Bastidiens et Ferengi: Une étude du capitalisme
L’action du roman Jean de Florette de Marcel Pagnol, écrit en 1963, se déroule dans le Midi de la France autour des années vingt dans un petit village isolé habité par des paysans simples. Ce village s’appelle Les Bastides Blanches, et, peut-être sans coïncidence, se situe deux lieux d’Aubagne, la ville où l’auteur Marcel Pagnol est né.
Les Ferengi sont une race d’extra-terrestres dans trois séries télévisées; Star Trek:The Next Generation, ST:Deep Space Nine, et ST:Voyager. L’action de ces trois séries, commencées en 1987, se passe dans le vingt-quatrième siècle. La race des Ferengi a été créée par Gene Rodenberry pour montrer une société réglée seulement par l’avarice et le capitalisme. Ces gens suivent avec diligence un système de règles sacrées dans leur société pour les aider à faire beaucoup de profit en affaires. Ce système s’appelle " The Ferengi Rules of Acquisition ".
Cette dissertation porte sur la relation entre les Bastidiens de Jean de Florette et les Ferengi de Star Trek. Elle démontra, en utilisant les Ferengi comme modèle du comble de capitalisme, que les Bastidiens sont avares et capitalistes.
Le profit
Le profit a une importance extrême dans une société capitaliste. C’est l’oxygène essentiel à la respiration d’un homme d’affaires. Dans Jean de Florette, le profit joue un rôle primordial dans la vie de plusieurs personnages du roman, de façon quasiment aussi importante que dans la vie des Ferengi, les plus notoires capitalistes de toute la galaxie dans Star Trek. En utilisant comme guide les " Ferengi Rules of Acquisition (FRA)", on peut voir plusieurs caractéristiques montrant la présence d’un désir immodéré pour le profit chez de nombreux personnages de Jean de Florette.
D’abord, dans une société qui met l’accent principalement sur la nécessité de réaliser beaucoup de profit, il est certain que ceux qui n’en obtiennent pas suffisamment seront considérés comme étant des gens inférieurs aux autres. Le FRA #18 exprime très clairement ce sentiment: " A Ferengi without profit is no Ferengi at all. " De la même manière, les Bastidiens rendent également un jugement semblable sur le mode de vie de Pamphile, un paysan du village moins ambitieux que les autres: " Comme il était moins avare et moins cachottier que les autres, les anciens le considéraient comme une tête brûlée, et qui finirait sans doute sur la paille. " (Jean de Florette, p12)
Une deuxième caractéristique qu’on trouve parmi les gens avares ayant réussi à devenir riches est leur détermination de ne jamais perdre un seul sou de tous ceux qu’ils ont gagnés. Les Ferengi, par exemple, comptent toujours avec soin leur argent à la fin de chaque journée pour déterminer si cette dernière peut être perçue comme un succès. Dans cette oeuvre de Marcel Pagnol, un des principaux personnages, Ugolin, agit pareillement: " il ajoutait un louis à ce trésor...qu’il recomptait...son fusil chargé à côté de lui. "(p19) Les Ferengi aussi pensent qu’il ne faut pas même payer un juste prix s’ils peuvent faire autrement: " Never spend more for an acquisition than you have to "(FRA #3). On voit cette même philosophie dans le roman lorsqu’on entend les paroles de Le Papet qui dit à Ugolin: " Quand on dit sept ou huit, ça veut dire qu’on accepterait (de payer) sept! "(p298) De la même manière, si on observe le marchand qui achète les fleurs de Ugolin, on remarque que personne dans cette société ne veut payer plus que le minimum nécessaire ainsi, le marchand ment devant Le Papet pour que personne d’autre ne lui demande un prix égal à celui qu’il veut payer à Ugolin: " jusqu’à cinquante sous...Mais en ce moment, c’est la fin de la saison...ça vaut quand même vingt sous...il t’a donné 40 francs. "(pp27-28)
En ce qui concerne les victimes de l’avarice, on remarque que celle-ci ne fait aucune discrimination en affligeant autant les riches que les pauvres. Les Ferengi, qui deviennent de plus en plus avares en amassant de plus en plus de richesse, acceptent l’avarice comme un trait de caractère dont ils doivent être fiers. En fait, ils lui rendent hommage en disant: " Greed is eternal. "(FRA #10) Les Bastidiens sont eux aussi frappés par l’avarice, mais dans leur cas elle ne provient pas de leur richesse actuelle mais de leur désir de sortir de leur état de pauvreté: " ils étaient avares, d’une avarice maladive, parce qu’ils étaient pauvres d’argent. " (p10) Dans les deux situations, celle des Ferengi et celle des Bastidiens, même si la raison provoquant leurs désirs d’argent sont différents, la puissance de l’avarice n’est pas moindre dans un groupe ou dans l’autre.
