REMONTONS LES CHAMPS-ELYSÉES

              


Production : CINÉAS (Serge Sandberg)
Scénario original et dialogues : Sacha Guitry.
Réalisation : Sacha Guitry
Collaboration à la réalisation : Robert Bibal.
Chef opérateur : Jean Bachelet.
Décors : René Renoux, Roger Claude, Lucien Carré.
Son : Joseph de Bretagne, Bugnon. - Montage : Myriam. - Musiques : Adolphe Borchard.

Interprètes :
Sacha Guitry, Lisette Lanvin, Pauline Carton, Jacqueline Delubac, Lucien Baroux, Jean Périer, Jeanne Boitel, Émile Drain, Geneviève de Séréville, Robert Seller, Jean Marais, Léon Walther, Maurice Schutz, Luce Fabiole, René Fauchois, Roger Bourdin.

Durée: 97 mn. Sortie : 1er décembre 1938 au cinéma Normandie - Paris.

L' histoire :
Voici l'histoire des Champs-Élysées, de Louis XIII au roi d'Angleterre, de l'Étoile à la Concorde, racontée à ses élèves par un curieux professeur... En 1617 Marie de Mèdicis fait percer une allée dans les bois alors touffus, dans l'axe des Tuileries. 1717 voit l'ouverture de la première guinguette au Rond-Point, haut lieu de rendez-vous avant de se rendre à Versailles. Peu à peu la forêt devient un parc...

Extraits des dialogues du film.



Quelques réflexions de l'auteur :
Ayant achevé mon ouvrage
Pour mon plaisir, j'ai pris la peine
D'aller jusqu'à le mettre en page
Avant que de la mettre en scène !

S.G.

Histoire - ou Fantaisie ?
Les deux.
Récit ?
Roman ?
Ni l'un ni l'autre.
Alors, Théâtre ?
Hé ! Non.
Ciné, alors ?
Eh ! Oui.
Est-ce le film ?
Ah ! Non - car qui dit « film », dit « images ».
Et c'est le canevas dont j'ai tiré le film.
C'en est le plan, le scénario, c'en sont mes notes détaillées - et le dialogue en est exclu.
Pourquoi les publier, ces notes ?
Parce que ce n'est pas la coutume, d'abord - et, déjà, c'est tentant ! - et puis, parce qu'aussi les notes, en général, sont remplies de promesses - qui ne seront peut-être pas tenues !
Pour elles, rien n'est impossible et l'avenir leur appartient! Spontanément conçues, elles semblent ignorer les soucis matériels - et elles ont, en outre, une précision singulière que leur confère l'abrégé.
Et enfin - et surtout ! - les notes ont en plus quelque chose en moins: elles ont ce côté «croquis» auquel je suis personnellement sensible et qui n'est pas toujours apprécié comme il le faudrait. En effet, que dit-on d'un croquis? Que c'est le début d'un dessin. J'en pense le contraire. Ce qui manque aux croquis, ce qui leur manque encore, c'est d'être commencés - et non d'être finis.
Quant à l'aspect décousu d'un tel ouvrage, n'offre-t-il pas au lecteur éventuel des possibilités de collaboration qui ne sont pas à négliger? Les liens qu'il imagine - images imaginées - augmentent sa surprise, le tiennent en éveil et c'est ainsi tout à la fois que, comblant tous les vides, il comble ses désirs.
Voilà comment je vois la chose.
Donc, à bâtons rompus, voici l'histoire des Champs-Élysées de 1617 à 1938. La voici véridique - et parfois vraisemblable - car je prétends que ce n'est pas mentir que d'affirmer effrontément des vraisemblances irréfutables. Oui, je revendique le droit absolu de supposer des incidents restés secrets et de conter des aventures dont je n'ai pas trouvé la preuve du contraire.

