- Tu veux un petit verre de vin ?
- Non, merci.
- Moi, oui.
- Quand on offre de quelque chose à quelqu'un, c'est qu'on en reveut soi-même.
- Qu'est-ce que tu lis ?
- L'histoire de la bonne femme à qui on avait volé son émeraude.
- Ah ! oui...
- Tout de suite, on avait soupçonné la femme de chambre, naturellement...
- Et ce n'était pas elle qui avait fait le coup ?
- Si. (On sonne) Qu'est-ce qu'il y a encore ?...
Elle plie son journal, sans hâte, se lève et sort par la porte de fond. Adèle prend le journal et le déplie
- Voyons voir un peu de nouvelles. (Elle lit.) "Bonne cuisinière, 35 ans, 500 francs par mois. Ne pouvant pas quitter Paris. Ècrire A.B. 11 bis, rue Marbeau." C'est Augustine, ça y est! Elle s'en va encore d'où elle vient d'entrer!... Elle ne peut rester nulle part, celle-là! (Lisant.) "Valet de chambre, 42 ans, 800 francs par mois." Il va un peu fort. (Madeleine revient.) Qu'est-ce qu'ils voulaient?
- J'avais oublié de mettre la bénédictine ! Il y a sept bouteilles de liqueur sur la table, mais c'est justement d'une autre qu'elle voulait! Elle avait deux pas à faire pour la prendre dans le placard, mais pour me donner une leçon, comme elle dit, il a fallu qu'elle me dérange! Ah! Là, là, là et, en plus, ils voudraient qu'on les aime!
- De quoi qu'ils parlaient quand tu es entrée ?
- De quoi ils parlaient?... De nous, tiens!... De quoi veux-tu qu'ils parlent?... A n'importe quel moment qu'on entre chez les patrons, ils parlent toujours de nous. Quand nous entrons et qu'ils se taisent, c'est qu'ils étaient en train d'en dire du mal... Quand ils continuent, c'est qu'ils veulent nous faire savoir quelque chose. Ils font alors ceux qui ne se sont pas aperçus que nous étions entrés et ils nous envoient des boniments comme: "Il paraît que Madame Unetelle a trouvé une femme de chambre merveilleuse et qu'elle ne lui donne que deux cents francs par mois..." ou bien: "Moi, les gens qui me volent, je ne les garde pas vingt-quatre heures!". Ça fait ma neuvième place, celle-ci, et je peux dire sans mentir que je n'ai jamais entendu mes patrons parler d'autre chose que d'argent ou de domestiques... à moins qu'ils ne s'engueulent!
- Pourtant, chez le monsieur seul où tu es restée un an...
- Ah ! Là, c'était autre chose!... Dire qu'il a épousé celle qui m'a succédé.
- Non ?
- Je ne te l'avais pas dit ?
- Mais non.
- J'ai appris ça, il y a huit jours.
- Une qu'on connaissait ?
- Non. Une Belge.
- Alors, pourquoi qu'il ne t'a pas épousée, toi ?
- Probable qu'il n'était pas encore mûr pour le mariage il y a deux ans. Et puis peut-être que la Belge lui a fait le coup de l'enfant.
- Pour moi, tu l'as quitté trop tôt...
- J'en avais assez! Je suis tout de même restée dix-huit mois avec lui, tu sais. Et qu'est-ce qu'il me donnait en plus de mes gages? Vingt francs chaque mois... alors, zut!... Oh, et puis les patrons, pour ça, moi, je n'en suis pas folle. Ils y mettent trop d'idées. Les gosses des patrons, oui, ça doit être gentil, parce que d'abord, les gosses, c'est toujours gentil, mais les patrons eux-mêmes, non, vraiment, ils ne sont pas assez nature. Nous croyons que nous leur plaisons parce que, tout de même, nous sommes des femmes, et puis, pas du tout, ils vous disent toujours: "Non, non, garde ton tablier!". Dans le fond, chez eux, ce n'est que du vice, et ça ne devient jamais de l'amour!
- Quelquefois, ils finissent tout de même par vous épouser...
- Pour ne plus avoir à vous payer du tout, ou bien quand ils deviennent gâteux!
(...)