GUY  CHASSAGNARD

Un enfant de Figeac

Charles Boyer - Acteur

SEGNAT  EDITIONS
(FIGEAC)



Tous droits réservés pour tous pays.  © 1999 — Segnat Éditions : BP 68  46100 - FIGEAC
ISBN 2-901082-10-6


Note au Lecteur : Le texte de l'ouvrage présenté a été publié en mai 1999,
à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de l'acteur figeacois,
dans un livre de 192 pages et 57 photos
qui peut être obtenu auprès de l'éditeur
au prix de 98 francs (franco de port).


(Retour à Figeac-Index)

TABLE DES MATIÈRES

 1 - Un enfant de Figeac  - cliquer ici
 2 - Sorbonne et Conservatoire  - cliquer ici
 3 - Du théâtre au cinéma  - cliquer ici
 4 - L’homme et l’acteur  - cliquer ici
 5 - A la conquête des U.S.A.
 6 - La gloire et l’amour
 7 - The French lover
 8 - La guerre
 9 - Retour au pays natal
10 - L’âge mûr
11 - La perte d’un enfant
12 - Mourir d’aimer
13 - En guise de conclusion
       La filmographie  - cliquer ici


AVANT PROPOS

Désirant consacrer une « première » biographie à Charles Boyer, cet acteur de théâtre et de cinéma qui fut, en son temps, l’un des ambassadeurs les plus renommés à l’étranger de la France artistique, nous avons dû cheminer longuement parmi les incertitudes et les indifférences.
Avec pour souci premier celui de définir ses dates réelles de naissance et de décès. Les hommes célèbres n’ont d’habitude pas de secret ; Charles Boyer, lui, a fait ample collection d’erreurs.
Nous corrigerons donc d’abord, dans ce propos, les incertitudes de sa naissance. Non, comme l’affirment souvent dictionnaires et encyclopédies du cinéma, Charles Boyer n’est pas né à Figeac le 28 août 1897. Il n’est pas né, non plus, comme il lui est arrivé de l’affirmer lui-même (!), le 28 août 1901. Mais, avec précision et certitude, le lundi 28 août 1899 ; il y a donc exactement cent ans…
Non, Charles Boyer n’est pas mort le lundi 28 août 1978, le jour même de son anniversaire… Son décès, volontaire, survint deux jours plus tôt, le samedi 26.
Ces précisions faites au titre des incertitudes, plaçons au rang des indifférences l’absence d’informations et de souvenirs disponibles concernant Charles Boyer. Notamment dans sa ville natale où l’on a su honorer sur les plaques de rues des célébrités passées comme Georges Brassens, Frédéric Mistral ou Marcel Pagnol, mais ignorer totalement le fils de ce modeste « fabricant et marchand de machines agricoles» du boulevard Labernade (aujourd’hui boulevard Juskiewensky). Parler de Charles Boyer ici ? Vous n’y pensez pas !…
Nous souhaitions évoquer la vie d’un figeacois célèbre. Pour ce faire, et à défaut de rencontrer la facilité, nous avons dû fouiller longuement la presse d’hier et, même, du jour précédent. Nous avons aussi bien visité la Cinémathèque de Toulouse que la Bibliothèque nationale de France. Nous avons, encore, voyagé sur le réseau virtuel de l’Internet et arpenté les rues des lointains quartiers de Hollywood où vécut notre acteur.
Le résultat de notre recherche tient dans les quelques pages de cet ouvrage ; incomplet, certes, mais néammoins suffisant, pensons-nous, pour admettre que Charles Boyer, authentique fils du pays figeacois, fut en son temps un grand artiste de cinéma et de théâtre — l’égal des plus grands ! — ainsi qu’un homme de cœur, méritant mieux que l’incertitude, l’indifférence ou simplement l’oubli.
 


