Article parru dans la "Revue des professionels de santé" n° 38, septembre-octobre 1984, p. 27-42
INSTINCTOTHERAPIE
Essai sur l'instinct alimentaire chez l'homme et définition de l'instinctothérapie.
Par Guy-Claude Burger, physicien, licencié ès sciences de l'Université de Lausanne et ses collaborateurs
Partie 4
L'ALIMENTATION DITE ÉQUILIBRÉE
On peut remarquer que la tendance actuelle de la diététique, qui va à l'alimentation équilibrée, n'atteint que partiellement son but.
L'expérience de l'alimentation génétique montre que les besoins varient d'un jour à l'autre infiniment plus qu'on ne le croit communément, cela en fonction non seulement des dépenses énergétiques, vitaminiques et autres, mais aussi en fonction de processus métaboliques et immunologiques encore mal explorés: le programme alimentaire varie nettement, par exemple, dès contamination par un virus, bien avant la phase symptomatique. L'instinct constitue à ce titre une thérapeutique de prévention incomparable, agréable et peu coûteuse, à l'instar des expériences de Richter sur les rats.
L'amplitude des Variations dans la modulation sélective est parfois surprenante, surtout au (lé but de l'alimentation pro-génétique, lorsqu'il s'agit de compenser des carences antérieures. Nous avons observé un ancien "végétarien" qui consomma quelques 950 oeufs sur une période de trois mois, compensant certainement un lourd déficit en protéines, puis qui s'arrêta du jour au lendemain.
Nous avons pu voir une jeune femme, souffrant d'albuminurie, absorber 2 à 3 poireaux par jour pendant deux semaines, en les trouvant délectables, et dès sa guérison ne plus en tolérer une bouchée; de même, peu après un accident, le fruit qui paraissait délectable devient soudainement répulsif.
En conséquence, si les besoins et tolérances nutritionnels varient fortement et fonction du temps et des individus, une alimentation dite équilibrée est forcément déséquilibrante. Aucune diététique ne peut remplacer la précision sélective de l'instinct, car il n'est guère possible d'appréhender par une autre voie les besoins et tolérances réels de l'organisme.
CONJECTURES SUR L'ORDINATEUR INSTINCTIF
Une question troublante est de savoir par quels mécanismes l'ordinateur instinctif peut évaluer et limiter à l'ingestion la quantité souhaitable d'un aliment. L'hypothèse d'une régulation par couverture des déficits au niveau du métabolisme est inacceptable, car la réponse de palatabilité passe de sa phase positive à sa phase négative bien avant que l'assimilation de l'aliment ingéré n'ait pu entrer en ligne de compte. Il n'y a guère d'autre solution que de postuler un mode d'information à trois composantes, schématiquement:
- codification des déficits, et évaluation de la nature et de la quantité Q d'un aliment apte à les compenser,
- mesure de la quantité de cet aliment introduite dans le tube digestif,
- identification de la nature et de la composition de l'aliment en cours d'ingestion.
Examinons; de plus près chacune de ces composantes:
1 - Codification des déficits - Évaluation de la nature et de la quantité Q d'un aliment apte à les compenser
L'expérience montre indubitablement que l'instinct tend à rétablir systématiquement l'équilibre optimum et qu'il sait tenir compte de tous les déficits, ainsi que de la capacité de digestion et d'assimilation du sujet.
L'observation de l'aliesthésie olfactive démontre que ces divers facteurs sont intégrés indépendamment de tout contact avec un aliment: l'odeur d'un même fruit varie en fonction de l'état du sujet, de ses déficits, de ce qu'il vient d'absorber, de sa digestion et même du rythme nycthéméral. Tout bien considéré, on peut dire que l'odorat sait prévoir l'adéquation d'un aliment, comme aussi sa composition, puisqu'il tient compte de ses diverses composantes à partir des seules substances odorantes. D'autre part, le simple fait que la négativation de la réponse de palatabilité intervienne en cours d'ingestion, avant toute assimilation, démontre e que la quantité Q doit être évaluée à l'avance.
Il s'agit d'une évaluation virtuelle, multifactorielle et téléonomique, en ce sens qu'elle tient compte des caractéristiques des aliments originels potentiels, conjointement aux paramètres du sujet, et qu'elle anticipe sur la possibilité de satisfaction. Remarquons que le raisonnement ci-dessus ne tient pas compte d'une éventuelle régulation par limitation de l'absorption intestinale; toutefois, un tel type de régulation n'intervient pas pour tous les nutriments, comme le montre effectivement l'induction d'un déséquilibre métabolique.
