LE MOT QUI TOURNA LE MOT À L'ENVERS

Robert J. Wieland

(Catalogue)

"Quand je parlerais les langues des hommes et celles des anges, si je n'ai pas l'amour, je ne suis qu'un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit.

Quand j'aurais le don de prophétie, et quand je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j'aurais toute la foi jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien.

Quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas l'amour, cela ne me sert de rien.

L'amour est patient; l'amour est plein de bonté. L'amour n'est point envieux, il n'est pas présomptueux, il ne s'enfle pas d'orgueil. Il ne fait rien de malhonnête; il ne s'aigrit pas; il ne soupçonne pas le mal. Il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il met sa joie dans la vérité.

L'amour excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout.

L'amour ne périt jamais."

1 Corinthiens 13: 1 à 8

Il y eut jadis, en Palestine, un petit groupe d'hommes qui bouleversa le monde en ce temps-là. Ces hommes étaient porteurs d'un message se résumant en un mot dont la signification restait obscure. Les habitants de Thessalonique -ville grecque- confessèrent l'impact de sa proclamation en s'exclamant: "Ces gens qui ont bouleversé le monde sont aussi venus ici!" Actes 17: 6. Il s'agissait des apôtres Paul et Jean, messagers du Christ.

Le mot qui était à l'origine de ce fait était alors peu connu dans le monde gréco-romain. Il provenait du terme grec "agapé" signifiant "amour". Il possédait une telle force qu'il divisa en deux camps les gens qui l'entendaient: l'un pour, l'autre conte. Ceux qui l'acceptèrent furent aussitôt transformés en heureux serviteurs de Jésus-Christ, prêts à délaisser leurs biens de ce monde et à souffrir pour Lui la prison, la torture et la mort. Par contre, ceux qui ne l'acceptaient pas devinrent de cruels persécuteurs des premiers, ceux qui avaient accepté ce nouveau concept de l'amour. Personne, après avoir entendu ce message, ne pouvait rester tel qu'il était auparavant.

C'était comme une mystérieuse "bombe spirituelle", renversant toutes les philosophies et éthiques de cette époque concernant l'amour. Elle surprit tout le monde, ceux qui l'adoptèrent comme ceux qui la rejetèrent. Non que les anciens n'avaient aucune idée sur l'amour; ils en parlaient beaucoup. Les grecs avaient trois ou quatre mots différents pour expliquer l'amour. Mais le sens du mot "agapé" les renversait tous. Il montrait qu'aucun n'était le véritable amour.

Alors, l'humanité réalisa que ce qu'elle avait qualifié d'amour n'était en fait que de l'égoïsme. L'âme humaine se trouvait dévoilée par cette révélation. Ceux qui l'acceptèrent devinrent eux-mêmes des porteurs d'agapé; quant aux autres, leur forme de piété hypocrite étant ainsi dénoncée ils devenaient ennemis de la nouvelle foi. Personne ne pouvait changer cela. Le temps était arrivé où cette idée allait jouer un grand rôle.

Lorsque l'apôtre Jean écrivit ces mots "DIEU EST AMOUR" (1 Jean 4: 8) il avait choisi le mot "agapé" comme étant le seul adapté à sa pensée. Le mot le plus communément utilisé était le mot "éros". Lui aussi possédait une force semblable à l'eau d'un barrage défoncé qui balaie les obstacles de la volonté et de la sagesse humaines. Il est commun à toute l'humanité. C'est l'amour de la mère pour son enfant, des enfants pour les parents, amour souvent noble. Puis c'est l'amitié entre amis. C'est même l'amour qui unit en un profond mystère un homme et une femme.

L'amour de Dieu peut-il se qualifier par "éros"? se demandèrent les païens. Oui, répondirent les philosophes, y compris Platon, car éros est plus fort que la volonté de l'homme. Il engendre de nouvelles générations, unit les familles; il se trouve par nature dans chaque cœur humain; ce doit donc être l'étincelle de la divinité.

