Lexique de Descartes

© Virginie Mayet, 1998.

 

Action ou affection : Ce sont les pensées qui se distinguent des idées en ce qu'elles contiennent, outre l'élément représentatif, "quelques autres formes", par quoi elles sont des actions ou des affections, c'est à dire des façons de penser qui modifient l'idée comme telle. Si cette façon de penser est désir ou crainte, on a affaire à une volonté, si cette façon de penser est une négation ou une affirmation, on a affaire à un jugement.

Adéquate (idée) : est adéquate l'idée qui épuiserait tout ce qui est à connaître dans la chose même en se sachant connaissance achevée.

Animisme : doctrine selon laquelle le mouvement des corps matériels serait dû à une âme, pas nécessairement spirituelle.

Complète (idée) : est complète l'idée qui suffit à nous rendre clair et distinct l'objet connu. Comprendre un objet, c'est en avoir une idée complète qui en donne l'essence finie de façon distincte.

Concevoir : "Concevoir, c'est exactement se représenter, et c'est pourquoi l'entretien le situe dans l'entendre et l'imaginer. Dans l'imagination, nous mettons laborieusement, au service d'une idée intellectuelle comme la définition géométrique d'une figure, une image plus ou moins confuse, figure gravée dans le cerveau, donnée concrète de la pensée. De même dans la conception : à partir de ce que nous comprenons, par exemple de notre propre existence d'esprit fini, nous formons laborieusement une représentation qui puisse convenir à ce qui nous dépasse. Concevoir n'est pas comprendre, c'est à dire embrasser l'objet en en faisant le tour, mais c'est plus que toucher : concipere vient de capere, saisir, il faut pour concevoir se saisir d'un contenu présent pour donner à son idée un remplissement. L'idée devient alors concept", J-M Beyssade, RSP ou le monogramme de Descartes.

Conformisme : il suppose un travail de discernement et rejoint la vertu de prudence décrite par Aristote. On adoptera l'attitude des hommes que l'on juge les plus sensés et les plus mesurés. Il faut éviter l'excès car il est plus difficile à corriger qu'une attitude modérée, de plus il est plus difficile à réparer. Le conformisme est guidé par deux principes : il faut garder la possibilité de se perfectionner et il faut éviter de se porter aux extrêmes.

Contingent : non nécessaire. Est contingent ce qui n'a pas en soi-même la cause de son existence.

Cosmologique (preuve) : preuve de l'existence de Dieu construite à partir de l'existence du monde, notamment de sa contingence. C'est la preuve de St Thomas.

Critique (philosophie) : une philosophie est critique quand elle examine les limites de sa propre validité et de la raison.

Entendement : il est une pure faculté d'idéation, limité, mais dans ses limites, achevé. Il n'y a en lui aucune privation puisqu'il peut entendre aussi loin que sa puissance l'autorise. Sa limite lui est donc intérieure : il est dépourvu des idées qu'il ne peut constituer, non priver d'elles. Pour en être privé, il lui faudrait pouvoir constituer en idée sa privation et donc entendre, même sous une forme impropre, ce dont il est privé ; il serait donc en train d'en forger une idée ce qui est impossible et paradoxal selon notre hypothèse de départ. La limite de l'entendement est ce qui l'empêche de sortir de lui-même. L'entendement se limite à l'idéation et ne propose rien d'autre que l'idée qui est toujours identique à elle-même. Ainsi, l'idée n'est ni vraie ni fausse parce que toujours vraie sans être passible de fausseté (le problème de la fausseté matérielle de l'idée étant mis à part).

Entendre (intelligere) : le verbe latin intelligere désigne l'acte de l'entendement pur (seul). Comme tel, cela peut donner lieu à trois types d'opérations : l'intellection au sens restreint, la compréhension, la conception.

Erreur : privation dans l'usage que nous faisons de la faculté que Dieu nous a donnée et non dans la faculté elle-même. L'erreur est une privation dans l'opération du libre arbitre.