Chez un enfant atteint d'une tumeur cérébrale, dans un état d'hypertension intracrânienne telle que sa motricité était fortement perturbée, nous avons observé la disparition de toute aliesthésie et de toute sélectivité. Ce sont donc vraisemblablement des zones cérébrales qui sont chargées de procéder à cette évaluation, ou qui y contribuent nécessairement. L'hyperphagie induite chez le rat par lésion des noyaux médio-ventraux de l'hypothalamus, quoiqu'observée sans référence à la sélectivité mentionnée ici, plaide dans ce sens.
2 - Comment la mesure de la quantité ingérée peut-elle s'effectuer ?
Les papilles olfactives et gustatives sont soumises à stimulation pendant le passage de l'aliment dans la zone buccale et pendant la mastication. On pourrait penser d'abord que le temps d'exposition des terminaisons sensibles permet de déterminer la quantité de l'aliment par addition des impulsions. Il n'en est rien: que l'on mâche longtemps, ou que l'on avale rapidement (pour autant que le goût de l'aliment soit correctement perçu), la quantité acceptée avant virage de la réponse gustative reste pratiquement inchangée. Il doit donc y avoir une information indépendante concernant la quantité réellement incorporée, ce qui n'est manifestement pas le cas.
Le volume de l'estomac n'intervient certainement pas de façon déterminante, car celui-ci n'est sensible qu'à distension complète, ou dans des états d'inflammation, ce qui n'a rien à voir avec la régulation fine et sélective dont il s'agit ici. Il n'impose une limitation volumique qu'à l'ensemble du repas; un tel mode de mesure ne permettrait pas de discriminer les quantités parfois minimes des divers aliments ingérés successivement. or, l'expérience montre que cette discrimination ne s'effectue pas correctement si l'on consomme deux ou plusieurs aliments ensemble, en les superposant lors de la mastication, ou si l'on ne laisse pas un intervalle de temps suffisant entre des aliments successifs.
Par voie d'introspection et de raisonnement nous avons été amenés a envisager l'hypothèse suivante: lors de la déglutition, des signaux, nettement perceptibles pour qui sait s'observer, sont émis au passage des trois rétrécissements de l'oesophage: au niveau du larynx, de la 3è dorsale, et du cardia.
Cette dernière zone en particulier, est pourvue d'une paroi extensible, dont les couches musculaires externes sont innervées par le parasympathique (plexus d'Auerbach), et constitue ainsi un sphincter fonctionnel, non organique (cf. achalasie): un signal, proportionnel à la durée et à l'amplitude de la dilatation des tissus, et donc au volume transité, serait transmis aux centres cérébraux, qui pourraient ainsi pondérer quantitativement le signal qualitatif transmis conjointement par les chimiorécepteurs buccaux. On aurait donc une sommation pour les n déglutitions de volumes qi.
C'est l'hypothèse la plus simple qui permette de rendre compte à la fois des phénomènes observés et des perceptions sensorielles; elle ne serait pas incompatible avec ce que l'on sait des capacités d'intégration "mathématiques" de nos centres cérébraux: la réduction, par les stimuli externes d'ingestion, des énergies pulsionnelles accumulées par la codification des déficits internes résoudrait en fait l'équation: somme de 1 à n qi = Q
Toute réduction d'énergie pulsionnelle s'accompagne d'une sensation de plaisir: ici, la volupté accompagnant la déglutition; cette volupté disparaît en effet dès l'inversion de la réponse de palatabilité, c'est-à-dire lorsque l'énergie pulsionnelle est déjà compensée.
3 - Comment les chimiorécepteurs buccaux déterminent-ils la nature de l'aliment en transit, de façon à évaluer Q en fonction de son "potentiel métabolique"?
Une expérience, involontaire d'ailleurs, nous permit d'observer la réaction instinctive face à une baie vénéneuse: la belladone. Cinq enfants habitués à notre méthode alimentaire se promenant seuls, découvrirent dans une clairière ces superbes baies noires qu'ils ne connaissaient pas et qui ne manquèrent pas de les tenter.
Ils en mangèrent tous en les trouvant délectables, jusqu'à inversion de la réponse de palatabilité, c'est-à-dire jusqu'à ce que le fruit leur parût âcre. Une fillette dépassa cette limite en avalant une baie sans la mâcher, forçant ainsi la "barrière instinctive" et ce fut la seule qui manifesta des troubles. Les quantités ingérées s'échelonnaient entre deux et une dizaine de baies.
