Histoire sphrérique
et histoire linéaire

 

par Henry Montaigu

© La Place Royale, 1994, 1997.

 

 

L'Histoire est "sphérique". La réalité la plus intérieure de l'Histoire est sphérique. Elle ne devient linéaire, progressive, événementielle, que par décadence, oubli des fondements et aboutit alors davantage par le fait de la chute des temps que par l'effet de révolutions, aux diverses idéologies sociales et profanes du réalisme politique, dont la plus radicale, le marxisme, a pu se présenter, aussi bien par sa doctrine que par ses divers essais d'application, comme le corps renversé de l'univers traditionnel. Mais le marxisme n'est pas venu seul, et l'Histoire linéaire est en quelque sorte chrétienne. Non essentiellement, bien entendu. Aucune révélation n'apporte dans son bagage théorique l'idée de progrés, mais elle a poussé sur le terrain a demi inculte du christianisme médévial par la disgrace de conditions cycliques irrépressibles. Le développement matériel pouvait n'être considéré que comme un mal nécessaire et en quelque sorte compensatoire à la dureté des temps. Il eut été ainsi contenu, et, dans quelque mesure, sacralisé. Le messianisme triomphaliste de l'Eglise romaine, légitime en son essence mais extraverti en pouvoir politique, son ambition exagérée d'être le monde, le "monde nouveau", sorti de la longue obscurité d'une prétendue "nuit des temps", nuit qui n'est en vérité que celle de l'ignorance, ne l'ont point permis. Sa lutte, d'ailleurs avortée contre l'univers antérieur dit "paganisme" a fini par donner en outre l'impression qu'avant la venue du Seigneur rien n'était que néant. D'où historisation de la Foi. D'où dépendance de la pure spiritualité aux phénomènes et aux mouvements cosmologiques car la foi n'a pas à proprement parler un "commencement", mais une "origine". L'abus que l'on fait à présent de la notion de "Jésus historique" (en mode de plus en plus grossier) finit par ruiner le principe fondamental sans lequel cette notion même n'a plus de réalité et qui est l'éternelle incarnation de Dieu incarnation dont le christianisme a voulu faire une nouveauté, alors qu'il constitue, en ce qui le concerne, un aboutissement. Et cela qui joue sur le temps s'exerce aussi dans l'espace: I'Eglise, en méconnaissant la légitimité ou la transcendance des grandes révélations a donné le cours libre à un impérialisme spirituel, social, culturel et politique, dont elle est aujourd'hui victime et dont elle ne sait trop comment se défaire. D'autre part, on ne peut affirmer qu'il n'y a pas d'effets sans causes, il y a des causes inaccessibles. Si l'on considère la transcendance de la doctrine, la richesse du trésor mystique et la vitalité de la forme, la misère intellectuelle du catholicisme demeure un mystère: le secret de Dieu. Nos ancêtres ont pourtant longuement vécu dans la Réalité dépourvue de concepts, mais accordée à la largeur de l'espace originel chrétien. Ils savaient que le Christ n'était pas seulement la Voie et la Vie éternelle, mais que le salut qu'il apportait s'exerçait aussi dans l'Histoire - qu'il les sauvait dans l'Histoire d'une prodigieuse déchéance, du monceau de cendres qui tombe sur les empires dont les dieux sont morts. Car les dieux meurent, mais non pas le Dieu. Et Dieu s'était incarné. Il avait assumé jusqu'aux enfers la Totalité de la Manifestation pour en clore le cercle. Puis il était ressuscité "d'entre les morts", car sa mort était aussi réelle que son incarnation. Il était la Loi éternelle et la Tradition primordiale oubliée, et il était la Voie qui délivre, le grand chemin par où toute création retourne a son principe, I'au-delà des songes et des dispositions qui emplissent les siècles d'œuvres et de tumultes. L'Origine et la Fin dernière. Et nous voici sur l'espace le plus dangereux de la condition humaine et le plus incompréhensible. Ce sont les "Temps": car si le christianisme est par essence apocalyptique l'imminence de la fin de notre monde étant en quelque sorte assurée reste que les Temps semblent aléatoires dans leur mesure ("Mon heure n'est pas encore venue"; "nul ne sait le jour et l'heure") et que l'Histoire nait dans cette attente dite "de grâce" au moment ou elle devrait disparaître: se proposant un but et créant l'avenir en définissant le passé elle perd cette sphéricité qu'elle devait au présent continu des fables légendaires revivifiées au jour le jour par les rites et les coutumes car les fables légendaires, pour le monde ancien, ne sont pas autre chose qu'une définition médiane de l'Histoire. Elles contiennent tout ce qu'il est nécessaire à un peuple de comprendre et de connaître sur lui-même pour continuer d'être sans l'encombrement excessif des théories et l'énorme et fastidieux charroi des faits contingents.

