Production : C.L.M. Cocinex - Distribution : Cocinor
Scénario et dialogues : Sacha Guitry.
Réalisation : Sacha Guitry
Directeur de la production : Clément Duhour.
Conseiller technique et chef opérateur : Pierre Montazel (Eastmancolor)
Décors : René Renoux.
Son : Joseph de Bretagne. - Montage : Raymond Lamy. - Musiques : Jean Françaix.
Interprètes (par ordre alphabétique) :
Michel Auclair, Jean-Pierre Aumont, Brigitte Bardot, Jean-Louis Barrault, Jeanne Boitel,
Gilbert Bokanovski, Bourvil, Pauline Carton, Gino Cervi, Jean Chevrier, Anne Clariond,
Claudette Colbert, Nicole Courcel, Danielle Delorme, Yves Deniaud, Renée Devillers,
Jeanne Fusier-Gir, Daniel Gélin, Sacha Guitry, Pierre Larquey, Jean Marais, Georges Marchal,
Lana Marconi, Mary Marquet, Gaby Morlay, Giselle Pascal, Jean-Claude Pascal, Gérard Philipe,
Edith Piaf, Micheline Presle, Jean Richard, Tino Rossi, Raymond Souplex, Jean Tissier,
Charles Vanel, Orson Welles.
Durée: 165 mn. Sortie : 12 février 1954 aux cinémas Gaumont - Palace, Berlitz et Marignan - Paris.
L' histoire :
Avec une manière toute personnelle, suprêmement élégante et raffinée d'écrire l'histoire de France,
Sacha Guitry est le maître d'oeuvre d'une suite de grandes scènes où défilent les acteurs plus
célèbres donnant aux personnages qu'ils incarnent une apparence inoubliable. Mais le véritable
héros du film est le Château de Versailles...
Critiques anciennes et récentes :
(...) Aujourd'hui, nous savons combien la "vérité historique" tient de la chimère. Elle n'est que
subjectivité rassemblée autour de documents authentiques. Guitry s'en méfie. Il ne veut pas faire
une mise en images d'un manuel scolaire et concevoir les étapes décisives du devenir d'une nation
en fonction des dates de batailles et des arbres généalogiques des souverains. Tout romanesque
qu'il soit, son regard est plus moderne. Son instinct poétique plus juste.
Sous les apparences d'une lecture personnalisée de l'histoire d'un palais célèbre, il sait mettre
en relief ce qui est politique en creux. Il s'intéresse peu aux victoires militaires et aux
alliances tactiques, il leur préfère ce qui déclenche les rumeurs, qu'elles soient colportées à
la cour ou dans le peuple. Toujours, elles sont liées à la déception. Souvent, elles marquent un
esprit critique pertinent. Parfois, elles sont plus à l'origine des révolutions que les famines
ou les pamphlets de philosophes et d'encyclopédistes.
La première scène de Si Versailles m'était conté va donner le ton : Henri IV et son fils
rencontrent un paysan qui semble ne pas les reconnaître. Les monarques éloignés, l'homme du peuple
maugrée : "Celui-là, avec sa poule au pot tous les dimanches, je le retiens !" Ce n'est pas
seulement un bon gag que cette réplique-là. Elle annonce le principe sur lequel toute la
démonstration va s'inscrire. (...)
Même s'il incarne Louis XIV vieux, même s'il s'attarde sur le charme de Louis XV, Guitry se refuse à
nier les évidences. Du Roi Soleil, il ne reste que Versailles et ses trouvailles d'artistes dues à
Mansart, Le Nôtre, Fragonard, Molière... Les hommes qui ont aidé le pays ne sont pas ces vedettes
couronnées, mais ceux de l'ombre, les doubles qui veillaient en secret, comme Colbert ou
Beaumarchais. Il éclaire leur rôle et n'hésite pas à privilégier leurs alliés, comme Franklin, à
noircir leurs démons comme Cagliostro, à situer leur conscience, comme Voltaire, à présenter leur
bourreau, comme Robespierre.
Il insiste sur la nature de lieu-clos qu'est Versailles : un théâtre où l'on complote en coulisses,
une scène où l'on truque la réalité pour se construire une légende.
En conclusion, il marque la situation du palais comme celle d'un décor que les touristes visitent
pour en imaginer les scènes qui s'y sont déroulées. Il n'a plus d'acteurs. Il est devenu un
superbe objet de collection. Un studio naturel où Guitry tourne le film. (...)
S'il a opté pour ne pas tourner l'histoire véritable et officielle du palais de Versailles, mais
son sentiment à propos du lieu et de ceux qui l'ont habité ou traversé, c'est parce qu'il est
incapable de tenir un discours de commande. Il a beau préciser en un joli quatrain :
"On nous dit que nos rois dépensaient sans compter.
Qu'ils prenaient notre argent sans prendre nos conseils
Mais quand ils construisaient de semblables merveilles,
Ne nous mettaient-ils pas notre argent de côté ?"
(...) Le vieux démon de la grandeur de la France et de ses rois n'a plus les séductions d'antan. Et,
toujours dans les entretiens radiophoniques autour du film, Guitry affirmait :
"Le goût de la monarchie devrait être respecté comme on respecte les croyances, et pas plus
discuté qu'on ne conteste aux gens le droit de faire des rêves".
D'ailleurs, son choix d'interpréter Louis XIV vieux, le soleil qui s'éteint, ne touche-t-il pas sa
propre image de séducteur à l'agonie ? Il feint de nous conter une histoire comme le font les
bandes dessinées du type Oncle Paul dans Spirou. Il accentue cette impression en installant un
générique qui consiste à le montrer en train de feuilleter un livre d'images où chaque acteur
porte le costume de son rôle. Mais il hausse différemment la mire au fil du récit. Il confronte
cette réalité d'hier, et d'avant-hier, au regard d'aujourd'hui et laisse le public en tirer les
conclusions de référence. Que Tino Rossi y soit un gondolier chanteur et Edith Piaf une
révolutionnaire est moins anecdotique qu'il ne le paraît de premier abord. Qu'Orson Welles (le
cinéma voulu libre de toutes contraintes) prête ses traits à Benjamin Franklin (fomentateur de la
décolonisation anglaise de l'Amérique) ne porte pas la moindre ambiguïté. Que Clémenceau ponctue
une des brèves conclusions du film place celui-ci dans un contexte idéologique différent de la
surenchère monarchiste...(...)
Noël Simsolo, Cahiers du Cinéma, 1988.