1 - Un enfant de Figeac

1899 - En ce temps là, Figeac n’était qu’une petite sous-préfecture assoupie dans ses vieilles pierres et ses crépis délavés. Ses édiles municipaux, en quête de grandes réalisations novatrices, n’avaient pas encore entrepris d’abattre tout un quartier urbain à seule fin d’en faire une place publique. A Paris, les frères Lumière venaient tout juste (le 28 décembre 1895) de faire, dans les sous-sols d’un grand café parisien, leur première projection de L’arroseur arrosé et de La sortie des usines Michelin.
Ce fut alors que naquit Charles Boyer, dans une grande maison bourgeoise du boulevard Labernade ; un enfant prématuré de 2 kilos 200. La naissance eut lieu le lundi 28 août 1899, jour de la saint Augustin.
Le père, Maurice, aurait aimé devenir avocat et collectionnait de ce fait aussi bien les ouvrages classiques que les livres de droit. La mère, Augustine, Marie, Louise, était habile au jeu de la harpe et n’hésitait pas, sur invitation pressante de son entourage, à chanter haut et fort quelqu’air connu d’opéra…
Le petit Charles fit ses premiers pas dans les ateliers de « construction en fer, cuivre et tôle », et le magasin de «vente de fourneaux de cuisine, charrues brabant, faucheuses et moissonneuses-batteuses » de Papa Boyer, un homme qui eut toujours de l’affection pour son fils sans posséder, toutefois, l’art de l’exprimer. Ce fut, au sein même de l’entreprise familiale, «fondée en 1812», que l’enfant révéla bientôt ses dons artistiques. La légende veut qu’à trois ans, juché sur un comptoir, il aurait devant une clientèle étonnée, mais ravie, déclamé tout un texte sur la Crucifixion. De cela, Charles Boyer, devenu adulte, ne put jamais se souvenir.
« Je ne sais pas, confia-t-il un jour, comment cette histoire a démarré. J’ai eu toutefois, très tôt, une excellente mémoire me permettant, encore aujourd’hui, de me souvenir de mon enfance et des événements qui la marquèrent. »
Ce qui est sûr, c’est qu’il revint à Louise Boyer le privilège d’apprendre à lire à son fils. Bien avant d’entrer en maternelle, à l’école Jeanne d’Arc de la ville, Charles Boyer était capable de réciter son alphabet et de lire Shakespeare à haute voix.
Un petit génie ? Certes pas. L’enfant ne se distingua jamais des autres dans le domaine culturel. Attiré par les activités physiques, il montrait toutefois un caractère quelque peu fermé ; introverti, pourrait-on dire.
« J’étais sociable, mais je ne prisais pas tellement la compagnie des enfants de mon âge. Je faisais figure d’un vieillard dans un corps de petit garçon. La compagnie des adultes me convenait mieux…»
Charles Boyer n’avait pas encore atteint l’âge de sept ans qu’il se trouva effectivement juché sur le comptoir du magasin paternel. Il s’agissait de réciter publiquement, à qui se trouvait là pour l’entendre, quelques longues tirades en vers dues, notamment, au poète François Villon. Le succès fut très grand.
L’enfant venait d’entrer dans la plus petite des classes du collège Champollion où il devait effectuer ses études primaires puis ses études secondaires jusqu’au baccalauréat. Ses dispositions pour la « récitation » lui valurent rapidement d’être choisi pour paraître sur scène dans toutes les présentations poétiques, littéraires ou théâtrales de l’établissement ; celles-ci furent, semble-t-il, fort nombreuses.
« C’est ainsi que jusqu’à ma sortie du collège, je devais être un des plus fidèles protagonistes de ces spectacles, dont le programme devenait, d’année en année, plus copieux et plus ambitieux. Nous jouions Molière, Cyrano, L’Aiglon, Le voyage de M. Perrichon.
« Je tenais tous les premiers rôles avec un absolu dédain des emplois. Perrichon et Cyrano dans la même soirée, voire Metternich, n’étaient point pour me faire peur. »
Si le jeune Charles excellait sur les planches, il n’en était pas de même dans les autres matières de l’enseignement classique qui lui était prodigué. Ne revendiquant pas, ouvertement, la dernière place, réservée aux cancres, il ne disputa jamais à quiconque la première ou la seconde.
« J’aimais jouer, travailler à condition que je ne m’en aperçoive pas, distribuer à l’occasion des coups de pieds dans les tibias de mes petits camarades, ou leur tirer quelque peu les cheveux, quitte à subir le même traitement d’une âme égale… »
A l’âge de dix ans, Charles Boyer connut sa première épreuve. Son père, alors âgé de trente-cinq ans, mourut subitement d’une attaque d’apoplexie. Sa mère entreprit de l’élever, seule, en lui donnant la meilleure éducation bourgeoise qui fût. Ainsi Charles prit-il ses premières leçons privées de violon — instrument qu’il mania, avec dextérité et talent, tout au long de sa vie.
