Henry Montaigu
 
par Luc-Olivier d'Algange
 
 

De rendre à la parole humaine sa dignité, - infiniment bafouée et profanée par les temps modernes, - en éveillant la divine vertu des mots: leur Sens qui toujours se situe au-delà des significations, dans une région aurorale et secrète dont les Poètes gardent le seuil, - l' oeuvre de Henry Montaigu, dans sa magnifique solitude, ou mieux vaudrait dire dans son unificence, fut aussi pour nous, attentifs au génie humain non moins qu'a la Vérité qui dépasse toute humanité, cette ardente promesse, cet orient, dont la seule existence suf-fit a donner au monde une plus grande légèreté.

Car le style de Henry Montaigu était la légereté même, - non certes qu'il feignit la désinvolture, comme tant d'autres aujourd'hui, par l'usage immodéré de la litote ! La vie fulgurante, la vie prophétique de ses phrases tenait à la fidélité au Dire qui, de ses nuées et de ses éclairs précède solennellement toute chose dite. Or, sans la mémoire de cette solennité, tout rire n'est que ricanement, toute désinvolture n'est qu'impardonnable futilité.

Un titre de Henry Montaigu résume à lui-seul cette fidélité à l'antérieure immobilité qui précède et engendre toute manifestation de la parole humaine. Il s'agit du Traité de la Foudre et du Vent. La coïncidence des contraires, dont la vérité culmine dans les hautes oeuvres rubescentes de l'Alchimie, s'anime dans ce titre, allusif si l'on veut, car il suscite la pensée sans forcer la conviction.

Alors que le terme même de Traité implique l'ordonnance du Verbe selon une raison prévisible, voire selon une méthode, la Foudre, qui est la soudaineté même, et le Vent, qui souffle où il veut, ne peuvent qu'évoquer ces instances supérieures à tout enchaînement rationnel .

Cette apparente contradiction est le sens même de la poésie dont le dessein est dans le flamboiement du heurt qui s'apaise et triomphe dans la clarté qui l'environne. Le Traité, entre des puissances que l'intelligence humaine juge contradictoires, unit, dans l'instant apocalyptique et la création d'une forme nouvelle, celà même qui, de toute éternité, dans l'lntellect divin, n'a, en verité, jamais été séparé.

Lorsque la parole rejoint ainsi le Dire qui la précède,- comme la Foudre est rejointe par le grondement du tonnerre,- tout est dit. Et la prophétie du Vent, et la fulgurance qui stylise peuvent en effet faire l'objet d'un traité, je veux dire d'une traduction, directement impliquée par ce registre de lumière dont la lecture nous est offerte comme un don en ce moment de notre existence où la présence des êtres et des choses frappe d'inconsistance le leurre du Temps et l'illusion de la mort.

Nous comprenons alors que la Foudre et le Vent ont conclu, avec ce Traité, le Pacte que la plume de Henry Montaigu paraphe, en nous laissant désormais la responsabilité de répondre à l'appel de l'amour du lointain (ce mot de Dostoïevski repris par Nietzsche) car le plus lointain est aussi le plus proche et toute réponse légitime la correspondance dont le vaste jeu est le loisir et l'infinie munificence de Dieu.

La verdoyante sagesse de la langue française est dans son étymologie. La réponse est de notre responsabilité, de même que la pensée est la juste pesée sur la balance d'or de l'Analogie qui laisse les choses correspondre les unes avec les autres dans la subtile harmonie des astres, des saisons, des Anges.

Car Henry Montaigu ne fut pas seulement un métaphysicien impérieux, un poète saisissant au vif de l'instant, la formulation lapidaire, philosophale, il fut aussi romancier, dramaturge, historien, - embrasant ainsi de poésie et métaphysique, le roman, le théatre et l'histoire, - dans cette grande et belle tradition de la littérature francaise qui sait dévouer à l'immanence une attention que l'on peut dire religieuse, voire théologique, afin d'en élever le Sens dans ses nuances et ses éclats.

