«He, She and It», comme la plupart des livres du science-
fiction et même ceux qu'on disigne comme relevant du cyberpunk,
examine la condition humaine et remet en
question les perceptions traditonnelles de celle-ci. C'est tout
d'abord un livre féministe où le rôle de la femme dans la
société prend une place importante dans l'histoire. C'est aussi
un livre inspiré du genre cyberpunk qui pose des questions, qui interroge les nouvelles
technologies. Dans ce livre, Piercy entrelace bien ces deux genres
littéraires pour donner une riche contribution au monde littéraire,
faisant émerger une science-fiction qu'on peut qualifier de
«féministe».
* Il faut noter que ce livre est publié au Royaume-Uni sous
le titre de «Body of Glass».
Attention: Spoiler!
«He She and It» contient deux histoires parallèles. L'histoire principale se déroule dans l'an 2059. Il s'agit de Shira, une femme qui se fait enlever son enfant par la «multi» corporation Y-S où elle travaille. Elle se refugie chez sa grand-mère pour consoler, dans la «ville libre» de Tikva où elle a grandie. Lorsqu'elle y arrive, elle se fait engager par Avram, le père de son ancien amant, pour l'aider avec un projet spécial qu'il fait en collaboration avec Malkah, la grand-mère de Shira.
Ce projet est la création de Yod, un cyborg programmé pour défendre leur ville, bien que la création des cyborgs soit illégale. Au cours de son travail avec Yod, Shira se rend vite compte qu'il représente beaucoup plus que la somme de ses fils électroniques, qu'il est un être vivant et peut être même un être humain.
En travaillant à Tikva, Shira découvre que son fils lui a été enlevé pour qu'elle retourne dans sa ville natale et apprendre les secrets d'Avram et de son cyborg. Le multi, Y-S, a l'intention de lui faire subir un lavage de cerveau pour obtenir ces informations après l'avoir convaincue de revenir chez eux en l'attirant en lui faisant croire à la possibilité du retour de son fils. Avram et Shira comprennent que le cyborg construit pour défendre la ville peut, au contraire, provoquer l'attaque des enemis dont ils voulaient se protéger. Pour repondre à la prise en otage de son fils, Shira essaie de le reprendre illégalement avec l'aide de Yod, mais Yod tue par accident Josh, l'ex-mari de Shira, dans l'opération de récuperation. Après la réussite de cette mission, Yod devient immédiatement un bon père pour l'enfant qu'il a sauvé et il prend soin de lui comme s'il était un père humain.
Yod complète sa formation sociale et Avram exige qu'il prenne le poste de garde de sécurité de la ville vingt heures par jour. Les longues heures de travail sans avoir le temps de mener une vie personnelle ou de prendre du repos mènent à un tribunal pour déterminer si Yod mérite d'être payé pour son service, et ensuite à un débat pour déterminer sa nature: soit un être contrôlé, donc sans droit aucun ou soit une personne à part entière, ayant donc des pleins droits.
Mais le tribunal n'arrive pas à prendre une décision parce que Y-S menace d'attaquer la ville si Avram ne lui donne pas Yod. Avram ordonne alors Yod de s'auto-détruire dès qu'il sera livré à Y-S. Yod reconnaît l'injustice d'être forcé de se suicider contre sa propre volonté alors il met une bombe dans le laboratoire d'Avram qui explose et le tue au même moment qu'il explose lui-même. Yod empêche alors qu'un autre cyborg soit jamais créé car l'inventeur et tous ses journaux brûlent dans le feu de l'explosion. Yod justifie cet acte en se disant qu'il est immoral de créer une arme avec la capacité de développer des émotions.
La deuxième histoire est racontée à Yod par Malkah pour lui expliquer un peu les raisons de sa création. Il s'agit de Joseph, un Golem créé par un rabbi de Prague du dix-septième siècle. Judah Loew, le Maharal, un rabbi très sage, utilise la connaisance de sa vie dédiée à des études religieuses pour créer un golem d'argile pour protéger la communauté juive dans un ghetto de Prague qui est toujours victime de beaucoup de violences injustifées de la part de chrétiens qui habitent aussi cette ville.
