Un enfant de Figeac
Charles Boyer - Acteur
SEGNAT EDITIONS
(FIGEAC)
1 - Un enfant de Figeac
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2 - Sorbonne et Conservatoire
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3 - Du théâtre
au cinéma - cliquer ici
4 - L’homme et l’acteur
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5 - A la conquête des
U.S.A.
6 - La gloire et l’amour
7 - The French lover
8 - La guerre
9 - Retour au pays natal
10 - L’âge mûr
11 - La perte d’un enfant
12 - Mourir d’aimer
13 - En guise de conclusion
La filmographie - cliquer ici
Désirant consacrer une « première
» biographie à Charles Boyer, cet acteur de théâtre
et de cinéma qui fut, en son temps, l’un des ambassadeurs les plus
renommés à l’étranger de la France artistique, nous
avons dû cheminer longuement parmi les incertitudes et les indifférences.
Avec pour souci premier celui de définir ses dates
réelles de naissance et de décès. Les hommes célèbres
n’ont d’habitude pas de secret ; Charles Boyer, lui, a fait ample collection
d’erreurs.
Nous corrigerons donc d’abord, dans ce propos, les incertitudes
de sa naissance. Non, comme l’affirment souvent dictionnaires et encyclopédies
du cinéma, Charles Boyer n’est pas né à Figeac le
28 août 1897. Il n’est pas né, non plus, comme il lui est
arrivé de l’affirmer lui-même (!), le 28 août 1901.
Mais, avec précision et certitude, le lundi 28 août 1899 ;
il y a donc exactement cent ans…
Non, Charles Boyer n’est pas mort le lundi 28 août
1978, le jour même de son anniversaire… Son décès,
volontaire, survint deux jours plus tôt, le samedi 26.
Ces précisions faites au titre des incertitudes,
plaçons au rang des indifférences l’absence d’informations
et de souvenirs disponibles concernant Charles Boyer. Notamment dans sa
ville natale où l’on a su honorer sur les plaques de rues des célébrités
passées comme Georges Brassens, Frédéric Mistral ou
Marcel Pagnol, mais ignorer totalement le fils de ce modeste « fabricant
et marchand de machines agricoles» du boulevard Labernade (aujourd’hui
boulevard Juskiewensky). Parler de Charles Boyer ici ? Vous n’y pensez
pas !…
Nous souhaitions évoquer la vie d’un figeacois
célèbre. Pour ce faire, et à défaut de rencontrer
la facilité, nous avons dû fouiller longuement la presse d’hier
et, même, du jour précédent. Nous avons aussi bien
visité la Cinémathèque de Toulouse que la Bibliothèque
nationale de France. Nous avons, encore, voyagé sur le réseau
virtuel de l’Internet et arpenté les rues des lointains quartiers
de Hollywood où vécut notre acteur.
Le résultat de notre recherche tient dans les
quelques pages de cet ouvrage ; incomplet, certes, mais néammoins
suffisant, pensons-nous, pour admettre que Charles Boyer, authentique fils
du pays figeacois, fut en son temps un grand artiste de cinéma et
de théâtre — l’égal des plus grands ! — ainsi qu’un
homme de cœur, méritant mieux que l’incertitude, l’indifférence
ou simplement l’oubli.
1899 - En ce temps là, Figeac
n’était qu’une petite sous-préfecture assoupie dans ses vieilles
pierres et ses crépis délavés. Ses édiles municipaux,
en quête de grandes réalisations novatrices, n’avaient pas
encore entrepris d’abattre tout un quartier urbain à seule fin d’en
faire une place publique. A Paris, les frères Lumière venaient
tout juste (le 28 décembre 1895) de faire, dans les sous-sols d’un
grand café parisien, leur première projection de L’arroseur
arrosé et de La sortie des usines Michelin.
Ce fut alors que naquit Charles
Boyer, dans une grande maison bourgeoise du boulevard Labernade ; un enfant
prématuré de 2 kilos 200. La naissance eut lieu le lundi
28 août 1899, jour de la saint Augustin.
Le père, Maurice, aurait
aimé devenir avocat et collectionnait de ce fait aussi bien les
ouvrages classiques que les livres de droit. La mère, Augustine,
Marie, Louise, était habile au jeu de la harpe et n’hésitait
pas, sur invitation pressante de son entourage, à chanter haut et
fort quelqu’air connu d’opéra…
Le petit Charles fit ses premiers
pas dans les ateliers de « construction en fer, cuivre et tôle
», et le magasin de «vente de fourneaux de cuisine, charrues
brabant, faucheuses et moissonneuses-batteuses » de Papa Boyer, un
homme qui eut toujours de l’affection pour son fils sans posséder,
toutefois, l’art de l’exprimer. Ce fut, au sein même de l’entreprise
familiale, «fondée en 1812», que l’enfant révéla
bientôt ses dons artistiques. La légende veut qu’à
trois ans, juché sur un comptoir, il aurait devant une clientèle
étonnée, mais ravie, déclamé tout un texte
sur la Crucifixion. De cela, Charles Boyer, devenu adulte, ne put jamais
se souvenir.
« Je ne sais pas, confia-t-il
un jour, comment cette histoire a démarré. J’ai eu toutefois,
très tôt, une excellente mémoire me permettant, encore
aujourd’hui, de me souvenir de mon enfance et des événements
qui la marquèrent. »
Ce qui est sûr, c’est qu’il
revint à Louise Boyer le privilège d’apprendre à lire
à son fils. Bien avant d’entrer en maternelle, à l’école
Jeanne d’Arc de la ville, Charles Boyer était capable de réciter
son alphabet et de lire Shakespeare à haute voix.
