Babel et le futur

        Bien qu’invisible, le vent parle. Il parle de toutes sortes de façons : en son, en geste, en toucher et en odeur. Je suis surpris parfois de voir des pilotes négligents se fier à ses caresses et décoller manifestement sans prendre le temps de le lire. La lecture du vent est pourtant la base de la discipline du vol libre et une grosse part de l’instruction fournie à la pente école.

Le chemin de lumière par Alice

        Voici le commentaire d’un senior traduisant la situation d’un illettré branché à quinze heures moins une. « J’ai vu. Il a levé son aile dans le froid et il s’est carrément garroché dans le creux de la vague. Hum ! »

        Quand arrive des flagosses, certains blâment le chaos inhérent à l’indiscipline du vent. Mais ce n’est pas l’avis des pilotes avertis et polyglottes. Pour eux, le spectacle est évident et sans ésotérisme. Le vent se prononce clairement dans sa langue naturelle; mais il change de langue tous les jours. Un effort d’analyse doit donc être fourni à chaque jour. Ce qui peut grandement aider est de pratiquer quotidiennement à déchiffrer les signes du vent même quand on ne vole pas car on est en immersion totale et constante dans l’océan Atmosphérique.

        Le vent a des parlers complexes qui échappent parfois à l’entendement quand, par exemple, il est en colère et tempête. Même alors je l’écoute. J’avoue ne pas tout comprendre mais quand il se calme, mon effort m’aide à mieux le saisir car il a une formidable suite dans les idées qu’il transporte dans ses grands voyages. Venant de très loin, il est donc normal qu’il nous arrive dialecté avec tant d’exotisme.

        On pourrait caractériser ses humeurs avec ses directions: son calme d’Ouest, son caractère fou d’Est... Cela est très vague et même trompeur. Ces généralités sont peu utiles au moment du décollage où l’ultime décision de décoller va être basée sur les dernières phrases du vent. Elles sont inscrites sur nos sites québécois sur des feuilles comme ce que je fais présentement, à la différence que le texte du vent s’efface et est remplacé à mesure. En plus des feuilles des arbres, l’impression furtive s’applique sur la menue végétation, les insectes et autres volatiles, les fumées, les poussières, les rides sur l’eau, la chaleur sur la joue, l’odeur pestilencielle de fond de vallée, le son de la rivière magique qui monte la montagne... Cela est plus déroutant dans l’apparente turbulence de l’après-midi ensoleillé mais en s’appliquant on arrive à lire le futur. En effet, le futur de plusieurs secondes est chanté et chorégraphié droit devant. Ce qui m’amène à constater que l’invisibilité du vent permet de prédire le futur. Si le vent était visible, son opacité nous cacherait ce précieux message du futur. Même à cela, il faut au moins l’écouter, le regarder et l’interpréter correctement. On n’apprend pas une langue sans effort de concentration. Pour décoller avec plus de sécurité pour les secondes vulnérables à quelques envergures d’ailes du sol, je conseille encore de consulter le magazine du futur quotidien. Il est préférable d’avoir pratiqué d’avance , outre ses langues maternelle et paternelle, l’Arabe, le Chinois, l’Atlante, le VB, l’Hébreu, le Sanscrit, l’Ameslan, l’Arumbaya... Car si vous prenez plus que 5 secondes à décoder l’air, vous avez lu inutilement le passé.

        « Comment font-ils ? », me disais-je en admirant des pilotes décoller dans le péril chaotique des conditions thermiques. Je me suis concentré sur la lecture du vent et petit à petit j’ai appris à déchiffrer rapidement le message invisible qui passait devant mes yeux et à saisir l’occasion à l’instant propice.


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