On peut tirer de cet exemple parmi d'autres plusieurs conclusions: d'abord l'apprentissage n'a pas été nécessaire pour empêcher l'ingestion d'une dose mortelle d'atropine: donc, l'ordinateur instinctif est programmé génétiquement pour la belladone, comme d'ailleurs toutes les baies et champignons vénéneux que nous avons soumis à semblable expérience, sans qu'ils n'aient jamais fait l'objet d'essais préliminaires aptes à créer un réflexe quelconque.
Ensuite, l'instinct n'interdit pas strictement la consommation de ces plantes dites toxiques: au contraire, la réponse est positive en-dessous de la dose dangereuse, éminemment variable pour chaque individu. Pour des raisons phylogénétiques, on peut donc admettre qu'elles apportent certains éléments utiles, peut-être même leurs toxines spécifiques, jouant en quantités infinitésimales le rôle de médicaments. A faible dose, le poison devient remède, c'est l'un des principes archaïques de la pharmacie. Ainsi, l'instinct alimentaire permet de bénéficier de la pharmacopée naturelle, excluant les risques d'une erreur de diagnostic extérieur, et avec une posologie tenant compte intimement des données individuelles et actuelles.
Enfin, on constate que ce n'est pas l'amertume caractéristique de l'atropine qui a semblé déterminer l'arrêt instinctif: les baies ont paru âcres, et non pas amères. Cela ramène à notre question: comment les chimiorécepteurs buccaux repèrent-ils la nature d'un aliment concret, composé de multiples propriétés organoleptiques et biochimiques superposées ? Dans une première interprétation, on pourrait supposer que chacune des substances présentes dans l'aliment entier est analysée séparément. Il serait tentant de se représenter la papille gustative comme une sorte de station-pilote avancée, servant de modèle au métabolisme global, et équipée des enzymes nécessaires à cet effet; informée des déficits ou des excès éventuels par contact humoral, elle pourrait en quelque sorte refléter le bilan général de l'organisme, et, par compensation locale immédiate, transmettre aux centres hypothalamiques le signal d'adéquation des substances en transit, ces centres restant compétents pour en intégrer les données quantitatives.
Cette thèse n'est en tout cas pas suffisante, car si l'on ajoute une substance aromatique, ou si l'on mélange deux aliments, la réponse de palatabilité n'intervient plus correctement et laisse le passage libre à des substances en surcharge, comme le démontre aisément la réapparition d'une douleur inflammatoire. De même si l'on absorbe une substance isolée: le "goût du" sucre raffiné, par exemple, reste invariable (bien au-delà du seuil inflammatoire), alors que le goût de fruits riches en sucre (banane, raisins, etc.) vire nettement et au bon moment.
Il faut donc admettre, en première approximation, que les récepteurs gustatifs et olfactifs transmettent leur information à partir de certaines seulement des nombreuses substances composant un aliment naturel: substances "indicatrices", aptes à déclencher une stimulation chimio-sensorielle, et que nous ressentons pour cette cause comme des substances "aromatiques", attractives ou révulsives suivant la réponse centrale.
Il faudrait ainsi se représenter l'organe central de l'appareillage instinctif comme un véritable ordinateur, programmé de la façon suivante: pour chaque aliment originel, il disposerait, dans sa mémoire génétique, d'une "fiche signalétique" particulière, qu'il repérerait à partir des substances indicatrices propres à cet aliment, et qui lui permettrait de prévoir les dosages des diverses substances importées lors de son ingestion. Après intégration et comparaison des signaux internes et externes, il modifierait positivement ou négativement l'interprétation perceptive des sensations gustatives et olfactives. Et dans certains cas, il transmettrait aux papilles un message les faisant réagir convenablement aux substances indicatrices en présence, ceci probablement par le truchement d'un processus de régulation enzymatique, vu qu'il subsiste parfois des sensations locales de brûlure ou d'irritation, si l'on force le seuil de la réponse négative en ingérant malgré tout l'aliment qui l'a provoqué. En résumé: l'ordinateur instinctif serait programmé principalement non pas en termes de substances isolées, mais en termes d'aliments concrets fournis par le biotope primitif. Au lieu de le rapporter à un système d'axes de coordonnées représentant chacun une substance chimique particulière, il faudrait se le représenter sur des axes correspondant chacun à un aliment originel différent. Plus exactement, il faudrait se le représenter sur ces deux systèmes de coordonnées conjointement, avec la capacité "tensorielle" de faire passer l'information de l'un a l'autre: les composantes du bilan interne, exprimées en termes analytiques, seraient l'objet d'une "application" sur l'ensemble mathématique, programmé génétiquement, des aliments originels, contrôlés à l'ingestion par le truchement de leurs substances aromatiques spécifiques.
