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Intervention de Jean-Louis
XHONNEUX, secrétaire général de l’Action fouronnaise, à la XIIIème
Conférence des Peuples de Langue française. Liège, le 15 juillet 1995 |
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Au
moment où les démocrates du monde entier s’inquiètent pour le drame qui se
déroule en Bosnie, on ne se doute pas du fait que la Flandre pratique une épuration
à sa façon aux Fourons.
Il
y a d’abord eu le vote en 1962 au Parlement belge. L’annexion des Fourons au
Limbourg ne serait plus possible aujourd’hui puisqu’il faut maintenant une
majorité dans chaque groupe linguistique pour voter un tel transfert. Je
rappelle que la loi transférant les Fourons a été votée par presque tous les
parlementaires flamands contre l’avis d’une large majorité de
parlementaires wallons[1]. C’était le premier vote où le Parlement
belge s’est divisé sur base des appartenances linguistiques.
Malgré
une action permanente et de nombreuses tracasseries, les Flamands sont toujours
minoritaires au conseil communal des Fourons. Alors que 4 bourgmestres sur 6
avaient plus ou moins soutenu le transfert en 1961-62, les 6 bourgmestres[2]
mis en place en 1965 (après les élections communales d’octobre 1964) l’étaient
sous l’appellation « Retour à Liège ». Ce score fut confirmé en
1970 et, en 1976, pour la fusion des communes, les choses devinrent encore plus
claires puisque les électeurs avaient à se départager entre une liste
« Retour à Liège » et une liste « Voerbelangen ».
Alors que tout avait l’air calme sur le front communautaire fouronnais en
janvier 1977, l’installation des conseillers communaux francophones fut annulée
parce que le Conseil d’État avait décidé que la prestation de serment
devait se faire en néerlandais uniquement.
Depuis
la fusion des communes, il y a eu 4 élections communales et « Retour à
Liège » a encore la majorité absolue aujourd’hui. Mais la Flandre
n’a pas cessé de modifier les règles pour imposer son influence et diminuer
celle des Francophones.
Dans
une première période, de 1977 à 1981, les mouvements flamingants ont tenté
d’imposer leurs vues par la violence. Ils ont dû constater l’échec de
cette manoeuvre. Mais vous verrez dans un instant que ce déploiement de
violence n’a peut-être pas été totalement inutile dans leur stratégie.
Lorsque
la population fouronnaise plébiscite José Happart en 1982 pour devenir
bourgmestre des Fourons, la Flandre lui impose la connaissance du néerlandais.
Cette connaissance du néerlandais ne se trouvait dans aucune loi, mais le
Conseil d’État a néanmoins annulé la nomination de José Happart[3]
qui ne s’est engagé à apprendre le néerlandais que lorsque la Flandre
aurait rendu les Fourons à la Wallonie.
Depuis,
les juristes flamands ont également déduit des lois linguistiques (pourtant
inchangées depuis 1962) que les conseillers communaux ne peuvent s’exprimer
qu’en néerlandais. Avez-vous déjà pensé à ce que représente comme
mutilation de l’expression démocratique le fait de devoir s’exprimer
exclusivement dans la langue de la minorité de la population, dans la langue
imposée par une annexion ?
Aux
élections communales suivantes de 1988, les règles avaient encore un peu changé:
nous aurions désormais droit à un collège des bourgmestre et échevins formé
à la proportionnelle où se trouverait donc dorénavant un échevin de
l’opposition disposant d’un droit de veto exorbitant. Par la même occasion,
on imposerait aussi aux 6 communes de la périphérie bruxelloise et à
Comines-Warneton, en plus de ce collège élu directement, des conseils de
l’aide sociale élus directement. Là on impose une autre dérogation en plus
à la règle générale: ces 8 présidents de C.P.A.S. seront nommés par l’Exécutif
régional; soit 7 nominations pour la Flandre et une pour la Wallonie.
J’ajoute à propos de Comines-Warneton que rien ne justifie de telles mesures
dans une commune où les Flamands ne présentent même plus une liste aux élections.
Il s’agit donc plutôt d’une volonté de faire payer quelque chose (mais
quoi ?) à des Wallons, ou d’une tentative de diviser l’ensemble des
Wallons.
Comme
je l’ai déjà dit, notre liste « Retour à Liège » a encore
remporté les élections communales d’octobre 1994. Nous avons obtenu 8 sièges
sur 15 et nous conservons une avance de 269 voix[4].
Le
9 janvier 1995, après une nuit mémorable, le Roi a nommé José Smeets comme
bourgmestre des Fourons, José Happart ayant accepté de s’effacer en faveur
de celui que la population avait désigné pour être son second. José Smeets
étant polyglotte, la Flandre n’a pu l’écarter, mais ses convictions
wallonnes en font un ennemi à abattre.
Et
c’est ainsi que nous assistons maintenant à une phase nouvelle de ce que
j’appelais l’épuration au début de mon intervention. Ils appellent cela de
la discrimination positive en faveur des Flamands des Fourons et cela leur
permet d’agir avec des armes financières plutôt que des armes de guerre
comme en Bosnie.
Nous
avons déjà dénoncé antérieurement des investissements institutionnels qui
n’avaient d’autres buts que d’amener de la population flamande. Ce fut
notamment le cas pour la construction des bâtiments de la douane sur
l’autoroute Liège-Maestricht, douane condamnée à disparaître pour raison
d’union économique européenne, dès le lendemain de son inauguration.
