Interprètes :
Sacha Guitry, Lana Marconi, Pauline Carton, Bernard Blier, Meg Lemonnier, Louis de Funès, Simone Paris.
Durée: 97 mn. Sortie : 24 octobre 1952 aux cinémas Le Français et Marbeuf - Paris.
L' histoire :
Les trois mésaventures d'un cocu et l'emploi d'un séducteur portant beau. Le style unique,
mordant et pétillant de Guitry dans un film savoureux.
Critiques anciennes et récentes :
Les panoplies du théâtre sont aussitôt désignées. Les allusions sont signifiantes : "Je
n'imagine rien qui ne soit faisable sans que l'amour et le théâtre y soient mêlés... Même faire
l'amour, c'est jouer la comédie... Quand le rideau est tombé, il reste encore un acte à faire :
l'amour". L'acteur interprété par Guitry définit sa fonction par rapport à son désir sexuel.
Sur scène, il regarde la salle pour voir si, dans la ville où il passe, il est possible de nouer
une aventure amoureuse. Dans ce film où l'on parle d'abord de séducteur et de cocu, on n'hésite
pas à devenir explicite sur les choses du sexe : une petite comédienne demande à l'acteur si elle
peut coucher avec quelqu'un d'autre ce soir car, pour toute la tournée, c'est lui qui est
prioritaire. L'habilleuse avoue avoir connu un pompier qui l'appelait son "petit incendie". Plus
tard, Blier racontera ses infortunes conjugales à sa troisième femme...
Dans cette confrontation, chacun a son emploi défini. L'acteur a toujours l'air d'un acteur, en
scène comme hors de scène. Il peut en appeler à l'imaginaire pour parfaire sa séduction (il
invente un orchestre et des consommateurs dans une boire de nuit vide) et quand il déclare un
sentiment, il est impossible de savoir s'il le ressent simplement ou s'il ressert les répliques
d'une pièce. Il ne croit qu'à l'instant et souhaite - en la redoutant - la répétition improvisée
d'un moment de grâce. Il se plaît à déclarer : "Il y a d'admirables endroits où il vaut mieux
ne pas retourner ; des tableaux si admirables qu'il est préférable de ne pas les revoir et des
livres si beaux qu'il ne faut pas les relire". Anarchiste et frégoli, l'acteur est l'opposé
du mari puisque le mari n'est plus un homme dès qu'il est un époux, et dans cet emploi - preuve
en est le théâtre - il ne peut qu'être un cocu.
Justement, le mari (Blier) a été trois fois infidèle, et aussitôt cocu, comme si tout décalage de
sa part nécessitait, volontairement ou non de la part de son épouse, un équilibrage par mimétisme.
Bijoutier et bourgeois, il n'espère pas que ses rêves deviennent réalité. Il craint que ses
craintes ne se réalisent. Cocu, il le fut et - pendant que le futur amant de sa troisième femme
fait l'amour au public en jouant sur la scène -, il raconte complaisamment, et dans la plus totale
misogynie, comment il fut cornard de manière insolite. (...)
Cette parodie périlleuse fournit à Guitry quelques bonnes occasions d'exprimer son sentiment sur
l'étonnante fascination que les bourgeois vouent aux êtres différents d'eux. Les acteurs ne sont
plus des saltimbanques, mais des idoles qu'ils voudraient imiter. Comme les juristes et les
politiciens, ils aspirent à séduire et à tenir le devant de la scène. Ils gâchent le métier et se
laissent autant dévorer par les apparences qu'ils les utilisent pour aliéner les autres. Le cocu,
profitant d'une ressemblance inouïe, voulant vexer une femme ou compromettre les autres, n'est
qu'une éternelle victime, comme dans le vaudeville. La fiction lui saute à la gorge pour
l'inscrire dans le mauvais rôle. L'acteur, lui, ne croit en rien d'autre qu'au théâtre. Il peut
tout se permettre, exactement comme Guitry se permet tout avec le cinéma. Ici, il place un miroir
à peine déformant devant son public bourgeois, indiquant de quelle monstruosité minable il est
fait, et - avec le panache de la dernière représentation, il se fait applaudir au moment où il
insulte tout ce que cette caste protège. De toutes les cibles qu'il se donne à cette époque, c'est
bien la bourgeoisie qu'il décide de cribler à volonté. Je l'ai été trois fois prépare la
fable noire, amère et terrible que sera son prochain film : La Vie d'un
honnête homme.
Noël Simsolo, Cahiers du Cinéma, 1988.