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Correspondance sur le sujet de celle de Mr de Hirschmann

De tristes bruits et beaucoup de noirceurs s'ajoutent ces derniers temps sur nos correspondances. Faut il cesser le jeu quand il devient mortel? Et meme s'il ne l'est pas et qu'il s'agit d'un faux, le fait qu'il soit credible ne vaut il pas silence? En tout cas je le crois, et donc je me retire. Adieu. J'entraine dans ma retraite et Valmont, et Volange, et Rosemonde et Tourvel. Soyez moi gre au moins de mon courage a me taire: il en faut plus qu'on ne croit, meme pour quitter un parti que l'on sait etre mauvais.

La marquise de merteuil


Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil

Des nouvelles extravagantes, marquise me parviennent a present. Le marquis Alain Fevre de Caramail-Chiman fait courir a Paris le bruit qu'Hirschmann est mort. Vraiment la societe n'a de cesse d'inventer les idees les plus folles pour medire et se distraire: je me sens parfois depasse par tant d'audace. Il y a dans ce canular une insolnce ou l'on se laisserait prendre, d'autant qu'elle se voile des apparences de la vertu. Et il parait que vous y seriez tombee? Vous vous soumettez au premier mot d'un inconnu et trahissez ainsi, par un caprice de vertu soudaine, le serment d'eternelle complicite que nous avions scelle ensemble? Mais savez vous marquise que vous me rendez jaloux? Tant que vous vous dissipiez entre plusieurs folies, je ne trouvais rien a redire. Mais que vous vous soumettiez a cet inconnu, je ne le souffrirai pas, ne comptez pas que je le souffre! Reprenez moi comme correspondant, ou prenez en un autre, mais ne devenez pas fidele a un seul (ennuyeux de sucroit!) Qu'iriez vous faire avec un prude? Oh, je troublerai son bonheur, promettez moi que je le troublerai! Vraiment j'en fais un caprice, et je me refuse à vous bandonner à ce nouvel empire! Ce serait rendre à Hirschmann un service qu'il ne mérite pas! Quels titres aurait il pour pretendre à votre indulgence? Une belle figure, pur produit du hasard qui le fait ressembler à Thomas de Crouzes. Une impudence assez louable, mais toute entiere contenue dans quelques rapides lignes. Peu d'esprit à la vérité mais que de l'argot palliait au besoin. Et ce sont la les qualites qui lui vaudraient votre bonté? Oh non, marquise, que si peu suffise à vous rendre la douceur, j'en serais au desespoir. Adieu ma bonne amie, et repondez moi vite! Nous avons encore tant de cruautés à dire...

