Le gros-bec et le geai survolent le quartier plusieurs fois, mais n'aperçoivent aucun des deux oiseaux masqués. Un tambourinage terrible attire soudain leur attention: un gros oiseau cogne du bec contre une tôle clouée à un poteau de téléphone. Grognon et Jason se posent sur le fil et l'observent.
L'inconnu frappe à présent le poteau de son long bec conique. Des insectes apeurés sortent des fentes et tentent de s'enfuir. Mais l'oiseau les capture avec sa longue langue enduite de salive gluante.
Il porte une calotte grise avec une tache rouge en travers de la nuque et une bavette noire en forme de croissant. Il arbore une moustache noire.
- Hé! Grognon! L'oiseau est brun et le dessous de sa queue est jaune. C'est un des nos deux coupables, affirme Jason.
- Mais il n'a pas de huppe, ni de masque.
- C'est simple, Grognon. Il a dû ôter son costume de bandit.
- Que je suis bête! J'aurais dû y penser moi-même.
Le gros-bec aborde alors l'oiseau, l'air sévère:
- Qui es-tu?
- Je suis Picpoul, le pic. Et vous autres?
- Voici Jason, le geai, et moi-même, Grognon, le gros-bec. Où habites-tu?
- Dans ce poteau de téléphone. Vous voyez, j'y ai creusé mon nid.
Une tête ébouriffée sort de la cavité.
- C'est ton petit? demande Grognon.
- Oui. J'en ai sept cette année, ajoute Picboul avec fierté.
- Une telle famille doit demander beaucoup de nourriture. Et puis un gros oiseau comme toi doit avoir souvent faim, non?
- Oui. Vous avez des fourmis à m'offrir?
- Non.
- Des insectes perceurs? Des mille-pattes? Des scarabées?
- Non.
- Peut-être des fruits ou des noix?
Grognon lui tend un piège.
- Non. Nous avons juste des oeufs.
- Des oeufs! Non, merci. Je ne mange pas de ça, c'est dégoûtant!
La réponse balaie les doutes du gros-bec sur la culpabilité possible du pic. Et puis, Picpoul ne concorde pas avec la description faite par Colombine de l'oiseau brun: du jaune couvre le dessous de ses ailes.
- Au fait, pourquoi me poses-tu toutes ces questions, Grognon?
- Nous recherchons deux oiseaux masqués. L'un d'eux porte une huppe comme Jason?
Picpoul regarde avec un oeil d'envie la huppe de Jason. «Ma coiffeuse devra m'arranger les plumes comme ça, la prochaine fois. C'est un style très original», se dit-il.
- Je ne les connais pas, réfléchit Picboul, mais je peux sans doute vous aider.
- Ah oui? Et comment?
- Grâce à la télégraphie.
- La quoi?
- La télégraphie, mes amis. Je peux, sans me déplacer, prendre contact avec les pics du coin. Écoutez bien!
Avec son bec, Picpoul tape des signaux en morse, en tambourinant contre la tôle: ·--·,·---, -·-·,-···, ---, ··-, ·-··.
Le tambourinage se poursuit encore un bon moment. Puis le silence retombe. Grognon et Jason se regardent d'un air perplexe.
- As-tu compris quelque chose, Jason?
- Il a fait quelque chose comme:·--·, ·---, -·-·...
- Oui, oui, je sais, mais as-tu compris les signaux qu'il a envoyés?
- À vrai dire, non, Grognon.
- Moi non plus.
Picpoul les informe:
- J'ai demandé aux pics s'ils connaissaient les oiseaux dont vous m'avez parlé. Une réponse ne devrait pas tarder à arriver.
- Je le trouve bizarre, chuchote Jason à l'oreille du gros-bec. Et s'il avait prévenu son complice?
Entre-temps, Grognon explore le sol autour du poteau de téléphone. Il trouve uniquement des coquilles blanches.
- C'étaient les coquilles de ta portée? demande Grognon.
- Oui.
Le gros-bec a maintenant la ferme conviction de l'innocence du pic.
Picpoul et Jason rejoignent Grognon au sol. Le gros-bec gobe deux petits cailloux. Le geste inattendu de Grognon surprend le pic.
- Tu manges des cailloux, Grognon? C'est pourtant indigeste.
- C'est à cause de mes problèmes de digestion. Cela m'aide à broyer les graines de tournesol que j'ai avalées tout à l'heure.
Un tambourinage lointain traverse le village. Picpoul tend l'oreille, puis traduit le message.
- Les oiseaux que vous recherchez vivent dans le marais.
- Ce moyen de communication est vraiment génial, Picpoul. Tu nous as rendu un fier service, merci!
Grognon et Jason se rendent au marais. Il y fait humide. Une étendue d'eau stagnante abrite des quenouilles, des roseaux, des nénuphars et des milliers d'insectes.
Tout à coup, un gros oiseau brun masqué s'abat sur une libellule. Il la happe en plein vol dans un claquement du bec. Un petit oiseau jaune masqué imite aussitôt les gestes de l'autre.
- Les voici, Grognon.
- Mais ils ont encore leur costume de bandit!
- C'est simple, Grognon. Ils ont dû oublier de l'enlever.
- Que je suis bête! J'aurais dû y penser moi-même. Ce qu'ils sont stupides, ces deux-là!
- On leur saute dessus?
- Ouais. Allons-y!
