Premier texte examiné (sous réserve des copyrights existants), cité d’après l’édition de poche.
Acte I
Cour intérieure dans le palais d’Agamemnon .
Scène 1
L’ETRANGER, LES PETITES EUMÉNIDES,
LE JARDINIER, LES VILLAGEOIS
Un étranger (Oreste) entre escorté de trois petites filles, au moment où, de l’autre côté, arrivent le jardinier, en costume de fête, et les invités villageois.
PREMIERE PETITE FILLE. Ce qu’il est beau, le jardinier !
DEUXIEME PETITE FILLE. Tu penses ! C’est le jour de son mariage.
TROISIEME PETITE FILLE. Le voilà, monsieur, votre palais d’Agamemnon !
L’ETRANGER. Curieuse façade !… Elle est d’aplomb ?
PREMIERE PETITE FILLE. Non. Le côté droit n’existe pas. On croit le voir, mais c’est un mirage. C’est comme le jardinier qui vient là, qui veut vous parler. Il ne vient pas . Il ne va pas pouvoir dire un mot.
DEUXIEME PETITE FILLE. Non. Le côté droit n’existe pas. On croit le voir, mais c’est un mirage. C’est comme le jardinier qui vient là, qui veut vous parler. Il ne vient pas. Il ne va pas pouvoir dire un mot.
DEUXIEME PETITE FILLE. Ou il va braire. Ou miauler.
LE JARDINIER. La façade est bien d’aplomb, étranger ; n’écoutez pas ces menteuses. Ce qui vous trompe, c’est que le corps de droite est construit en pierres gauloises qui suintent à certaines époques de l’année. Les habitants de la ville disent alors que le palais pleure. Et que le corps de gauche est en marbre d’Argos, lequel, sans qu’on ait jamais su pourquoi, s’ensoleille soudain, même la nuit. On dit alors que le palais rit. Ce qui se passe, c’est qu’en ce moment le palais rit et pleure à la fois.
PREMIERE PETITE FILLE. Comme cela il est sûr de ne pas se tromper.
DEUXIEME PETITE FILLE. C’est tout à fait un palais de veuve.
PREMIERE PETITE FILLE. Ou de souvenirs d’enfance.
L’ETRANGER. Je ne me rappelais pas une façade aussi sensible…
LE JARDINIER. Vous avez déjà visité le palais ?
PREMIERE PETITE FILLE. Tout enfant.
DEUXIEME PETITE FILLE. Il y a vingt ans.
TROISIEME PETITE FILLE. Il ne marchait pas encore…
LE JARDINIER. On s’en souvient, pourtant, quand on l’a vu.
L’ETRANGER. Tout ce que je me rappelle, du palais d’Agamemnon, c’est une mosaïque. On me posait dans un losange de tigres quand j’étais méchant, et dans un hexagone de fleurs quand j’étais sage. Et je me rappelle le chemin qui me menait rampant de l’un à l’autre… On passait par des oiseaux.
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