Valmont


Succint résumé des épisodes précédents:
Chère Marquise, Sans doute, éloignée de notre belle capitale comme vous l'êtes, n'avez-vous que peu entendu parler de l'affaire qui hante depuis quelques jours tous les salons et couloirs de la Cour de notre bon Louis. J'ai toujours aimé, vous le savez bien, Chère Marquise, les ambitieux et les aventuriers, mais je dois dire que je reste sans voix devant le peu de grandeur de certains... Toujours présent pour faire ses commentaires, le petit peuple de Paris et d'ailleurs, ne fait pas preuve dans cette histoire de beaucoup de discernement... Il semblerait, néanmoins, que l'attitude du sieur Hirschmann soit largement disqualifiable, et ce pauvre jeune homme me fait beaucoup penser à notre cher d'Anceny, avant, bien avant que vous ne lui enseignate les bonnes manières ; sans doute cela pourraît-il être pour nous un nouvel amusement ? Comme vous le voyez, je suis terriblement touché par ce pauvre jeune homme point encore déniaisé et qui n'a su que répendre son fiel de jeune damoiseau morveux sur cette pauvre et frèle créature du Seigneur ! Dans quel bas-fond ce petit à t-il pu être élevé pour que personne ne lui ai enseigné l'art de se bien comporter en public et de savoir parler aux femmes... Chère Marquise, le jeunesse de France et de Navarre est bien triste à l'heure actuelle ! Je ne peux qu'être étonné de voir que l'on puisse ruiner en quelques lignes tant d'années de labeur et d'apprentissage ; car enfin ! on ne peut avoir eu la chance d'être élu par la vie et décider ensuite de se donner de cette manière en spectacle... Le Roi lui-même ne pourrait être pour lui du moindre recours, et d'ailleurs, j'imagine que Sa Majesté n'aurait pas le désir d'excuser un tel comportement quand on lui connais un tel goût pour ses jeunes servantes... En revanche, chère Marquise, je crois qu'il faut blâmer les parents qui n'ont su que nourrir leurs enfants sans leur apporter aucune éducation et nourriture spirituelle ! Rien ne peut plus les desservir et leur élever finalement des obstacles dans un monde où l'importance de la tenue à plus qu'un simple rôle social. L'Abbée de Laclos nous disait il y a quelques semaines dans son sermon que la vraie liberté était la fidélité ; vous connaissez, chère Marquise, mon "affection" particulière pour les choses du culte... mais je crois que le saint homme pourrait avoir raisons ; en tous cas le événements ne le contredisent pas. chère Marquise, j'avais dans le coeur mille leçons à vous écrire à l'encontre de ce jeune pubère... je crois définitivement que j'éprouve de la sympathie pour cet enfant qui n'a finalement pas su contenir sa réaction au regard des quelques gouttes de lait qui lui ont coulé du nez lorsqu'il à reçu son premier soufflet ; une fois encore, ses parents sont à blâmer : ils auraient dû l'en habituer pour lui faire la carne moins sensible... Je vous présente, chère Marquise, mes plus respectueux hommages et vous baise les extrémités.

Valmont


On se moque de tout, c'est une loi de la nature, ce n'est pas ma faute. Si donc aujourd'hui tout le monde rit d'une affaire qui, pendant au moins deux bons mois, va nous occuper tout entier, ce n'est pas ma faute. En conséquence et depuis quelque temps déjà tout le monde médit. Mais aussi sa sottise nous y obligeait: ce n'est pas ma faute. Aujourd'hui, cet homme que j'ignore réclame de nous son pardon; ce ne serait pas sa faute. Mais si dans cette affaire il a eu aussi peu de pudeur que nous de vertu, et c'est beaucoup dire, ce n'est pas ma faute. Qu'il prenne un autre nom, comme j'ai pris cette nouvelle adresse. Le conseil est bon, très bon; s'il ne lui plait pas ce n'est pas ma faute. Adieu Hirschmann. Nous vous avons découvert avec plaisir, nous vous lapidons sans regrets. Nous vous oublierons peut être. Ainsi va le monde.