Comme le sait chaque homme d’affaires productif, pour réussir dans le domaine des affaires, il faut toujours séparer les affaires des sentiments personnels. Même dans le vingt-quatrième siècle, cette règle est encore bien vivante parmi les Ferengi qui se disent: " Never place friendship above profit. "(FRA #21) Dans Jean de Florette, Le Papet se présente comme un homme d’affaires dur, complètement sans sentiment d’amitié envers le personnage de Jean et critique souvent Ugolin d’être trop sensible vis-à-vis de la cause de Jean: " Qu’est-que tu veux faire, imbécile, des oeillets ou des amis? "(p220) Quand Ugolin est gentil à la veuve de Jean et même pleure avec regret la mort de Jean, Le Papet se demande " s’il fallait...déplorer cette sensiblerie imbécile. "(p299) Le Papet ne se laisse pas être affecté par des sentiments personnels.
Pour faire du profit, il faut plus qu’une connaissance de l’économique; il faut avoir de l’instinct. Les Ferengi respectent beaucoup un homme avec un bon instinct pour trouver où pour faire du profit. Ils le décrivent comme étant un sage: " A wise man can hear profit in the wind. "(FRA #22) Ils voient que l’instinct est un facteur très important dans la recherche du profit: " Opportunity plus instinct equals profit. "(FRA #9) Certains personnages de Jean de Florette ont aussi un instinct naturel pour le profit. Ugolin prend l’idée de son ami de l’armée qui est devenu riche en faisant pousser des oeillets, et le neveu du Papet commence donc sa propre culture de fleurs de laquelle il espère avoir l’occasion lui aussi de réaliser des profits. De la même façon, Jean décide d’entreprendre un élevage de lapins exotiques, une race importée d’Australie, après avoir lu au sujet de leur étonnante capacité de se multiplier rapidement. On pourrait dire que son plan lui aurait donné beaucoup d’argent s’il avait eu de l’eau en quantité suffisante. Les autres gens du village ne veulent jamais manquer l’occasion d’économiser de l’argent eux non plus. Cabridan, quand il entend dire que Jean travaillait dans le bureau du percepteur, dit immédiatement: " Il va peut-être nous faire de nouveaux impôts! " car pour faire du profit, il faut savoir économiser.
La vie après la mort
Dans plusieurs sociétés anciennes, comme celle des Égyptiens par exemple, les gens croyaient à une vie après la mort, une vie dans laquelle ils pourraient apporter des possessions matérielles qu’ils auraient ramassées pendant leur vie sur terre. Cette croyance est prévalante aussi parmi les Ferengi et les Bastidiens. Au lieu de croire au ciel et à l’enfer comme le font la plupart des humains, les Ferengi croient plutôt à un " Divine Treasury " et un " Vault of Eternal Destitution " où ils doivent offrir un pot-de-vin avec une partie de l’argent qu’ils ont gagné dans leur vie pour entrer à l’intérieur de leur paradis où ils pourront ensuite participer à une enchère pour acheter une nouvelle vie. Dans le roman, on trouve la même conviction parmi certaines personnes du village. Pique-Bouffigue veut apporter son namerlesse fusil avec lui dans sa vie après sa mort et ordonne: " je veux qu’on l’enterre avec moi. "(p66) D’une autre façon, le père de Ugolin exprime quasiment le même sentiment quand il manifeste la volonté de donner, après sa mort, tous les profits réalisés au cours de sa vie à Ugolin. Il veut, en faisant ce don, que l’argent continue de montrer au monde les profits de la famille et par la même occasion la supériorité de la famille Soubeyrans sur toutes les autres qui habitent leur petite région de la France.
