Ces pesticides qui tuent |
Marie-Claire Héroux
Déclin des populations d’oiseaux, amphibiens déformés, système immunitaire des humains affaiblis, environnement pollué, les pesticides demeurent pour tous les êtres vivants des substances extrêmement toxiques et dangereuses. Des pommes de terre de l’Île-du-Prince-Édouard en passant par le maïs du Québec ou le boeuf américain, ces aliments empoisonnent. Que faire contre cette menace chimique ?
La magnifique Île-du-Prince-Édouard, avec ses plages sablonneuses et ses couchers de soleil romantiques se transforme peu à peu en un immense champ de pommes de terre. En 1996, un acre sur 12 de la totalité de l’île était cultivé en pommes de terre. Depuis 10 ans, c’est une augmentation de presque 70%. Cet empire de la patate appartient à la compagnie Irving qui loue des terres aux cultivateurs afin d’alimenter ses usines de transformation de un milliard de livres de pommes de terre par année. Wendy’s, le plus gros client d’Irving, achète à lui seul près de 200 millions de livres de pommes de terre congelées pour ses restaurants de fast food du hamburger et de la frite. De plus, Irving vend ses pommes de terre congelées sous la marque Cavendish Farms.
CONTAMINATION DES HUMAINSCette monoculture de la pomme de terre a amené un niveau d’utilisation des pesticides sans précédent. Depuis les derniers 14 ans, la vente de pesticides sur l’île a augmenté de 700%. On applique surtout le chlorothanonil, le macozeb et le metirem. Mais en fait, presque 30 différentes variétés de pesticides/insecticides, dans plus de 100 formules, peuvent être vaporisées sur les pommes de terre. Même à la dernière étape, celle de l’entreposage pour l’hiver, les pommes de terre subissent un traitement aux pesticides afin d’empêcher la germination. Une pomme de terre de l’Île-du-Prince-Édouard peut avoir subi jusqu’à 20 applications de pesticides.
CONTAMINATION DES ANIMAUXCes pesticides provoquent chez les humains des problèmes de santé aigus et chroniques. Le macozeb et le metirem classés comme cancérigènes par l’Agence Américaine de Protection de l’Environnement (APE) perturbent le système immunitaire. Ces deux pesticides se dégradent rapidement et forment un ETU (ethylène thiourea) un élément cancérigène. L’ETU peut causer des dysfonctions à la glande thyroïde et désorganiser le système endocrinien. L’endosulfan aussi très utilisé est dans la même catégorie que le DDT ; on le relie au cancer du sein. Le parathion, interdit dans plus de 14 pays, est classé par l’APE comme une toxine de catégorie 1, la catégorie des substances les plus mortelles. Cette puissante neurotoxine facilement absorbée par l’organisme humain, attaque les systèmes reproducteur et endocrinien. Malgré ces faits troublants, le Canada a approuvé ce pesticide pour les pommes de terre des provinces de l’Atlantique.
Au Québec, la culture du maïs emploie la plus grande proportion des pesticides. Ce maïs sert à nourrir majoritairement le bétail et les animaux de boucherie. L’atrazine et le metolachlore demeurent les pesticides les plus courants mais une multitude d’autres se retrouvent aussi dans le maïs : glyphoste, boentzone, diméthénamide, imazéthapyr, nicosulfuron et rimsulforon.
Les pesticides, herbicides, insecticides et fongicides ont des effets oestrogéniques, compromettant le système endocrinien, reproducteur, nerveux et immunitaire des humains mais aussi des animaux. Les espèces aquatiques et les oiseaux sont particulièrement touchés. Partout dans le monde, on note une baisse des populations d’amphibiens et ce déclin touche dramatiquement le Québec.
L’agriculture chimique joue un rôle déterminant dans la disparition des amphibiens. Un nombre alarmant de grenouilles difformes a été découvert dans les cours d’eau avoisinant les champs de pommes de terre ou de maïs du Québec et d’ailleurs. Des études faites au Québec par la Royal Ontario Museum’s Centre démontre hors de tout doute les liens entre la difformité des grenouilles et le dommage à l’ADN (code génétique) provoqué par l’exposition aux pesticides.