Henry Montaigu fut ainsi le contraire d'un spécialiste, c'est dire qu'il fut homme d'intelligence, de cette intelligence libre en vérité qui laisse à Villon, à Montaigne, à Scève, à Molière, à Joseph de Maistre, à René Guénon, cette latitude à l'égard des pouvoirs qui paraît être, malgré tout, dans sa persistance singulière à l'écriture française.

Jamais sans doute dans l'histoire des littératures mondiales, le génie ne fut à tel point en concordance avec le Sens du défi qui procède à la fois d'un tempérament audacieux et d'un détachement supérieur. Reconnaissable, par l'amateur, à une seule phrase, la singularité de l'écrivain français est sans égale. Mais en vertu de son détachement elle fait de son oeuvre, non point le panthéon d'une subjectivité despotique mais le hiéroglyphe unique d'un discours plus vaste qui est celui de la France.

Lorsque les styles par trop se ressemblent, lorsque l' oeuvre ne porte plus le sceau de l'Unique, ce discours devient un bredouillement indiscernable, un anonnement de syllabes mortes. Au contraire, la forte individualité des oeuvres qui s'accentue par leurs différences témoigne d'un Pays réel susceptible de formuler une phrase claire et distincte.

Toujours l'uniformité fut pour la France une plus grande menace que le disparate. Or, en cette fin de siècle journalistique, assassine de toute singularité, l' oeuvre de Henry Montaigu fut la seule à manifester avec une alacrité et une ferveur aussi soutenues, la persistance de la mémoire française, - sans cesse insultée, à commencer toute identité est mensonge, et seule importe l'aventure !

S'insurgeant contre une méconnaissance aussi flagrante et systématique de ce qui fut la France d'avant 1789, - c'est-à-dire non point la Vieille France, mais la France juvénile et courtoise, amoureuse des fêtes et des symboles, des amours et des combats, l'oeuvre de Henry Montaigu eut ainsi pour mission de disposer l'âme de ses lecteurs à recevoir l'héritage, non point certes, de dérisoires "valeurs" mais de Principes d'autant plus nécessaires et précieux qu'il ne donnent aucune règle mais nous exigent à la hauteur de ce faire et de ce Dire qu'est la poésie, que sans cesse il nous faut opposer au défaire et au Dédire.

Car de même qu'il existe une façon d'affirmer son identité qui n'est que narcissisme, impie, de même il existe une façon de s'appliquer à la coutume qui, dans l'oubli de la primordialité des Principes et de la Tradition, est pire que toute ostentatoire subversion. Dans cette guerre sainte pour la plus haute mémoire s'inscrivent des oeuvres telles que René Guénon ou la mise-en-demeure et Culture d'Apocalypse dont l'importance, quant-à la suite à donner ne cessera, je gage, d'être confirmée par tout ce qui, dans l'art et dans la pensée, veille au recommencement possible, à cette célébration de la vie magnifique, telle que le Catholicisme sut jadis nous l'enseigner par les cathédrales et les Sacres. Jadis disions-nous car désormais, dans l'histoire et dans les formes tout est perdu, - alors même que tout est peut-être déjà gagné d'avance, en toute connaissance de Cause.

"C'est parce que l'homme a le don de Voir qu'il a la possibilité de se régénérer, écrit Henry Montaigu. Le poête est cet oeil ouvert sur la conscience la plus intérieure, centre des choses et du monde. Malheur à la ville qui laisse inemployée cette forge des songes où habite l'extrême lucidité. Car sur les ruines de la ville, la première chose qui s'éleve est un chant. Déserteurs: ceux qui feignent de tout comprendre pour n'avoir rien à faire, - et ceux qui feignent d'avoir tant à faire pour ne rien comprendre."

Dans l'accompagnement de cette élévation du Chant, Henry Montaigu nous laisse espoir de quitter les marges où vagabondent les déserteurs, activistes ou théoriciens, pour pénétrer au coeur d'une réalité dont la densité est celle du Symbole. Car il n'est rien de plus réel qu'un Symbole, rien qu'il ne soit moins nécessaire de justifier, par une théorie, ou d'accomplir, par une action, - car le Symbole est par lui-même essence de la contemplation et de l'action. Voyez la lumière: Symbole auguste entre tous, irréfutable réalité.