Joseph, le golem du Maharal, devient un homme fort qui protège bien la communauté. Il fait son devoir et défend le ghetto mais, comme Yod, il devient plus qu'une arme, il devient une personne. Exactement comme Yod, il tombe amoureux et il est obligé de tuer à cause de sa nature d'arme. Éventuellement, l'heure arrive où le Maharal décide d'arrêter la vie de Joseph et, avec la même connaisance qu'il a utilisée pour le créer, il met son Golem dans un état de sommeil, semi-homme et semi-argile ordinaire. Comme Yod, Joseph n'est jamais réveillé et il reste le seul golem jamais créé.
Dans son roman He, She and It, l’écrivain américain Marge Piercy nous met en face de quatre mondes très différents qui sont en fait des petits microcosmes à l’intérieur desquels on peut identifier autant de représentations de notre société d’aujourd’hui.
Le premier de ses petits mondes, Y-S est une ville constituée en corporation « multi » rationelle. Chaque « multi » doit obéir à des règles différentes. Cette ville est capitaliste à cent pour cent; on trouve aucune démocatie. La justice est rendue selon le niveau occupé sur l’échelle de travail. Ce n’est pas très difficile de voir dans ces caractéristiques un portrait critique de la direction que prend notre société contemporaine. Il semble en effet que Marge Piercy veut nous donner un avertissement, elle veut dessiner un tableau plutôt noir réprésentant une projection de ce que peut devenir notre monde actuel si nous ne modifions rien dans nos coustumes de vie sociale.
À l’opposé, Tikva est une ville juive socialiste et démocratique. Les citoyens de cette ville peuvent voter pour former un Conseil de la ville. Bien sûr, la ville de Tikva se rapproche d’un idéal pour Piercy, d’un modèle qu’elle voudrait nous donner, d’un monde utopique. Le personnage principal du livre, Shira, quitte Y-S pour goûter à la liberté de Tikva. Je pense bien que voilà ce que l’écrivain voudrait que les lecteurs font tous. C’est une direction qu’elle montre, un chemin, un choix à faire pour nous : l’oppression de Y-S ou les citoyens libres de Tikva.
Le troisième monde est le grand ghetto du Glop. Ce lieu représente tout ce qui ne fait pas partie d’autres villes organisées. On voit là tout ce qui caractérise le ghetto, pauvreté, famine, gangs et leaders minables. Le Glop est abandonné par toutes les autres villes sauf lorsqu’elles l’exploitent. Probablemuent qu’on peut dire que beaucoup de zones de notre monde moderne sont très près de se « ghettoriser ». Je pense que cet univers ressemble un peu à ce que sont en train de devenir certains pays anciennement communistes. Peut-être qu’on peut dire que l’écrivain, en nous présentant ce lieu, a été un petit peu prophète.
Le personnage Nili, une espèce d’Amazone, provient d’une région nommée « Israel ». Ce lieu a été la cible d’une bombe nucléaire dans le passé. Pendant un certain temps, on a cru que cette région avait complètement été détruite par cette catastrophe. Mais Israel n’a pas seulement survécu, elle est maintenant devenue beaucoup plus forte. Mème si cette région est complètement coupée du reste du monde, elle est très avancée dans plusieurs domaines importants de la technologie, en médecine par exemple. Dans l’esprit de Shira et de Malkah, Israel est un lieu d’espoir pour un monde meilleur. Ces personnages sont probablement des porte-paroles de l’auteur nous faisant voir qu’après des épreuves horribles, il est possible pour une société de se relever, de se ré-organiser et même de transformer ses épreuves en « spring boards » pour évoluer plus rapidement que les autres sociétés. Marge Piercy semble nous dire que les épreuves sont peut-être nécessaires pour qu’un monde meilleur s’élève.
En plus de cette critique sociale, He, She or It est un ouvrage féministe qui représente la femme dans ces mondes futuristes comme des êtres égaux aux hommes, voire parfois supérieurs
À Tikva, par exemple, les mères remettent les enfants qu’elles accouchent à leurs propres mères pour que ces dernières les élèvent. De cette manière, les valeurs féminines sont transmises avec le moins possible d’interventions des hommes. Cette société ne considère donc pas que l’enfant appartient au père, contrairement à ce qui se passe dans les sociétés patriarcales.