Le christianisme change tout. Et cependant, la civilisation qu'il établit au Moyen-Age est dans une certaine mesure une restauration de l'état antérieur. Mais c'est une civilisation de l'écrit. Si la fable Arthurienne, par exemple, y trouve son aboutissement, les lettres gréco-latines et par conséquent l'Histoire, s'y perpétuent. La Bible est, d'autre part, son principal fondement culturel. Le Judaïsme avait, au profit de l'attente messianique, sanctifié l'histoire événementielle qui placée au centre même du dépôt religieux ne s'en distinguait pas et l'Eglise hérite naturellement de ce poids d'Histoire et le reconduit en vue d'une autre attente qui est, cette fois, la "conclusion des siècles". Tout cela ne va pas sans désordre et sans complications. Le Moyen-Age est un carrefour. L'aspect cosmologique de la doctrine, issu de divers héritages, et providentiellement adopté par l'Eglise, contredit parfois cruellement l'aspect métaphysique dévoilé par la lettre même de l'Evangile: le retour à la non-dualité l'identification du Christ au Soi, ciel intérieur qui en chaque homme "ramène tout à lui" aspect qui, à l'évidence proclame que la fin est proche, cependant que le monde continue. S'il s'agissait d'une bi-polarisation de la Foi, elle serait insoluble, mais de l'ordre individuel à l'ordre collectifs, c'est une question de degré, et aucune déchirure ne devrait avoir lieu si l'on considère chaque chose a sa place. En fait, la voie de salut dit "tout de suite" et le plan de Dieu sur le monde dit: "plus tard", car "le temps de la Moisson n'est pas venu". Pendant longtemps, il n'y eut point d'antinomie.

L'Occident pouvait-il vivre longtemps de cet équilibre instable? C'était le plus démuni des territoires, le plus déchu des continents, le plus malade de matérialité, aux termes des Evangiles. On lui donne à porter la croix de la Révélation universelle pour la cloture des temps. L'effusion de l'Esprit qui en découle aboutit à la sublimation médiévale. L'Occident s'élève au-dessus de lui-même jusqu'à l'enivrement, et puis, retombe exangue, dans son vomissement philosophique, ses tares de développement non controlé, son impérialisme, sa capacité prodigieuse à créer des utopies, à extérioriser des productions de moins en moins universelles, de plus en plus suspectes et centrifuges. Au-delà de toute expression purement "sacrée", en mode collectif, général, I'architecture est le témoin majeur de cette courbe.

Ainsi de siècle en siècle nous assistons à une véritable "occidentalisation" de l'Orthodoxie Primordiale donc universelle, "catholique" tradition renouvelée dans sa simplicité originelle par la Révélation du Christ, Rédempteur et Sauveur. Ce message premier et ultime, l'Occident le développe, le magnifie souvent, le déforme parfois, mais surtout, moins légitimement le "nationalise". De la judaïsation issue de la Réforme et de la contre-réforme, résulte un particularisme historique et culturel qui altère le dépôt, amoindrit la doctrine et les oeuvres, pour enfin épouser le siècle, ses modes et ses formes, au lieu de le déterminer. De nouveau livré à ses poisons intellectuels et à l'illusion de la puissance, l'humanisme européen dilapide l'essentiel de son avoir, le stérilise et en propage les erzats avec l'ingénuité de l'ignorance pour, en fin de course, donner le jour à la dernière des grandes hérésies judéo-chrétiennes, le marxisme, aboutissement grossier d'un messianisme terre à terre mais évidemment accordé à la chute des temps et aux rigueurs d'une trop longue attente.

