Europe ALLEMAGNE
La mondialisation, une chance pour l'Etat social

A moins d'un an des élections, l'opposition est divisée quant à la politique à adopter face à la globalisation de l'économie. Critiquant la ligne actuelle du SPD, Klaus von Dohnanyi, un des leaders du parti, prône une libéralisation à l'anglo-saxonne et une rénovation du système consensuel allemand.

DER SPIEGEL
Hambourg
Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Die Zeit,

Nombre d'intellectuels font du thème de la mondialisation une sorte d'"industrie de Cassandre". Face à une concurrence accrue, le "modèle allemand" d'Etat social serait condamné. En est-il vraiment ainsi ? Le message pessimiste promulgué est le suivant : nous sommes impuissants face aux forces mondiales du marché et de la finance. Ces forces sont responsables du conflit croissant entre les traditions sociales dans le monde et les défis lancés par la mondialisation. Il faut donc les mater. Sous la présidence d'Oskar Lafontaine, le Parti social-démocrate - auquel j'appartiens - se fait le porte-parole de cette orientation. Il prône la mise en place d'une réglementation internationale dans l'espoir d'échapper aux contraintes de la concurrence. Je pense au contraire qu'il faut prendre acte des mutations structurelles et tenter de répondre à la nécessité de la rationalisation en trouvant une voie qui soit socialement la plus consensuelle possible. Il faut, par exemple - non par décret, mais de manière différenciée -, flexibiliser et réduire le temps de travail en acceptant de réduire les salaires. Cette pression d'une ouverture vers le bas de l'échelle des rémunérations est certes à mettre au passif de la mondialisation. Mais cette dernière entraîne également d'autres changements qui, eux, sont porteurs, au contraire, de nouvelles formes de coopération. Elles doivent en conséquence être développées.
Les "ayants droit" sont aussi responsables des décisions
En particulier, la concurrence exacerbée réduit l'antagonisme fondamental entre capital et travail au niveau de l'entreprise. Toute culture d'entreprise réussie se fonde aujourd'hui sur la participation financière des salariés au succès de l'entreprise. Cette même concurrence dont les salariés subissent aujourd'hui avec une force redoublée la pression les rend en même temps plus importants pour leur société. Certes, la mondialisation affaiblit les syndicats, mais elle renforce ceux qui cherchent un consensus au sein de l'entreprise. Les comités d'entreprise deviennent coresponsables, non du maintien des emplois, mais d'une gestion d'entreprise à même de maintenir les emplois. La responsabilité individuelle des salariés dans l'entreprise devient un élément décisif de productivité économique et sociale.
Par ailleurs, il est erroné et dangereux de croire que le durcissement de la concurrence internationale n'incite que l'économie à la rénovation permanente de ses structures. C'est le système social tout entier qui est aujourd'hui mis à l'épreuve. Notre système social doit devenir plus flexible et se différencier en de multiples systèmes de réglementation, non seulement pour des raisons de coût, mais pour permettre, face à l'élargissement des possibilités économiques, face à la décentralisation et à la spécialisation croissantes, une prise de décisions à tous les niveaux.
La capacité à coopérer est un héritage allemand, un trait caractéristique du modèle allemand. Mais, actuellement, notre système social est organisé de telle sorte que nous sommes incapables de reconnaître que nous sommes à l'origine d'un certain nombre de décisions que nous avons pourtant nous-mêmes réclamées haut et fort et dont nous ne maîtrisons plus, aujourd'hui, les conséquences. Nous prenons des décisions à titre anonyme, en tant que groupe, et nous en recevons les fruits au titre d'"ayants droit". Dès l'instant où on nous désigne comme responsables des dépenses - par exemple dans le secteur de la santé -, nous trouvons cela scandaleux. Nous n'avons pas à répondre du système.
De même, on exige de nous des réformes pour faire des économies. Mais faire des économies n'est que la conséquence - et non le but - de la modernisation du modèle allemand. Notre problème est que les systèmes décisionnels de notre Etat social ne répondent plus à la situation, faute de répartition claire des responsabilités. C'est à cause de cela que nous sommes devenus une société qui n'apprend plus qu'à un rythme extrêmement lent, qui n'innove que très difficilement. Cela n'a pas toujours été le cas. Le modèle allemand, l'Etat social allemand, était, par tradition, fondé sur la responsabilité individuelle et la coresponsabilité. Les devoirs n'y étaient pas simplement considérés comme des vertus secondaires, mais aussi comme la contrepartie des droits. La reconquête du principe de responsabilité individuelle dans toute la société, à tous les niveaux, constitue la clé de la modernisation du modèle allemand. Ce dernier possède de nombreux atouts favorables à une modernisation, une fois menée cette reconquête. Par exemple, dans la proximité pragmatique du capital et du travail dans l'entreprise, dans l'organisation solidaire d'un système de sécurité sociale encore et toujours performant dans ses résultats, dans le système de formation duale et dans une décentralisation fédérale.
Le modèle allemand n'est pas une construction bancale
Face à notre crise, la politique exige des réformes de toutes les composantes de la société - des entreprises, des syndicats, des caisses d'assurance sociale, des services publics et des individus. Mais c'est elle-même qui bloque le processus des réformes. La politique est devenue le maillon le plus faible de la société. L'idée de départ de la répartition du pouvoir politique, celle d'un fédéralisme créatif et de l'autogestion au niveau local, a dégénéré pour aboutir à une machine à produire le consensus, à la fois lourde et improductive. Dans ce domaine aussi, seule une responsabilité accrue des communes, des Länder et de l'Etat fédéral, seule une gestion réellement autonome pourront restituer une réelle capacité de décision.
Partout, un retour aux principes fondamentaux du modèle allemand pourrait renouveler le mélange, jadis si fertile, entre sens de la collectivité, coresponsabilité de tous et responsabilité individuelle. Vouloir abandonner la tradition du modèle allemand d'Etat social sous la pression de la société de l'information et de son corollaire, la mondialisation - pour copier, par exemple, les réformes assurément réussies de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan -, équivaudrait à une capitulation. L'Allemagne a une autre structure, une autre origine - et c'est avec ses particularités que nous devons entrer dans la nouvelle ère qui s'ouvre. Le modèle allemand n'est pas une construction bancale. La société allemande, bien comprise et bien menée, offre encore d'excellentes possibilités de participer à la compétition sur le marché mondial. Et de rester en même temps un modèle éminemment social pour le monde du XXIe siècle.



Klaus von Dohnanyi


Courrier International
27/11/1997, Numero 369

 

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