Le Bestiaire

            LA CHÈVRE DU THIBET
 
Les poils de cette chèvre et même
Ceux d'or pour qui prit tant de peine
Jason, ne valent rien au prix
Des cheveux dont je suis épris.
 
 
            LE SERPENT
 
Tu t'acharnes sur la beauté.
Et quelles femmes ont été
Victimes de ta cruauté !
Ève, Euridice, Cléopâtre ;
J'en connais encor trois ou quatre.
 
 
            LE CHAT
 
Je souhaite dans ma maison :
Une femme ayant sa raison,
Un chat passant parmi les livres,
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre.
 
 
            LE LIÈVRE
 
Ne soit pas lascif et peureux
Comme le lièvre et l'amoureux.
Mais que toujours ton cerveau soit
La hase pleine qui conçoit.
 
 
            LE LAPIN
 
Je connais un autre connin
Que tout vivant je voudrais prendre.
Sa garenne est parmi le thym
Des vallons du pays de Tendre.
 
 
            LE DROMADAIRE
 
Avec ses quatre dromadaires
Don Pedro d'Alfaroubeira
Courut le monde et l'admira.
Il fit ce que je voudrais faire
Si j'avais quatre dromadaires.
 
 
            LA SOURIS
 
Belles journées, souris du temps,
Vous rongez peu à peu ma vie.
Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans,
Et mal vécus, à mon envie.
 
 
            LA MOUCHE
 
Nos mouches savent des chansons
Que leur apprirent en Norvège
Les mouches ganiques qui sont
Les divinités de la neige.
 
 
            LA SAUTERELLE
 
Voici la fine sauterelle,
La nourriture de saint Jean.
Puissent mes vers être comme elle,
Le régal des meilleures gens.
 
 
            LE POULPE
 
Jetant son encre vers les cieux,
Suçant le sang de ce qu'il aime
Et le trouvant délicieux,
Ce monstre inhumain, c'est moi-même.
 
 
            LA MÉDUSE
 
Méduses, malheureuses têtes
Aux chevelures violettes
Vous vous plaisez dans les tempêtes,
Et je m'y plais comme vous faites.
 
 
            L'ÉCREVISSE
 
Incertitude, ô mes délices
Vous et moi nous nous en allons
Comme s'en vont les écrevisses,
À reculons, à reculons.
 
 
            LA CARPE
 
Dans vos viviers, dans vos étangs,
Carpes, que vous vivez longtemps !
Est-ce que la mort vous oublie,
Poissons de la mélancolie.
 
 
            LE PAON
 
En faisant la roue, cet oiseau,
Dont le pennage traîne à terre,
Apparaît encore plus beau,
Mais se découvre le derrière.

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