Mais la crise du monde moderne n'est pas un fait occidental. Toutes les traditions de l'univers considèrent les temps historiques connus toute la mémoire humaine comme un espace nocturne. C'est l'Age sombre des Hindous (Kali-Yuga), I'Age de fer d'Hésiode. L'aboutissement moderniste n'était peut-être pas fatal en ce qui concerne la totalité de ses réalisations, mais il est logique dans la mesure ou il signifie d'abord absence de Dieu. Seule la loi des cycles, connue par toutes les religions (et seulement méconnue, occultée ou négligée ce qui ne peut être un hasard par le Christianisme) peut expliquer la cause d'un aussi prodigieux déséquilibre entre l'esprit de chute la Réalité obscurcie et l'esprit de redressement messianique, le grand travail, le perpétuel sacrifice sur l'avenir. Déséquilibre et illusion, car en fait, rien ne tombe et rien ne se relève, mais la rotation universelle implique un système d'alternance de la lumiere et de l'ombre, tout au moins en ce qui concerne la surface des choses.

Car les cycles sont des états et l'état "d'obscurité" et "d'éloignement" ne peut de toute évidence affecter que le plan horizontal ou si l'on veut, la circonférence. Les temps de ténebre sont ceux ou l'immense majorité de l'humanité prend la circonférence pour le tout portant toujours davantage son regard vers l'exterieur au lieu de tendre vers le centre ou réside son principe de vie.

Le thème fondamental de la Tradition Christique est que la Lumière reparaît au plus obscur de la nuit lorsque les "temps" ou les "châtiments" sont "arrivés" offrant à l'homme, dans tous les peuples et toutes les conditions, la possibilité d'opérer le renversement, de s'intérioriser sur une voie de salut qui est aussi une virtualité de délivrance. Mais la "voie" ne serait pas nécessaire, et la "croix" serait inutile s'il ne fallait pas cependant que la Nuit achève la courbe de son règne: et le Seigneur Jésus qui "ne peut être roi" se "retire devant le Prince de ce monde" laissant "aux hommes de bonne volonté" cette "Paix" qui est, par les sacrements, I'Eglise, la croix, la voie, la connaissance, comme une promesse du Royaume et porte les capacités de son actualisation dès ce monde. Le "prince de ce monde" garde donc ses droits qui sont ceux du cycle nocturne. On voit le Moyen-Age, et toute "orthodoxie" dans le temps et l'espace, donner sa part, sous un nom ou un autre a ce principe coéternel a toute manifestation, le juguler dans d'étroites limites avant qu'il ne soit "lié pour mille ans" (Apocalypse) ou composer avec selon la loi descendante des révolutions, pour enfin pactiser avec cet autre maître, devenu lui-même une puissance corrompue, lorsque le "royaume" créé par l'Eglise et par surcroit est désacordé avec la misère cyclique, et qu'une pesanteur nouvelle cloue l'homme au rivage terrestre.

Tout se désorganise alors avec lenteur, puisque cette désorganisation dure encore, et avec rapidité, si l'on considère le cours de l'Histoire depuis la fin du Moyen-Age, cela par chutes et par bonds, par crises et par désastres, avec des temps de repos et quelque possibilité parfois à retrouver, quoi qu'à un degré moindre, l'espace originel, le reflet des principes.

