Quand on est jeune on révère et on méprise sans rien connaître encore de cet art de la nuance (en francais dans le texte) qui constitue la meilleure acquisition de la vie, et comme il est juste, on paie cher d'avoir assené sur les hommes et les choses un oui ou un non catégorique. Tout se passe comme si le pire de tout les goûts, le goût de l'absolu, devait être cruellement tourné en dérision et malmené jusqu'à ce que l'individu apprenne à mettre un peu d'art dans ses sentiments ou mieux encore à ne pas repousser l'artificiel, comme le font les vrais artistes de la vie. L'esprit de colère et de révérence propre à la jeunesse semble ne pas connaître de repos avant d'avoir si bien falsifié les êtres et les choses à sa convenance qu'il puisse enfin se déchaîner. En soi déjà la jeunesse est quelque chose qui dénature et qui trompe. Plus tard, quand la jeune âme, à force de déceptions cuisantes, fiit par se retourner soupçconneusement contre elle, impétueuse et farouche jusque dans sa méfiance et ses remords, comme elle s'en prends à elle même, avec quelle fureur elle se déchire et se venge de son long aveuglement, comme s'il avait été volontaire! En opérant ce passage on se punit soi-même, par méfiance envers ses sentiments; on fustige son enthousiasme par le doute; la bonne conscience elle-même apparaît comme un danger, comme si elle résultait du camouflage et de la lassitude d'une sincérité plus fine; et avant tout on prends parti, on prend parti radicalement contre " la jeunesse". ( Dix ans se passent, et on comprends que tout cela étais encore.....dela jeunesse!
Friedrich Nietzsche: Par-delà bien et mal p-50
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