S’il découvrit, fortuitement, les aventures de Max Linder pour lesquelles il se passionna, dans quelque cinéma ambulant de l’époque, il n’échappa pas à une première visite au théâtre de Toulouse où, dans une pièce due à un certain Henry Bernstein, intitulée Samson, se produisait le « grand » Lucien Guitry. Ce fut d’ailleurs, là, une révélation.
L’acteur parisien eut, dès l’abord, une profonde influence sur l’imagination et la détermination du jeune figeacois. Interrogé à l’occasion de sa première communion sur son avenir, celui-ci devait répondre publiquement : « Je serai acteur, tout comme Lucien Guitry ! » Ce qui ne fut guère du goût de Madame Boyer qui voyait déjà en son fils un prêtre, un médecin ou un avocat.
Acteur, Charles Boyer le fut bientôt dans les dépendances de la maison familiale où il entreprit de monter, avec quelques camarades, une version toute personnelle du Macbeth de William Shakespeare. En l’absence de filles, Charles jouait lui-même le rôle de Lady Macbeth. La production connut un certain succès auprès des parents qui acceptèrent de payer leur place pour voir jouer leur progéniture.
Plus fier de lui-même que du jeu de ses partenaires, Charles aurait aimé donner de nouvelles représentation, mais sa troupe se disloqua bien vite, attirée par d’autres occupations récréatives.
Seule, au milieu d’une salle vide, la future vedette cinématographique s’amusa dès lors à apprendre les longs monologues du théâtre classique et à les déclamer à la façon de son idole, Lucien Guitry.
En 1913, alors qu’il atteignait ses quatorze ans, Charles Boyer découvrit Paris avec sa mère et eut le privilège de voir sur scène Sacha Guitry — qu’il trouva toujours inférieur à son père, alors en tournée provinciale. Sa détermination s’établit à ce moment de façon définitive : il serait plus tard acteur, à Paris où, affirma-t-il, « l’on ne saurait être médiocre ».
Survint la guerre opposant la France et ses alliés aux forces germaniques et austro-hongroises. Ceci au moment même de son quinzième anniversaire. Chacun pensait que le conflit ne durerait que quelques semaines, au pire quelques mois…
En 1916, bien que Figeac fût à des lieues des combats, son hôpital devint un centre de repos et de convalescence pour les blessés du front. Charles Boyer se porta volontaire, avec un camarade, pour assurer le divertissement des troupes, mêlant le chant, la musique et la déclamation. Ce fut aussi le temps de la préparation du baccalauréat :
« Ah ! Cette année de philosophie, la dernière que je passai dans ce cher collège de Figeac, quels bons souvenirs elle me laisse : de longues rêveries empreintes de ce charme unique et si subtil de l’adolescence, de lectures au coin du feu ou, aux beaux jours, à plat ventre dans l’herbe parfumée, de fiévreuses discussions !…
« Nous étions quatre en philo. Vers la fin du premier trimestre, notre professeur dut nous quitter, non sans émotion : il était mobilisé. il fut remplacé par une « licenciée ès lettres » de vingt ans, fort jolie. Nos dissertations sur les passions et les sensations étaient plus des déclarations voilées que des devoirs d’élèves. »
Les anciennes loges de l’ancien Théâtre municipal portent, encore aujourd’hui, témoignage d’une soirée artistique du collège Champollion offerte en 1916 au public figeacois. A côté du nom de Metternich, personnage central de L’Aiglon, figure, dans le plâtre du mur, celui de Charles Boyer…
Ayant passé, avec succès, son baccalauréat au début de l’été 1917, à Cahors pour l’écrit et à Toulouse pour l’oral, le jeune homme dut se résoudre à choisir sa voie. Celle-ci, dressée sous l’autorité de sa mère, ne laissa point de place à la récréation ou au théâtre. Il fut ainsi formellement convenu que Charles irait fréquenter la Sorbonne de Paris pour y acquérir les diplômes de philosophie nécessaires au professorat.
« Cette perspective n’avait rien pour moi que de fort plaisant. Je ne connaissais pas Paris, et j’étais enchanté de faire sa connaissance. En outre, vite oublieux des douces années passées à Figeac, je n’étais pas fâché, et il me paraissait urgent de vivre une existence plus libre et plus mouvementée.
« Enfin, j’étais bien décidé à m’introduire dans les milieux de théâtre et, le cas échéant, à tenter ma chance… »
Pour réussir dans la vie, Charles Boyer possédait alors quatre cartes majeures : un diplôme, une volonté tenace, une mémoire patiemment cultivée, enfin une prestance de jeune homme bien élevé.