Un petit génie ? Certes
pas. L’enfant ne se distingua jamais des autres dans le domaine culturel.
Attiré par les activités physiques, il montrait toutefois
un caractère quelque peu fermé ; introverti, pourrait-on
dire.
« J’étais sociable,
mais je ne prisais pas tellement la compagnie des enfants de mon âge.
Je faisais figure d’un vieillard dans un corps de petit garçon.
La compagnie des adultes me convenait mieux…»
Charles Boyer n’avait pas encore
atteint l’âge de sept ans qu’il se trouva effectivement juché
sur le comptoir du magasin paternel. Il s’agissait de réciter publiquement,
à qui se trouvait là pour l’entendre, quelques longues tirades
en vers dues, notamment, au poète François Villon. Le succès
fut très grand.
L’enfant venait d’entrer dans la
plus petite des classes du collège Champollion où il devait
effectuer ses études primaires puis ses études secondaires
jusqu’au baccalauréat. Ses dispositions pour la « récitation
» lui valurent rapidement d’être choisi pour paraître
sur scène dans toutes les présentations poétiques,
littéraires ou théâtrales de l’établissement
; celles-ci furent, semble-t-il, fort nombreuses.
« C’est ainsi que jusqu’à
ma sortie du collège, je devais être un des plus fidèles
protagonistes de ces spectacles, dont le programme devenait, d’année
en année, plus copieux et plus ambitieux. Nous jouions Molière,
Cyrano, L’Aiglon, Le voyage de M. Perrichon.
« Je tenais tous les premiers
rôles avec un absolu dédain des emplois. Perrichon et Cyrano
dans la même soirée, voire Metternich, n’étaient point
pour me faire peur. »
Si le jeune Charles excellait sur
les planches, il n’en était pas de même dans les autres matières
de l’enseignement classique qui lui était prodigué. Ne revendiquant
pas, ouvertement, la dernière place, réservée aux
cancres, il ne disputa jamais à quiconque la première ou
la seconde.
« J’aimais jouer, travailler
à condition que je ne m’en aperçoive pas, distribuer à
l’occasion des coups de pieds dans les tibias de mes petits camarades,
ou leur tirer quelque peu les cheveux, quitte à subir le même
traitement d’une âme égale… »
A l’âge de dix ans, Charles
Boyer connut sa première épreuve. Son père, alors
âgé de trente-cinq ans, mourut subitement d’une attaque d’apoplexie.
Sa mère entreprit de l’élever, seule, en lui donnant la meilleure
éducation bourgeoise qui fût. Ainsi Charles prit-il ses premières
leçons privées de violon — instrument qu’il mania, avec dextérité
et talent, tout au long de sa vie.
S’il découvrit, fortuitement,
les aventures de Max Linder pour lesquelles il se passionna, dans quelque
cinéma ambulant de l’époque, il n’échappa pas à
une première visite au théâtre de Toulouse où,
dans une pièce due à un certain Henry Bernstein, intitulée
Samson, se produisait le « grand » Lucien Guitry. Ce fut d’ailleurs,
là, une révélation.
L’acteur parisien eut, dès
l’abord, une profonde influence sur l’imagination et la détermination
du jeune figeacois. Interrogé à l’occasion de sa première
communion sur son avenir, celui-ci devait répondre publiquement
: « Je serai acteur, tout comme Lucien Guitry ! » Ce qui ne
fut guère du goût de Madame Boyer qui voyait déjà
en son fils un prêtre, un médecin ou un avocat.
Acteur, Charles Boyer le fut bientôt
dans les dépendances de la maison familiale où il entreprit
de monter, avec quelques camarades, une version toute personnelle du Macbeth
de William Shakespeare. En l’absence de filles, Charles jouait lui-même
le rôle de Lady Macbeth. La production connut un certain succès
auprès des parents qui acceptèrent de payer leur place pour
voir jouer leur progéniture.
Plus fier de lui-même que
du jeu de ses partenaires, Charles aurait aimé donner de nouvelles
représentation, mais sa troupe se disloqua bien vite, attirée
par d’autres occupations récréatives.
Seule, au milieu d’une salle vide,
la future vedette cinématographique s’amusa dès lors à
apprendre les longs monologues du théâtre classique et à
les déclamer à la façon de son idole, Lucien Guitry.
En 1913, alors qu’il atteignait
ses quatorze ans, Charles Boyer découvrit Paris avec sa mère
et eut le privilège de voir sur scène Sacha Guitry — qu’il
trouva toujours inférieur à son père, alors en tournée
provinciale. Sa détermination s’établit à ce moment
de façon définitive : il serait plus tard acteur, à
Paris où, affirma-t-il, « l’on ne saurait être médiocre
».
Survint la guerre opposant la France
et ses alliés aux forces germaniques et austro-hongroises. Ceci
au moment même de son quinzième anniversaire. Chacun pensait
que le conflit ne durerait que quelques semaines, au pire quelques mois…
En 1916, bien que Figeac fût
à des lieues des combats, son hôpital devint un centre de
repos et de convalescence pour les blessés du front. Charles Boyer
se porta volontaire, avec un camarade, pour assurer le divertissement des
troupes, mêlant le chant, la musique et la déclamation. Ce
fut aussi le temps de la préparation du baccalauréat :
« Ah ! Cette année
de philosophie, la dernière que je passai dans ce cher collège
de Figeac, quels bons souvenirs elle me laisse : de longues rêveries
empreintes de ce charme unique et si subtil de l’adolescence, de lectures
au coin du feu ou, aux beaux jours, à plat ventre dans l’herbe parfumée,
de fiévreuses discussions !…
« Nous étions quatre
en philo. Vers la fin du premier trimestre, notre professeur dut nous quitter,
non sans émotion : il était mobilisé. il fut remplacé
par une « licenciée ès lettres » de vingt ans,
fort jolie. Nos dissertations sur les passions et les sensations étaient
plus des déclarations voilées que des devoirs d’élèves.