Merteuil


Chère Marquise, Je compte sur vous pour excuser un tel silence, mais les quelques semaines passées ont été d’une grande agitation ! Et comme l’on ne servira le repas que dans quelques heures, et qu’il ne me reste comme toute lecture qu’un roman qui ennuierait même une pensionnaire, je vais encore ici causer avec vous ; je suis bien sûr de ne pas vous ennuyer car je vous parlerai bien entendu de nos chers protégés. Vous n’avez pu, j’en suis certains oublier l’aventure qui secoua Paris ces dernières semaines ; je parie que vous vous la rappellerez au premier mot. Vous vous rappelez que notre village interplanétaire s’étonnait que le jeune Hirschmann s’était brouillé avec une des relations de sa famille pour une simple histoire de bons mots qui circulèrent un peu trop rapidement d’ailleurs. On crut d’abord trouver la raison de cette succession de courriers dans son extrême timidité et dans ce peu de simplicité et de valeur qui manque souvent aux jeunes personnes qui croient penser que leur situation ressemble à une position sociale... Mais vous n’oubliez pas non plus que les deux autres protagonistes de cette fâcheuse affaire existent toujours ! Bientôt, entourées toutes deux d’une cour nombreuse dont elles partageaient les hommages, et éclairées sur leur valeur par l’amas incessant de billets discréditant notre jeune ami, leur union n’en devient que plus forte ; et l’on eut dit que le triomphe de l’une était toujours celui de l’autre. On espérait au moins que le moment de l’amour amènerait quelque rivalité, nos agréables se disputant l’honneur d’être la pomme de discorde ! La foule des prétendants malheureux se joignit alors à celle des femmes jalouses et la scandaleuse constance fût soumise à la censure publique... Ces bruits vrais ou faux n’eurent pas l’effet qu’on s’en était promis. Et Madame de Bainé-Companie et sa jeune amie Mademoiselle Daddah prirent le parti de faire tête à l’orage, le temps que le public, qui se lasse de tout se lassa bientôt d’une satire infructueuse ! Puis, revenant à ce sujet avec son inconséquence habituelle, le public changea sa critique en éloge ! C’est là que j’intervint alors. Admis facilement dans leur société, je m’aperçut bientôt que leur bonheur était, comme celui des rois, plus envié que désirable et je conclu assez rapidement à ce qui m’intéressait vraiment : que ces deux prétendues inséparables commençaient à rechercher les plaisirs du dehors et que seuls l’amour-propre et l’habitude conservaient quelques forces dans leurs situations. Cependant, les femmes que le besoins rassemblait, conservaient entre elles l’apparence même de l’intimité. Cette conduite de leur part me fût profitable et placé naturellement auprès de la délaissée du jour, je trouvais à offrir alternativement, et selon les circonstances, le même hommage aux 2 amies. Je sentis facilement que faire un choix entre elles s’était se perdre ; que la fausse honte de se trouver la première infidèle effaroucherait la préférée ; que la vanité blessée de l’autre les rendraient ennemies du nouvel amant et qu’elles ne manqueraient pas de déployer contre lui la sévérité des grands principes. La seule difficulté était de mener de front ces deux intrigues, dont la marche devait forcément se régler sur la plus tardive tout en réussissant à me lier d’amitié avec le jeune morveux sous prétexte de lui dégoter (suprême soulagement pour celui qui voyait toute la cour lui tendre son bâton plutôt que la main !) quelque emploi de servant ou, si vraiment la chance nous souriait le placer chez tel ou tel de mes amis qui cherchait un apprenti ! Vous imaginez la tête de ce dernier qui se croit mort... et qui ne voit l’intérêt que peut avoir tel ou tel à venir le sortir de l’eau ! Néanmoins, dans toute cette histoire, le plus difficile fût d’arrêter une des deux tourterelles qui se trouva prête à éclore près de quinze jours avant l’autre ! Enfin le grand jour arrive ! J’avais obtenu les 2 aveux et me trouvait déjà maître des démarches ; les inséparables devaient venir souper à Jouy, dans ma nouvelle acquisition que vous connaissez, et où je fit transformer l’ancienne salle du conseil en salle de jeux... Le matin de ce grand jour, je fit tenir le jeune Hirschmann dans ma demeure au sujet de le faire participer à une mascarade devant être jouer pour deux personnes de compagnie... Le soir venu, je courru à ma triple carrière avec un succès inhabituel ; malheureusement le jeune pubère ne fût pas à la hauteur de ces dames et l’ancienne salle de conseil de Jouy ne fût bientôt que remplie de ses cris d’ardeur pucelle plutôt que des soupirs de contentement de nos deux partenaires. Mais vous me connaissez assez, chère Marquise, pour savoir que je n’ai pu laisser ainsi un jeune chien maltraiter deux superbes et bien jeunes maîtresses... que ne fûtes-vous là ! Je crois facilement qu’alors, le petit damoiseau eu reçu la correction qu’il à finalement bien mérité. Cependant, cette étonnante orgie dura jusqu’au matin et quand on se sépara, les femmes avaient garder leurs ressentiments et firent une rupture qui n’eut point de retour ; non content de quitter leur bien piètre amant, elles achevèrent leur vengeance en publiant leur aventure. Depuis ce temps, l’une d’elle est au couvent mais notre bel idiot, lui, languissant, s’est exilé dans les terres de ses parents d’où il ne devrait pas sortir avant quelques mois. Voilà la dernière histoire de Jouy... Tout ce que peut faire l’historien impartial c’est de faire remarquer au lecteur incrédule que la vanité et l’imagination exaltées peuvent enfanter des prodiges... C’est à vous de voir si vous voulez ajouter à ma gloire et vous atteler à mon cher de triomphe... J’attends, Chère Marquise, et avec impatience, une réponse plus sage et plus clair qu’a la denrière que je vous ai écrite. Adieu ma belle amie ; méfiez-vous des idées plaisantes ou bizarres qui vous séduisent toujours trop facilement ; songez que, dans la carrière que vous courez, l’esprit ne suffit pas, qu’une seule imprudence y devient un mal sans remède : le jeune Hirschmann nous en a déjà donné les preuves. Adieu . Je vous aime pourtant comme si vous étiez raisonnable.

