Parmi les plus beaux gestes...


Ma mère cessa de vivre à quarante-deux ans. Une bronchite négligée fit germer lentement dans son être un mal impitoyable. Et, bientôt, par prudence, on ne nous laissa plus l'approcher qu'une fois ou deux par semaine. Un jour que nous étions, mon frère et moi, auprès d'elle, on lui présenta un quartier de pêche. Elle le porta à ses lèvres mais n'en prit qu'une bouchée, sans plaisir, et comme elle allait la reposer dans son assiette, disant qu'elle en avait assez, nous avons, mon frère et moi, tendu la main vers ce quartier de pêche. Elle ignorait la gravité de son état et elle ne se doutait pas du danger que nous pouvions courir en mordant après elle à ce fruit. Alors, elle nous l'offrit. Une amie à elle était là, qui la soignait depuis des mois - avec quel dévouement! Elle vit le geste de ma mère, et, doucement, très doucement, elle prit des mains le fruit qu'elle nous tendait.
- Pour ne pas faire des jaloux, dit elle, c'est moi qui vais le manger.
Et elle le mangea. Celle qui fit cela ne m'en voudra pas de la nommer. C'est Madame Jeanne Bourely.
Sacha Guitry, Si j'ai bonne mémoire, PLon, 1934.


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