Dans les débats sur l'avenir politique du Québec, les arguments de prospectives économiques ont été principalement utilisés par les adversaires de la souveraineté pour convaincre les Québécois des effets néfastes du changement politique. On a fait valoir que l'indépendance aurait des effets catastrophiques sur l'économie québécoise. À ces scénarios catastrophiques, les partisans de la souveraineté opposaient une vision optimiste en soutenant qu'après une période de transition et d'ajustements, l'indépendance profiterait au développement économique du Québec.
Dans le cadre d'une campagne référendaire, l'électeur peut difficilement faire la part des choses car il n'a pas l'information pour évaluer le bien-fondé des arguments qui prédisent l'avenir et dire qui a tort et qui a raison. De plus, lorsque la peur des conséquences économiques l'emporte, on ne peut jamais vérifier si les inconvénients prévus de l'indépendance sont véridiques car le changement politique n'a pas eu lieu. La vertu de scénarios catastrophiques, c'est qu'ils sont invérifiables et que, pour les tester, il faudrait procéder au changement. Ils sont efficaces parce qu'ils jouent sur le sentiment d'incertitude et sur la crédibilité de ceux qui les tiennent, soit les économistes et les hommes d'affaires.
Dans la perspective de la prochaine consultation populaire sur l'avenir du Québec et afin de favoriser une discussion plus rationnelle des conséquences économiques de l'indépendance, on pourrait faire appel à une autre approche pour verifier si les prédictions catastrophiques sont plausibles. Nous pouvons examiner l'évolution économique des pays qui se rapprochent le plus du Québec en matière de taille démographique et de situation politique et qui ont accédé à l'indépendance au début des années quatre-vingt-dix. Nous avons retenu les pays créés par l'éclatement de la fédération tchécoslovaque et de la fédération yougoslave. Au référendum de 1995, ces accessions à l'indépendance étaient trop récentes pour servir d'éléments de comparison et il n'y avait pas de séries statistiques disponibles, mais aujourd'hui, avec quelques années de recul, on peut dégager certaines tendances économiques. En observant le rythme de croissance économique de ces nouveaux pays indépendants, on pourra mieux évaluer la crédibilité de l'argumentaire catastrophiste. Les comparaisons ne sont jamais parfaites car les situations divergeuent d'un pays à l'autre, mais elles fournissent un outil d'évaluation plus objectif des risques de l'indépendance.
Pour obtenir un portrait des conséquences économiques de l'indépendance, nous utiliserons comme indicateur les taux de croissance publiés par la Banque mondiale et nous comparerons les taux des pays nouvellement indépendants avec ceux de pays déjà indépendants et qui avaient un système économique semblable (voir le tableau).
Ces données relativisent la validité des thèses catastrophistes. La baisse du PIB observée dans les premières années de l'accession à l'indépendance s'explique d'abord par le contexte de l'économie mondiale qui, de 1991 à 1993, a connu une forte récession qui a aggravé les coûts de transition. Mais la baisse des taux de croissance est surtout attribuable au processus de reconversion économique, ces pays ayant dû effectuer une transition d'une économie socialiste à une économie de marché. Le poids de ce facteur est attesté par les performances économiques des pays du bloc communiste de cette région qui n'ont pas changé de statut politique. Ainsi, de 1991 à 1996, les tendances économiques des ex-pays socialistes déjà indépendants ressemblent à celles des ex-pays socialistes nouvellement indépendants. L'accession à l'indépendance ne semble pas avoir d'impact économique négatif puisque, sur l'ensemble de la période, la valeur moyenne des taux de croissance annuelle des nouveaux pays indépendants est même plus élevée que celle des pays déjà indépendants. Le facteur "changement de système économique" serait donc le principal responsable des perturbations économiques observées dans les premières années de l'indépendance. Or, faut-il le rappeler, ce facteur ne jouera pas dans le cas du Québec, qui n'aura pas à mener deux changements de front puisque le changement de statut politique ne s'accompagnera pas de changment de système économique.
Mais le fait le plus remarquable qui ressort des l'évaluation de la performance économique effectuée par la Banque mondiale, c'est qu'en dépit du lourd héritage d'inefficacité économique laissé par les partis conimunistes dans ces pays, dans tous les cas, ces pays nouvellement indépendants ont profité d'une croissance économique positîve dans les trois années qui ont suivi leur accession à l'indépendance. Si on admet qu'il faut deux ans à un nouveau pays pour intégrer les outils de la souveraineté, on doit constater que ces nouveaux pays indépendants tirent très bien leur épingle du jeu eii 1995 et 1996 puisque leur performance est nettement supérieure à celle des pays du groupe contrôle: Hongrie, Bulgarie et Roumanie.
Le cas de la Slovaquie est particulièrement révélateur car c'est le pays qui se rapproche le plus de la situation du Québec et celui qui a connu une accession pacifique à l'indépendance. C'est aussi celui qui a réalisé les taux de croissance économique les plus élevés. Lors du référendum québécois de 1995, les médias québécois avaient fait des reportages très négatifs sur les effets de l'indépendance slovaque. Ces reportages renforcaient les thèses fédéralistes mais n'étaient pas biaisés car ils mettaient en lumière les difficultés de ce pays. Mais l'objectivité ne se limite pas à mettre en évidence les faits négatifs; elle implique aussi qu'on fasse état des faits positifs. Or, curieusement, on n'entend plus parler de la Slovaquie dans les médias québécois maintenant que le référendum est chose du passé et que la situation économique de ce pays est bien meilleure. La performance de la Slovaquie est d'autant plus impressionnante lorsqu'on la compare à celle de la République tchèque, dont elle s'est séparée, puisque les taux de croissance de la Tchéquie en 1994, en 1995 et en 1996 ont été inférieurs à ceux de la Slovaquie. L'indépendance n'a donc pas entravé le développememnt économique de ce pays dont on disait qu'il ne serait pas viable économiquement s'il devenait indépendant.
A la lumière des expériences de ces pays, on doit conclure que les scénarios catastrophistes sont peu fiables pour prédire l'avenir des nouveaux pays indépendants. Si l'accession à l'indépendance peut entraîner des perturbations économiques, celles-ci sont temporaires et, très rapidement, la période "postindépendance" se caractérise par la croissance économique. Ce que les autres ont réussi, les Québécois peuvent eux aussi le faire.
1991 1992 1993 1994 1995 1996 moyenne* Slovaquie (1993) -14,6 -6,2 -4,1 4,8 7,0 6,9 -1,0 Tchèquie (1993) -14,0 -6,4 -0,5 2,6 5,0 4,2 -1,5 Slovénie (1993) -9,3 -5,7 1,0 4,0 5,0 3,5 -0,2 Croatie (1993) -15,1 -12,8 -3,2 1,8 2,0 5,0 -3,7 Roumanie -12,9 -13,8 1,3 2,4 7,0 4,1 -2,0 Bulgarie -11,7 -6,0 -4,2 0,0 3,0 -9,0 -4,6 Hongrie -7,7 -4,3 -2,3 2,5 2,0 -0,4 -1,6
Source: De l'économie planifiée à l'économie de marché, rapport de la Banque
mondiale, 1996, page 205, et L'État du monde 1998, Montréal, Boréal, 1998.
* Valeur moyenne des taux de croissance annuelle.
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