Pour les anciens, l'amour était comme pour nous aujourd'hui, "le doux mystère de la vie", ce qui rend l'existence supportable. Platon espérait transformer le monde par une sorte "d'éros céleste". Dans notre langage moderne, tout ce qui vient d'éros à une origine sexuelle. Platon aurait voulu aller au-delà et élever le sens de ce mot. Il pensait que l'homme pourrait sortir du terre à terre de la sensualité pour atteindre les sommets de l'âme. Cependant, Jean n'écrivit pas : "Dieu est éros". Ces deux conceptions de l'amour sont aussi éloignées l'une de l'autre que l'orient ne l'est de l'occident.

La pensée de l'apôtre était révolutionnaire au moins sous trois angles différents:

1. Celui qui a connu "agapé" possède de l'assurance au jour du jugement (Voir 1 Jean 4: 17). Sans ce mot, l'homme se présenterait avec crainte au jugement dernier. Avec lui, il peut marcher devant Dieu sans crainte et sans honte, dans la confiance.

2. "La crainte n'est pas dans l'amour, mais l'amour parfait bannit la crainte; car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n'est pas parfait dans l'amour."(1 Jean 4: 18). La peur et l'inquiétude se trouvent dans le cœur de l'homme depuis la chute. Quand elles sont trop intenses, elles empêchent même le bon fonctionnement de nos organes. Des années peuvent s'écouler avant que le mal soit discerné au point de ruiner le corps entier. Alors les médecins se mettent à l'œuvre pour réparer ce qu'agapé aurait préservé.

3. Les plus nobles idéaux de l'humanité ne sont rien sans l'agapé, dit Paul dans le fameux chapitre 13 de la lettre aux Corinthiens. On peut "parler les langues des hommes et des anges, avoir des dons prophétiques, comprendre tous les mystères de la connaissance, avoir la foi jusqu'à transporter des montagnes, donner tous ses biens et même son corps pour être brûlé"; tout cela sans l'agapé ne sert à rien! L'agapé est supérieur à tout cela car il ne périt jamais.

 

A - L'amour humain ordinaire est dépendant de la beauté ou de la bonté de l'objet aimé.

Tout naturellement, nous choisissons pour amis des gens sympathiques. Nous sommes amoureux d'une personne du sexe opposé qui est jolie, intelligente, gaie et attirante. Toutefois, nous nous détournons de ceux qui sont laids, renfrognés, ignorants ou agressifs. Au contraire, l'agapé n'est pas suscité par la beauté ou la bonté de l'objet. Il se tient souverain et indépendant. Les anciens se racontaient une histoire pour démontrer un amour sublime. Admète était un beau jeune homme, noble, possédant une quantité de qualités personnelles. Une maladie l'atteignit; l'oracle la décréta fatale. S'il voulait échapper à la mort, il fallait que quelqu'un consentit à mourir à sa place. Ses amis se rendirent visite, se demandant l'un à l'autre : "Veux-tu mourir pour Admète?" Tous étaient d'accord pour reconnaître en lui un être exceptionnel, mais de la à mourir pour lui!... Ses parents eux-mêmes furent interrogés. Ils répondirent: "Nous aimons beaucoup notre fils, mais nous ne pouvons pas mourir pour lui!" Finalement ses amis parlèrent à une jolie jeune fille, Alceste, qui aimait Admète. Elle répondit: "Oui, parce qu'il est un homme de bien et que le monde a grandement besoin de lui, je suis prêtre à donner ma vie pour lui."

Les philosophes s'écrièrent: "Voilà vraiment l'amour! Être prête à se sacrifier pour un homme bon!" Imaginez leur étonnement quand les apôtres vinrent leur dire qu'ils avaient tort. ! "A peine mourrait-on pour un juste? Quelqu'un, peut-être, mourrait pour un homme de bien. Mais Dieu prouve son amour (agapé) envers nous en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous... lorsque nous étions ennemis." (Romains 5: 7 à 10). Un tel message va captiver votre âme ou vous rendre pire que vous n'êtes.