Valmont


Ce n'est pas pour discuter de notre amitie, chere amie, que je reponds a votre courte lettre. Mais je ne crois pas pouvoir m'abstenir de causer avec vous au sujet de M. de Hirschmann. Voila un homme, j'avoue, qui ne s'attendait pas a defrayer la chronique. Encore plus sot et peureux qu'il ne fut infatue et insultant, jamais au grand jamais David Hirschmann n'eut ecrit de telles paroles ou fait un pas en en prevoyant l'effet, et il ne pensait pas que celui ci serait desastreux et planetaire. Vous savez mon amie si de toutes les vertus que je m'efforce d'acquerir, l'indulgence n'est pas celle que je cheris le plus. Aussi si David Hirschmann n'avait ete qu'entraine par la legerete de son age, blamant sa conduite je plaindrais sa personne. Mais il ne fut pas cela. Son inconduite etait le fruit de ses principes. Il a cru evaluer tout ce qu'un garcon favorise par les etudes pouvait se permettre d'arrogance sans se compromettre, et pour etre mechant sans danger il a choisi une femme pour victime. Dans la vie retiree que vous vivez, les scandaleux eclats de cette affaire ne vous sont pas tous parvenus. Qu'il vous suffise de savoir que pour un qui s'est compromis, ils sont des centaines a agir de la sorte avec assez de prudence pour ne pas s'y ternir. Sûre en tout cas que ce mauvais exemple restera pour vous sans danger, je vous quitte, ma belle amie. Mais songer que le ridicule est la pire sanction des mechants. Puisse t-il seulement reformer celui la.

Madame de Volanges


Je ne saurais dire, chere amie, ce que je dois penser de l'affaire qui secoue actuellement Paris relativement à monsieur de Hirschmann. Je ne le connaissais que pour son mail malheureux et celui ci ne m'avait pas fait desirer de l'approcher davantage. Mais il me semble devant cette surenchere qu'il redevient à plaindre, et que l'egarement d'un mot malheureux lui vaut l'acharnerment de gens mechants. Voudrions nous, chere amie, laisser ainsi un malheureux egare en proie a la vindicte? Je ne sais que penser de tout cela et, dans la sage vie qui est la mienne, cette aventure me parait bien rigoureuse. Adieu chere amie, j'attends de vos nouvelles et me recommande a votre bonte.

