Jean-Paul Sartre, Les Mouches, Acte 2, Premier tableau, scène 4 (extrait).
ORESTE - Écoute : tous ces gens qui tremblent dans des chambres sombres, entourés de leurs chers défunts, suppose que j’assume tous leurs crimes. Suppose que je veuille mériter le nom de " voleur de remords " et que j’installe en moi tous leurs repentirs : ceux de la femme qui trompa son mari, ceux du marchand qui laissa mourir sa mère, ceux de l’usurier qui tondit jusqu’à la mort ses débiteurs ?
Dis, ce jour-là, quand je serai hanté par des remords plus nombreux que les mouches d’Argos, par tous les remords de la ville, est-ce que je n’aurai pas acquis droit de cité parmi vous ? Est-ce que je ne serai pas chez moi, entre vos murailles sanglantes, comme le boucher en tablier rouge est chez lui dans sa boutique, entre les bœufs saignants qu’il vient d’écorcher ?
ELECTRE - Tu veux expier pour nous ?
ORESTE - Expier ? J’ai dit que j’installerai en moi vos repentirs, mais je n’ai pas dit ce que je ferai de ces volailles criardes : peut-être leur tordrai-je le cou.
ELECTRE - Et comment pourrais-tu te charger de nos maux ?
ORESTE - Vous ne demandez qu’à vous en défaire. Le roi et la reine seuls les maintiennent de force en vos cœurs.
ELECTRE - Le roi et la reine… Philèbe !
ORESTE - Les Dieux me sont témoins que je ne voulais pas verser leur sang.
Un long silence.
ELECTRE - Tu es trop jeune, trop faible…
ORESTE - Vas-tu reculer, à présent ? Cache-moi dans le palais, conduis-moi ce soir jusqu’à la couche royale, et tu verras si je suis trop faible.
ELECTRE - Oreste !
ORESTE - Electre ! Tu m’as appelé Oreste pour la première fois.
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