La prière

 Dernier cri en Amérique ces jours-ci*1 : "la Méditation transcendantale". Cette mode importée de l'Inde et nouveauté issue du Yoga a rencontré - comme toute autre nouveauté - un succès éclatant au sein de la société américaine : composition de livres et ouvrages, tenue de conférences, attraction de disciples par millions, mobilisation de prédicateurs et de propagandistes à destination des quatre coins du monde, avec les livres et les publications prêchant la doctrine sectaire. J'ai fait la rencontre, au club El-Guézîra, de l'un de ces missionnaires en exercice.

 En toute concision, la doctrine invite chacun de nous à consacrer de petites minutes par jour à dégager son esprit de toute occupation, à se dépêtrer de tout souci pour se relaxer sur une chaise, les yeux fermés, puis à faire abstraction de toute chose, voire de soi-même, à en sortir de sa peau vers un état de pureté, d'anéantissement total... vers le repos du néant.

Le missionnaire choisit à chacun de ses disciples une incantation à répéter - communément des mots sanscrits insignifiants pour le disciple - incantation qui aiderait celui-ci à mieux se détacher de soi-même, du monde, de son ambiance de souci et de tension vers une autre abstraite où il retrouverait son salut.

 C'est un genre de pause mentale auquel on fait appel, en quête d'un congé à l'âme en souffrance... Avec le missionnaire, j'ai vu des livres, des publications, des recherches scientifiques et des statistiques ; le tout confirme que, grâce à l'engagement à ces séances pendant des mois, plusieurs atteints par la pression sanguine, l'angine, les troubles hormonaux et la migraine ont trouvé la guérison.   

Selon l'une des recherches présentées, le médecin suivait, pendant la séance de relaxation, la pression sanguine d'un patient : les appareils en ont marqué une baisse considérable couplée à un recul dans l'accélération des pouls, et à une recomposition chimique du sang vers un davantage d'équilibre.

 Le missionnaire m'a raconté, pendant notre longue rencontre, avoir fait plus d'une conférence au sein du club, des exercices explicatifs à l'appui... Mais s'est plaint d'apathie de l'audience, ce qui ne lui a pas fait l'écho et le succès qu'il prévoyait. "C'est normal ! Tout à fait prévu : ce que tu prêches ne nous est pas une nouveauté ... En effet nous pratiquons ces exercices, nous les musulmans cinq fois par jour... comme une partie de notre prière islamique prescrite par le Prophète Mouhammad, que la paix et la bénédiction soient sur lui.

Chez nous, la prière démarre avec cette condition psychologique, à savoir que le Croyant se détache de ses préoccupations et soucis, qu'il jette tout derrière le dos, qu'il sorte de son ego et des convoitises, passions et appréhensions qui l'habitent, pour proclamer bien haut : "Dieu est plus Grand!" (allâhou akbar) ... plus grand que tout cela. Les pieds posés sur le tapis, le Croyant commence sa prière en toute humilité et soumission, comme s'il était sorti de la vie sur terre.

 Or, notre prière est plus avantageuse que votre exercice : On sort de notre vie tendue, non vers le monde de non-présence et le repos nihiliste, mais vers les hauteurs de la Présence divine suprême, présence de richesse absolue. Et ce n'est ni aux incantations ni aux talismans sanscrits inintelligibles que l'on a recours, mais on célèbre plutôt les louanges du Tout-Miséricordieux, du Très-Miséricordieux, Maître du Jour de la Rétribution. Acte par lequel nous tendons d'initier les cœurs à cette belle Présence divine incomparable.

 Notre prière, lui ai-je expliqué, fournit au Croyant toute la détente et tout le congé auxquels vous faites appel... Et encore plus, puisqu'il ne s'agira plus de pause mentale, mais de réveil spirituel qui rend les âmes à même de recevoir une nouvelle charge de lumière, de miséricorde et de soutien divin. C'est un moment fertile, extrêmement riche, qui rétablit le lien du Croyant avec la Source invisible de son existence.