C’est encore le cas pour l’école provinciale flamande qui ne doit son
existence que grâce aux élèves qu’elle va chercher très loin ou en
Hollande. Mais le corps professoral de l’école provinciale est, pour la
promotion de la culture flamande, une formidable réserve d’animateurs
militants et bénévoles. Dans une perspective de développement d’activités
sociales et culturelles, une telle présence est importante et payante,
principalement lorsqu’on trouve dans le camp adverse, le nôtre, des gens
ordinaires, occupés tout simplement à gagner leur vie.
Les
manifestations violentes des années 77 à 81 ont aussi permis de développer
une brigade de gendarmerie, surdimensionnée par rapport aux besoins d’une
population locale de 4.312 habitants[5].
Pour occuper ces gendarmes flamands actuellement et pour les maintenir aux
Fourons, on les utilise pour des services de nuit et de week-end dans
l’arrondissement de Tongres, mais entre-temps ils habitent aux Fourons. 14
gendarmes, c’est 14 ménages. 14 ménages, c’est donc 28 électeurs
(flamands) au moins et c’est aussi un certain nombre d’enfants pour
l’enseignement flamand. Ajoutez-y les douaniers, les professeurs, les employés
des centres culturels et des autres implantations...
Maintenant,
cette épuration va se faire de façon plus systématique encore. La méthode
consiste à déposséder les francophones autochtones et à les remplacer. La
poussée hollandaise, et même allemande, sur les propriétés immobilières est
énorme. Les prix montent. Plus aucun fouronnais, qu’il soit flamand ou
wallon, ne peut encore acheter une maison ou un terrain. Et voici où intervient
la discrimination: la Flandre va construire des habitations sociales qu’elle
attribuera en discriminant positivement les Flamands. Les Wallons seront partis
(les poches pleines), mais les flamands resteront parce que la Flandre mettra
des immeubles à leur disposition.
C’est
ainsi que je peux affirmer que l’arme financière permettra à la Flandre
d’espérer de faire en sorte que suffisamment de Wallons « débarrasseront
le plancher fouronnais », conformément à leur slogan « Waalse
ratten, rolt uw matten ». Mardi dernier, le 11 juillet, à l’occasion de
la fête nationale flamande, l’échevin flamand a annoncé l’ouverture
prochaine d’un bureau appelé INFO 2000 qui sera sa machine de guerre. Il
y disposera de personnel et de moyens. A l’avenir, il sera difficile, espère-t-il,
d’obtenir le moindre service sans passer par lui.
Hier
matin, la presse annonçait que le Gouverneur du Limbourg suspendait une décision
du conseil communal fouronnais parce que l’opposition en a trouvé un projet rédigé
en français sur le bureau du bourgmestre où se trouvaient d’autres dossiers
préparés pour le conseil communal. Qu’en est-il ? Comme il s’agissait pour
nous d’une décision importante en matière d’aménagement du territoire,
nous y avions consacré plusieurs réunions de groupe et j’avais en effet résumé
notre position en une note de 3 pages télécopiée au bourgmestre. C’est
cette télécopie qui justifie la suspension du gouverneur. Comme il s’agit
d’une intervention de la tutelle pour une soi-disant infraction à la législation
linguistique, notre seul recours se trouve à l’Exécutif flamand. Ainsi, un
document privé ne pourrait donc même plus être rédigé en français.
Voilà
le tableau ... très noir, maintenant je crois néanmoins que nous devons garder
espoir. Notre région peut encore présenter pas mal d’avantages pour des
Wallons et la pression hollandaise sur les prix des immeubles va rapidement dépasser
les limites territoriales fouronnaises. Nous cherchons donc à attirer des amis
wallons chez nous en leur proposant des services que nous voulons meilleurs
qu’ailleurs, une plus grande convivialité et une fiscalité favorable aux
actifs qui travaillent en Belgique. Nous, nous n’avons pas le pouvoir de faire
davantage de discrimination.
En
attendant, nous comptons toujours sur la solidarité francophone et particulièrement
wallonne. Il est d’ailleurs clair que sans elle nous ne serions déjà plus là
aujourd’hui, mais nous insistons auprès des Wallons pour qu’ils exploitent
toutes les possibilités pour développer leur présence chez nous.
[1] Vote de la Chambre du 1/11/62: 130 députés ont répondu « oui »: 91 flamands, 20 wallons et 19 bruxellois; 56 députés ont répondu « non »: 45 wallons, 9 bruxellois et 2 flamands. (Voir Albert Stassen, « Les lois linguistiques », Ed. Action fouronnaise, 1987.)
[2] Fourons n’est plus qu’une commune depuis le 1/1/1977, mais précédemment il s’agissait de 6 communes: Mouland, Fouron-le-Comte, Fouron-Saint-Martin, Fouron-Saint-Pierre, Rémersdael et Teuven.
[3] L’arrêt n° 26.943 du 30 septembre 1986 annule « l’arrêté royal du 4 février 1983 par lequel José HAPPART est nommé bourgmestre de la commune de Fourons, de même que sa prestation de serment du 30 décembre 1983.
[4] Sur 2.712 électeurs convoqués, 2.628 électeurs ont voté. Il y a eu 99 bulletins nuls. La liste « Retour à Liège » a obtenu 1.398 voix et la liste « Voerbelangen » a obtenu 1.129 voix.
[5] Selon des statistiques récentes du Ministère de la Communauté flamande, les Fourons accueillaient, au 1er janvier 1994, 719 étrangers sur cette population de 4.312 habitants. Les étrangers y représentent donc 16,67 % de la population et ils sont hollandais à plus de 90 %. Seize de ces étrangers seulement viennent de pays où le produit national brut est inférieur à 4.200 US$ par an et par habitant.