---
(Retour)

2 - Sorbonne et Conservatoire

1917 - Parti chercher la gloire et éventuellement la fortune dans la capitale, Charles Boyer se vit d’abord contraint de résoudre les plus simples problèmes d’intendance, à savoir trouver une chambre à prix modéré et des repas à prix raisonnable. Chambre et repas lui évitant d’avoir, ensuite, à faire, par la force des choses, la moindre économie.
La faculté occupa ses journées, l’oubli volontaire d’un repas lui permit parfois de passer la soirée au «poulailler » de quelque théâtre parisien.
« Le hasard me fit rencontrer toutefois, quelques jours après mon arrivée à Paris, alors que je déambulais sur le boulevard Saint Michel, mon compatriote Maurice Escande. Après les exclamations d’usage, je me hâtai de lui faire part de mes secrètes ambitions.
« Escande, qui était déjà très lancé, me fit la grâce de m’écouter et poussa même l’amabilité jusqu’à me proposer de me donner mes premières leçons de diction… »
Ainsi fut fait. Étudiant studieux en philosophie, Charles Boyer devint aussi apprenti passionné d’art dramatique. Malheureusement, le professeur était très pris par son travail et l’élève résolu à ne pas trop négliger ses cours de Sorbonne.
« De sorte que nos rencontres et les occasions de m’instruire furent fort espacées.
« Mon entrée dans le milieu du théâtre consista surtout cette année là à entrer le plus fréquemment possible au théâtre, mais en qualité de «cochon de payant». J’allais le plus souvent à l’Odéon, tout proche de la pension de la rue de Fleurus où je logeais. »
Les jours, les semaines, les mois passèrent entre la réalité de la philosophie et l’espoir du théâtre. Vinrent les vacances. Charles Boyer retourna près de sa mère, à Figeac.
« Or ces vacances devaient être marquées d’un fait important. Un jour que je débouchais sur la place de l’Église, je tombai sur Raphaël Duflos que j’avais eu l’occasion de connaître à Paris.
« Il était en train, me dit-il, de tourner un film, Travail, d’après Émile Zola, à quelques kilomètres de là, à Decazeville, ceci avec Henri Pouctal. Naturellement, dans les jours qui suivirent, je m’en fus souvent à Decazeville. Je bavardai longuement avec Raphaël Duflos. Il me donna quelques leçons et me conseilla de me présenter au Conservatoire… »
Une partie de l’été 1918 se passa pour Charles Boyer auprès de l’équipe de tournage. Il fut même un moment question de lui attribuer un rôle. Finalement, le futur acteur ne parut que dans une scène du film, parmi les figurants. De retour à Paris, au terme de ses vacances figeacoises, Charles Boyer se présenta au concours d’entrée au Conservatoire national supérieur de musique et de déclamation. Pour s’y voir recaler à la seconde épreuve.
« Je ne m’affectai pas plus que de raison de ce contretemps. D’illustres exemples étaient bien faits pour me consoler, voire pour m’encourager. »
L’étudiant reprit les cours de la Sorbonne, comme le lui avait recommandé sa mère avant son départ de Figeac.
« Je n’ai jamais tenu pour négligeable un conseil de ma Mère, et je n’ai jamais eu qu’à m’en féliciter : ils furent toujours dictés par la plus tendre sollicitude maternelle, en même temps que par une parfaite compréhension des choses.
« Plus tard, il devait m’arriver maintes fois de lui faire lire un manuscrit avant d’accepter un rôle. A défaut de ce que l’on nomme un esprit parisien, elle possédait au plus haut degré cette qualité plus rare : un solide bon sens, lié à une culture étendue… »
Cours de faculté le jour, représentations théâtrales (payantes) le soir, Charles Boyer vécut sans heurts sa vie parisienne d’étudiant, celle-ci ne laissant aucune place aux frivolités ni aux jeunes demoiselles de son temps.
« Mais si je continuais à suivre mes cours, c’était plus par un goût bien naturel de m’instruire et de m’ouvrir l’esprit, qu’avec la conviction de tenter de la carrière universitaire. A dix-neuf ans, j’étais à la vérité très exactement fixé : je me consacrerais désormais au théâtre et à rien d’autre qu’au théâtre.
« Aussi n’hésitais-je pas bientôt à sacrifier quelques uns de ces cours à toutes les occasions de jouer la comédie que je pouvais trouver. Grâce à la complaisance, en effet, de quelques camarades rencontrés lors des épreuves du Conservatoire, je pus prendre part à quelques rares tournées.
« Selon les cas, je jouais des petits rôles et des grands — avec courage mais sans éclat. »
L’armistice de novembre 1918, qui marqua la fin d’une guerre cruelle longue de quatre années, ne changea rien dans la vie parisienne de Charles Boyer.
« On me demanda un jour de jouer L’Arlésienne, à Orléans. J’acceptai, bien entendu. On m’y confia le rôle de Fréderi. J’étais tellement ému de cet honneur qu’au moment d’entrer en scène, au premier acte, je perdis soudain tous mes moyens. J’avais à lire les lettres de l’Arlésienne à Mitifio : à peine avais-je ouvert la bouche qu’un cri rauque, quasi inhumain, en sortit me faisant rougir jusqu’à la racine des cheveux sous mon maquillage. J’en restai aphone jusqu’à la fin de la représentation… »
Dans les mois qui suivirent, les petits rôles dans les tournées secondaires se multiplièrent ; se multiplièrent aussi les absences à la Sorbonne dont finalement Charles Boyer devait sortir sans diplôme, par la petite porte de la désertion. Les archives de la noble faculté ne font pas état du diplôme de licence ès philosophie dont l’acteur fut, par la suite, souvent paré… Le théâtre fut de cela responsable et Maman Boyer n’eut plus, dès lors, qu’à s’en consoler.
Mais, comble de bonheur, Charles Boyer parvint à trouver un rôle sur une scène parisienne. Il s’agissait du théâtre Sarah-Bernhardt où l’on allait représenter La jeune fille aux joues roses, de François Porché, avec le concours de Simone, cumulant alors les fonctions d’actrice vedette et de metteur en scène.
« On me confiait deux rôles. Mais deux rôles ne comportant pas plus de cinq lignes chacun. J’avais toutefois la grande satisfaction de gagner dix francs par soirée — soit du vingt sous la ligne…