L' oeuvre de Henry Montaigu est sans doute l'une des moins abstraites de ce siècle prodigue d'abstractions. Tout dans cette oeuvre tient à la réalité et s'y tient, en vertu d'une immémoriale maintenance des Principes.

Si un matin le bonheur nous était offert d'assister à la fin du règne des Abstracteurs, - dont le travail est d'abstraire la vie de la réalité et de soustraire le Sens au monde, - nous devrions ce bonheur à cette élévation du chant, - comme une flamme issue de l'ardeur de l'être dans sa présence, - dont l'oeuvre de Henry Montaigu sut nommer l'unique souveraineté.

Ce pourquoi les réactionnaires ne s'y reconnaissent point, et c'est heureux car il n'est pas souhaitable pour une oeuvre de recueillir les suffrages de ceux qui rêvent de couronner l'imposture bourgeoise. Ce pourquoi l'on ne saurait concevoir oeuvre moins passéiste, car toute attentive à ce qui advient, telle une révélation de l'être, jusque dans la nostalgie "à travers ce qui demeure, - afin de saisir ce qui est". Ce pourquoi, tout se joue dans l'immédiat, dans l'éveil de cette éthique héroïque qui embrasse le plus vaste présent, car son présent, son don est la Présence même telle qu'en l'imagerie médiévale se figure Notre-Dame, du haut du Ciel.

La réduction de la Tradition à la primauté du politique, cet étouffement de l'amande vive sous le durcissement des écorces mortes, Henry Montaigu n'a cessé d'en conjurer les forces néfastes dans les éditoriaux de La Place Royale et dans son Journal de Galère, débusquant l'esprit bourgeois sous toutes ses formes, fussent-elles "royalistes" ou "traditionnelles". Rien ne lui était plus étranger que la complaisance à l'égard de la coutume et des habitudes mentales, ultime visage de la modernité ressassante.

"L'erreur répercute l'erreur jusqu'à la monstruosité", - de même que la contre-révolution répercute la révolution. D'où l'importance du détachement qui nous laisse entrevoir la duperie de l'Histoire en général, d'où l'importance du survol, sans quoi, au demeurant, l' oeuvre de l'historien se réduirait à une compilation journalistique. Toute méditation sur le royaume débute par le Choeur des Anges.

Mise-en-demeure, à cette juste orée des ténèbres et des clartés, de l'Action et de la Connaissance, à cet instant précis dont nous tenons la certitude de l'lmmobilité de l'Eclair, l'oeuvre de Henry Montaigu convoque en nous ces vertus de promptitude et d'aventure qui donnent à la poésie la force d'échapper à son objet et au destin de se vaincre lui-même par la Connaissance .

La Connaissance requiert le caractère, dont le style témoigne, ainsi qu'il est dit dans nos romans arthuriens. L'approche du Graal suppose le courage de rompre avec les conditions du monde, l'audace de n'en plus subir les lois, - qui toutes sont contraires à la morale chrétienne ! - L'approche de la Coupe exige l'éloignement.

Nous avons tous connu, aux confins de notre existence, cette brusque levée des intersignes, comme si le tissu de la réalité se resserait pour mieux laisser voir, entre les ombrages et les feuillages, les Licornes et les Princesses ! Ces silhouettes légendaires, qui préexistent à la réalité y surgissent pour peu que la trame des apparences, rendue soudain visible par une plus grande acuité de l'entendement, nous consentions au Merveilleux,- qui n'est d'autre que la réalité la plus intense et la mieux ordonnée.

"L'avenir est à une chevalerie inconnue.
Attendre tout bonnement le retour du Roi Arthur.
Etoiles ensevelies, quel vent vous délivrera ?..."

L.-O. d'A.

© La Place Royale 1994, 1999


Henry Montaigu

La Place Royale
1