La méfiance
Tous les grands hommes d’affaires ont déjà appris que pour réussir il faut se méfier des autres. Les Ferengi et les Bastidiens ne sont pas une exception à ce phénomène particulier. Les Ferengi sont sensibles aux dangers qui peuvent leur arriver s’ils acceptent trop facilement un promis d’un associât d’affaires malhonnête alors ils avertissent: " The bigger the smile, the sharper the knife. " (FRA #48) Ugolin, dans ce roman, a toujours un grand sourire chaque fois qu’il parle à Jean. En fait, il souhaite l’échec de Jean mais il se présente toujours " en souriant, et sur le ton le plus cordial. "(p102) Jean ne doute jamais les motivations du gentil Ugolin et cela lui cause des problèmes. Le Papet, par contre, qui est un vrai homme d’affaires, se répète toujours: " Méfiance! " (p56)
La famille
Pour réussir en affaires, faut-il traiter des membres de famille d’une façon différente qu’on traite d’autres associés d’affaires à l’extérieur de la famille? Pour les Ferengi, la réponse est simple - pas du tout! Les Ferengi croient que la famille peut être également une source de profit comme le peuvent d’autres personnes hors de la famille. Ils disent: " Treat people in your debt like family...exploit them. " (FRA #111) et " Exploitation begins at home. " En fait, dès leur enfance, ils apprennent que l’exploitation de leur famille pour faire du profit est une pratique admirable. Les Bastidiens, par contre, suivent un code d’éthique complètement opposé à celui des Ferengi. Quand Ugolin a besoin d’argent pour commencer son projet de fleurs, Le Papet, sans hésitation, lui en donne parce qu’il lui faut toujours aider un membre de la famille. Il est vrai, par contre, que Le Papet exploite Ugolin d’une certaine façon en le convainquant de faire pousser des fleurs pour amasser plus d’argent dont Le Papet pourrait se servir lui-même. On ne peut toutefois absolument pas oublier que même ce geste caractéristique d’avarice a été inspiré par son désir de voir la continuation du nom honorable et repecté de la famille des Soubeyrans. Le Papet accorde plus d’importance au nom inestimable de la famille. On remarque donc que les Bastidiens attachent moins de valeur au profit qu’à la famille.
Des règles que Jean n’a pas suivies
Les Ferengi, dans leur " Ferengi Rules of Acquisition ", ont plusieurs règles qui auraient pu être d’une grande valeur pour Jean s’il les avait connues ou s’il avait pensé de la même manière qu’eux. La première de ces règles qui aiderait Jean énormément c’est FRA #59: " Free advice is seldom cheap. " Ugolin voulait toujours offrir à Jean des petits conseils pour soi-disant l’aider avec son travail quand, en réalité, Ugolin essayait vraiment de nuire au progrès de Jean. Si Jean avait douté de la validité des ces conseils gratuits, il aurait pu éviter un peu du malheur qu’il a subi. Les Ferengi ont aussi sagement remarqué que: " Nature decays but latinum lasts forever. " (FRA #103) Jean a eu trop de confiance dans la nature. Il disait qu’il pleuvrait régulièrement mais ceci n’était que rarement le cas. La nature l’a trahi. S’il avait décidé de rester en ville où il travaillait aux impôts, il ne lui serait pas arrivé autant de malheurs car l’argent est plus stable que la nature comme source de profit. Il n’était donc pas, sur ce plan de son caractère, un bon homme d’affaires, sinon il aurait douté davantage de la nature.
Dans cet examen de l’avarice et du capitalisme, on remarque que le facteur commun le plus prédominant entre les sociétés des Ferengi et des Bastidiens est celui du profit. Parmi les deux groupes, on trouve que la recherche du profit a une grande importance dans la vie des certains individus, particulièrement dans la vie du Papet et d’Ugolin dans Jean de Florette. À mon avis, le fait de réussir ou de ne pas réussir à réaliser du profit n’a pas une importance déterminante pour juger de la présence d’intentions capitalistes de ces gens. Il faut surtout voir leur obsession à en réaliser et la passion avec laquelle ils essayaient de le faire. Il faut reconnaître davantage que dans l’âme et dans l’esprit de ces gens-là, ils avaient une très forte envie de faire n’importe quoi pour réaliser du profit, et, dans la poursuite de cet objectif, ne s’arrêtaient qu’à la fin de leur conquête de Jean et qu’à l’acquisition de sa terre. D’après moi, leur avarice est la racine de toute leur méchanceté capitaliste vers Jean. Ils agissent d’une façon très semblable à celle des Ferengi, les capitalistes les plus connus du monde de Star Trek. Je constate donc que l’existence de la forte présence de capitalisme et d’avarice est indéniable dans le roman Jean de Florette si on utilise comme modèle de ceux-ci les standards des Ferengi.
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