C'est au XIVème siècle que la "sphéricité" de l'Histoire s'occulte à mesure que disparait la civilisation de l'éternel présent. Entre les deux grands procès, celui des Templiers et celui de Jeanne, une mentalité nouvelle se dessine. Le vital dilapidateur l'emporte sur le spirituel; la politique d'état sur la royauté sacrée; le plan puremment religieux sur toute intériorité doctrinale. C'est la modernité qui commence. Désormais, un autre but est poursuivi, d'abord sourdement, puis avec tapage. Le monde traditionnel ne résiste pas, car il est privé de son armature intérieure: la Connaissance, les initiations. La scolastique radote, l'art décline dans le momentané. L'encyclopédisme lourdaud nait a cette époque et engrange quantitativement des connaissances subalternes. En tous domaines se crée une part profane, un redoutable partage entre la terre et le ciel, la chair et l'esprit. Plus tard la codification cartésienne développe le fait acquis et rien de plus. L'homme "renaissant", l'homme "classique" ou "romantique" sont des créations imaginaires du mythe de l'humanité en progrès constant, des étapes fabriquées avec les oripaux de la mode et les artifices des littérateurs. Il n'y a en réalité que deux façons d'envisager le monde: la civilisation du momentané, I'Histoire linéaire. D'une part, la Médiévalité, la tradition, tous les mondes anciens, l'état d'être sans ruptures internes ou les changements s'opèrent sans discontinuité et de spiritualité "centripète". D'autre part le monde moderne, univers de rupture, de révolte et de confusion, mais de routine aussi, car la peur constante du lendemain crée de redoutables sédimentations conservatrices autour de chaque aménagement révolutionnaire et qu'une ou plusieurs vagues nouvelles menacent à son tour d'emporter. Univers précaire, instable et divisé, de spiritualité psychique, anthropomorphe et centrifuge formidable déployeur de jeux du cirque et dont la créativité descendante est vouée par la coupure d'avec les principes, comme toute connaissance révélée, à la recherche en deça. Etrange règne. Si le "modernisme" arrive de loin et il n'est que résultat, toujours et partout, d'une déchéance spirituelle la "médiévalité" demeure encore, à travers nombre d'institutions, de formes, d'idées, de coutumes, alors même que le but est presque atteint de désacraliser l'univers entier, et que l'Eglise, après avoir partout propagé sa foi, se heurte a une contre-foi qui est en quelque sorte née d'elle. Il en résulte un mélange confus de croyance et d'aspirations en contradiction directe avec les lois et les dogmes qui fait que la ligne de partage entre la foi et la contrefoi est de plus en plus malaisée à établir et il est certes presque impossible de déterminer ce que sait encore l'Eglise tant ce qu'elle enseigne ou laisse croire est en discordance avec ce qu'elle porte, l'inaliénable dépôt de la Tradition.

Les temps peuvent-ils encore être étirés? Voilà qui importe peu. Tout est consommé déjà sans doute. L'Histoire aura probablement quelques soubresauts terribles, et il y aura peut être encore des philosophes pour délayer de l'insignifiance mais le progrès est à son terme, a même dépassé ce terme par anticipation, signe manifeste d'une incapacité d'aller plus loin ou de descendre plus bas autrement que par des songes cauchemardesques qui déploient jusque sous le soleil, mais en mode précaire et illusoire, l'empire de la "Reine Mab".

Peut-on parler de la responsabilité de l'Occident? Peut-on parler de la responsabilité de qui ou de quoi que ce soit? Il n'y a sans doute qu'un scandale et c'est la manifestation elle-même puisqu'il faut passer par des phases si douloureuses et, malgré toutes les explications théoriques, si profondément incompréhensibles. Le salut du monde ne dépend plus de l'homme, et seul, Dieu dispose. Tout au plus peuton se demander, en ce qui concerne l'Occident en général, et plus particulièrement la France, tête de plusieurs révolutions, si l'instrument n'a pas abusé d'un surcroit de force, et si la réalisation de l'inéluctable chute des temps ne pouvait s'opérer, dans tous les domaines, sans cet abandon quasi total aux principes contraires et a tous leurs absurdes développements. Mais en fait, une seule question se pose. Ce grand corps décomposé, livré a tous les vents de la discorde, de la dissipation et des fausses croyances, saura-t-il jouer jusqu'au bout le rôle qui lui a été dévolu et opérer ce retour salvateur qui est sa vocation première en guérissant, telle la lance de son propre symbolisme, les blessures que lui-même a faites? Oui, sans nul doute, mais à travers encore quels effroyables séîsmes qu'il est probablement trop tard pour éviter malgré tant d'avertissements adressés à des sourds et n'accepterons de changer de route que contraints et forcés par les circonstances: car comment saurait-il résister au choc en retour des démons qu'il a lui-même fait naître et si longtemps nourris, sinon en retournant vers son propre centre de gravité. Une telle attitude, qui consiste a rentrer en soi-même pour y puiser la force et la vérité, revient en quelque sorte à ce que Soljénitsyne appelle le "repentir" et qui n'a évidemment rien à voir avec une quelconque "réaction", car si les réactions ne visent que l'histoire, l'exemple déformé de tel ou tel fragment du passé, le repentir, et ça devrait aller sans dire, situé dans l'éternité, n'est pas autre chose que le recours pur et simple a "ce qui ne passe pas".