la presidente Tourvel


Revenez Hirschmann, revenez! Que faites vous, que pouvez vous faire dans un exil qui nous prive de distractions? J'ai besoins de vous! Il m'est venu une excellente idée, et vous pouvez aider à son application. Ces seuls mots devraient suffire pour que vous accouriez à mes pieds. Mais vous abusez de mon indulgence quand vous n'en beneficiez pas. Le projet est beau: il ajoute a ma gloire, assure votre vengence et humiliera meme une de ces maisons qui vous fermait ses portes. Or donc ecoutez moi. Votre couvent de Jouy voudrait faire le silence. Ce n'est plus un secret, ils l'ordonnent aux eleves. Et devinez sur quoi les soeurs comptent pour cela? Sur votre disparition. Quel impudence que vos actuels patrons osent miser sur vous pour leur tranquillité alors qu'humilie par leur mauvais proces, vous ne vous etes pas encore venge? Montrons leur donc qu'ils sont des sots. Ils le sont sans doute en pratique ce n'est pas la ce qui m'inquiete, mais le piquant serait que le monde entier le sut. Comme nous nous amuserions de les voirs dégringoler dans l'Ordre annoncé l'an prochain! Car ils dégringoleront. Et puis, si vous m'ecoutez bien, il y aura du malheur s'ils ne deviennet pas, déconfits apres vous, la fable de Paris Vous saurez donc que l'episode de votre jugement a, apres vos epitres, fait l'objet des ragots. L'hypocrisie de vos juges, qui vous ont poursuivi sur vos tout premiers mots quand ce sont les derniers qui nous divertissaient, m'a donné quelque humeur contre un mauvais procès: et j'espere leur en faire perdre un plus important. Je vous en livre le moyen, et je compte que vous l'emploirez bien. Avant votre querelle avec votre baigneuse, n'auriez vous pas deja cherche d'autres faveurs? Nulle belle sur la place n'a t-elle eu vos hommages? A quelles autres alcoves ou discretst cabinets esperiez vous pretendre? Vous ne voyez donc pas? Oh, l'esprit lourd! Je vais donc vous le rafraichir. Vous avez ecrit Hirschmann, et vous avez charme plus d'une femme a Paris. Si l'une vous fut severe, l'autre fut indulgente. et vous la negligez. Elle est connue de tous et bien d'autre y pretendent. Car c'est madame Arthur, en sa tour de Putaux. Oui Hirschmann tout se sait quand on tient bien a jour la gazette de medisance. La maison direz vous est un peu moins glorieuse mais elle est fortunee, et ce parti qui vaut vingt mille livres de rente merite qu'on s'y arrete quand on n'en a pas d'autres. On vous a cede donc, et cede par ecrit: l'offre de reddition languit dans votre boite. Mais en vous enterrant vivant dans votre retraite, mort ou, ce qui reviendrait au meme, ne vivant plus que pour vos nostalgies, vous ne repondez plus et manquez cette aubaine. Comment sais-je tout cela? En voici le moyen. C'est votre belle conquete qui m'en a fait l'aveu: elle le claironnait au bal des debutantes de votre ancien couvent. Amie genereuse et sensible, j'ai recueilli pieusement son impudent propos pour le rendre public: car la belle infidele, au vu du frais scandale, s'alarmait a present que vous lui repondiez. Repondez lui Hirschmann, et forcez sa faussete: prenez la malgre elle, le viol fut consenti! Car la meme insolente qui vous offrait ses charmes etait representee dans votre tribunal. Cedez a ses avances et confondez la donc. Son embarras sera grand, celui de l'ecole comble. Toutes deux seront bafouees mais vous serez vengé, et qu'importe le reste? J'ajoute que cette affaire ne serait pas sans prix: car si votre infidele vous refusait sa porte, elle y laisserait sa bourse. Nul prude homme en effet ne croirait ses chicanes: a defaut de l'hymen, vous garderiez la dot et le prix est plaisant qui repare une offense. Adieu Hirschmann: faites nous rire encore. Malgre mes malices je vous aime beaucoup et je viens de le prouver

