Jean Giraudoux, Electre, Acte II, scène 4 (l. 2104 à la fin)
 

ORESTE. Quel est cet amant ? Quel est cet assassin ?
ELECTRE. C’est pour le trouver que je t’éveille. Espérons que c’est la même. Tu n’auras qu’un coup à donner.
ORESTE. Je crois qu’il vous faut partir, mes filles. Ma sœur m’offre à mon réveil une reine qui se prostitue et un roi assassiné… Mes parents.
PREMIÈRE EUMÉNIDE. Ce n’est déjà pas mal. N’y ajoute rien.
ÉLECTRE. Pardon, Oreste.
DEUXIÈME EUMÉNIDE. Elle s’excuse maintenant.
TROISIÈME EUMÉNIDE. Je te perds ta vie, et je m’excuse.
LE MENDIANT. Elle a tort de s’excuser. C’est le genre de réveil que nous réservent habituellement nos femmes et nos sœurs. Il faut croire qu’elles sont faites pour cela.
ÉLECTRE. Elles ne sont faites que pour cela. Épouses, belles-sœurs, belles-mères, toutes, quand les hommes au matin ne voient plus, par leurs yeux engourdis, que la pourpre et l’or, c’est elles qui les secouent, qui leur tendent, avec le café et l’eau chaude, la haine de l’injustice et le mépris du petit bonheur.
ORESTE. Pardon, Électre !
DEUXIÈME EUMÉNIDE. A son tour de s’excuser. Ils sont polis dans la famille !
PREMIÈRE EUMÉNIDE. Ils enlèvent leur tête pour se saluer.
ÉLECTRE. Et elles épient leur réveil. Et les hommes, n’eussent-ils dormi que cinq minutes, ils ont repris l'armure du bonheur   la satisfaction, l'indifférence, la générosité, l'appétit. Et une tache de soleil les réconcilie avec toutes les taches de sang. Et un chant d’oiseau avec tous les mensonges. Mais elles sont là, toutes, sculptées par l’insomnie, avec la jalousie, l’envie, l’amour, la mémoire : avec la vérité. Tu es réveillé, Oreste ?
PREMIÈRE EUMÉNIDE. Et nous allons avoir son âge dans une heure ! Que le ciel nous fasse différentes !
ORESTE. Je pense que je m’éveille.
LE MENDIANT. Votre mère vient, mes enfants !
ORESTE. Où est mon épée ?
ÉLECTRE. Bravo. Voilà ce que j’appelle un bon réveil. Prends ton épée. Prends ta haine. Prends ta force.
 
 
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