DE LA CHASSE À L'AMOUR
Je vis en milieu rural dans de magnifiques montagnes peuplées d'animaux sauvages. C'est un coin tout plein de beauté et de tranquilité. Excepté l'automne. Commence alors une saison infernale, incompréhensible, révoltante.
Tous ceux qui osent s'aventurer en forêt pendant que les chasseurs répondent à l'appel des bois, se font harceler, animaux et humains compris. Finies les marches avec les chiens, y'a peut-être un tireur fou embusqué, prêt à croire que vous êtes une famille d'ours. Des agents de la faune ont payé de leur vie pour la myopie de certains chasseurs. Pour échapper au carnage, aux disputes territoriales et aux beuveries sanglantes, vaut mieux rester à l'intérieur des maisons pendant que la montagne rougit.
Que faire contre ces nemrods, disciples d'un archaïque tyran biblique, patrouillant les routes et les sentiers ? Je pourrais me mettre les bras en croix devant les orignaux, me coucher devant les véhicules tout-terrain, briser le silence des bois en poussant de longs hurlements d'avertissement aux bêtes traquées : "Attention, cachez-vous ! Malades de la fièvre du buck en vue!" N'écoutant que mon courage, je pourrais aussi me faire délatrice contre ce qu'on appelle le braconnage mais qui est le hobby national des chasseurs de la région. C'est peut-être moi qui finirais la tête empaillée sur le mur d'un salon !
Les non-chasseurs n'ont guère droit de parole pour dénoncer ce sport violent et destructeur. Toutes les décisions concernant les animaux sont prises par les chasseurs dont le puissant lobby manipule les lois gouvernementales. Ils ont leurs chroniques dans les médias., leurs émissions largement diffusées. Quand on s'indigne devant ces massacres carnassiers, très vite on rencontre le mépris. Les antis, tous des animalistes souffrant du Syndrome de Bambi, des extrémistes, des sentimentaux, au pire des hystériques. Pourquoi tant d'arrogance envers ceux qui n'espèrent que la paix retrouvée ?
"Quand on parle de la psychologie de la chasse, la notion de machisme surgit très rapidement."
Un jour, alors que je participais à une manifestation pacifique contre la chasse injustifiée aux coyotes, un chasseur en colère s'est approché de moi et m'a dit : "Tu mériterais qu'à soir ton mari te batte." Menace lourde de sens.
Lors de la courageuse sortie de Madame Brigitte Bardot contre la chasse aux phoques, il ne fut guère question de ses convictions profondes et sincères, mais plutôt de sarcasmes la décrivant comme une ex-actrice névrosée, une vieille peau ridée. Qu'elle se mêle donc de ses affaires la Bardot !
"La chasse est devenue une affaire de vanité, une activité sociale, une forme de sport collectif et de mondanité. Aujourd'hui, entre l'homme et la bête, il n'y a même plus de lutte. Le chasseur tire, rate, blesse ou tue. La supériorité technique est si grande qu'il n'y a plus ni force ni ruse à employer. Des rabatteurs viennent même pousser à portée de fusil des faisans et des perdreaux d'élevage. Dans bien des cas aussi, la psychanalyse aurait son mot à dire. L'usage d'une arme à feu correspond à une revendication de virilité; le fusil, c'est le pénis qui tue." (Philippe Diolé, auteur et ancien chasseur)
La chasse reste majoritairement une affaire d'hommes dans une proportion de 93%. Nombre d'adolescents subissent une initiation virile en manipulant des armes et ce, dès l'âge de 12 ans. Ils ont le droit de jouer avec des armes dangereuses mais pas celui de s'acheter des cigarettes avant l'âge de 18 ans. Tout un buzz que d'écouter du dead metal en tirant sur un animal. Ça, c'est devenir un vrai mâle !
Des bons gars en juillet, les chasseurs se métamorphosent en serial killers en septembre. Pour justifier leur passion dévorante de tuer, ils invoquent la gestion de la faune, la conservation et l'équilibre des écosystèmes. Le chasseur ne tue plus, il prélève. Le trappeur fait de l'aménagement faunique par le trappage humanitaire sur des animaux devenus des ressources renouvelables. Des euphémismes pour endormir la conscience. Dans leur délire, ces drôles d'écolos croient que la faune tire un avantage de leur folie meurtrière et que sans eux les animaux mourraient de faim ou qu'il y aurait une surpopulation. Sans la chasse, les coyotes viendraient déjeuner sur nos balcons et les ours souper dans nos salons.
