FINALE TSÉ-TSÉ À ROLAND-GARROS

Le mur Wilander lézarde le mur Vilas en quatre sets (1-6, 7-6, 6-0, 6-4).




Chaleur et épuisement hier en finale de Roland-Garros. Le public, venu pour bronzer, a cuit. Les amateurs de service-volée ont pleuré de déception. Les crocodiles ont plissé l'oeil de joie. Il y avait de quoi : ce que le bon peuple a redécouvert hier après-midi, c'est le vieil art de la terre battue, rebattue et surbattue, avant l'invention du tie-break, avant la télé, avant le tennis moderne.
Car enfin, un mur ne rencontre pas un autre mur, mais deux murs peuvent se lézarder l'un devant l'autre, sous l'action conjuguée du soleil et des cris de la foule. Au bout du compte, le mur resté debout a gagné. Le mur Wilander, par exemple. Car ce n'était pas un mystère : Vilas et Wilander n'ont rien à se dire. Tennistiquement parlant, bien sûr. Mais on ne pensait quand même pas que certains points dureraient près de trois minutes et 90 échanges (quatre-vingt-dix !). C'est une façon un peu lente de faire savoir à l'autre qu'on n'a rien à lui dire. Depuis longtemps on n'avait pas vu de matches où la balle produise à ce point l'effet bébête d'un jokari de plage. Ces balles hautes et lentes, chargées de tout lift et de toute la haine rentrée du monde (vive la haine sortie, vive le jeu plat, vive Connors !) ont littéralement épuisé les joueurs. Et comme ils ne s'écartèrent jamais de ce scénario où on se renvoie la balle comme une mouche tsé-tsé, les rebondissements du match figurent bien dans le score mais n'eurent pas vraiment lieu sur le terrain, tant l'hypnotisme avait gagné tout le monde. Le match aurait pu être bouleversant, il fut seulement étrange. Il fallut seize minutes pour que Vilas monte pour la première fois au filet, il fallut un tie-break du second set disputé dans le vent et le grondement de tonnerre pour donner à ce match enfin un peu du pathos qui aura manqué tout au long de ce Roland-Garros 1982.
Le manque d'émotion vint, c'est net, d'un manque de variété. Entre les joueurs, chez un seul joueur, ou dans un seul match. Tout le monde a tendance à jouer pareil. Manque de killer instinct, comportement d'échec, déclin du jeu offensif. Cette année, de ce massacre, seul Vilas émergeait en grande forme, bien placé pour l'emporter une seconde fois à Paris où il avait, il y a cinq ans, ridiculisé Brian Gottfried en finale, et prouver que l'on pouvait encore gagner un grand tournoi à trente ans. Vilas avait su recréer un peu de mystère autour de lui. Comment sortirait-il de ce tennis autistique qu'il avait pratiqué trop longtemps ? Peu à peu je trouvais que Vilas ressemblait à un personnage de dessins animés, disons Tom, mais un Tom assez spécial qui aurait appris à certain moment à devenir - enfin - Jerry, c'est-à-dire l'autre. Tom-Vilas se mettait à trottiner comme un bolide de cristal vers le filet, vers la catastrophe, ou freinait comme un dératé le long des lignes. J'aimais ce spectacle inouï. (Surtout dans le match contre Noah.)
J'aimais ce nouveau Vilas avec son mouvement incessant, son « petit jeu de jambes », et je ne sais toujours pas pourquoi je ne l'ai pas reconnu hier sur le central. Pourtant, au début du match, toutes les fois qu'il s'en est allé conclure au filet, ça lui a réussi. Pourquoi diable a-t-il renoncé à être Tom et Jerry. Que lui a dit le honteux Tiriac ? Pourquoi s'être laissé asphyxier à son propre jeu par Wilander ? Mystère, nouveau mystère Vilas.
Pour rester dans la métaphore du dessin animé, je dirais que le poète argentin mal dédoublé est tombé sur la plus coriace des petites bêtes de celluloïd : Droopy, celui qui n'a peur de rien, celui qui est capable de tout. A la conférence de presse qui a suivi le match, la réaction de Droopy a été « I am so happy », « I-am-so-happy ».


7 juin 1982.
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