« J’avais tellement envie de bien faire et j’étais tellement intimidé que je fus simplement détestable. J’étais mal à mon aise, je ne savais que faire de mes mains, de mes pieds, et ma voix, mal placée, prenait des tons d’une gravité tout à fait excessive. Enfin, pour tout arranger, mon accent méridional se livrait à une contre-offensive — car j’avais longuement travaillé à l’annihiler — des plus fâcheuses.
« C’était complet, comme vous voyez.
« Le soir de la «générale», avant le lever du rideau, Simone lançait à chacun d’ultimes encouragements. Mais quand elle arriva à moi, elle ne put trouver autre chose à dire, malgré toute sa bonne volonté, que ceci : Quant à vous, Boyer, gueulez, mon Ami, gueulez, car vous avez une voix sourde que c’est une horreur !
« Après la représentation, la même Simone eut pitié de moi et me dit gentiment : Je ne voudrais pas vous décourager, mon cher Boyer. Mais croyez-vous que vous avez intérêt à persévérer dans la carrière théâtrale ? Surtout vous, qui avez la chance de pouvoir réussir ailleurs… »
Malgré la douche écossaise qu’il venait de subir, Charles Boyer se refusa à abandonner le théâtre qui, pour l’heure, n’avait que faire de lui. Il s’entêta à rechercher les petits rôles, à apprendre par cœur les répliques les plus compliquées, à masquer son accent du terroir lotois, à combattre ses moments de panique, bref à devenir peu à peu un acteur confirmé.
« Je recommençai bientôt à participer à de petites tournées en province. On m’engageait surtout en considération de ma mémoire qui, à cette époque, était assez remarquable. Une nuit me suffisait pour apprendre un rôle et j’étais, en outre, capable à l’occasion de souffler le leur à mes camarades de scène. »
Ainsi vécue, l’année 1919 ne manqua pas d’attrait pour Charles Boyer, d’autant qu’il faillit, cette année là, faire son entrée à la Comédie française. Assistant à une représentation de la noble compagnie il trouva à l’affiche le nom de Victor Francen, ami de son propre ami Raphaël Duflos. Reçu dans la loge de l’acteur, déjà renommé, l’étudiant bénéficia de quelques conseils et, surtout, d’un encouragement appuyé pour se présenter à une audition. Charles Boyer avait toutes les chances d’être admis, mais un certain Pierre Fresnay condamna, sans appel, son inexpérience.
Selon la légende — et il faut admettre une fois pour toutes que la vie des stars est toujours riche de légendes — le futur acteur aurait, de rage, pris la «cuite» de sa vie : au vin de Bourgogne, ce qui l’aurait dégoûté à jamais des crus de l’une des régions vinicoles françaises pourtant des plus appréciées.
Nouvelles tournées en province pour Charles Boyer.
« Avant de repartir en vacances chez moi, à Figeac, je jouai à Bergerac Les romanesques, puis encore L’Arlésienne. J’y manifestai quelques progrès et bénéficiai du succès de la représentation…
« A la demande du directeur du théâtre, nous décidâmes de jouer, le lendemain, Le flibustier. Je ne savais pas le premier mot du rôle, mais je n’eus aucune peine à l’apprendre dans la nuit. Le matin, une autre difficulté se présenta ; Yvonne Ducos, vedette de notre troupe, fut rappelée d’urgence au Français.
« Il fallut lui trouver une remplaçante — en la personne d’une jeune fille du pays qui, à défaut d’autres qualités, avait le physique de l’emploi. Elle parut le soir même sur la scène, à la grande joie de ses camarades venus nombreux à la représentation.
« Défense avait été faite, cependant, à notre vedette d’ouvrir la bouche sous quelque prétexte que ce fût. Nous improvisâmes ou récitâmes son texte à tour de rôle et la représentation s’acheva tant bien que mal. »
Nouvelles vacances d’été à Figeac dans le calme et le repos. Charles Boyer était encore dans sa ville natale un acteur inconnu. De la rue Droite à la place des Sabots s’entretenaient alors bien d’autres sujets de conversation. A la fin de l’été survinrent, cependant, deux événements intéressant le présent et l’avenir professionnels de Charles Boyer : son emménagement dans l’appartement que se partageaient deux de ses camarades comédiens, Philippe Hériat et Pierre Brasseur, surtout son entrée au Conservatoire — dans la classe même de Raphaël Duflos…
Dernier événement significatif de l’année 1919, la rencontre de Charles Boyer avec son idole, Lucien Guitry. Celle-ci eut-elle lieu avant ou après les vacances ? Qu’importe. Ce qui est sûr, c’est qu’elle fut précédée par une bonne dizaine de représentations, en reprise, du Samson d’Henry Bernstein. Lucien Guitry manifesta l’envie de connaître ce jeune homme attentif, mais discret, qui se trouvait tous les soirs dans la salle.
Charles Boyer pénétra, fortement intimidé, dans la loge du Maître. Guitry manifesta, semble-t-il, de l’intérêt pour l’ambition du jeune homme et lui prodigua quelques conseils.
« Il me dit différentes choses qui entrèrent dans ma façon de penser et de jouer tout au long des années qui suivirent. Il souligna notamment que le public se montre toujours assoupi en raison du ronronnement que font naître les acteurs par leur jeu monotone et répétitif. Vous n’avez pas le droit, me dit-il, si vous êtes un acteur, digne de ce nom, de dire deux fois Bonsoir de la même façon. »
A partir de cet entretien, Charles Boyer se fit un devoir de ne jamais jouer deux fois une pièce de façon routinière — ni de tourner plus tard de façon identique deux prises de vue d’un même plan. Jamais, non plus, ne faillit-il à une audition destinée à obtenir un rôle.
Rapportées pour le plaisir ces quelques lignes extraites des Années folles de Marcel Dalio, acteur-aventurier de l’entre-deux-guerres :
« L’un des dieux de ce Panthéon (le Little Palace, beuglant de la rue de Douai) était un jeune homme très beau, d’aspect provincial, à l’air triste et romantique, qui semblait aimer la solitude et plaisait beaucoup aux filles. Il m’intriguait ; j’aurais voulu être comme lui.
« Nous avions fait connaissance et il s’était présenté: Charles Boyer. Le côté sérieux, bon genre, de Charles était comme un défi à la vie que je menais…»
Un dernier mot sur les vingt ans de notre jeune acteur : appartenant à la classe 19, celui-ci n’eut pas à faire de service militaire.