»
Les anciennes loges de l’ancien
Théâtre municipal portent, encore aujourd’hui, témoignage
d’une soirée artistique du collège Champollion offerte en
1916 au public figeacois. A côté du nom de Metternich, personnage
central de L’Aiglon, figure, dans le plâtre du mur, celui de Charles
Boyer…
Ayant passé, avec succès,
son baccalauréat au début de l’été 1917, à
Cahors pour l’écrit et à Toulouse pour l’oral, le jeune homme
dut se résoudre à choisir sa voie. Celle-ci, dressée
sous l’autorité de sa mère, ne laissa point de place à
la récréation ou au théâtre. Il fut ainsi formellement
convenu que Charles irait fréquenter la Sorbonne de Paris pour y
acquérir les diplômes de philosophie nécessaires au
professorat.
« Cette perspective n’avait
rien pour moi que de fort plaisant. Je ne connaissais pas Paris, et j’étais
enchanté de faire sa connaissance. En outre, vite oublieux des douces
années passées à Figeac, je n’étais pas fâché,
et il me paraissait urgent de vivre une existence plus libre et plus mouvementée.
« Enfin, j’étais bien
décidé à m’introduire dans les milieux de théâtre
et, le cas échéant, à tenter ma chance… »
Pour réussir dans la vie,
Charles Boyer possédait alors quatre cartes majeures : un diplôme,
une volonté tenace, une mémoire patiemment cultivée,
enfin une prestance de jeune homme bien élevé.
1917 - Parti chercher la gloire
et éventuellement la fortune dans la capitale, Charles Boyer se
vit d’abord contraint de résoudre les plus simples problèmes
d’intendance, à savoir trouver une chambre à prix modéré
et des repas à prix raisonnable. Chambre et repas lui évitant
d’avoir, ensuite, à faire, par la force des choses, la moindre économie.
La faculté occupa ses journées,
l’oubli volontaire d’un repas lui permit parfois de passer la soirée
au «poulailler » de quelque théâtre parisien.
« Le hasard me fit rencontrer
toutefois, quelques jours après mon arrivée à Paris,
alors que je déambulais sur le boulevard Saint Michel, mon compatriote
Maurice Escande. Après les exclamations d’usage, je me hâtai
de lui faire part de mes secrètes ambitions.
« Escande, qui était
déjà très lancé, me fit la grâce de m’écouter
et poussa même l’amabilité jusqu’à me proposer de me
donner mes premières leçons de diction… »
Ainsi fut fait. Étudiant
studieux en philosophie, Charles Boyer devint aussi apprenti passionné
d’art dramatique. Malheureusement, le professeur était très
pris par son travail et l’élève résolu à ne
pas trop négliger ses cours de Sorbonne.
« De sorte que nos rencontres
et les occasions de m’instruire furent fort espacées.
« Mon entrée dans
le milieu du théâtre consista surtout cette année là
à entrer le plus fréquemment possible au théâtre,
mais en qualité de «cochon de payant». J’allais le plus
souvent à l’Odéon, tout proche de la pension de la rue de
Fleurus où je logeais. »
Les jours, les semaines, les mois
passèrent entre la réalité de la philosophie et l’espoir
du théâtre. Vinrent les vacances. Charles Boyer retourna près
de sa mère, à Figeac.
« Or ces vacances devaient
être marquées d’un fait important. Un jour que je débouchais
sur la place de l’Église, je tombai sur Raphaël Duflos que
j’avais eu l’occasion de connaître à Paris.
« Il était en train,
me dit-il, de tourner un film, Travail, d’après Émile Zola,
à quelques kilomètres de là, à Decazeville,
ceci avec Henri Pouctal. Naturellement, dans les jours qui suivirent, je
m’en fus souvent à Decazeville. Je bavardai longuement avec Raphaël
Duflos. Il me donna quelques leçons et me conseilla de me présenter
au Conservatoire… »
Une partie de l’été
1918 se passa pour Charles Boyer auprès de l’équipe de tournage.
Il fut même un moment question de lui attribuer un rôle. Finalement,
le futur acteur ne parut que dans une scène du film, parmi les figurants.
De retour à Paris, au terme de ses vacances figeacoises, Charles
Boyer se présenta au concours d’entrée au Conservatoire national
supérieur de musique et de déclamation. Pour s’y voir recaler
à la seconde épreuve.
« Je ne m’affectai pas plus
que de raison de ce contretemps. D’illustres exemples étaient bien
faits pour me consoler, voire pour m’encourager. »
L’étudiant reprit les cours
de la Sorbonne, comme le lui avait recommandé sa mère avant
son départ de Figeac.
« Je n’ai jamais tenu pour
négligeable un conseil de ma Mère, et je n’ai jamais eu qu’à
m’en féliciter : ils furent toujours dictés par la plus tendre
sollicitude maternelle, en même temps que par une parfaite compréhension
des choses.