 

B - L'amour humain naturel répond à un besoin.

Celui qui l'éprouve se sent pauvre et vide en lui-même et recherche quelqu'un à aimer pour enrichir sa propre vie. Le mari aime son épouse parce qu'il a besoin d'elle et réciproquement. Deux amis s'aiment parce qu'ils ont besoin d'un de l'autre. Séparés, ils ressentent un vide. Chacun a besoin de trouver un être à aimer en face de lui.

Mais agapé ne provient pas d'un besoin de celui qui l'éprouve. L'Évangile nous apprend que ce n'est pas parce que Dieu a besoin de nous qu'Il nous aime, mais parce qu'Il est agapé. "Car vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui pour vous s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin que par sa pauvreté vous fussiez enrichis" (2 Corinthiens 8: 9). Nous sommes bouleversés aujourd'hui à la pensée d'un amour "qui ne cherche point son propre intérêt" (1 Corinthiens 13: 5). Même les églises ont tendance à présenter l'amour de Dieu comme une satisfaction dont Il a besoin, comme une motivation inspirée par un instinct divin. Nous disons que Dieu a trouvé en nous une "valeur cachée" et qu'Il est gagnant en nous sauvant.

En disant cela, nous Lui prêtons nos propres vues. Plusieurs cherchent en Dieu les bénédictions matérielles. Puis, ils pensent obtenir une "grande récompense". Leurs motivations restent égocentriques. Quand l'agapé transperce leur âme, leur réaction est semblable à celle des apôtres et de leurs contemporains.

 

C - L'amour humain repose sur le sens des valeurs.

Il existe encore en Afrique des hommes qui achètent leurs épouses. C'est un reflet subtil de pensée de base de bien des cultures. Le coût de l'épouse est calculé sur les frais payés par les parents pour pourvoir à son éducation. Pour une fille illettrée, quelques vaches suffisent; pour une diplômée universitaire, il faut une somme considérable. Nous établissons une hiérarchie des êtres humains. La preuve en est que nous saluons avec moins de courtoisie un éboueur qu'un maire ou un premier ministre. Le niveau de notre amour est bien bas. "Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous? Les publicains aussi n'agissent-ils pas de même? Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d'extraordinaire? Les païens aussi n'agissent-ils pas de même?" demanda Jésus. (Matthieu 5: 46 et 47).

L'agapé possède en comparaison, une motivation différente. Plutôt que de dépendre de la valeur de son objet, il crée en cet objet une valeur nouvelle.

Supposons que je tienne en main une pierre ramassée dans un champ. J'essaie de la vendre mais personne n'en veut car elle est sans valeur. Supposons que je tienne cette pierre sur mon cœur comme si c'était un bébé et supposons que je l'aime tant que tout à coup elle se transforme miraculeusement en un morceau d'or. Je fais alors fortune.

C'est une illustration de la façon dont agit agapé. Nous n'avons aucune autre valeur marchande que celle des composants chimiques qui forment notre corps. Par contre, l'amour de Dieu nous transforme et nous donne une valeur équivalente à celle de Son Fils. "Je rendrai les hommes plus rares que l'or d'Ophir." (Esaïe 13: 12).

Sans doute, connaissez-vous des exemples de personnes inutiles qui furent transformées en êtres de grande valeur. John Newton (1725-1807) en fut un. Errant sans Dieu, il était impliqué dans le marché d'esclaves africains. Il était sans-cœur, ivrogne, et un jour il devint la victime de ceux qu'il persécutait. Après plusieurs années misérables passées en Afrique, il fut touché par l'agapé. Après avoir été ainsi libéré, il regagna son pays natal et renonça à toute pratique immorale. Il devint un messager de l'Évangile. Des milliers de gens se souviennent de lui grâce à l'hymne qu'il a composé et révèle qu'il était, lui aussi devenu "de l'or fin".

