Les années de l'école.


Mais un jour, il fallut revenir à Paris et j'ai quitté ma ville natale que je ne devais revoir que vingt ans plus tard en tournée. (...) A Paris, je retrouvais mon frère Jean qui allait au collège déjà. (...) Quelque mois plus tard , en octobre, on me mit au collège...

Je n'ai pas le prétention d'avoir été un collégien modèle. Et voici pourquoi. Je ne suis pas de ces gens qui ont séjourné dix ans dans la même pension - non, et, en vérité, il ne m'a pas fallu moins de onze institutions, lycées, collèges, écoles, pour atteindre l'âge du baccalauréat.
(Je ne dis pas le baccalauréat. Je dis l'âge du baccalauréat.)
La particularité la plus frappante, peut-être, de ma vie de collégien, est que je n'ai jamais pu dépasser la classe dite de sixième. J'y suis resté jusqu'à dix-huit ans. La raison en est toute simple. Dans les collèges, la coutume veut que le nouvel élève redouble la classe qu'il vient de faire dans la maison d'éducation précédente. Or, ayant changé onze fois de collège, j'ai redoublé dix fois ma sixième.
Je peux vraiment dire ma sixième.
Je ne viens pas me vanter ici d'avoir été un élève détestable, mais il est bon que l'on sache qu'elle est mon expérience en la matière, afin que je puisse utilement profiter peut-être de l'occasion qui s'offre à moi de dire tout haut ce que je pense de l'instruction telle qu'elle est pratiquée en France - et ailleurs aussi sans doute.

Ma dernière pension, la douzième, se trouvait 77, rue des Dames. M. Prax la dirigeait. C'était un charmant homme. Il m'avait donné sa chambre et je jouissais, chez lui, d'une certaine liberté. J'en usais largement - j'en ai même abusé. J'avais dix-sept ans!
Mes repas, je les prenais souvent au-dehors - mes classes, je ne les prenais pas du tout - et, parfois, je rentrais tard la nuit ou très tôt le matin.
M. Prax le supporta pendant quelques mois, mais un jour il jugea qu'il était de son devoir d'en aviser mon père.
Lucien Guitry, à cette époque, dirigeait le théâtre de la Renaissance et il y jouait La Châtelaine. Il y a trente-deux ans de cela. Donc, un soir, M. Prax frappa à la porte de la loge de mon père, entra et lui dit:
- Monsieur, j'ai conçu le projet de renvoyer de chez moi monsieur votre fils... mais, hélas! cela m'est impossible.
- Pourquoi ? lui répondit mon père. Si vous ne pouvez pas le garder, tant pis, que voulez-vous mettez-le dehors!
- Mais je ne peux pas, monsieur. Je ne peux pas le mettre dehors... il n'est pas rentré depuis cinq jours!
Enfin, j'avais donc terminé mes études - sans les avoir faites.

Sacha Guitry, Si j'ai bonne mémoire.


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