« Plus tard, il devait m’arriver
maintes fois de lui faire lire un manuscrit avant d’accepter un rôle.
A défaut de ce que l’on nomme un esprit parisien, elle possédait
au plus haut degré cette qualité plus rare : un solide bon
sens, lié à une culture étendue… »
Cours de faculté le jour,
représentations théâtrales (payantes) le soir, Charles
Boyer vécut sans heurts sa vie parisienne d’étudiant, celle-ci
ne laissant aucune place aux frivolités ni aux jeunes demoiselles
de son temps.
« Mais si je continuais à
suivre mes cours, c’était plus par un goût bien naturel de
m’instruire et de m’ouvrir l’esprit, qu’avec la conviction de tenter de
la carrière universitaire. A dix-neuf ans, j’étais à
la vérité très exactement fixé : je me consacrerais
désormais au théâtre et à rien d’autre qu’au
théâtre.
« Aussi n’hésitais-je
pas bientôt à sacrifier quelques uns de ces cours à
toutes les occasions de jouer la comédie que je pouvais trouver.
Grâce à la complaisance, en effet, de quelques camarades rencontrés
lors des épreuves du Conservatoire, je pus prendre part à
quelques rares tournées.
« Selon les cas, je jouais
des petits rôles et des grands — avec courage mais sans éclat.
»
L’armistice de novembre 1918, qui
marqua la fin d’une guerre cruelle longue de quatre années, ne changea
rien dans la vie parisienne de Charles Boyer.
« On me demanda un jour de
jouer L’Arlésienne, à Orléans. J’acceptai, bien entendu.
On m’y confia le rôle de Fréderi. J’étais tellement
ému de cet honneur qu’au moment d’entrer en scène, au premier
acte, je perdis soudain tous mes moyens. J’avais à lire les lettres
de l’Arlésienne à Mitifio : à peine avais-je ouvert
la bouche qu’un cri rauque, quasi inhumain, en sortit me faisant rougir
jusqu’à la racine des cheveux sous mon maquillage. J’en restai aphone
jusqu’à la fin de la représentation… »
Dans les mois qui suivirent, les
petits rôles dans les tournées secondaires se multiplièrent
; se multiplièrent aussi les absences à la Sorbonne dont
finalement Charles Boyer devait sortir sans diplôme, par la petite
porte de la désertion. Les archives de la noble faculté ne
font pas état du diplôme de licence ès philosophie
dont l’acteur fut, par la suite, souvent paré… Le théâtre
fut de cela responsable et Maman Boyer n’eut plus, dès lors, qu’à
s’en consoler.
Mais, comble de bonheur, Charles
Boyer parvint à trouver un rôle sur une scène parisienne.
Il s’agissait du théâtre Sarah-Bernhardt où l’on allait
représenter La jeune fille aux joues roses, de François Porché,
avec le concours de Simone, cumulant alors les fonctions d’actrice vedette
et de metteur en scène.
« On me confiait deux rôles.
Mais deux rôles ne comportant pas plus de cinq lignes chacun. J’avais
toutefois la grande satisfaction de gagner dix francs par soirée
— soit du vingt sous la ligne…
« J’avais tellement envie
de bien faire et j’étais tellement intimidé que je fus simplement
détestable. J’étais mal à mon aise, je ne savais que
faire de mes mains, de mes pieds, et ma voix, mal placée, prenait
des tons d’une gravité tout à fait excessive. Enfin, pour
tout arranger, mon accent méridional se livrait à une contre-offensive
— car j’avais longuement travaillé à l’annihiler — des plus
fâcheuses.
« C’était complet,
comme vous voyez.
« Le soir de la «générale»,
avant le lever du rideau, Simone lançait à chacun d’ultimes
encouragements. Mais quand elle arriva à moi, elle ne put trouver
autre chose à dire, malgré toute sa bonne volonté,
que ceci : Quant à vous, Boyer, gueulez, mon Ami, gueulez, car vous
avez une voix sourde que c’est une horreur !
« Après la représentation,
la même Simone eut pitié de moi et me dit gentiment : Je ne
voudrais pas vous décourager, mon cher Boyer. Mais croyez-vous que
vous avez intérêt à persévérer dans la
carrière théâtrale ? Surtout vous, qui avez la chance
de pouvoir réussir ailleurs… »
Malgré la douche écossaise
qu’il venait de subir, Charles Boyer se refusa à abandonner le théâtre
qui, pour l’heure, n’avait que faire de lui. Il s’entêta à
rechercher les petits rôles, à apprendre par cœur les répliques
les plus compliquées, à masquer son accent du terroir lotois,
à combattre ses moments de panique, bref à devenir peu à
peu un acteur confirmé.
« Je recommençai bientôt
à participer à de petites tournées en province. On
m’engageait surtout en considération de ma mémoire qui, à
cette époque, était assez remarquable. Une nuit me suffisait
pour apprendre un rôle et j’étais, en outre, capable à
l’occasion de souffler le leur à mes camarades de scène.
»
Ainsi vécue, l’année
1919 ne manqua pas d’attrait pour Charles Boyer, d’autant qu’il faillit,
cette année là, faire son entrée à la Comédie
française. Assistant à une représentation de la noble
compagnie il trouva à l’affiche le nom de Victor Francen, ami de
son propre ami Raphaël Duflos. Reçu dans la loge de l’acteur,
déjà renommé, l’étudiant bénéficia
de quelques conseils et, surtout, d’un encouragement appuyé pour
se présenter à une audition. Charles Boyer avait toutes les
chances d’être admis, mais un certain Pierre Fresnay condamna, sans
appel, son inexpérience.
