Jean Giraudoux, Electre, acte I, scène 3
Lignes 485 à 517 (éd. Le livre de poche)
ÉGISTHE. Merci… D’autre part, président, il est incontestable qu’éclatent parfois dans la vie des humains des interventions dont l’opportunité ou l’amplitude peut laisser croire à un intérêt ou à une justice extra-humaine. Elles ont ceci d’extra-humain, de divin, qu’elles sont un travail en gros, nullement ajusté… La peste éclate bien lorsqu’une ville a péché par impiété ou par folie, mais elle ravage la ville voisine, particulièrement sainte. La guerre se déchaîne quand un peuple dégénère et s’avilit, mais elle dévore les derniers justes, les derniers courageux et sauve les plus lâches. Ou bien, quelle que soit la faute, où qu’elle soit commise, c’est le même pays ou la même famille qui paie, innocente ou coupable. Je connais une mère de sept enfants qui avait l’habitude de fesser toujours le même, c’était une mère divine. Cela correspond bien à ce que nous pensons des dieux, que ce sont des boxeurs aveugles, des fesseurs aveugles, tout satisfaits de retrouver les mêmes joues à gifles et les mêmes fesses. On peut même s’étonner, si l’on estime l’ahurissement que comporte un éveil soudain de la béatitude, que leurs coups ne soient pas plus divagants… Que ce soit la femme du juste qu’assomme un volet par grand vent, et non celle du parjure, que l’accident s’acharne sur les pèlerinages et non sur les bandes en général, c’est toujours l’humanité qui prend… Je dis en général. On voit parfois les corneilles ou les daims succomber sous des épidémies inexplicables : c’est peut-être que le coup destiné aux hommes a porté trop haut ou trop bas. Quoi qu’il en soit, il est hors de doute que la règle première de tout chef d’un État est de veiller férocement à ce que les dieux ne soient point secoués de cette léthargie et de limiter leurs dégâts à leurs réactions de dormeurs, ronflement ou tonnerre.
Pistes de lecture