Extraits des dialogues de la pièce UNE FOLIE


Le docteur :
Donc, vous faisiez un pas de géant vers le divorce en l'épousant - et qu'il le veuille ou non, qu'il ose ou qu'il n'ose pas se l'avouer à lui-même, c'était, là, la véritable raison de ce mariage - qui peut paraître singulier - mais qui n'en témoigne pas moins du grand souci qu'il a de votre honneur, madame. Aurait-il pu vous dire hier : "Séparons-nous, Missia " - après six ans de vie commune ?... Mais non - car c'eût été vous mettre en circulation. Tandis qu'ayant été mariée, tout change et tout vous est permis !... Devenue femme divorcée vous pouvez aussitôt vous remarier, d'ailleurs - mais vous pouvez aussi vivre seule - qui songerait à vous en blâmer ! Vous pouvez même avoir une folle aventure - dont votre bon plaisir fixerait la durée - car votre vie privée est vôtre - et désormais, enfin, vous n'avez plus de comptes à rendre ! Tout à l'heure votre mari en plaisantant, vous voyait dînant avec moi. Ce n'était guère vraisemblable. Tandis que, divorcée, moi, je nous vois très bien allant passer tous deux quinze jours à Stresa - qui sait même, à Venise - eh ! mon Dieu, pourquoi pas !... Grand avantage du divorce : il prend la liberté sous sa protection !... Pourquoi se marie-t-on, d'ailleurs ?... Pour pouvoir divorcer un jour. Il n'est question que de ça dans un contrat de mariage - ou bien de votre mort. Ordinairement, les gens qui se marient ne se connaissent guère. L'un vers l'autre poussés par un sentiment vif ils ne sont animés que du désir charmant de vivre côte à côte et de faire leur bonheur. La légalité de leur union ne joue là aucun rôle. Elle les autorise en somme, à faire l'amour - un point, c'est tout - autorisation, dont, d'ailleurs, ils se seraient fort bien passés! La loi n'interviendra, opérante et formelle, qu'au jour de leur divorce. Là, elle saura se rendre utile. Les huissiers, les notaires, les avocats et les avoués prenant en main les intérêts de leurs clients, articuleront des " attendus " inattendus. Ils les sépareront de corps immédiatement afin de les empêcher de pouvoir faire l'amour. Le président du Tribunal les appellera tous deux en conciliation - et, en termes choisis, d'ailleurs, et mesurés, il élargira le fossé qui déjà les sépare. Et c'est ainsi que leur sécurité présente et à venir leur sera garantie. Quant aux hideuses questions d'argent, elles se régleront automatiquement. La femme aura le plaisir de voir que le Tribunal condamne son mari à lui verser une somme - nettement inférieure à celle que, de lui-même, il lui aurait donnée! Et c'est pourquoi je prétends que le divorce est mieux qu'une institution. C'est une conclusion, c'est une conséquence - c'est le parachèvement logique du mariage - c'est comme qui dirait le dénouement d'un drame - car c'est dramatique, n'est-ce pas, de continuer de vivre ensemble quand on a cessé de s'aimer. Cela devrait être interdit, d'ailleurs, car c'est d'un déplorable exemple. Donc, le divorce, voilà la solution - par excellence durable - puisqu'en fait elle doit durer toute la vie!... Et convenez avec moi que si les divorces avaient lieu à l'Eglise... en musique, avec choeurs, tous cierges allumés, le divorce deviendrait alors un sacrement - et ce serait justice - et ce serait très beau - parce que c'est très beau de recouvrer sa liberté - en demandant à Dieu de bénir la rupture qu'il vient de consacrer....
(...)


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