Selon la légende — et il
faut admettre une fois pour toutes que la vie des stars est toujours riche
de légendes — le futur acteur aurait, de rage, pris la «cuite»
de sa vie : au vin de Bourgogne, ce qui l’aurait dégoûté
à jamais des crus de l’une des régions vinicoles françaises
pourtant des plus appréciées.
Nouvelles tournées en province
pour Charles Boyer.
« Avant de repartir en vacances
chez moi, à Figeac, je jouai à Bergerac Les romanesques,
puis encore L’Arlésienne. J’y manifestai quelques progrès
et bénéficiai du succès de la représentation…
« A la demande du directeur
du théâtre, nous décidâmes de jouer, le lendemain,
Le flibustier. Je ne savais pas le premier mot du rôle, mais je n’eus
aucune peine à l’apprendre dans la nuit. Le matin, une autre difficulté
se présenta ; Yvonne Ducos, vedette de notre troupe, fut rappelée
d’urgence au Français.
« Il fallut lui trouver une
remplaçante — en la personne d’une jeune fille du pays qui, à
défaut d’autres qualités, avait le physique de l’emploi.
Elle parut le soir même sur la scène, à la grande joie
de ses camarades venus nombreux à la représentation.
« Défense avait été
faite, cependant, à notre vedette d’ouvrir la bouche sous quelque
prétexte que ce fût. Nous improvisâmes ou récitâmes
son texte à tour de rôle et la représentation s’acheva
tant bien que mal. »
Nouvelles vacances d’été
à Figeac dans le calme et le repos. Charles Boyer était encore
dans sa ville natale un acteur inconnu. De la rue Droite à la place
des Sabots s’entretenaient alors bien d’autres sujets de conversation.
A la fin de l’été survinrent, cependant, deux événements
intéressant le présent et l’avenir professionnels de Charles
Boyer : son emménagement dans l’appartement que se partageaient
deux de ses camarades comédiens, Philippe Hériat et Pierre
Brasseur, surtout son entrée au Conservatoire — dans la classe même
de Raphaël Duflos…
Dernier événement
significatif de l’année 1919, la rencontre de Charles Boyer avec
son idole, Lucien Guitry. Celle-ci eut-elle lieu avant ou après
les vacances ? Qu’importe. Ce qui est sûr, c’est qu’elle fut précédée
par une bonne dizaine de représentations, en reprise, du Samson
d’Henry Bernstein. Lucien Guitry manifesta l’envie de connaître ce
jeune homme attentif, mais discret, qui se trouvait tous les soirs dans
la salle.
Charles Boyer pénétra,
fortement intimidé, dans la loge du Maître. Guitry manifesta,
semble-t-il, de l’intérêt pour l’ambition du jeune homme et
lui prodigua quelques conseils.
« Il me dit différentes
choses qui entrèrent dans ma façon de penser et de jouer
tout au long des années qui suivirent. Il souligna notamment que
le public se montre toujours assoupi en raison du ronronnement que font
naître les acteurs par leur jeu monotone et répétitif.
Vous n’avez pas le droit, me dit-il, si vous êtes un acteur, digne
de ce nom, de dire deux fois Bonsoir de la même façon. »
A partir de cet entretien, Charles
Boyer se fit un devoir de ne jamais jouer deux fois une pièce de
façon routinière — ni de tourner plus tard de façon
identique deux prises de vue d’un même plan. Jamais, non plus, ne
faillit-il à une audition destinée à obtenir un rôle.
Rapportées pour le plaisir
ces quelques lignes extraites des Années folles de Marcel Dalio,
acteur-aventurier de l’entre-deux-guerres :
« L’un des dieux de ce Panthéon
(le Little Palace, beuglant de la rue de Douai) était un jeune homme
très beau, d’aspect provincial, à l’air triste et romantique,
qui semblait aimer la solitude et plaisait beaucoup aux filles. Il m’intriguait
; j’aurais voulu être comme lui.
« Nous avions fait connaissance
et il s’était présenté: Charles Boyer. Le côté
sérieux, bon genre, de Charles était comme un défi
à la vie que je menais…»
Un dernier mot sur les vingt ans
de notre jeune acteur : appartenant à la classe 19, celui-ci n’eut
pas à faire de service militaire.
1920 - Charles Boyer suivait depuis
plusieurs mois les cours du Conservatoire, suivait encore ou ne suivait
plus ceux de la Sorbonne (qui sait ?), lorsque se produisit un événement
inattendu, mais lourd de conséquence pour sa jeune vie d’acteur.
Le théâtre des Champs-Élysées
annonçait à l’affiche Les jardins de Murcie, avec un certain
Romuald Joubé en premier rôle. Le matin même de la «
générale », l’acteur fut victime d’un malencontreux
malaise qui le fit s’aliter d’urgence. La représentation allait
être annulée quand survint Philippe Hériat — qui vit
dans l’incident un moyen d’aider son ami Boyer.
Au directeur du théâtre,
Hériat vanta les mérites de ce jeune acteur, peu connu du
public mais plein de talent, qui était capable d’apprendre
un rôle en quelques heures seulement. Jeté hors de sa chambre
avant d’avoir réellement compris ce qu’on lui demandait, Charles
Boyer se trouva enfermé dans une loge, un livret complet à
la main.