---
(Retour)

3 - Du théâtre au cinéma

1920 - Charles Boyer suivait depuis plusieurs mois les cours du Conservatoire, suivait encore ou ne suivait plus ceux de la Sorbonne (qui sait ?), lorsque se produisit un événement inattendu, mais lourd de conséquence pour sa jeune vie d’acteur.
Le théâtre des Champs-Élysées annonçait à l’affiche Les jardins de Murcie, avec un certain Romuald Joubé en premier rôle. Le matin même de la « générale », l’acteur fut victime d’un malencontreux malaise qui le fit s’aliter d’urgence. La représentation allait être annulée quand survint Philippe Hériat — qui vit dans l’incident un moyen d’aider son ami Boyer.
Au directeur du théâtre, Hériat vanta les mérites de ce jeune acteur, peu connu du public  mais plein de talent, qui était capable d’apprendre un rôle en quelques heures seulement. Jeté hors de sa chambre avant d’avoir réellement compris ce qu’on lui demandait, Charles Boyer se trouva enfermé dans une loge, un livret complet à la main.
Sans même connaître les acteurs et les actrices de la pièce, sans la moindre répétition, notre étudiant apprit son rôle et tous ceux que comportaient le livret. Si bien qu’au metteur en scène, particulièrement stressé par son « échec » du soir, qui lui demandait de faire quelques coupes dans son texte, il répondit : « Mais je ne peux pas. J’ai appris tous les rôles et la moindre coupure me ferait perdre pied ! »
Maquillé hâtivement, doté d’un costume retouché au pied levé, Charles Boyer entra en scène sans paniquer, tout en redoutant (il devait l’avouer plus tard) le pire. Jouant son rôle avec précision, sans grande noblesse mais sans la moindre erreur de texte, il lui arriva même, à plusieurs reprises, d’aider un partenaire défaillant. Le rideau tomba sous les applaudissements nourris du public. Paris venait de se doter d’un nouveau jeune premier.
Autre point positif : dans la salle se trouvait, ce soir là, un certain Firmin Gémier, metteur en scène de son état. Charles Boyer devait être contacté par lui, quelque temps plus tard, pour jouer un rôle important dans La grande pastorale, pièce annoncée au cirque d’Hiver. Là encore il y avait une défection due à la maladie, mais avant l’impression des affiches.
Quant à la prestation du jeune débutant au théâtre des Champs-Élysées, elle ne dura qu’une dizaine ou une douzaine de représentations ; le temps pour l’acteur titulaire de se rétablir et de remplir son contrat.
« La maladie des autres m’a porté chance… », devait avouer, plus tard, Charles Boyer. « Mais ce fut là ma première véritable création, et ce fut mon premier véritable succès. A la suite de quoi Gémier me fit signer un contrat de cinq ans… »
La critique théâtrale fut unanime pour vanter ses mérites. « M. Charles Boyer a joué son rôle avec une sincérité émouvante », écrivit Robert de Flers dans Le Figaro du 14 mars 1920.
Jane Catulle-Mendès le qualifia, dans La Presse, de « silhouette tourmentée et visionnaire impressionnante». «M. Charles Boyer nous a tiré les larmes des yeux par la façon simple et sincère avec laquelle il joua le rôle de Ramsès », affirma Jean-José Frappa dans Comœdia.
Dans La grande pastorale, Charles Boyer jouait le rôle d’un jeune pâtre qui devient aveugle. Près de lui se trouvaient d’autres artistes inexpérimentés appelés à devenir bientôt célèbres : Duvallès, Charles Dullin, Rolla Norman, Marcel Vibert, Dullac.
Firmin Gémier étant passé au théâtre Antoine, Charles Boyer s’y retrouva, bientôt, dans la redingote d’un ministre pour la pièce de M. Arquillière titrée La branche morte.
« Boyer dans un rôle de ministre fait oublier sa jeunesse à force d’autorité, de vigueur et de véritable talent », affirma Bonsoir le 9 octobre 1920. Presque dans le même temps, Charles Boyer revint au théâtre des Champs-Élysées afin d’y jouer Les mille et une nuits, avec Andrée Mégard et Victor Francen.
Mais déjà, il avait tenu son premier rôle dans une production cinématographique, une « marine » comme on disait à l’époque, intitulée L’homme du large. L’acteur de théâtre était ainsi devenu acteur de cinéma ; son nom de ville était désormais nom de scène et d’écran. Indiquons à ce propos que notre acteur figeacois avait longtemps rêvé de porter vers la gloire un nom d’emprunt choisi, sans pourtant parvenir à en trouver un à son goût. Il craignait en effet d’être confondu avec un certain Lucien Boyer, plus connu que lui dans les milieux artistiques.
Au directeur de théâtre pressé d’imprimer les affiches de La grande pastorale, il n’avait pu qu’avouer finalement : « Tant pis, je garderai mon propre nom, mais Charles Boyer, cela ne me dit pas grand chose ! »
Futur fondateur de l’Institut des hautes études cinématographiques, Marcel L’Herbier était, en 1920, un cinéaste renommé, souvent qualifié de «novateur». Son film L’homme du large, réalisé en Bretagne, présenta la particularité de mettre en scène et en valeur la mer et ses foucades.
Il s’agissait d’un sombre drame de Balzac, transposé dans l’époque contemporaine. Jaque Catelain, acteur déjà célèbre, y interprétait un jeune marin que dévoyait un camarade (Charles Boyer) de bar et de soûlerie. Sa mère mourait de chagrin : il volait son argent et blessait sa sœur. Puni par son père (Roger Karl), le malheureux héros était finalement attaché au fond d’une barque lâchée au gré des flots ; pour revenir bientôt en enfant prodigue méritant le pardon. Le film connut un succès certain après avoir, toutefois, subi quelques coupures exigées par la censure cinématographique du moment.