La marquise de Merteuil


Madame de Volanges a madame de Rosemonde

Il se repand, mon amie, de bien facheuses rumeurs au sujet de madame d'Andersen. L'histoire court Paris depuis huit jours deja. Lors d'un banquet du couvent des Hospitalieres Expiatrices du Calvaire de Jouy, madame d'Andersen aurait confie aux convives avoir eu une correspondance avec monsieur de Hirschmann, et lui avoir fait des avances. Je n'accorde pas bien sur de credit a cette calomnie, mais je ne puis que m'inquieter du tour nouveau que prend une affaire qui a deja trop fait de bruit. Vous savez, mon obligeante amie, si je repugne a la medisance. Je n'aime pas M. de Hirschmann et ne l'ai dissimulé à personne; l'attitude des chevaliers du bain à son égard n'excusait pas la bassesse de son propos, ni l'injure qu'il a faite à la vierge de Fatima. Cependant je suis portee a mon tour a l'indulgence, car j'apprends qu'il souhaite a present se retirer au couvent. Il a annonce qu'il se recluerait, si l'on voulait bien l'admettre, comme frere courtier chez les Conteurs de Fitgerald, au monastere de Berne Stairne ou chez les freres du Leman. Ces ordres paillard lui pardonneront certes ses exces de langage, mais il le feront travailler des matines aux vepres tout le temps de sa reclusion. N'est ce pas la un sort bien rigoureux pour un si jeune homme? Ce qui m'effraie surtout, c'est de savoir madame d'Andersen melee à pareil scandale, par le jeu maladroit d'une seule liaison dangereuse. On ajoute a Paris que c'est la marquise de Merteuil qui aurait entendu madame d'Andersen faire l'aveu de ses avances à Monsieur de Hirschmann. Indignee, elle aurait decide de rendre cette aventure publique. Oh, qu'il est facheux d'etre liee a des personnes qui vehiculent tant de scandales! J'attends chere amie vos eclaircissement. Dans la presente, je ne sais que penser et m'en remet à vous

Madame de Volanges


Madame de Rosemonde a Madame de Volanges

Si j'avais du, mon amie, trouver par moi meme les eclaircissements que vous me demandez au sujet de madame d'Andersen et de Monsieur Hirschmann, il m'aurait fallu les demander à Paris et il ne m'en serait revenu que de vagues et incertains. Mais il m'en est venu par madame de Merteuil, que je n'attendais pas, que je n'avais pas lieu d'attendre, et ceux la n'ont que trop de certitude. Ils me disent assez, mon amie, combien madame d'Andersen s'est mal comportée. Je repugne à entrer dans le detail de cet amas d'horreurs. Mais soyez sure que quoi qu'on en debite, on resterait en dessous de la verite. Sans pouvoir vous donner de preuves, qu'ils vous suffise de savoir qu'il en existe une foule, que j'ai actuellement entre les mains. Et celles la n'ont que trop de certitude. Madame d'Andersen a bien fait une offre au jeune Hirschmann et cherche outrageusement à la dissimuler. En plus d'etre dissolue, elle est bien infidele. Que certaines reputations, parfois, peuvent etre meritees! La meme pudeur me fait vous prier de ne pas me demander d'eclaircissement relatifs à l'avis que je vous donne relatif à Monsieur de Hirschmann et à sa vocation soudaine de se faire frere courtier. Mon conseil est de ne pas vous opposer à la vocation qu'il montre. Assurement on n'embrasse pas cet etat sans y etre appele, mais parfois il est bien heureux qu'on le soit. Dans l'ambiance rude des salles des marches, exile loin du monde en Angleterre ou à la Nouvelle Amsterdam, il pourra peut etre se faire oublier et trouver la redemption. Adieu mon, amie je vous laisse. Il est temps a present de laisser cette affaire se couvrir de silence, et de prier Dieu qu'il accorde à tous ses acteurs son infini pardon.

Madame de Rosemonde


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