Les animaux sauvages contrôlent eux-mêmes leur population. Tous les biologistes sont d'accord sur ce point mais ils continuent tout de même d'affirmer que la chasse est primordiale à l'équilibre des espèces animales. N'est-il pas ironique de constater que selon la théorie de l'évolution, les animaux habitèrent la terre bien avant l'arrivée des humains. Ont-ils dû attendre des millions d'années pour connaître l'équilibre grâce aux humains ? Les biologistes, les chasseurs, les trappeurs et les instances gouvernementales prétendent contrôler les écosystèmes alors qu'ils n'en connaissent même pas les complexes mécanismes.
Certains chasseurs jurent que la chasse est une recherche de bonne viande et que, contrairement aux autres carnivores, ils assument pleinement le fait qu'il faut tuer des animaux pour manger de leur chair. L'homme est un prédateur, disent-ils, et il doit tuer pour survivre. Les magasins regorgent de viande et la manipulation d'armes n'est pas nécessaire pour ceux aimant le steak. Les bouchers prennent-ils leur pied en tuant un cochon ? Si tous ces pieux prétextes étaient vraiment crédibles, comment expliquer ces concours de chasse où l'on décerne des prix pour le plus gros panache ou pour la plus lourde prise ? Pourquoi ces photos avec la bête abattue et l'arme brandie dans un grand sourire? Se fait-on photographier le pied sur un morceau de tofu ?
La vérité, c'est que les chasseurs aiment leurs armes de pouvoir. Ils adorent tirer et prouver leur soi- disante supériorité. Personne n'y échappe : la marmotte, le carouge à épaulettes, l'étourneau sansonnet, le mainate bronzé, le moineau domestique, le vacher à tête brune ne sont que des cibles d'exercice, justes bons à jeter aux ordures. La corneille nommée "sorcière noire" par les chasseurs finit rarement à la casserole.
Ce plaisir pervers d'anéantir se veut un art, un sport, une tradition et, pour certains chroniqueurs de chasse, presqu'une religion. Une religion d'intégristes dangereux, oui. Les chasseurs ont la prétention d'aimer les animaux, d'investir dans leur protection tel "Canards/Carnages Illimités", de sauver le cheptel grâce à leurs activités sportives. À vrai dire, ces amants de la Nature violent l'intégrité du peuple animal.
"La chasse n'est pas un sport. Un sport implique une compétition entre deux participants ou deux équipes bénificiant des mêmes avantages, soumis aux mêmes règles, aux mêmes risques et consentants. Son but ultime est de favoriser l'épanouissement de chacun, gagnants ou perdants, il ne saurait en aucun cas comporter la notion de victime. Les dés sont pipés d'avance, la victoire et le plaisir toujours du même côté. La seule règle est de tuer, à une distance sécuritaire, un être sans défense forcé de subir le harcèlement et dont la seule chance possible est d'échapper à ses assaillants... jusqu'au prochain match. À la chasse, l'animal n'est jamais sur son terrain, il est en territoire occupé." (Marcel Duquette, auteur de "Feu sur la Chasse")
La chasse implique une consommation effrénée d'objets de toutes sortes. Habits de camouflage, bottes, pièges, services de guides, pourvoiries, permis, munitions et fusils alimentent un lucratif marché. Les marchands d'armes appuient évidemment la chasse, tout comme ils appuient les guerres.
Tout le débat sur la réglementation des armes à feu s'articule autour des chasseurs. Alors que tous s'accordent à souhaiter un resserrement dans la réglementation, les chasseurs crient à l'injustice, y voyant là une négation de leur droit fondamental de porter des armes. En septembre 1994, plus de 10,000 d'entre eux ont convergé vers Ottawa pour grogner contre tout projet de loi concernant les armes.
"Dès qu'on parle d'armes à feu, les mâles s'excitent et s'énervent."
Au Canada, 32,9% des homicides sont reliés aux armes à feu. Le simple fait de posséder une arme à la maison triple le risque qu'il s'y produise un crime mortel et quintuple les risques d'un suicide.
Les chasseurs argumentent qu'on peut tuer aussi avec un couteau ou un rouleau à pâte. Mais Marc Lépine, chasseur de pigeons dans sa jeunesse et déguisé en habit de chasse lors de la tuerie de Polytechnique, n'aurait pu tuer un aussi grand nombre de femmes avec un couteau à pain.