Grognon et Jason foncent sur les deux oiseaux et les renversent. Le gros-bec essaie d'enlever le masque de l'oiseau jaune. Quant à l'oiseau brun, il résiste aux attaques du geai.
- Arrête! Tu me fais mal, braille l'oiseau jaune.
- Mais ton masque te colle aux plumes! dit Grognon surpris.
- Qu'imaginais-tu, espèce d'idiot?
Grognon fait signe à Jason de mettre un terme au combat.
- Excusez-nous.
- En voilà des manières! peste l'oiseau brun.
- On vous prenait pour des bandits. Vous savez avec vos masques...
- Ce n'est pas parce que nous portons un masque que nous sommes forcément des bandits: nous sommes nés masqués. Vous êtes vraiment de drôles de pistolets, tous les deux.
- Nous nous sommes trompés. Veuillez accepter nos excuses.
- C'est bon! Qui êtes-vous pour nous attaquer ainsi?
- Je suis Grognon, le gros-bec, inspecteur. Voici mon assistant, Jason, le geai. Nous menons une enquête. Et vous, qui êtes-vous?
- Je suis Viateur, le jaseur des cèdres. Elle, c'est mon amie Yvette, la fauvette masquée. Quel genre d'enquête menez-vous?
- Nous recherchons ceux qui ont volé les oeufs de Robin, le merle. D'après nos informations, on vous aurait vus ce matin à la mangeoire. Que fabriquiez-vous là?
- Je vérifiais si les fruits du sorbier étaient mûrs, répond Viateur. Yvette m'a accompagné, mais elle ne se nourrit que d'insectes.
- Et toi?
- De fruits, d'insectes et de bourgeons.
- Pouvons-nous inspecter vos nids?
- Pas de problème. Nous n'avons rien à cacher.
Grognon et Jason visitent d'abord le nid de Viateur qu'il a construit sur la branche d'un bouleau. Des brindilles, des plantes, des racines, du lichen, de l'écorce, du papier, du chiffon et une ficelle forment son gros nid. «Peuh! C'est un vrai dépotoir, ici!», se dit Grognon. Les quatre oeufs bleu verdâtre de Viateur sont piqués de taches noires. Point de trace de coquilles bleues.
La petite bande d'oiseaux se déplace ensuite. Le nid d'Yvette est caché à même le sol, sous un buisson nain. Il se compose de plantes, d'herbe et de feuilles. Des poils d'animaux et de l'herbe en garnissent l'intérieur. Les trois oeufs blancs d'Yvette sont criblés de petits points bruns. Là non plus, aucune trace de coquilles bleues.
L'inspecteur et son assistant s'en retournent bredouilles à la mangeoire.
- Avez-vous trouvé les oiseaux masqués? s'informe Adèle.
- Oui, mais nous les croyons innocents, déclare Grognon. Et vous, avez-vous fait d'autres rencontres pendant ce temps?
- Non... Mais j'y pense, Grognon! Nous avons oublié le chat du voisin.
- Oui, bien sûr! Comment se peut-il que nous n'ayons pas pensé à Frisson, le chat? dit Jason.
- Mais prenez garde! Ce chat est très dangereux. J'ai appris qu'il suit des cours par correspondance sur l'hypnotisme, précise Adèle.
- Je n'ai jamais entendu parler de cela, avoue Grognon.
- Moi non plus, ajoute Jason.
- En gros, voici comment l'hypnotisme fonctionne, explique Adèle. Le regard de Frisson s'accroche à celui d'un animal qu'il veut manger. Il le fixe sans bouger. Puis le chat roule des yeux. Sa victime commence alors à voir trouble. Et il tombe ensuite dans les pommes.
- Hein?
- Aussi faut-il éviter son regard à tout prix, sinon vous êtes cuits.
Les oiseaux sont tout oreilles. Adèle continue à donner des précisions.
- Depuis que Frisson suit ses cours, il s'exerce sur le poisson rouge de l'aquarium. Et le poisson se fait attraper à tous coups: il coule à pic.
- Ce chat savant est un danger public, résume Grognon.
Peut-être! Mais les oiseaux ne savent pas que le chat joue parfois de malchance. Sa dernière mésaventure remonte à l'hiver passé quand son maître a acheté un coucou. Après avoir consacré la journée à observer l'oiseau, le chat éprouva soudain le désir de le capturer. Mais, à sa grande surprise, l'oiseau avait disparu le lendemain. Sur la palette vide du pendule se trouvait le message suivant: «Il fait trop froid ici. Je suis parti en Floride. Je reviendrai au printemps prochain.» L'oiseau n'est cependant jamais revenu...
- Qu'est-ce qu'on fait, Grognon?
- Je ne sais pas. Ça semble dangereux de lui rendre visite.
- Je n'ai pas peur, moi. Je vais aller le voir, fanfaronne Jason.
L'audace de Jason laisse les oiseaux perplexes. Tous savent que les geais sont de grands peureux!
- Bon! Dans ce cas, je vais t'accompagner, grogne Grognon.
- Euh! il y a un problème, se dégonfle tout à coup Jason.
- Lequel?
- Comment communiquer avec lui? Il parle en chat.
- Écoute, Jason! On n'a pas besoin de lui parler. On visite juste les lieux à la recherche d'indices.
- Et si on ne trouve rien?
- Dans ce cas-là, on ajustera notre tir.