Les critiques furent élogieuses pour les principaux interprètes, notamment pour Jaque Catelain «passé du rang d’artiste agréable et adroit à celui de tragédien». Louis Delluc n’hésita pas à qualifier le metteur en scène de «maître incontestable de la technique s’affirmant comme le premier photographe du monde ». Charles Boyer n’eut, quant à lui, ni à se féliciter, ni à se plaindre des critiques : elles ne le citèrent en aucune façon. Il se jura donc, face à une telle indifférence, de ne pas tourner d’autre film.
Les acteurs de théâtre restaient alors divisés sur l’intérêt d’un septième Art qui n’accordait point de place à la parole et tendait à traduire les sentiments par des grimaces accentuées. S’adressant aux lecteurs de La cinématographie française, Étienne Rey-Andrieu voulait bien admettre qu’en imitant, voire en représentant tous les autres arts, le cinéma « veut faire du théâtre » ; mais un théâtre de second ordre privé des chefs-d’œuvre classiques ou modernes de l’art dramatique. « C’est donc la copie de l’Art, si l’on peut dire… »
Signalons, pour le plaisir, qu’un jeune étudiant des Beaux Arts, devenu pour l’heure « assistant », figurait parmi les figurants de l’Homme du large : Claude Autant-Lara — le futur réalisateur du Blé en herbe et du Franciscain de Bourges.
Une dernière référence à l’année 1920. Le 21 septembre, Charles Boyer assista à la mairie du XVIe arrondissement de Paris au remariage de sa mère, alors âgée de quarante ans, avec un certain Georges Rossignol, inspecteur d’académie. Cette célébration marqua son indépendance, tant morale que financière vis-à-vis de celle qui aurait aimé que son fils unique fût prêtre, médecin ou professeur.
1921 fut l’année de l’épanouissement de la carrière théâtrale de Charles Boyer. Avec, tout d’abord, une succession de pièces jouées au théâtre Antoine : La branche morte, Kœnigsmark, La cigale ayant aimé, La bataille — où Gémier jouait le rôle d’un officier japonais que notre acteur devait reprendre plus tard à l’écran. Avec aussi un accès d’humeur faisant soudain « sortir » notre jeune figeacois du Conservatoire.
Prenant part au concours annuel de l’institution, Pierre Blanchar, Fernand Ledoux et Charles Boyer espéraient bien remporter un premier prix de comédie ; ils n’en obtinrent qu’un second et tous démissionnèrent sur le champ.
« Libre de toute entrave, mon activité théâtrale sera sans cesse croissante. Ma deuxième saison me voit créer au théâtre Antoine La Dolorès, avec Mary Marquet et Pierre Blanchar qui y remporte un des plus grands triomphes de sa carrière ; L’autre fils, au théâtre des Arts ; Le spectre de Monsieur Imberger, au théâtre Antoine ; Le loup de Gubbio, à la Grimace; Haya, à la Comédie des Champs-Élysées. »
Dans le même temps, Charles Boyer devait tenir un rôle dans trois films différents : Chantelouve, en 1921, Le grillon du foyer et L’esclave, en 1922.
Chantelouve était un drame psychologique comme savaient si bien les faire, dans les années vingt, les maîtres de l’Art muet. Signé Georges Monca, il contait les souffrances et les débordements d’un aristocrate maladivement jaloux de tous ceux qui approchaient sa femme. Capable de tuer, celui-ci était finalement abattu comme un fauve furieux.
Hebdo-Film souligna que « M. Charles Boyer mérite de bien sincères compliments » dans un rôle qualifié par ailleurs, dans La Cinématographie française, d’« assurément difficile ».
Film plein de fraîcheur et de poésie, réalisé par Jean Manoussi, Le grillon du foyer transposait en images un conte de Charles Dickens. L’histoire était celle de deux couples — dont l’homme était plus âgé que la femme — confrontés à la venue d’un jeune homme accoutré en vieillard ; bref de l’amour et de la jeunesse l’emportant sur l’âge et la jalousie.
Le grillon du foyer mérita à Charles Boyer quelques éloges dans la presse parisienne et son nom apparut dès lors plus important sur les affiches. Ainsi fut-il tout naturellement de l’équipe de L’esclave que dirigeait Georges Monca, le metteur en scène de Chantelouve. Il s’agissait encore d’un drame mêlant l’intrigue, le chantage, la mort et la justice. Bien entendu, pour la sauvegarde de la morale et la satisfaction du public, l’amour l’emportait, mettant en fuite l’ombre sanglante du passé et du malheur.
Désormais, Charles Boyer put, tout à la fois, prétendre être un acteur de théâtre et de cinéma, bien que son goût penchât plutôt pour la scène où son accent se faisait de plus en plus parisien. On alla le voir et l’admirer dans Charly, au Michel ; dans Le bien-aimé, de Jacques Deval, à la Renaissance ; dans Paname, de Francis Carco ; dans La marche au destin, de Pierre Frondaie ; dans Le plaisir et Le lit nuptial, de Charles Méré ; dans Le Rubicon, d’Édouard Bourdet ; dans L’homme d’un soir, de Denys Amiel ; dans Simili, de Roger Marx…
Charly fut, pour Charles Boyer, l’occasion de montrer à son entourage qu’il possédait toutes les qualités du parfait séducteur. Naquit, en effet, entre lui et l’actrice principale de la pièce, Renée Falconetti — future héroïne d’une très célèbre Passion de Jeanne d’Arc —, une longue liaison amoureuse au cours souvent passionné, sinon tumultueux… A l’époque, Falconetti avait trente ans, en avouait vingt-cinq et en paraissait moins de vingt.
