PRISE DE VUE (1970-1972)
1968 : événements. Deux ans de voyage exotomaniaques et une vraie maladie. Retour aux Cahiers devenus maoïstes (« marxistes-léninistes » plus exactement, m.-l., èmel). C'est déjà un ancien cinéphage qui écrit, entre 1970 et 1972, ces trois textes. Il s'agit, quand même, d'un naufrage.
Quelque chose va être donné en pâture au deuil, à la mélancolie, puis à la relecture. Il y a quelque temps, le cinéma allait encore de soi, la vie se découpait dans la lucarne rectangulaire, les auteurs étaient confits dans leur « politique », les vagues du jeune cinéma déferlaient sur le monde presque entier. Et puis, le regard se dessille, une évidence se casse, un mode de vie se lézarde. C'est une « politique des ôteurs » qui commence : ôteurs d'illusions quant au cinéma et à ses pouvoirs.
La salle obscure a partie liée avec l'obscurantisme, le soupçon est porté au lieu même où on avait joui, la solitude du cinéphile a quelque chose d'asocial qui le prépare mal au sérieux du travail politique, à la modestie du travail militant. Un livre, parce qu'il parlait avec mépris du devenir-spectacle de toutes choses, disait le monde voué à l'ironie des détournements et des simulacres. On parlait de « société du spectacle », pas encore de « médias ».
Face à ces étranges événements qui en voulaient tellement à l'idée de spectacle, beaucoup eurent une attitude de bon sens : repolitiser le contenu des (scénarios des) films et tourner, à l'italienne, des floppées de séries Z « utiles aux luttes ». Facile et payant. D'autres eurent l'idée de repolitiser la vieille question de la forme, relisant le feuilleton épique Brecht-Eisenstein à la lumière décapante du structuralisme ambiant (Althusser, Barthes, Lacan). Les Cahiers furent le lieu de ce travail.
Commença une période marquée par ce que Christian Metz appela gentiment des « raids théoriques ». Les âmes faibles furent terrifiées. Les terrifiants eux-mêmes n'étaient pas très rassurés. Ils tentèrent de convaincre des amphithéâtres goguenards que l'étude de Nicht Versöhnt (Straub) ou de Vent d'Est (Godard) était utile à la révolution. Cette fidélité à leur goût fut tout à l'honneur des Cahiers.
Le mot d'ordre chinois « Que l'ancien serve le nouveau » (en v.o.: « Gu wei xin ») permettait par ailleurs d'entreprendre des relectures du « cinéma classique » et de repasser, encore et toujours pour la dernière fois, sur les traces d'un plaisir inoubliable. Il fallait en distiller le suc et le transmettre aux étudiants politisés des « uvés » nouvelles des facs rouges, Censier ou Vincennes.
À suivre...