Forme : Synonyme de définition. Principe de l'identité d'un être.

Générosité : "ce qui fait qu'un homme s'estime au plus haut point qu'il se peut légitimement estimer", Passions de l'âme, III, art 153. La générosité est ce par quoi la principale perfection de l'homme est dans l'habitude de ne point faillir, seule perfection qui ne vienne pas de Dieu, mais de nous.

Idée : type de pensée qui est comme les images des choses. Les idées se caractérisent par leur aspect représentatif : même si rien ne nous permet d'affirmer que les choses qu'elles représentent existent ou leur ressemblent, elles se donnent comme représentation de quelque chose. Les idées sont des images, des tableaux, sans pour autant qu'elles relèvent de l'imagination : toute pensée en forme de représentation est une idée, qu'elle soit conçue ou imaginée, intellectuelle ou sensible. Une idée est toujours idée de quelque chose, quelque soit cette chose, existante ou non. Considérées en elles-mêmes, elles ne peuvent être fausses. Si l'on considère leur origine, on distingue trois sortes d'idées : les idées innées : "nées avec moi" ; les idées adventices : "étrangères et venues du dehors", elles nous viennent par les sens ; les idées factices : ce sont des idées faites par nous, que nous composons, imaginons, sans que rien n'y corresponde hors de nous et sans qu'elles expriment une essence nécessaire en nous.

Imagination : le sens cartésien est plus large que le sens contemporain : il désigne toute activité ayant affaire à des images, donc non seulement ce qui relève de la mémoire ou de la fiction, mais aussi ce qui relève de la sensibilité (voir Méditations métaphysiques VI, §1 à 6).

Jugement : voir "action". Un jugement est formé du concours d'une idée et d'une volonté. L'idée, formée dans l'entendement, devient un jugement, vrai ou faux, lorsque la volonté lui donne ou lui refuse, librement, son assentiment. Les jugements peuvent être vrais ou faux car en affirmant ou en niant une idée, ils la mettent à distance du simple vécu et ajoutent à son contenu même en effectuant l'apparence représentative : affirmer ou nier transforme un vécu de conscience en une croyance qui fait dépendre la validité de la représentation d'une autre instance que la conscience. Juger, c'est briser l'isolement de la conscience, vouloir une vérité qui ne dépende pas seulement de nous. Juger, c'est juger la vérité qui est cette conformité de l'idée, dans la conscience, avec un objet, à l'extérieur. Le jugement se réserve le droit d'affirmer ou de nier.

Liberté : La liberté suffit à définir la volonté et exclut toute autre propriété : "elle consiste seulement en ce que nous pouvons faire une chose, ou ne pas la faire". La liberté ne se divise pas, on a le choix ou on ne l'a pas. Elle consiste "seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l'entendement nous propose, nous agissons en telle sorte que nous ne sentons point qu'aucune force extérieure nous y contraigne" (Méditations métaphysiques, IV).

Méditation : ce genre n'implique aucun ressassement de l'intériorité mais suppose qu'on y trouve l'expression d'une pensée et de son activité, sans référence à un savoir venu d'ailleurs. La pensée ne discute qu'avec elle-même.

Métaphysique : c'est la philosophie première c'est à dire la connaissance des premiers principes de la connaissance. Elle traite de "toutes les premières choses que l'on peut connaître en philosophant" (Lettre à Mersenne, 11 novembre 1640) ; en métaphysique la primauté des choses est épistémique, leur priorité se trouve dans l'ordre de la connaissance.

Méthode : ensemble des règles qui définit un ordre d'opération dans l'usage d'une faculté ; elle présuppose que la faculté, la raison ici, soit en tous ceux auxquels elle s'adresse et qu'elle soit la même en tous. Les deux conditions de validité de la méthode sont l'universalité et l'identité de la raison.

Mode : ce dans quoi une substance se diversifie ou se détermine. Les figures sont des modes de l'étendue.