Sans même connaître
les acteurs et les actrices de la pièce, sans la moindre répétition,
notre étudiant apprit son rôle et tous ceux que comportaient
le livret. Si bien qu’au metteur en scène, particulièrement
stressé par son « échec » du soir, qui lui demandait
de faire quelques coupes dans son texte, il répondit : « Mais
je ne peux pas. J’ai appris tous les rôles et la moindre coupure
me ferait perdre pied ! »
Maquillé hâtivement,
doté d’un costume retouché au pied levé, Charles Boyer
entra en scène sans paniquer, tout en redoutant (il devait l’avouer
plus tard) le pire. Jouant son rôle avec précision, sans grande
noblesse mais sans la moindre erreur de texte, il lui arriva même,
à plusieurs reprises, d’aider un partenaire défaillant. Le
rideau tomba sous les applaudissements nourris du public. Paris venait
de se doter d’un nouveau jeune premier.
Autre point positif : dans la salle
se trouvait, ce soir là, un certain Firmin Gémier, metteur
en scène de son état. Charles Boyer devait être contacté
par lui, quelque temps plus tard, pour jouer un rôle important dans
La grande pastorale, pièce annoncée au cirque d’Hiver. Là
encore il y avait une défection due à la maladie, mais avant
l’impression des affiches.
Quant à la prestation du
jeune débutant au théâtre des Champs-Élysées,
elle ne dura qu’une dizaine ou une douzaine de représentations ;
le temps pour l’acteur titulaire de se rétablir et de remplir son
contrat.
« La maladie des autres m’a
porté chance… », devait avouer, plus tard, Charles Boyer.
« Mais ce fut là ma première véritable création,
et ce fut mon premier véritable succès. A la suite de quoi
Gémier me fit signer un contrat de cinq ans… »
La critique théâtrale
fut unanime pour vanter ses mérites. « M. Charles Boyer a
joué son rôle avec une sincérité émouvante
», écrivit Robert de Flers dans Le Figaro du 14 mars 1920.
Jane Catulle-Mendès le qualifia,
dans La Presse, de « silhouette tourmentée et visionnaire
impressionnante». «M. Charles Boyer nous a tiré les
larmes des yeux par la façon simple et sincère avec laquelle
il joua le rôle de Ramsès », affirma Jean-José
Frappa dans Comœdia.
Dans La grande pastorale, Charles
Boyer jouait le rôle d’un jeune pâtre qui devient aveugle.
Près de lui se trouvaient d’autres artistes inexpérimentés
appelés à devenir bientôt célèbres :
Duvallès, Charles Dullin, Rolla Norman, Marcel Vibert, Dullac.
Firmin Gémier étant
passé au théâtre Antoine, Charles Boyer s’y retrouva,
bientôt, dans la redingote d’un ministre pour la pièce de
M. Arquillière titrée La branche morte.
« Boyer dans un rôle
de ministre fait oublier sa jeunesse à force d’autorité,
de vigueur et de véritable talent », affirma Bonsoir le 9
octobre 1920. Presque dans le même temps, Charles Boyer revint au
théâtre des Champs-Élysées afin d’y jouer Les
mille et une nuits, avec Andrée Mégard et Victor Francen.
Mais déjà, il avait
tenu son premier rôle dans une production cinématographique,
une « marine » comme on disait à l’époque, intitulée
L’homme du large. L’acteur de théâtre était ainsi devenu
acteur de cinéma ; son nom de ville était désormais
nom de scène et d’écran. Indiquons à ce propos que
notre acteur figeacois avait longtemps rêvé de porter vers
la gloire un nom d’emprunt choisi, sans pourtant parvenir à en trouver
un à son goût. Il craignait en effet d’être confondu
avec un certain Lucien Boyer, plus connu que lui dans les milieux artistiques.
Au directeur de théâtre
pressé d’imprimer les affiches de La grande pastorale, il n’avait
pu qu’avouer finalement : « Tant pis, je garderai mon propre nom,
mais Charles Boyer, cela ne me dit pas grand chose ! »
Futur fondateur de l’Institut des
hautes études cinématographiques, Marcel L’Herbier était,
en 1920, un cinéaste renommé, souvent qualifié de
«novateur». Son film L’homme du large, réalisé
en Bretagne, présenta la particularité de mettre en scène
et en valeur la mer et ses foucades.
Il s’agissait d’un sombre drame
de Balzac, transposé dans l’époque contemporaine. Jaque Catelain,
acteur déjà célèbre, y interprétait
un jeune marin que dévoyait un camarade (Charles Boyer) de bar et
de
soûlerie. Sa mère mourait de chagrin : il volait son argent
et blessait sa sœur. Puni par son père (Roger Karl), le malheureux
héros était finalement attaché au fond d’une barque
lâchée au gré des flots ; pour revenir bientôt
en enfant prodigue méritant le pardon. Le film connut un succès
certain après avoir, toutefois, subi quelques coupures exigées
par la censure cinématographique du moment.
Les critiques furent élogieuses
pour les principaux interprètes, notamment pour Jaque Catelain «passé
du rang d’artiste agréable et adroit à celui de tragédien».
Louis Delluc n’hésita pas à qualifier le metteur en scène
de «maître incontestable de la technique s’affirmant comme
le premier photographe du monde ». Charles Boyer n’eut, quant à
lui, ni à se féliciter, ni à se plaindre des critiques
: elles ne le citèrent en aucune façon. Il se jura donc,
face à une telle indifférence, de ne pas tourner d’autre
film.