Mais, pour avoir remonté les Champs-Élysées, de la Concorde jusqu'à l'Étoile, pour l'avoir fait de 1938 jusqu'à 1617, j'ai dû puiser à bien de sources, on l'admettra.
Partant de Michelet pour aller à Lenôtre, en passant par Lavisse, feuilletant les Goncourt, puis relisant Hugo - ce journaliste de génie quand il le veut: voir Choses vues! - revenant à Lenôtre, y revenant sans cesse, consultant Georges Cain, questionnant Cabanès et ne négligeant rien - dépouillant des Correspondances, dévorant des Mémoires, fouinant par ci, cherchant par là - et trouvant n'importe où d'inouïs incidents, qui sembleraient douteux si la Duchesse d'Abrantès ou le Baron de Grimm n'en avaient pas été les témoins si, preuves à l'appui, l'ouvrage de Paul d'Ariste et Maurice Arrivetz n'en venait confirmer l'authenticité, si les dates n'étaient pas là, éloquentes, formelles, et si Michaud, le biographe était faillible!
Oui, oui, cherchant partout, mais n'oubliant jamais que Lenôtre, ce maître, à qui je demandais un jour quel était le plus grand de tous les historiens, m'a répondu:
- Mais... les archives !
Sacha Guitry, extrait du texte publié dans le quotidien L'intransigeant du 30 mars 1938.

Critiques anciennes et récentes :
"... M. Sacha Guitry a pris pour point de départ les bévues du cinéma historique et s'est beaucoup diverti, on l'espère du moins pour lui, à les parodier. Il est un peu ennuyeux que le spectateur n'y prenne pas toujours le même plaisir que lui. Nous ne retrouvons pas toujours les agréables inventions des Perles de la couronne. (...) comme toujours encore, M. Guitry, en éternel enfant gâté qui se sait tout permis et ne contrôle plus rien, se laisse aller à quelques effroyables calembours. Mais, dans l'ensemble, la fantaisie tout en étant sur le papier très corsée comme on vient de le voir, n'ose pas s'affirmer suffisamment. son mariage avec la réalité qui intervient aussi le plus souvent sous forme de menues curiosités historiques, offre quelque chose d'hybride. Cette promenade le long des Champs-Elysées, de Louis XIII jusqu'à M. Lebrun, devient un peu traînante. L'album que nous feuilletons, aux costumes changeants de décade en décade, est un peu figé, un peu froid (...).
Je crois que c'est le genre adopté qui est en cause. ces galopades de siècles en siècles, pendant une heure et demi de projection sont fatalement superficielles, écourtées, papillotantes. il y faudrait pour lien un bon scénario, bien construit et mené comme celui de M. Guitry dans Les perles de la couronne. Mais cette fois M. Guitry reste nonchalant."
ACTION FRANÇAISE - 1938

"Voici le dernier ouvrage de cet auteur. il s'intitule Remontons les Champs-Elysées et il ressemble beaucoup aux Perles de la couronne. Bien entendu l'intrigue n'est pas la même. Mais, ici comme là, à l'aide d'un fil assez ténu, nous exécutons une cavalcade rapide à travers des siècles d'histoire. De grandes personnes apparaissent devant nos yeux, sous un aspect parfois imprévu, toujours plausible et ingénieux. Ils disent des phrases qu'ils n'ont pas prononcées mais qu'ils auraient pu prononcer. on le souhaite pour eux, car elles sont généralement spirituelles. (...)
Notre plaisir est souvent très vif. Pourtant je regrette que M. Sacha Guitry ait cru bon d'exploiter le procédé qui avait si bien réussi aux Perles de la couronne. cette fois le film nous paraît moins neuf. Il est peut-être aussi moins brillant, dans sa distribution et dans son invention anecdotique. Nous n'avons plus ici de Raimu, ni surtout de Zaccone. Aussi, bien des personnages, comme la Pompadour ou Napoléon, manquent de relief. En revanche, beaucoup d'apparitions féminines, charmantes et brèves.(...) Mais arrêtons ici les critiques. Il y a peu d'hommes dans le monde qui pourraient évoquer, au moyen de mots et de quelques images de cinéma, certaines époques et certains personnages historiques avec cet esprit et cette pertinence."
JEAN FAYARD - CANDIDE - 1938