Cette représentation est acceptable du point de vue phylogénétique, toute espèce vivante ayant pu élaborer les schèmes génétiques de ses chimiorécepteurs externes et de leurs centres d'intégration à partir des aliments concrets du milieu primitif, mais jamais à partir de substances isolées ; alors que la génétique des récepteurs internes a pu s'élaborer effectivement à partir des données analytiques du métabolisme humoral et intracellulaire.
INCIDENCE DU "GOUT POUR" - FEED-BACK DE SECOURS
Le facteur humoral exerce cependant une influence non négligeable sur les mécanismes de la gustation: l'effet d'une piqûre intraveineuse se ressent sur la langue et peut altérer la palatabilité de certains aliments; un diabétique qui consomme une banane est généralement arrêté par une saveur doucereuse, écoeurante, bien avant l'apparition du goût herbeux et râpeux, caractéristique de la réponse de palatabilité négative pour ce fruit. D'autres exemples mettent en évidence le rôle joué directement par le chimisme sanguin dans la genèse de sensations qui participent manifestement à la phase répulsive du "goût pour"
Par contre, il ne semble pas, à l'observation globale, que le facteur humoral intervienne au niveau des chimiorécepteurs externes dans la phase positive du «goût pour"; une piqûre d'insuline, par exemple, abaissant le taux de glycémie, fait apparaître une sensation de faim, de besoin de satiété, qui entre bien dans ce que l'on ressent comme le "goût pour" le sucre; mais, ce processus se situe plutôt au niveau des mécanismes de régulation de quantité à l'ingestion par contrôle du transit oesophagien. Ces mécanismes contribuent d'ailleurs à la genèse de la phase de répulsion: le "dégoût pour" se manifeste apparemment par un sentiment de satiété, par une modification de la gustation imputable au feed-back sanguin, auquel se superpose encore une réaction de nausée relevant vraisemblablement de l'immunologie.
Notons que le passage du "goût pour" au "dégoût pour" se fait le plus souvent de façon très progressive, contrastant avec le caractère diphasique de la réponse du "goût de" aux aliments pro-génétiques. De plus, il intervient généralement avec un décalage, dû à l'absorption intestinale, qui apparaît dans le fait qu'une première prise d'aliment non pro-génétique soit parfois démesurée, la régulation n'intervenant qu'au repas suivant; la régulation par le "goût pour" ne met de la sorte pas à l'abri d'une surcharge; elle implique plutôt la surcharge pour intervenir, ce que confirme par exemple le critère de la douleur inflammatoire.
Le "goût de" et le "goût pour" apparaissent ainsi comme l'expression de deux systèmes de régulation indépendants. La réponse du premier prédomine et devance celle du second lorsque les conditions sont phylogénétiquement respectées. Avec des aliments échappant à la programmation de l'ordinateur central, la réponse de palatabilité est inhibée; le "goût de" reste inerte, et laisse apparaître le "goût pour", qui joue en quelque sorte le rôle d'un circuit de secours, évitant un déséquilibre prolongé. Très appréciable également dans le cadre de l'alimentation pro-génétique lorsqu'une dysfonction digestive ou métabolique fausse les "prévisions" de la réponse centrale, il est cependant beaucoup plus sujet à imprécision et à distorsion, comme l'attestent les déséquilibres observables à court ou long terme en absence de réponse centrale (cas d'inhibition des centres cérébraux mentionné plus haut, ou alimentation traditionnelle).
Cette brève esquisse montre à quel point une notion aussi familière que la faim se révèle un phénomène complexe, dont les divers mécanismes constitutifs sont difficiles à isoler et à interpréter si l'on manque au départ d'un terrain et d'une méthode d'expérience définis de façon à permettre leur déroulement génétiquement normal.
Tout programme instinctif confronté à un milieu trop éloigné des données phylogénétiques présente un fonctionnement paradoxal, dont l'intérêt expérimental est évident à titre de contre-épreuve, mais dont l'interprétation est scabreuse si l'on ne dispose pas du référentiel de base. L'expérience animale souffre de la même difficulté, soit que le milieu alimentaire soit mal défini, soit que l'expérimentateur ne dispose pas du recul découlant de ces observations et nécessaire à l'interprétation des phénomènes. C'est pour ces raisons sans doute que l'éthologie alimentaire humaine, en particulier, n'est encore guère sortie du stade précritique.