Les acteurs de théâtre
restaient alors divisés sur l’intérêt d’un septième
Art qui n’accordait point de place à la parole et tendait à
traduire les sentiments par des grimaces accentuées. S’adressant
aux lecteurs de La cinématographie française, Étienne
Rey-Andrieu voulait bien admettre qu’en imitant, voire en représentant
tous les autres arts, le cinéma « veut faire du théâtre
» ; mais un théâtre de second ordre privé des
chefs-d’œuvre classiques ou modernes de l’art dramatique. « C’est
donc la copie de l’Art, si l’on peut dire… »
Signalons, pour le plaisir, qu’un
jeune étudiant des Beaux Arts, devenu pour l’heure « assistant
», figurait parmi les figurants de l’Homme du large : Claude Autant-Lara
— le futur réalisateur du Blé en herbe et du Franciscain
de Bourges.
Une dernière référence
à l’année 1920. Le 21 septembre, Charles Boyer assista à
la mairie du XVIe arrondissement de Paris au remariage de sa mère,
alors âgée de quarante ans, avec un certain Georges Rossignol,
inspecteur d’académie. Cette célébration marqua son
indépendance, tant morale que financière vis-à-vis
de celle qui aurait aimé que son fils unique fût prêtre,
médecin ou professeur.
1921 fut l’année de l’épanouissement
de la carrière théâtrale de Charles Boyer. Avec, tout
d’abord, une succession de pièces jouées au théâtre
Antoine : La branche morte, Kœnigsmark, La cigale ayant aimé, La
bataille — où Gémier jouait le rôle d’un officier japonais
que notre acteur devait reprendre plus tard à l’écran. Avec
aussi un accès d’humeur faisant soudain « sortir » notre
jeune figeacois du Conservatoire.
Prenant part au concours annuel
de l’institution, Pierre Blanchar, Fernand Ledoux et Charles Boyer espéraient
bien remporter un premier prix de comédie ; ils n’en obtinrent qu’un
second et tous démissionnèrent sur le champ.
« Libre de toute entrave,
mon activité théâtrale sera sans cesse croissante.
Ma deuxième saison me voit créer au théâtre
Antoine La Dolorès, avec Mary Marquet et Pierre Blanchar qui y remporte
un des plus grands triomphes de sa carrière ; L’autre fils, au théâtre
des Arts ; Le spectre de Monsieur Imberger, au théâtre Antoine
; Le loup de Gubbio, à la Grimace; Haya, à la Comédie
des Champs-Élysées. »
Dans le même temps, Charles
Boyer devait tenir un rôle dans trois films différents : Chantelouve,
en 1921, Le grillon du foyer et L’esclave, en 1922.
Chantelouve était un drame
psychologique comme savaient si bien les faire, dans les années
vingt, les maîtres de l’Art muet. Signé Georges Monca, il
contait les souffrances et les débordements d’un aristocrate maladivement
jaloux de tous ceux qui approchaient sa femme. Capable de tuer, celui-ci
était finalement abattu comme un fauve furieux.
Hebdo-Film souligna que «
M. Charles Boyer mérite de bien sincères compliments »
dans un rôle qualifié par ailleurs, dans La Cinématographie
française, d’« assurément difficile ».
Film plein de fraîcheur et
de poésie, réalisé par Jean Manoussi, Le grillon du
foyer transposait en images un conte de Charles Dickens. L’histoire était
celle de deux couples — dont l’homme était plus âgé
que la femme — confrontés à la venue d’un jeune homme accoutré
en vieillard ; bref de l’amour et de la jeunesse l’emportant sur l’âge
et la jalousie.
Le grillon du foyer mérita
à Charles Boyer quelques éloges dans la presse parisienne
et son nom apparut dès lors plus important sur les affiches. Ainsi
fut-il tout naturellement de l’équipe de L’esclave que dirigeait
Georges Monca, le metteur en scène de Chantelouve. Il s’agissait
encore d’un drame mêlant l’intrigue, le chantage, la mort et la justice.
Bien entendu, pour la sauvegarde de la morale et la satisfaction du public,
l’amour l’emportait, mettant en fuite l’ombre sanglante du passé
et du malheur.
Désormais, Charles Boyer
put, tout à la fois, prétendre être un acteur de théâtre
et de cinéma, bien que son goût penchât plutôt
pour la scène où son accent se faisait de plus en plus parisien.
On alla le voir et l’admirer dans Charly, au Michel ; dans Le bien-aimé,
de Jacques Deval, à la Renaissance ; dans Paname, de Francis Carco
; dans La marche au destin, de Pierre Frondaie ; dans Le plaisir et Le
lit nuptial, de Charles Méré ; dans Le Rubicon, d’Édouard
Bourdet ; dans L’homme d’un soir, de Denys Amiel ; dans Simili, de Roger
Marx…
Charly fut, pour Charles Boyer,
l’occasion de montrer à son entourage qu’il possédait toutes
les qualités du parfait séducteur. Naquit, en effet, entre
lui et l’actrice principale de la pièce, Renée Falconetti
— future héroïne d’une très célèbre Passion
de Jeanne d’Arc —, une longue liaison amoureuse au cours souvent passionné,
sinon tumultueux… A l’époque, Falconetti avait trente ans, en avouait
vingt-cinq et en paraissait moins de vingt.