Aux États-Unis, la National Rifle Association (NRA), une organisation vieille de 124 ans et ayant des ramifications évidentes dans notre pays, milite elle aussi contre tout contrôle des armes à feu. Ses membres, majoritairement des chasseurs, comptent 3,5 millions d'individus et ses revenus annuels en 1994 étaient de 148 millions de dollars. De plus en plus associée à l'extrême-droite, la NRA fustige le gouvernement fédéral et s'inquiète qu'une loi, quelle qu'elle soit, pour le contrôle des armes à feu, amènera un amendement à la Constitution américaine qui, selon eux, accorde le droit inviolable de porter des armes.
Ici au Canada, le débat sur le contrôle des armes à feu s'envenima par des échanges, des propos durs, des insultes, voire des menaces. Plusieurs députés en faveur d'un projet de loi pour ce contrôle eurent droit à des menaces de mort. Les chasseurs contestent particulièrement l'enregistrement obligatoire de chacune des sept millions d'armes à feu que l'on estime répandues à travers le Canada, incluant les fusils de chasse. Pourquoi les chasseurs freinent-ils la réglementation des armes à feu ? Pourquoi cet attachement presque maladif à leurs guns ?
"La non-violence et la lâcheté s'excluent. J'imagine facilement un homme armé jusqu'aux dents sans le moindre courage. Le fait de posséder une arme implique une certaine peur, pour ne pas dire de la lâcheté." (Gandhi)
Pour communier avec la Nature, nul besoin d'un fusil. Certains se promènent en forêt armés, en cas d'une rencontre avec de mythiques et dangereux coyotes. Un chasseur armé et nerveux est bien plus à craindre qu'une meute de coyotes.
Nous percevons tous la réalité selon des croyances qui nous sont propres. Pour ma part, je choisis de me créer une réalité pacifique et non-violente. J'aspire à la paix, à une coexistence empreinte de respect pour toutes les formes de vie. Je salue et me prosterne devant le sacré de la vie animale. Je ne vois pas les animaux sauvages comme une menace, ni comme des ennemis. Vivre et laisser vivre. J'imagine l'élimination complète, totale et définitive de toutes les armes. On a bien le droit de rêver un peu.
Vraiment, ces chasseurs justiciers de la gâchette me surprennent. Au lieu de se geler les couilles aux petites heures du matin, dans des marais à canards, pourquoi ne pas rester chez-eux près d'un feu à lire un bon livre ? Ils pourraient aussi faire des safaris photos, de l'observation d'animaux sauvages et d'oiseaux, des marches vivifiantes ou du vélo de montagne. Et si au détour d'un feuillage ils ont la bonne fortune de croiser le regard d'un chevreuil, d'une perdrix, d'un ours ou d'un orignal, je leur souhaite une véritable communication avec le monde animal, une conversion de la conscience par l'amour, une mutation spirituelle. Ça ne leur rapportera pas un trophée, un panache ou un morceau de viande, mais quelque chose de plus profondément transformateur. Une illumination comme celle de Saint-Hubert.
Source photo #4 : http://www.lonewolfoutfitting.com/
Marjolaine Jolicoeur
(Randall Lockwood, psychologue)
Faire une corrélation entre la misogynie et la chasse dérange car elle implique une lutte de pouvoir et de domination incrustée dans tous les aspects de la vie. Là où j'habite, les histoires de chasseurs violents avec leurs femmes et leurs enfants sont nombreuses. Un tel, alcoolique, parcourait le village avec son fusil de chasse afin de retrouver sa femme partie du foyer. Il arrêtait tout le monde qu'il croisait et, en caressant son arme, indiquait qu'il cherchait "sa truie". Exemple extrême ? Peut-être. Mais tous les corps policiers sont unanimes : lors de la saison de la chasse, les délits reliés à l'alcool augmentent. Et par le fait même, la violence. Que cette violence s'adresse aux femmes, aux enfants ou aux animaux, elle se ressemble étrangement car ces êtres sont très souvent vus comme "inférieurs".
(Pierrette Venne, députée bloquiste)
Cette doctrine que la violence protège contre la violence a permis l'émergence de plusieurs groupements extrémistes formés d'hommes armés, prêts à prendre la maquis pour défendre à bout portant leur paranoïa. Une de ces milices fut même impliquée dans le récent attentat d'Oklahoma, tuant près de 300 personnes. Pour ces inconditionnels des armes, restreindre l'usage des armes à feu s'inscrit dans une vaste conspiration où le gouvernement fédéral américain démontre plus de respect pour les ours et les loups que pour les humains, dans sa tentative d'un "nouvel ordre mondial". Dans ces milices de la peur, on retrouve des chrétiens fondamentalistes qui croient eux aussi qu'ils devront prendre les armes pour se défendre contre les agents du gouvernement fédéral lors de l'invasion des États-Unis par l'ONU !