejetaient les lois pénales. Ils considéraient que les hommes n'avaient pas le droit de juger d'autres hommes car les mobiles humains étaient trop secrets pour que les juges puissent les apprécier. Ils n'acceptaient pour les coupables que des sanctions éducatives. Ils rejetaient bien sûr la peine de mort et refusaient la guerre. C'est ainsi que durant la période noire de l'inquisition les véritables purs allaient au bûcher en chantant comme à Montségur. Enfin, chez les Cathares, les ministres du culte sont choisis parmi les êtres intelligents et instruits. Il n'y a pas de hiérarchie et la femme, à une époque où sa place est partout ailleurs trés limitée, a le droit de prédication. Seul l'initié qui par sa patience et sa loyauté a atteint la quasi-perfection morale peut rencontrer la partie de son individualité restée divine, le Paraclet. La vision de la vie supra-terrestre est donc une affaire personnelle qui ne nécessite aucun intermédiaire. Si prières, donations et cérémonies ne peuvent remplacer l'effort individuel, le monde ecclésiastique perd tout crédit. C'est pourquoi, il faut éradiquer le Mal. La sainte inquisition est déclarée et déferle en terre occitane ! La litterature cathare Les chansons de geste sont trés importantes dans la littérature médiévale. Beaucoup évoquent plus ou moins clairement l'influence gnostique sur l'épopée occidentale. Parmi celles-ci, la Chanson de Roland évoque l'équilibre et la sagesse d'Olivier face à la folle témérité de Roland le Preux ayant fait preuve de démesure jugée néfaste par la société occitane imprégnée de Catharisme. Le Perceval de Chrétien de Troyes raconte la longue quête initiatique d'un homme à travers une succession d'épreuves et de combats qui sont avant tout des combats contre lui-même. Perceval accède trés tôt au chateau du Graal mais parce qu'il est à un stade trés peu avancé de son évolution, il ne comprend pas ce qu'il voit et le château disparait. Pendant cinq ans il livre des combats pour aquérir d'indispensables qualités humaines. Sur sa route, il finit par vaincre le chevalier vermeil qui symbolise Lucifer et un peu plus tard le chevalier noir qui représente Satan. Au moyen âge, seuls les cathares faisaient une distinction entre Satan et Lucifer. Le roman de Floire et Blancheflor paru en 1250 en pleine période inquisitrice, raconte le périple initiatique de Floire par lequel l'individualité humaine s'éléve vers l'esprit. On y retrouve toute sortes de symboles cathares et il semblerait que cette histoire fût écrite pour redonner espoir aux croyants persécutés. C'est dans la poésie des troubadours que l'on retrouve toute la richesse de la culture du Languedoc qui rayonnait au-delà de ses frontières. Bon nombre de troubadours étaient soit cathares soit sympatisants et contribuaient grandement à la diffusion du catharisme dans toutes les régions qu'ils traversaient. Ils exaltaient l'amour courtois et le dépassement de soi-même. Les contes de Gascogne rassemblent quelques unes de ces histoires épiques qui présentent parfois certaines analogies avec les récits e la mythologie celtique ou grecque. A travers des personnages symboliques, ces récits se rapportent à la vie de l'âme et de l'esprit, à l'évolution de l'homme, l'origine du Mal et son rôle dans le monde. Dans certains récits, le ma est vaincu par la droiture du héros et le sacrifice ou alors le Mal est transformé en Bien. Don Quichotte de Cervantés qui lui-même fut poursuivi par l'inquisition, perpétue aussi les conceptions Cathares. Quand Don Quichotte voit venir à lui une chaîne de forçats, il s'interpose pour qu'ils soient libérés car il se refuse, comme les Cathares à juger les délinquants "car il y a un Dieu au ciel qui n'oublie pas de punir les méchants et de récompenser les bons. Il ne convient pas que des hommes d'honneur soient les bourreaux d'autres hommes." L'influence cathare se révèle d'une autre façon quand il choisit sa dame, Dulcinée de Toboso. Il ne l'a jamais vu de ses yeux. "Je la vois en esprit" dit-il et comme les troubadours il s'est voué à sa dame de manière platonique et ne peut la joindre que dans un état de conscience supérieure. Elle est la dame de lumière des Cathares. Cervantés a dépeint un héros fantasque sous les traits duquel se cache un initié qui rappelle par bien des aspects les conceptions cathares sur la justice, la connaissance, la quête de la vérité et de l'esprit. |