Grâce infinie de notre Dieu qui, un jour, m'a sauvé!

J'étais perdu, errant de lieu en lieu quand Il m'a retrouvé.

Dans mes épreuves et mes labeurs, suffisante est sa grâce.

Je peux toujours compter sur sa faveur à chaque heure qui passe.

 

D - L'amour humain naturel va à la recherche de Dieu.

Toutes les religions païennes pensent que Dieu ne s'inquiète pas de la guérison des humains. Un certain nombre d'hommes pensent qu'Il joue à cache-cache avec ceux qui Le cherchent et que, seuls ceux qui ont assez d'intelligence et de sagesse, peuvent Le découvrir. Des multitudes font des pèlerinages à La Mecque, à Rome, à Lourdes ou à Jérusalem dans l'espoir de "Le" trouver. Les Grecs d'autrefois ont construit de magnifiques temples de marbre afin d'y chercher Dieu.

L'agapé s'oppose à cela et démontre l'inutilité de ces procédés. Ce ne sont pas les humains qui cherchent Dieu, mais c'est Dieu qui cherche l'homme: "Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu" (Luc 19: 10). Le Bon Berger a laissé ses 99 brebis et il est parti, au risque de sa propre vie, à la recherche de la brebis perdue. La femme alluma la lampe et chercha la drachme perdue dans les balayures jusqu'à ce quelle la trouve; l'Esprit de Dieu chercha le cœur de l'enfant prodigue et le ramena chez lui. Par contre, il n'y a aucune histoire dans la Bible racontant qu'une brebis doit chercher le Berger.

L'apôtre Paul était fortifié par cette grande idée. "Mais voici comment parle la justice qui vient de la foi. Ne dis pas en ton cœur: Qui montera au ciel? C'est en faire descendre Christ, ou: Qui descendra dans l'abîme? C'est faire remonter Christ d'entre les morts. Que dit-elle donc? La parole est près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur. Or, c'est la parole de la foi que nous prêchons." (Romains 10: 6 à 8). Cette parole de foi est en relation avec l'agapé comme la cire avec le sceau qui l'imprime. La foi est la réponse du cœur humain contrit face à l'agapé; et la force de Paul consiste en la proximité de cette merveilleuse parole. Ceci constitue l'évidence même que Dieu vous a cherchés et trouvés là où vous étiez cachés. Le Bon Berger est continuellement à notre recherche.

 

E - Notre amour humain naturel veut toujours "monter plus haut".

L'homme cherche le progrès. Chaque élève de première année veut passer en seconde année; l'enfant de onze ans dit qu'il en aura bientôt douze. Tous préfèrent la promotion dans leur travail plutôt que le renvoi. Celui qui fait de la politique aimerait devenir préfet ou député. Qui a entendu parler d'un premier ministre qui se résigne à n'être qu'un serviteur dans un village? La pensée de Platon sur l'amour n'aurait pu imaginer cela. Nous non plus d'ailleurs!

C'est ce qui étonna le monde autrefois: Quelqu'un de plus haut placé qu'un président ou un roi accepta de descendre de plus en plus bas jusqu'à la torture et la mort. Nous trouvons le meilleur résumé de ce fait dans Philippiens 2: 5 à 8 où Paul montre que le Christ descendit sept degrés pour nous démontrer son agapé.

1. "Existant en forme de Dieu, il n'a point regardé son égalité avec Dieu comme une proie à arracher." Quand nous atteignons une position élevée, par nature, nous ne cherchons pas à en descendre. Mais le Fils de Dieu délaissa volontairement sa couronne, motivé par agapé.

2. "Il s'est dépouillé lui-même". En tant qu'être humains, nous combattons jusqu'à la mort pour notre honneur ou notre réputation. Nos actes héroïques ne sont guères semblables à ceux de Christ, nous ne nous dépouillons pas de nous-mêmes, car quelqu'un peut livrer son corps pour être brûlé (1 Corinthiens 13: 3) et manquer d'agapé. Dans cette expression, Paul entendait que Christ avait volontairement renoncé pour l'éternité à quelque chose de précieux, ce qui aurait été impossible sans agapé.