Négation : c'est l'absence de toute propriété, la carence totale de détermination, le nihil. Ce qui fait défaut fait défaut au point que ce défaut ne saurait être lui-même déterminé. Ce n'est pas un défaut d'intelligence, de beauté...etc, c'est l'absence de toute détermination que seul le nihil peut viser. La négation, c'est "un simple défaut ou manquement de quelque perfection qui ne m'est point due". La négation est le défaut de défaut, la manque de manque donc le rien.

Principe : "Les principes doivent avoir deux conditions : l'une, qu'ils soient si clairs et si évidents que l'esprit humain ne puisse douter de leur vérité, lorsqu'il s'applique avec attention à les considérer ; l'autre, que ce soit d'eux que dépende la connaissance des autres choses, en sorte qu'ils puissent être connus sans elle mais non pas réciproquement elle sans eux ; et qu'après cela il faut tâcher de déduire tellement de ces principes la connaissance des choses qui en dépendent, qu'il n'y est rien, en toute la suite des déductions qu'on fait, qui ne soit très manifeste" (Principes de philosophie, préface).

Privation : c'est un défaut déterminé, le défaut de quelque chose, la carence de quelque connaissance qui, d'une certaine façon, m'était due.

Qualités : les "qualités premières" sont les qualités des corps matériels qui ne changent jamais et sont toujours perçues. Les "qualités secondes" ou sensibles peuvent se modifier et tombent du côté de la subjectivité.

Raison : puissance de bien juger et de distinguer le vrai du faux (= bon sens). La raison est naturellement égale en tous les hommes, et la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que certains sont plus ou moins raisonnables que d'autres mais de ce que nos pensées suivent différentes voies, s'attachent à différentes choses.

Savoir : un véritable savoir est muni d'un critère de distinction du vrai par rapport au faux et au vraisemblable. Le savoir doit être ordonné et fondé : on en expose d'abord les principes puis, par déduction, on en tire les conséquences. Il a pour fin l'accès à la vérité et une conduite morale meilleure.

Solipsisme : fait de l'enfermement de la conscience en elle-même, incapable d'atteindre ni autrui ni le monde.

Substance : qui peut être conçu par soi et n'est pas dit d'autre chose, à la différence des accidents.

Sujet : la conscience en première personne, en tant qu'elle s'oppose à ses objets.

Temps : Le temps est discontinuité, il consiste dans la succession et le remplacement de parties, il n'est pas ce qui fait durer mais ce qui fait disparaître et apparaître. Ce sont les choses et non le temps qui durent : il y a un temps formel et vide, divisible et discontinu, qui nous sert à mesurer les mouvements et à dater les événements, et il y a la duration même des choses, qui tient à une puissance d'exister et de se conserver, non à l'écoulement du temps.

Volonté : voir "action". L'entendement propose une idée, et la volonté a le choix de donner ou non son assentiment, c'est à dire de juger vrai ou faux ce que l'entendement lui soumet. La volonté a la puissance de se déterminer ou non, c'est à dire d'accepter de juger (dans le sens du vrai et du faux) ou de s'y refuser. C'est l'unité essentielle de la puissance avec la possibilité des contraires qui définit la liberté, ou encore la volonté ou libre-arbitre comme liberté. Cette puissance de détermination est une et entière lorsque nous sommes face à une alternative ; considérée formellement, elle n'est qu'une capacité de choix, accomplie de telle sorte que nous ne nous sentions déterminés par aucune force extérieure, elle est donc pure puissance de détermination. La puissance de la volonté, pour un choix donné est sans limites.

Voyages : la "leçon des voyages" nous présente une variété de coutumes, une certaine relativité des moeurs et des lois qui nous fait hésiter sur le chemin à prendre. Tout est possible, toute attitude peut être légitimée et par conséquent tout se vaut : la vérité ne peut être trouvée hors de nous, nous avons à la constituer en nous-mêmes. Les voyages renvoient à un retour à soi en connaissance de cause ; je ne peux découvrir la vérité dans le "grand livre du monde".

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