Gloire ou Liberté |
Lorsque vous contemplez le drapeau flotter dans le vent, voyez-vous la guerre et la haine et tout le symbole de l’assujettissement, permis par les signaux impériaux agitant les drapeaux ? Ou voyez-vous la prière dévote et paresseuse pour gagner un ciel sans effort, convaincue d’un miracle possible ? Ou voyez-vous passer l’invisible vent ondulant, chaotique, lu librement par le drapeau ? Indéfinissable en mots, il est moins risqué de se prononcer sur ce que la liberté n’est pas. Ce n’est sûrement pas une marque de commerce imprimé sur le drapeau. Ni même la gloire qui en est le piège le plus furtif. À quelle gloriole factice riment les prouesses sous l’esclavage du si peu anodin dopage professionnel ? Ne sont pas enviables non plus, les pitoyables vedettes qui ne peuvent déambuler en public sans se faire assaillir même s’ils ont la « liberté » de posséder le château le plus somptueux où ils sont captifs. Ce n’est pas dans l’avoir, mais dans l’être que la liberté s’accomplit. S’ajuster au vent de l’instant, à sa magie du moment, c’est se détacher de la gloire. La réputation ne changera pas une once du vent, chemin mythique de la liberté.
La gloire est une drogue qui peut gâter de vanité un pilote qui pense à sa photo en première page plutôt que d’être attentif au moment présent qu’un danger menace. Si ce n’est pas une gloire publique, c’est peut-être une gloire personnelle qui l’a transfiguré dans un autre vol record. Elle peut revenir au mauvais moment en flash-back gaspiller la concentration requise pour une manoeuvre délicate de pilotage. Autant cette glorieuse sensation est appréciable, autant on doit s’en méfier comme de l’insouciance ou du hang-over de la veille. La liberté sans pacotille, elle, ne dupe jamais. Tout est illusion. J’en conviens, même la liberté. Mais, avec la liberté, on a au moins le choix de son illusion tandis que la gloire s’impose. Je m’inspire de l’une plus que de l’autre, par goût, par coeur, par exclusion. L’une et l’autre sont pleines de risques qu’il ne faut pas ignorer et qu’il faut assumer avec humilité. Nourris, comme des oiseaux, de miettes d’infini, la joie débordante des rencontres des pilotes libres s’explique. La gloire, par contre, a séparé plusieurs coqs et leurs cours.
RascarCapac contait qu’il fut jadis pris de fierté sauvage incontrôlée. Il a dû changer de casque dix fois pendant sa première saison tant sa tête lui enflait. Il lui a fallu la contrôler parce que son dernier casque ne passait pas dans le trapèze. Les générations montantes, si contestataires qu’elles soient, se sont toujours cherché des modèles. Quand on me porte la moindre admiration, même si je suis disposé à être serviable et à encourager les poussins, je n’ai qu’envie, pour les éloigner, de leur dire : « Les oiseaux se crashent pour mourir », ou une autre insanité tant certains regards insistants me pèsent. Cette minime gloire me pèse et ne fait qu’alourdir mes vols. Je rêve de vols aussi légers que mes rêves eux-mêmes. Je suis récalcitrant aux complaisances et aux dangereuses distractions infiltrées à même mes propres pensées. Ma quête de liberté finira bien par me débarrasser de ces accrochés et me délester de leurs flatteries qui m’effarouchent, telles des hameçons visqueux. Qu’ils se libèrent donc un peu d’eux-mêmes ! Est-ce que certains pourront porter ensemble gloire et liberté ? J’en doute sérieusement.