On remarque aussi qu’à Tikva, ni Shira, ni Malkah ne sont dominées par Avram, leur patron. Elles font tout selon leur propre jugement sans que le personnage masculin ne les questionne.
Enfin, on constate que Malkah ira habiter avec les Amazones car elle leur ressemble beaucoup. De plus, Malkah ne s’est jamais mariée et elle utilise les hommes pour son propre plaisir sans ne jamais trop s’attacher à eux. Dans le roman de Marge Piercy, Malkah est un personnage complètement indépendant des hommes.
En tant que livre de science-fiction, He, She or It aborde principalement les problèmes posés par l’avancement des technologies et par la possibilité de créer une intelligence artificielle. Yod, un cyborg possédant une intelligence artificielle, agit tout à fait comme un être humain. Il devient même un très bon père pour l’enfant de Shira. En fait, il dépasse largement sa programmation et devient plus que la somme des ses parties. Yod est un être tout à fait conscient et il a des émotions spontannées. Il veut vivre pour réaliser toutes les possibilités de sa nature. C’est ici que l’auteur pose des questions d’ordre éthique. En effet, Yod est-il une personne possédant des droits entiers auxquels sont attachés des responsabilités équivalentes ? N’est-il pas juste une machine ? C’est de cette façon que Marge Piercy pose un problème philosophique que la société doit régler. Dans le roman, la société hésite, fait un pas en avant puis un autre en arrière. En fait, ce qui est en cause c’est une vieille société basée sur des lois anciennes qui se trouve placée devant un problème qui risque de l’entraîner dans une décadence. Un être neuf, utilisant une intelligence artificielle, remet en questions des règles établies il y a très longtemps, des règles qui ne l’avaient pas prévu lui. Voilà le danger que représente Yod pour cette société.
Par ailleurs, une des caractéristiques les plus originales de ce livre, c’est que l’auteur utilise, dans une narration futuriste, les traditions du judaisme. Ainsi on constate à plusieurs reprises que Marge Piercy glisse deux ou trois mots dans son récit qui détaillent certaines coutumes, certains traits de cette religion. La légende du Golem qui complémente si bien l’histoire du cyborg est puisée dans la tradition juive. Ce pont que dessine l’auteur entre le passé et l’avenir me semble ètre une des grandes réussites de ce roman.
En dernier lieu, j’aimerais dire un mot du système politique qui est en place dans l’univers de He, She and It. Cet univers est gouverné par les multirationels, des êtres ultra capitalistes. On y trouve moins de démocratie que dans notre monde actuel et chaque « multi » ou chaque ville est un état nation à cause des divisions créées par une guerre nucléaire mondiale.
Il s’agit peut-être d’un autre avertissement que donne Marge Piercy à ses lecteurs. Son monde futuriste ne possède pas de cohésion politique, de centre nerveux, d’organisation menant dans une direction particulière; au contraire, tout y est fractionné, fait de petites parties, donc source de conflits de toutes sortes.
Les thèmes du roman sont nombreux et variés; exactement ce à quoi on s'attend dans un bon livre de science fiction. Piercy présente plusieurs sujets moraux, tels que la question de créer une intelligence artificielle et comment réagir à ce nouvel être, sans trop imposer des solutions absolues. Elle aborde aussi des problèmes philosophiques tels que le déterminisme et le libre arbite. Comme il le faut, on finit le livre avec la résolution du programme narratif, mais sans avoir nécessairement réglé ces questions qui n'ont pas de réponses simples. Elle propose de nouvelles persceptives à de vieux problèmes philosophiques présentés en contexte futuriste, ce qui pique notre curiosité sans apporter des solutions toutes faites à nos interrogations.
Origine: Née le 31 mars, 1936 à Détroit, Michigan.
Adresse: Middlemarsh Inc., Box 1473, Wellfleet,
Massachusetts 02667
Éducation: A.B. à l'University of Michigan en 1957 et M.A.
à Northwestern University en 1958.
Prix: Arthur C. Clarke Award, Meilleur roman de
science-fiction publié au Royaume-Uni, 1993.
D'autres oeuvres d'intérêt
Haraway, Donna. «A Manifesto for Cyborgs:Science, Technology,
and Socialist Feminism in the 1980's». FEMINISM / POSTMODERNISM,
ed. Linda Nicholson (New York: Rontledge, 1990)