Une dernière remarque s'impose au sujet du principe même de l'art culinaire. Le sentiment de satisfaction alimentaire est lié à l'intégration des stimuli chimio-sensoriels des récepteurs externes, et des stimuli volumiques de déglutition, et encore à titre de complément, au sentiment de bien-être stomacal intervenant pendant une digestion adéquate. Cette triple condition amène normalement le sujet, situé dans un environnement alimentaire "pro-génétique", à rechercher des aliments qui lui permettent d'obtenir une réponse de palatabilité positive, et à s'en procurer une quantité suffisante pour compenser par ses perceptions de déglutition l'énergie pulsionnelle liée à l'expression de ses déficits, sous réserve que son ingestion conduise à un sentiment stomacal agréable. Il est ainsi guidé, par l'attraction olfactive et le principe de plaisir, à se nourrir correctement.
Ce triple filtrage est mis en défaut par l'artifice culinaire: l'adjonction de substances aromatiques, la neutralisation ou la transformation thermique et chimique des substances indicatrices nécessaires aux papilles gustatives pour manifester une réponse de palatabilité négative, faussent le processus, et permettent d'éprouver à volonté des sensations gustatives positives.
Le signal volumique de déglutition pouvant être alors augmenté à volonté vu l'absence de limitation quantitative au niveau de la gustation, il devient possible d'éprouver une volupté factice qui ne correspond aucunement à la compensation du déficit réel. De plus les réactions culinaires permettent de synthétiser des molécules aromatiques particulièrement stimulantes (les molécules de Maillard), dont l'action sur les chimiorécepteurs pourra être anormalement intense sans correspondre à aucune donnée physiologique. Enfin, la plénitude gastrique facilement obtenue dans ces conditions donnera, par l'impression d'une parfaite satiété, l'illusion de la satisfaction.
La cuisine revient en quelque sorte à jouer avec l'appareillage instinctif alimentaire, en lui soumettant des aliments choisis et modifiés de façon à provoquer un maximum de stimuli positifs, sans que ceux-ci ne correspondent à sa programmation innée ni forcément aux besoins et tolérances effectifs de l'organisme, ce qui conduit à ingérer des aliments impropres à maintenir un équilibre digestif et nutritionnel parfait. Un aliment superflu est inévitablement nuisible, soit par surcharge digestive, soit par surcharge ou inadéquation métabolique, et sa consommation répétée se fera au détriment d'autres aliments, au risque d'induire diverses carences ou perturbations à plus ou moins long terme.
En fait, le but intrinsèque de la cuisine est de rendre délectable par l'artifice ce qui est répulsif à l'état naturel : donc de rendre bon pour le palais ce qui est mauvais pour le corps...
En effet si l'on admet la cohérence fonctionnelle du programme instinctif alimentaire, telle qu'elle s'est vérifiée dans nos observations, l'aliment mauvais à l'état brut ne doit pas être consommé.
Et inversement, l'aliment utile est déjà bon à l'état brut: il n'y a aucune raison de le modifier; l'expérience montre même qu'il ne saurait paraître meilleur qu'à l'état brut, pour autant que le corps en ait vraiment besoin.
L'art culinaire a remplacé les jouissances naturelles par des jouissances artificielles, non fonctionnelles, dont la valeur éthique est discutable pour celui qui a fait l'expérience de l'alimentation pro-génétique. Avec le temps, la sensibilité du goût et de l'odorat s'affine notablement; le "niveau d'impression" s'élève par disparition des surcharges et retour à les appels instinctifs correspondant à des besoins réels, appels donc plus intenses. Il en résulte des jouissances "esthétiques" particulièrement riches de reliefs et de contrastes, dépourvues d'arrière-goûts ou d'autres composantes perturbatrices. L'homo sapiens a délaissé la "gastronomie originelle" pour une gastronomie intelligente mais il ne semble pas qu'il ait gagné au change sur tous les tableaux.
Pour conclure par une note philosophique, on pourrait dire que l'homme, depuis que son intelligence conceptuelle lui a permis de modifier sa nourriture, a recherché des artifices pour se procurer des plaisirs immédiats, court-circuitant sa programmation instinctive à l'aide d'aliments sortant de sa plage d'adaptation; en deux mots, il a utilisé son intelligence pour tromper son instinct. Un amateur de langage biblique y verrait un aspect du péché originel: recherche du plaisir par la désobéissance aux lois premières.
