BOROBOUDOUR




La route est douce depuis Jogjakarta jusqu'à Boroboudour. La route a toujours été douce.

On sent l'inscription du tracé routier dans le territoire de la plaine du Keda de longue date, depuis le temps des pélerinages, depuis le temps des royaumes bouddhistes de la dynastie des Sailendra du centre de Java.

Bordée de grands arbres développant une ombre protectrice au voyageur, la route s'étale dans un paysage volcanique crénelé. Le grand volcan Merapi et son frère jumeau Merbabu présentent longuement dans le paysage une double silhouette forte se dégageant parmi les chaînes de montagnes plus aplaties issues également de l'activité volcanique mais d'une autre période.

Au sommet du Mérapi une petite fumée blanche s'échappe et semble rester attachée au volcan.

Le soleil du matin avait nettoyé le ciel de toutes ses impuretés, la mousson pour autant réapparaissait par nappes nuageuses. Des lits de nuages se reformaient à basse altitude dans un ciel bleu cru semblant ajouter de nouveaux éléments géologiques aux reliefs déjà présents. Tantôt tel relief était doublé et dominé par ce qui pouvait apparaître comme une nouvelle chaîne de montagne d'une autre échelle, tantôt tels sommets disparaissent derrière une nappe qui semblait refermer l'horizon, là où il n'y avait rien quelques instants auparavant. Par moment le volcan, dont le profil avait déjà changé plusieurs fois en raison du déplacement, disparaissait ou se recomposait avec des éléments nuageux plus ou moins importants. Le paysage n'est pas seulement en constante transformation en raison du déplacement, mais aussi en raison de l'introduction de nappes nuageuses denses et rapides au profil montagneux en superposition aux montagnes existantes. Quand le volcan disparut du champ visuel, c'est comme si sa disparition avait déjà été annoncée, c'est comme s'il avait quelque part déjà disparu ou comme s'il avait déjà indiqué sa disparition par épisode. Avait-il jamais été là où on croyait l'avoir vu ? Quand ? Avait-il seulement existé ? N'y avait-il pas là un grand théâtre d'illusions ?

Apparition, disparition, réapparition, transformation, illusion, décidément comme ce territoire se prêtait bien à accueillir un site bouddhique.

Longtemps après avoir oublié Merapi et Merbabu, c' est le volcan Sumbing qui dresse au loin sa sihouette. A mesure des croisements et bifurcations, la route de moins en moins large se fait plus douce encore, épousant les accidents du relief, retrouvant un tracé sinueux, un trafic faible, comme il en fut probablement autrefois.

Dans les livres, les bas reliefs de Boroboudour m'avaient déjà montré des buffles, des chariots, des paysans au travail, des processions, des chevaux et des éléphants. Tous équipages qui avaient dû un jour se trouver là et qui semblaient par endroit être encore présents.

Par chance, la saison de pluies avait éloigné ces hordes de touristes. J'arrivais dans un site vide, dans l'indifférence des quelques marchants et pseudo guides qui d'habitude prennent d'assaut le moindre visiteur.

Le monument se dressait maintenant devant moi au détour de l'allée principale avec cet escalier principal qui semblait dire " viens ! ", " monte ! ". En deux mots, le monument à une forme pyramidale et est composé de quatre terrasses bordées de part et d'autre de reliefs et est couronné par trois terrasses formées de cercles concentriques de petit stupa renfermant chacun un bouddha autour d'un stupa géant central, vide. La base (largement cachée par le rajout d'un socle formant contrefort) présente une série de bas reliefs relatant les différents états de la vie courante. Il faut accéder à la première pour découvrir les reliefs représentant la vie du bouddha historique, but de mon voyage. Tout y est dessiné et sculpté : l'éléphant blanc et la reine Maya, le roi Suddhodana, la naissance, les palais dorés, les quatre sorties, la fuite du palais et le cheval Kanthaka, les cheveux coupés et les vêtements échangés, la recherche des enseignements successifs, les cinq disciples, l'illumination, l'enseignement de la loi …

La pierre de lave noire à gros grain (andésite) présente des nuances jaunes, ocres et parfois violacées.

La monumentalité de cet édifice disparaît derrière la volonté réellement didactique de montrer, d'apprendre, d'enseigner par l'image et par le cheminement, derrière cette proximité que les reliefs cherchent à établir entre le spectateur et les grandes thématiques bouddhiques, derrière cette véritable " mise en espace " de la philosophie bouddhique. Ce monument se lit comme un livre, se parcoure comme un promenade cinétique intellectuelle et spirituelle avec une rare facilité. Il me semble que tout cela ne se retrouve nulle part ailleurs.


















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