De l’avis de certains de ses amis, cette liaison ne fut pas la seule que connut alors Charles Boyer au lendemain de ses propres vingt ans. Reportons-nous, pour en savoir plus, aux mémoires de l’acteur Marcel Dalio (Mes années folles) selon lesquelles on trouvait fréquemment Pierre Brasseur, acteur de grand talent et noceur invétéré, au bar-restaurant du théâtre de la Potinière « en train de se livrer à sa distraction favorite : voler la dernière conquête de Charles Boyer ».
« Les deux hommes n’avaient rien en commun (ou, plutôt si, des maîtresses, mais Boyer ne le savait pas). Boyer, déjà vedette grâce aux pièces d’Henry Bernstein, fréquentait des femmes entretenues dont les appartements devaient lui rappeler les décors dans lesquels il jouait. En réalité, il voyait dans sa vie privée les mêmes personnages que ceux qu’il incarnait à la scène. Brasseur, avec son allure de Pierrot génial et débraillé, avait le sentiment, lorsqu’il séduisait une femme de Boyer, de porter un coup à celui qu’il comparait à un gérant d’immeuble.
« Parfois, Charles arrivait pendant que Pierre et moi étions là. Tiens, voilà le Cocu ! s’écriait Brasseur. Et il riait, et il en remettait. Il prétendait même que Charles demandait sans cesse à ses conquêtes : Est-ce l’homme ou l’artiste que vous admirez ?… »
Il est à remarquer que tout au long de sa vie, tant après qu’avant son mariage, Charles Boyer se montra toujours des plus discrets sur sa vie intime. Aucun nom de conquête ne fut jamais cité par lui dans une interview ; jamais aucune photo de presse ne le montra en galante compagnie. La seule femme de sa vie semble n’avoir été que celle qu’il épousa, sur un coup de cœur véritable, un beau soir d’hiver de l’année 1934…
Ceci dit, revenons à la carrière de notre jeune acteur : « A l’orée de ma troisième saison théâtrale, se place un événement qui a sans doute fait gagner à ma carrière — jusqu’alors agréable, mais sans éclat — cinq ou six années de piétinement. Cela grâce à Pierre Frondaie qui me confie le principal rôle de L’insoumise, aux côtés de Vera Sergine et Mary Marquet. La pièce est un triomphe et attire sur moi l’attention des auteurs et directeurs.
« Après L’insoumise, c’est Le signe sur la porte, à la Renaissance, et Le voyageur, à la Chimère, qui me valent la visite d’Édouard Bourdet et d’Henry Bernstein. L’un me propose de jouer L’homme enchaîné, avec Marthe Régnier, au Fémina ; l’autre, La galerie des glaces, avec Madeleine Lély, au Gymnase. Ma saison s’achève, on le pense bien, dans l’optimisme. »
Une anecdote à propos de L’homme enchaîné : Charles Boyer reçut, un soir dans sa loge, une admiratrice du nom de Madame Porché, en qui il reconnut la célèbre Simone qui, quelques années auparavant, lui avait fortement suggéré de quitter le théâtre… L’acteur se vit ainsi remettre en édition de luxe, le texte intégral de La jeune fille aux joues roses avec la dédicace suivante : « A mon ami Charles Boyer, en hommage et en réparation. »
Opinion émise par Robert de Beauplan à propos de notre jeune acteur, dans le supplément théâtral de L’Illustration : « son jeu spontané et élégant, son aisance, sa voix chaudement timbrée et cette communication de sympathie qu’il établit aussitôt entre le public et lui font regretter qu’on n’ait pas encore fait appel à lui pour la Comédie française, où sa place paraît marquée… »
Avec sa Galerie des glaces (1925), Henry Bernstein, auteur, metteur en scène et épisodiquement acteur, devait apporter au jeune Charles Boyer la consécration. Ce fut avec cette pièce, qui tint l’affiche pendant plus d’un an, que celui-ci trouva son « rôle de prédilection ». Ce fut aussi le début d’une longue collaboration, et d’une longue amitié, entre Bernstein et Boyer.
Se succédèrent alors à la scène : Félix, Le secret et Le venin, chacune de ces pièces tenant l’affiche de quelques mois à… plus de cinq cents jours. Charles Boyer s’intégra ensuite à une troupe chargée de présenter les œuvres de Bernstein dans toute l’Europe ainsi qu’au Moyen-Orient. Ce fut au cours de ce long périple que notre jeune acteur développa un mal qui fut désormais à ranger parmi ses rares défauts d’homme adulte : le jeu — et que seul le mariage devait, plus tard, parvenir à contrôler sinon à guérir.
« Partout où nous allions, il y avait des casinos et je ne pouvais résister à la tentation. Chaque fois devait être la dernière. Quand je revins à Paris, j’étais complètement fauché… »
Pour « se refaire », ainsi que l’on dit près des tables de roulette, Charles Boyer ne trouva pas de meilleur allié que le cinéma. C’était en 1927.
Déjà, deux ans plus tôt, il avait failli figurer au générique de Madame sans gêne, film tourné à Paris par Léonce Perret. Mais la vedette principale du film, une certaine Gloria Swanson, l’avait trouvé « beaucoup trop grand » !

---
(Retour)

Charles Boyer - La suite

Si la vie et la carrière de Charles Boyer vous intéressent,
nous vous conseillons de lire l'ouvrage de Guy Chassagnard.
Celui-ci peut être fourni franco au prix de 98 francs
par SEGNAT ÉDITIONS
BP 68 - 46100 FIGEAC

---
(Retour à Table des matières)

---
(Retour à Figeac-Index)

segnat@wanadoo.fr

figeac@geocities.com


1