"D'abord les défauts. Le postulat, comme dans Paris lumière du monde, est celui-ci : un instituteur évoque devant les élèves de sa classe le passé historique de la France. Là, c'était en contant l'histoire de la construction des Eglises, ici c'est en racontant des historiettes. Que ce professeur, de naissance illégitime, soit fils, petit-fils, arrière-petit-fils de bâtard... ce n'est évidemment pas infamant, mais il n'y a pas lieu d'en tirer spécialement gloire... ni d'étaler sur la chaire professorale ce qui devrait être réservé discrètement à la chronique scandaleuse de la famille. M. Sacha Guitry emporté par son sujet et son amour du paradoxe n'a peut-être pas réfléchi à la condition bizarre de cet éducateur étalant devant des enfants les erreurs de sa propre famille, pour expliquer comment ses ancêtres furent au cours des âges, mêlés à cette petite histoire scandaleuse que l'on n'enseigne pas habituellement aux jeunes élèves... Et puis, les histoires qu'il raconte sont surtout des aventures galantes... Drôles et bien détaillées... mais encore une fois... elles ne figurent pas dans le programme laborieusement fignolé par MM. les membres de l'instruction publique. On éprouve une certaine gêne à voir et entendre ce vieillard disert conter ses galanteries devant un parterre d'enfants.
Et maintenant les qualités. Elles sont de tout premier ordre. Le jeu, la mise en scène, la décoration, les costumes. ici rien n'est à reprendre, tout est à louanger. A ce point de vue, le film fait honneur à la production française. Certaines scènes sont de l'humour le plus fin... Pendant deux heures d'horloge on est intéressé, séduit par les mérites de ce grand film qui certainement aura une brillante carrière en France et à l'étranger."
CINAEDIA - 1938

" "on a le droit d'imaginer, disait Sacha Guitry, un tas d'événements dont on n'a pas trouvé la preuve du contraire." Il ne s'en est pas privé et ce film d'avant-guerre, léger, brillant, ironique, commenté par lui est, sans doute, la plus savoureuse de ses fantaisies historiques. Retourner à l'école avec Guitry, assister à une rencontre de Bonaparte avec Napoléon 1er en 1815, et entendre un de ces jeux de mots dont il avait le secret, c'est un plaisir qu'il ne faut pas refuser. En réinventant "la petite histoire", cet auteur très parisien réinventait aussi le récit cinématographique. Le film caracole d'une époque à une autre, en passant par un délicieux pastiche de Louis XV. Les acteurs merveilleusement dirigés font la ronde et il y a autant d'invention dans les images que dans les dialogues. cet art du divertissement, jadis méprisé par les critiques qui n'y voyaient que du "théâtre filmé ", nous paraît aujourd'hui digne de figurer dans notre patrimoine culturel. Sous sa fantaisie, Guitry est plus profond qu'il n'y paraît. Dans cette petite affaire de famille où les sangs plébéien, royal, républicain et impérial se mêlent par tout un jeu de coïncidences, il y a après tout, une idée de la France qui n'est pas fausse."
JACQUES SICLIER - TÉLÉRAMA - 1976

"L'importance énorme (environ la moitié du spectacle) donnée à l'aventure amoureuse de Louis XV contraint l'auteur à évoquer en quelques flashes rapides cent ans d'Histoire de France. Et ce survol à grande vitesse, pendant que des causes identiques engendrent les mêmes effets dans la famille du narrateur, finirait par donner une impression de froideur et de monotonie... si Sacha Guitry n'en profitait pas pour nous livrer ses "idées politiques", faites essentiellement d'un esprit cocardier et d'un grand respect pour le pouvoir... à condition qu'il soit respectable et surtout, qu'il s'accompagne d'un panache certain. Rois et empereurs auront donc ses préférences sur les révolutions, où l'affreuse populace s'en donne à coeur joie. (...). On regrettera seulement que Sacha n'ait pas cru devoir utiliser, cette fois, le talent des excellents comédiens auxquels il s'est adressé, à l'exception de Lucien Baroux - toujours si drôle et si fin, avec cet oeil d'oiseau affectueux - et de Jacqueline Delubac, piquante à souhait... pendant quelques secondes. Le Maître a préféré se tailler la part du lion, en un monologue perpétuel, tel que se présente, d'ailleurs, le seul texte édité à ce jour. (...) En fin de compte, Remontons les Champs-Elysées, s'il évoque par l'esprit Les perles de la couronne, est sans doute plus proche encore du Roman d'un tricheur.
Agréable et souvent plaisant, ce film demeure cependant un témoignage de virtuosité plus que de vraie sensibilité : il émoustille l'intelligence mais ne touche le coeur qu'en de rares instants, trop brefs (comme la mort de Lebon, trait véritablement génial). on notera, par ailleurs, les allusions - à peine voilées - qu'y fait Sacha Guitry à sa propre condition amoureuse et à sa liaison avec Geneviève, dont le personnage est "amoureux de l'automne", le héros ayant, à quelques mois près, l'âge de notre auteur..."
JACQUES LORCEY - SACHA GUITRY - PAC, 1985

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