De l’avis de certains de ses amis,
cette liaison ne fut pas la seule que connut alors Charles Boyer au lendemain
de ses propres vingt ans. Reportons-nous, pour en savoir plus, aux mémoires
de l’acteur Marcel Dalio (Mes années folles) selon lesquelles on
trouvait fréquemment Pierre Brasseur, acteur de grand talent et
noceur invétéré, au bar-restaurant du théâtre
de la Potinière « en train de se livrer à sa distraction
favorite : voler la dernière conquête de Charles Boyer ».
« Les deux hommes n’avaient
rien en commun (ou, plutôt si, des maîtresses, mais Boyer ne
le savait pas). Boyer, déjà vedette grâce aux pièces
d’Henry Bernstein, fréquentait des femmes entretenues dont les appartements
devaient lui rappeler les décors dans lesquels il jouait. En réalité,
il voyait dans sa vie privée les mêmes personnages que ceux
qu’il incarnait à la scène. Brasseur, avec son allure de
Pierrot génial et débraillé, avait le sentiment, lorsqu’il
séduisait une femme de Boyer, de porter un coup à celui qu’il
comparait à un gérant d’immeuble.
« Parfois, Charles arrivait
pendant que Pierre et moi étions là. Tiens, voilà
le Cocu ! s’écriait Brasseur. Et il riait, et il en remettait. Il
prétendait même que Charles demandait sans cesse à
ses conquêtes : Est-ce l’homme ou l’artiste que vous admirez ?… »
Il est à remarquer que tout
au long de sa vie, tant après qu’avant son mariage, Charles Boyer
se montra toujours des plus discrets sur sa vie intime. Aucun nom de conquête
ne fut jamais cité par lui dans une interview ; jamais aucune photo
de presse ne le montra en galante compagnie. La seule femme de sa vie semble
n’avoir été que celle qu’il épousa, sur un coup de
cœur véritable, un beau soir d’hiver de l’année 1934…
Ceci dit, revenons à la
carrière de notre jeune acteur : « A l’orée de ma troisième
saison théâtrale, se place un événement qui
a sans doute fait gagner à ma carrière — jusqu’alors agréable,
mais sans éclat — cinq ou six années de piétinement.
Cela grâce à Pierre Frondaie qui me confie le principal rôle
de L’insoumise, aux côtés de Vera Sergine et Mary Marquet.
La pièce est un triomphe et attire sur moi l’attention des auteurs
et directeurs.
« Après L’insoumise,
c’est Le signe sur la porte, à la Renaissance, et Le voyageur, à
la Chimère, qui me valent la visite d’Édouard Bourdet et
d’Henry Bernstein. L’un me propose de jouer L’homme enchaîné,
avec Marthe Régnier, au Fémina ; l’autre, La galerie des
glaces, avec Madeleine Lély, au Gymnase. Ma saison s’achève,
on le pense bien, dans l’optimisme. »
Une anecdote à propos de
L’homme enchaîné : Charles Boyer reçut, un soir dans
sa loge, une admiratrice du nom de Madame Porché, en qui il reconnut
la célèbre Simone qui, quelques années auparavant,
lui avait fortement suggéré de quitter le théâtre…
L’acteur se vit ainsi remettre en édition de luxe, le texte intégral
de La jeune fille aux joues roses avec la dédicace suivante : «
A mon ami Charles Boyer, en hommage et en réparation. »
Opinion émise par Robert
de Beauplan à propos de notre jeune acteur, dans le supplément
théâtral de L’Illustration : « son jeu spontané
et élégant, son aisance, sa voix chaudement timbrée
et cette communication de sympathie qu’il établit aussitôt
entre le public et lui font regretter qu’on n’ait pas encore fait appel
à lui pour la Comédie française, où sa place
paraît marquée… »
Avec sa Galerie des glaces (1925),
Henry Bernstein, auteur, metteur en scène et épisodiquement
acteur, devait apporter au jeune Charles Boyer la consécration.
Ce fut avec cette pièce, qui tint l’affiche pendant plus d’un an,
que celui-ci trouva son « rôle de prédilection ».
Ce fut aussi le début d’une longue collaboration, et d’une longue
amitié, entre Bernstein et Boyer.
Se succédèrent alors
à la scène : Félix, Le secret et Le venin, chacune
de ces pièces tenant l’affiche de quelques mois à… plus de
cinq cents jours. Charles Boyer s’intégra ensuite à une troupe
chargée de présenter les œuvres de Bernstein dans toute l’Europe
ainsi qu’au Moyen-Orient. Ce fut au cours de ce long périple que
notre jeune acteur développa un mal qui fut désormais à
ranger parmi ses rares défauts d’homme adulte : le jeu — et que
seul le mariage devait, plus tard, parvenir à contrôler sinon
à guérir.
« Partout où nous
allions, il y avait des casinos et je ne pouvais résister à
la tentation. Chaque fois devait être la dernière. Quand je
revins à Paris, j’étais complètement fauché…
»
Pour « se refaire »,
ainsi que l’on dit près des tables de roulette, Charles Boyer ne
trouva pas de meilleur allié que le cinéma. C’était
en 1927.
Déjà, deux ans plus
tôt, il avait failli figurer au générique de Madame
sans gêne, film tourné à Paris par Léonce Perret.
Mais la vedette principale du film, une certaine Gloria Swanson, l’avait
trouvé « beaucoup trop grand » !
Si la vie et la carrière
de Charles Boyer vous intéressent,
nous vous conseillons de lire
l'ouvrage de Guy Chassagnard.
Celui-ci peut être fourni
franco au prix de 98 francs
par SEGNAT ÉDITIONS
BP 68 - 46100 FIGEAC
segnat@wanadoo.fr
figeac@geocities.com