 Or, la rupture avec le monde du défaut, du mal et de l'embarras est contrebalancée par un contact avec le monde de la perfection. Dans ce cas du Croyant en prière, l'influence tranquillisante est donc doublée.

 Une prière accomplie en toute présence d'esprit, en toute concentration, dévotion et enthousiasme est un remède à toutes les maladies que vous avez mentionnées et plus ! Et si vous tentez vos recherches et examens sur ce qui arrive pendant la prière à la pression sanguine, aux pouls, à l'éléctrophysiologie du cerveau ou aux composantes sanguines, vous aboutirez certes à des conclusions beaucoup plus captivantes que celles obtenues lors de vos exercices. Mais malheureusement, personne en Amérique ni en Europe ne voit notre islam comme il l'est vraiment, et personne ne tente d'en faire sujet de recherche.

 Ainsi, notre prière de musulmans restera-t-elle un trésor enfoui dont seul un homme ayant intègrement prié connaît les secrets. Dieu nous dit : "Accomplissez la Prière" plutôt que "Faites la Prière".. la véritable prière étant une œuvre où agissent en chœur les organes du corps, avec le cœur, la raison et l'esprit pour la parachever.

 L'Européen a eu tort en supposant que la prière "islamique" n'est plus qu'une série de mouvements ; un lavage du corps et un exercice "sportif" dans le meilleur des cas ! C'est que notre ami n'a point dépassé l'apparence des choses... Il oublie le fait que ces mouvements de prière sont à l'origine des symboles : se tenir debout en signe de révérence, avec la déclaration : "Dieu est plus Grand", s'incliner, puis se prosterner à terre... Anéantissement, et signe d'humilité et de soumission poussées à l'extrême. C'est ainsi que se réalise l'état de détachement et de pause psychologique "totale". Seule perception en ce moment : la Grandeur est à Dieu. Perception que traduisent les louanges célébrées : "Gloire et Pureté à mon Seigneur le Très-Haut! Gloire et Pureté à Dieu le Très-Haut!" (Soubhâna Rabbiyal a`alâ)

 Par "Gloire et Pureté" on entend : l'incomparabilité, en d'autres termes une reconnaissance de notre incapacité à s'imaginer l'Etre Suprême, à formuler les mots convenables, à faire la description du Bien-Aimé.

 Il s'agit d'une apogée spirituelle en s'adressant intimement à Dieu

 Il s'agit de cette même attitude disciplinée de l'Archange Gabriel qui, arrivé à Sidrat-almountahâ (dernier point avant l’Omniprésence divine), n'a pu avancé d'un pas, en expliquant : "Si j'avance, je serai brûlé".*2

Après une telle attitude, que sauraient attendre les créatures parfaites, capables du détachement complet, si non les lumières de l'inspiration et de la révélation providentielles?

 Or, la prière est la petite ascension, la part du musulman dans la grande Ascension faite par le Prophète Mouhammad (pbAsl) vers son Seigneur.

Il ne s'agit pas de mouvements... mais de secrets et grâces.

La prière de l'aube, témoignée par les Anges, s'intronise en tête. Ensuite, c'est celle de la nuit qui avait mérité à son Prophète la place louée.

 Bref, la prière est le compte disponible de miséricorde que possède chaque musulman dans la banque divine : à lui d'en tirer ou de l'abandonner paresseusement, laissant échapper à ses mains un gain incomparable.

 La prière reste encore un trésor caché dont seuls les moindres secrets nous sont dévoilés. On n'en finira jamais avec le débat sur la prière.

 

                                                                               

*1  Cet article a été écrit vers les années soixante-dix, par le Dr. Moustafa Mahmoud.

 *2  Il s'agit d'un événement raconté par les ressources de la Tradition, lors du Voyage Nocturne et de l'Ascension du Prophète Mouhammad, que la paix soit sur lui. 

 

   

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