3. Il "prit la forme d'un serviteur (esclave)." Pouvez-vous imaginer une vie plus terne que celle de l'esclave qui travaille sans salaire et sans remerciements? Les anges sont appelés: "des esprits qui exercent un ministère" pour nous (Hébreux 1: 14). Si Jésus était devenu comme l'un d'eux, cela aurait déjà constitué de sa part une grande condescendance, car il était leur chef. Or, il descendit plus bas encore.

4. Il fut semblable aux hommes, "fait de peu inférieur à Dieu" (Psaume 8: 6). Non pas dans la splendeur majestueuse d'Adam à la création, mais Il vint au niveau de l'homme de la rue de l'époque gréco-romaine. Ainsi, il n'existe personne qui soit tombé si bas que Jésus ne puisse s'approcher de lui et le récupérer. Dès que l'agapé envahit notre cœur, tout orgueil s'effondre sous sa splendeur. Il continue son oeuvre en nous et nous conduit à atteindre les cœurs des hommes.

5. Il a "paru comme un simple homme, il s'est humilié lui-même". C'est dire qu'il n'est pas né dans la richesse ou la beauté d'un palais comme ceux de César et d'Hérode. Sa mère lui donna la vie dans la puanteur d'une étable, enveloppé de guenilles et étendu dans une auge d'âne. Sa vie fut sans honneur, sans un oreiller pour sa tête, comme un vagabond. Mais ce ne fut pas encore suffisant.

6. "Se rendant obéissant jusqu'à la mort". Ce n'était pas une attitude suicidaire. Aucun suicide n'est "obéissant jusqu'à la mort". Si c'était le cas, le candidat au suicide ferait face à la réalité. Le suicide est une désobéissance. La mort dans laquelle Jésus fut obéissant n'était pas une évasion devant ses responsabilités. Elle n'était pas semblable à celle de Socrate, buvant de la ciguë. Ce fut un voyage en enfer, la condamnation consciente de chaque cellule de son corps, sous le regard de Dieu. Le septième et dernier pas va démontrer jusqu'à quel point Il pouvait descendre.

7. "même jusqu'à la mort de la croix." Au temps de Jésus, cette mort était la plus humiliante et dépourvue de toute espérance. Elle n'était pas seulement une invention cruelle et honteuse: être là étendu, nu, devant une foule qui se repaissait du spectacle de l'agonie du crucifié. Par surcroît, cette mort sur la croix signifiait une horreur plus grande encore: la malédiction du ciel pour le crucifié. Moïse avait déclaré que celui qui est pendu sur le bois est un objet de malédiction devant Dieu (Deutéronome 21: 23). Bien entendu, tous y croyaient. Si un criminel était condamné à mourir par l'épée ou à être brûlé vif, il pouvait encore prier et espérer que Dieu lui pardonnerait, en exauçant ses prières. Ainsi, il serait mort avec le réconfort de la présence de Dieu.

Mais si le juge disait: "Tu mourras pendu au bois", toute espérance disparaissait. Normalement, Dieu devait tourner le dos à ce criminel pour l'éternité. C'est pourquoi Paul écrivit que "Christ est devenu malédiction pour nous, car il est écrit: Maudit quiconque est pendu au bois." (Galates 3: 13). La mort dont Jésus mourut est la mort du perdu, de celui qui doit mourir sans espérance, celle que l'Apocalypse (2: 11) appelle "la seconde mort". Il est certain que cela fut mille fois pire pour Christ que pour les hommes, car sa sensibilité à la souffrance était infiniment plus grande que celle d'aucun être humain.