Alors bien sûr le conservatisme a trop souvent beau jeu de confondre "ce qui ne passe pas" avec ce qui demeure, même lorsque "ce qui demeure" n'est qu'une étape dans la grande révolution humaniste des temps modernes. Il n'y a pas besoin d'être grand prophète pour apercevoir que les diverses tendances et les divers états de cette révolte s'anéantiront les uns les autres et finiront par se dissiper en même temps que l'illusion moderniste qui détermine pour l'instant cette partie du cycle. Mais à un certain degré de la prévision, il n'y a plus de débat possible. On ne peut faire une partie si déterminante pour l'avenir avec un jeu incomplet dont il manque les cartes maîtresses. Tout ce que nous voyons s'agiter à la surface appartient au vieux monde, et il ne s'agit pas de sauver "ce qui reste", mais de retrouver, au plan spirituel d'abord "ce qui est perdu" et qui pourtant est le "seul nécessaire".

Pour chaque homme, chaque patrie, chaque continent, il est temps de substituer le "qui suis-je" au "que sais-je" afin d'écarter à jamais le faux semblant des solutions culturelles. Aujourd'hui que l'humanisme a dévoyé toutes les traditions, on voit volontiers la bourgeoisie chercher des échappatoires dans un orientalisme forcément mal digéré, une spiritualité de contrebande, de complaisance et de couleur locale qui ne déplace rien. Alors que l'Inde, cette immense réserve, est en train de choir vertigineusement dans le gouffre, que l'Orient, dont rêvait Guénon vers 1925 alors que tant de choses étaient encore possibles délire plus haut et plus fort que l'Occident aux pires moments de ses crises de révolte, de ses paroxismes de rupture. Il délire certes avec froideur et quelque chose encore de cette supériorité de maintien qu'il tenait d'une civilisation spirituelle plus ancienne et plus ferme. Mais "Rome n'est plus dans Rome" et les temps ont tout soumis à leur loi de fer. L'Orient a manqué le grand tournant du XXeme siecle, en adoptant, avec les gadjets mécaniques de l'envahisseur cependant repoussé, toutes ses tares sociales, philosophiques et culturelles - sorte de colonisation infiniment plus assujétissante et a présent irrépressible. Les échanges intérieurs, purement doctrinaux, proposés ici par Guénon, l'exemple donné la-bas par Gandhi tout a été refusé. Le modernisme est partout, et il ne peut sans doute plus y avoir de solution paisible pour sortir de ce piège. Ceux qui adoptent aujourd'hui le monde moderne, et qui, par aventure n'y seraient pas contraints, le font en connaissance de cause car nul, et surtout pas les occidentaux, ne peut plus s'en dissimuler les inconvénients. Si d'autre part nous n'avons pas fini de subir toutes les retombées d'une colonisation ignorante, superbe et maladroite, on peut penser que "l'orientalisme" parvenu aujourd'hui a son stade le plus vulgaire et le plus extérieur, n'est pas le moindre de ces "chocs en retour" qui sont toujours et partout l'infaillible conséquence des attentats illégitimes. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas se défendre. En fait, peu importe l'Orient autre que cet "orient" que chacun porte en soi image plus proche d'une "médiévalité" non idéale mais réelle ou l'essentiel est sauf. Dans cette crise universelle, la distinction guénonienne n'a plus qu'une valeur symbolique: ce n'est plus une question d'ethnie ou de continent, mais uniquement de tradition: partout ou la tradition demeure elle nous doit être précieuse. Il convient toutefois de protester que si l'Orient déchoit au-dela de toutes les prévisions, l'Europe conserve, à l'encontre des prophéties de malheur, de fortes capacités de redressement spirituel. ll est donc juste, et d'ailleurs harmonieux qu'elle parachève seule un destin surnaturel lié aux conditions cycliques et qui ne saurait être indépendant du destin de l'Eglise.

Dans cette perspective, le rôle de la France, qui doit être à la mesure de son Histoire, de sa permanence à travers les temps et de son "mystère" qui, quoi que violemment éclairé reste mal défini, n'a de toute évidence rien à voir avec les calculs stratégiques et les états d'intendance de la simple politique. C'est donc afin de mieux cerner ce rôle et ce mystère qu'il nous parait indispensable de connaître d'abord l'histoire dans sa "sphéricité" pour aboutir enfin a quelque plus juste notion de celle qui est en cours et de la vitalité spirituelle du temps que nous vivons au-delà des illusoires vagabondages de nos "actualités".

 

H. M.

© La Place Royale, 1994, 1997.
Extrait du n° 33 de La Place Royale

© La Place Royale 1994, 1997


Henry Montaigu

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