L'expérience montre même que l'art culinaire constitue une sorte de piège: le forçage de la barrière instinctive conduit à des surcharges alimentaires dont la conséquence automatique est de négativer la réponse de palatabilité aux aliments pro-génétiques si bien qu'on ne peut plus les consommer en éprouvant un attraction normale.
L'abaissement du niveau de plaisir amène de ce fait à rechercher des aliments cuisinés plus sophistiqués au fur et à mesure que la suralimentation augmente. C'est sans doute là le moteur profond qui fait évoluer l'art culinaire vers la recherche de mets toujours plus complexes et épicés, mais qui compromet du même coup toute tentative d'adaptation génétique des mécanismes instinctifs. Le seul résultat est de pousser les organismes à une surcharge croissante, et de les soumettre à un risque de déséquilibre toujours plus grand.
Par surcroît, les aliments modifiés pour améliorer leur palatabilité sont aussi modifiés dans leurs structures biochimiques et conduisent à absorber certaines substances qui ne sont pas forcément intégrées correctement par un métabolisme dont les données sont elles aussi adaptées d'abord aux substances fournies par le milieu primitif. Il s'en suit une altération progressive du terrain par incorporation de métabolites anormaux dont les conséquences semblent encore plus graves que celles qui résultent du déséquilibrage nutritionnel instinctif: ces métabolites parasites se sont en effet montrés susceptibles de conditionner qualitativement et quantitativement la pathologie de "l'homo culinaris" sur les plans physiologiques, psychologiques, et même psychiatriques, d'après nos observations.
Inversement, le recours à l'alimentation pro-génétique implique, en plus du rétablissement d'un équilibre nutritionnel correct, une libération notable du potentiel immunologique, grâce à la suppression de l'apport de ces substances étrangères qui agissent comme autant d'antigènes. Il constitue de ce fait une thérapeutique non seulement préventive, mais curative qui s'est révélée d'une efficacité surprenante dans les affections les plus diverses: maladies infectieuses, métaboliques, auto-immunes, dégénératives, néoplasiques, et psychosomatiques. Cet aspect du problème mériterait à lui seul une étude approfondie qui, sans pouvoir entrer dans le cadre de ce compte rendu, n'en est pas moins l'un des principaux et inévitables prolongements de ces nouvelles notions basées sur l'adaptation génétique au milieu primitif.
Nous nous contenterons de donner ici cette définition de "l'instinctothérapie"
« Thérapeutique basée sur la normalisation de l'instinct alimentaire et du métabolisme, susceptible d'extension à tous les processus instinctifs ou autres touchant l'économie des énergies internes et des échanges avec l'extérieur, rapportés à la notion de l'adaptation génétique à un milieu approprié.
L'expérience de l'alimentation dite originelle ou pro-génétique permet de mettre en évidence l'existence chez l' homme d'un programme instinctif alimentaire inné, dont le mécanisme d'expression principal est la réponse de palatabilité (aliesthésie olfactive, gustative et de consistance). Son apparente dégénérescence fonctionnelle est imputable non pas à des causes structurales, mais principalement à l'inadaptation génétique au milieu alimentaire modifié dans ses propriétés organoleptiques et biochimiques par l'effet des artifices culinaires traditionnels, et aux troubles ou déséquilibres somatiques qui en sont la conséquence.
La définition de l'alimentation pro-génétique fournit un référentiel expérimental et théorique susceptible d'ouvrir une voie d'accès nouvelle à l'éthologie alimentaire, tant chez l'homme que chez l'animal.
L'équilibrage nutritionnel hautement différencié, obtenu par le libre jeu des mécanismes instinctifs dans un milieu alimentaire approprié, ainsi que la normalisation métabolique et immunologique qu'implique l'adaptation génétique a ce dernier, constituent une thérapeutique spontanée, l'instinctothérapie, dont l'efficacité s'est déjà confirmée dans de nombreux types d'affections.
Enfin, la notion de l'adaptation génétique aux structures intimes des aliments naturels peut servir d'heuristique dans la recherche de causes profondes d'altération de la réactivité de l'organisme, par suite de l'accumulation de substances étrangères, imputable à l'inadaptation enzymatique ou immunologique aux chimismes culinaires, et ouvrir ainsi une perspective nouvelle à la recherche médicale.