Représentez-vous un homme cloué sur une croix. La foule le raille comme on le fait dans un stade. Il est comme la carcasse d'une vieille automobile sur laquelle les enfants lancent des pierres, un rejeton abandonné à la moquerie et à la vindicte de l'humanité. Ressentir de la pitié ou de la sympathie pour lui, ce serait être en désaccord avec le jugement de Dieu à son égard. Pour être d'accord avec le jugement de Dieu, il faut lui lancer des œufs et des fruits pourris. Telle était la façon de penser en ce temps-là.

C'est à cette mort-là que Jésus se soumit avec obéissance. Dans sa souffrance, Il s'écria d'une voix forte: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" (Matthieu 27: 46). Réfléchissez à cela avec révérence et dans le silence. Vous et moi aurions dû être cloués à cette croix si Jésus avait refusé de l'être pour nous....

La pensée d'agapé s'éteint chez beaucoup de prétendus chrétiens parce qu'ils ont adopté des notions païennes. C'est le cas, par exemple, de la doctrine de l'immortalité naturelle de l'âme. S'il n'y a pas de mort véritable, Christ n'est donc pas réellement mort. S'il est allé au paradis le jour même de son trépas -comme le croient ceux qui sont trompés par la fausse position d'une virgule dans Luc 23: 43- alors Jésus ne se serait pas réellement vidé de lui-même. Il n'aurait pas connu la mort équivalente à la seconde mort.

La doctrine de l'immortalité de l'âme veut jouer une mauvaise farce au sacrifice du Christ et le transformer en un acte théâtral. Jésus aurait "semblé" endurer la colère de Dieu pour les pécheurs, tout en se fortifiant par la pensée de la récompense. Non! Quand l'obscurité couvrit le Calvaire, la lumière du visage de Son Père lui fut réellement retirée. Son cri: "Pourquoi m'as-tu abandonné" n'est pas une répartie d'acteur! Esaïe avait raison: "Il s'est livré lui-même à la mort" (Esaïe 53: 12), même à la deuxième mort" (Apocalypse 2: 11).

L'infiltration de cette erreur venant du paganisme date du temps des apôtres, car Jésus avait averti les sept églises symboliques d'Apocalypse en ces termes: "vous avez abandonné votre premier amour (agapé)"(Apocalypse 2: 4).

Quand l'ennemi de Dieu réalisa le pouvoir de cette idée d'agapé, il entreprit rapidement de faire sombrer l'église dans l'apostasie sur ce point essentiel. Nous pouvons suivre pas à pas l'abandon progressif de l'enseignement de l'agapé par les pères de l'église. Augustin en développa une synthèse, pénétrée de l'amour égocentrique, fondement de l'église médiévale. Luther essaya bien de replacer l'agapé à sa juste place, mais malheureusement ses successeurs retournèrent à la doctrine de l'immortalité naturelle et une fois de plus l'agapé s'éteignit. Le monde d'aujourd'hui a besoin qu'il revive.

Nous voyons nettement la grande distance existant entre l'agapé et l'amour humain. Quand le premier amour ne se fortifie pas par la présence de l'agapé, ce n'est que de l'égoïsme déguisé. Même l'amour parental peut n'être que de l'égocentrisme. L'épidémie d'infidélités et de divorces au sein des couples montre bien l'aspect égocentrique de l'amour sexuel. Même l'amitié est basée sur les mêmes motivations. Seul, l'agapé "ne cherche point son propre intérêt" et "ne périt jamais." (1 Corinthiens 13: 5 et 8).

Après tout cela, un contraste demeure entre l'amour humain et l'amour de Dieu. L'amour désire la récompense de la vie éternelle. L'agapé a le courage d'y renoncer. Cette différence bouleversa toutes les valeurs de l'ancien monde.

Dieu ne nous a pas envoyé une page d'encyclopédie pour nous expliquer ce qu'était l'agapé. Au lieu de prendre une écritoire, Il a envoyé Son Fils mourir sur une croix, afin que nous puissions voir cet amour de nos yeux. Sa pleine signification se situe au niveau du sacrifice infini, complet, éternel. Christ est mort, non parce qu'Il le méritait, mais pour gagner notre cause. Pendant ses dernières heures, cloué à cette croix, dans les ténèbres, Il a bu jusqu'à la lie la coupe des malheurs humains. La lumière qui l'accompagnait dans son cheminement terrestre avait disparu. Toute idée de récompense avait disparu de Son esprit. Il ne voyait pas au-delà de la mort affreuse qui était devant Lui. Dieu est agapé et Christ est Dieu. Le voici mourant de la mort qui aurait dû être la nôtre. Le fait que le Père a rappelé le Messie à la vie le troisième jour n'enlève rien à la réalité de la soumission de Jésus sur la croix pour nous.

Nous voici dans une situation pénible. Il n'est pas suffisant de dire: "Très bien, je suis content qu'il s'en soit tiré avec succès, mais de là à me dire que je doive moi aussi aimer avec agapé, c'est impossible!"

Oui, même les pécheurs mortels et égocentriques que nous sommes doivent apprendre à aimer avec agapé. L'apôtre Jean a dit : "L'amour (agapé) est de Dieu, et celui qui aime (avec agapé) est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n'aime pas (avec agapé) ne connaît pas Dieu; car Dieu est amour (agapé)."(1 Jean 4: 7 et 8).

Moïse fut un parfait exemple de la pratique de l'agapé. Dieu le mit à l'épreuve un jour en lui proposant, alors qu'Israël avait adoré le veau d'or, de le détruire et de susciter un nouveau peuple qui descendrait de lui. Dès lors, Moïse comprit que le péché d'Israël était trop grand pour être pardonné. La possibilité de remplacer Abraham, Isaac et Jacob comme père d'une nouvelle nation fut une tentation réelle pour lui. Il se trouvait face à face avec un Dieu qui l'aimait mais qui était prêt à détruire Israël. Supplier Dieu pour obtenir le pardon d'Israël peut sembler inutile. Que fait-il alors? Accepte-t-il l'honneur proposé? Laisse-t-il périr Israël?

Moïse était déchiré au plus profond de lui-même. Jamais il n'avait autant pleuré de toute sa vie. Écoutez les sanglots de ce mortel! Comme nous, il va essayer de fléchir Dieu: "Ah, ce peuple a commis un grand péché! Ils se sont faits un dieu d'or. Pardonne maintenant leur péché!" Moïse voit la colère de Dieu qui va tomber sur Israël. Il choisit de partager la colère de Dieu qui va tomber sur Israël. Il choisit de partager son sort: "Efface-moi plutôt de ton livre de vie!" (Exode 32: 31 et 32).

Moïse soutint l'épreuve. Nous imaginons facilement le Seigneur prenant dans ses bras son serviteur brisé par cette lutte. Dieu avait trouvé un homme selon son cœur. Paul éprouva le même agapé. Il souhaita être condamné pour la cause de son peuple rebelle (Romains 9: 1 à 3). Celui qui comprend pleinement la croix, constate que le miracle d'agapé se reproduit en lui. C'est ainsi que le monde sera de nouveau tourné sens dessus dessous. "Car l'amour du Christ nous presse.... afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux." (2 Corinthiens 5: 14 et 15 ).

Si nous ne comprenons pas le sens de l'agapé, le centre même de l'Évangile nous échappe. De plus, nous demeurons dans l'incompréhension vis-à-vis de "la longueur, la largeur, la profondeur et la hauteur de l'agapé de Christ" (Éphésiens 3: 18 et 19) qui doit être apprécié par le cœur.

Sans cette appréciation, il ne peut y avoir de véritable justification par la foi.

Grâce aux apôtres qui parcoururent le monde, la croix devint le centre de cette vérité. C'était une révélation pour chaque homme qui se trouvait ainsi jugé par ce critère. La croix est la sublimation de l'amour (agapé). C'est pourquoi ce mot tourna le monde sens dessus dessous. Laissez-le aussi bouleverser votre vie!

 

Robert J. Wieland

Cet article parut dans la revue "These Times", en Septembre 1982.

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