Ces substances toxiques mettent en péril la survie de nombre de poissons. Le chevalier cuivré par exemple, autrefois largement répandu dans le Québec méridional, éprouve des difficultés à se reproduire et est en déclin suite à son exposition aux pesticides.
CARBOFURAN, LE TUEUR D'OISEAUXOutre la dégradation des écosystèmes aquatiques, les pesticides exterminent des millions d’oiseaux. David Pimentel, chercheur à l’Université Cornell, estime que sur les 672 millions d’oiseaux américains exposés annuellement aux pesticides, plus de 10% d’entre eux - soit 67 millions - en meurent. Ce déclin des oiseaux est mondial. En Angleterre, des études font état depuis 25 ans de la disparition progressive de dizaines d’espèces d’oiseaux contaminés aux produits chimiques. Grave menace pour tous les oiseaux de la planète quand on constate qu’entre 1992 et 1994, les compagnies américaines ont exporté plus de 114,500 tonnes de pesticides toxiques dans les pays en voie de développement.
Cet insecticide, le carbofuran, est particulièrement toxique pour les oiseaux. Nommé la peste noire des pesticides, il est encore largement distribué sur les pommes de terre de l’Île-du-Prince- Édouard ou dans les potagers des jardiniers amateurs. Selon son distributeur, la compagnie Bayer, le carbofuran est sans danger si employé selon les directives. Pourtant, sur l’étiquette du produit, on peut lire : Garder en dehors des endroits habités par les poissons, les oiseaux et la faune en général. La Bayer a-t-elle un truc ou une méthode magique pour faire sortir d’un champ ou d’un potager tous ces animaux avant de vaporiser le carbofuran ?
Le carbofuran tue sans distinction vers de terre, lapins, renards, corbeaux ou aigles. Les rapaces meurent après avoir mangé des oiseaux, des rongeurs ou des insectes contaminés par le produit chimique.
Même les chats et les chiens peuvent devenir malades ou mourir après s’être roulés dans un champ fraîchement traité au carbofuran ou après avoir bu de l’eau souillée par la substance chimique.
CONTAMINATION GLOBALEL’interdépendance de tous les écosystèmes est malheureusement un concept qui échappe à l’agriculture chimique et aux fabricants de pesticides.
Cette guerre chimique contre les insectes dits nuisibles détruit aussi les parasites naturels qui maîtrisent ces populations d’insectes. L’épandage massif de pesticides permet la prolifération d’insectes nuisibles et l’apparition de résistance chez ces insectes. Un cercle vicieux qui demande une quantité toujours grandissante de produits chimiques pour contrôler l’invasion des indésirables.
Aux États-Unis, entre 1942 et 1951, les insectes détruisaient en moyenne 7% de la production ; en 1973, les insectes détruisaient 13% soit presque le double même si l’usage de pesticides avait été multiplié par 10. En 1944, quarante- quatre espèces d’insectes résistaient aux insecticides, dans les années 80, deux cent cinquante espèces d’insectes résistaient.
LES CARNIVORE S'EXPOSENT DONC PLUS QUE LES VÉGÉTARIENS À DES INTOXICATIONS CHRONIQUES AUX PESTICIDES PARCE QUE LES PRODUITS ANIMAUX QU'ILS CONSOMMENT SE SITUENT AU BOUT DE LA CHAÎNE ALIMENTATIRE.CONTAMINATION DE LA VIANDE
Nourri au maïs traité chimiquement, le boeuf est en tête pour sa plus grande concentration de résidus de pesticides, comparé à nimporte quel autre aliment vendu aux États-Unis, selon la National Research Council of the National Academy of Sciences. C’est aussi la viande la plus consommée par les Nord- Américains.
Le problème toxicologique de la viande réside dans le fait que les pesticides ingérés par les animaux sont d’abord filtrés par le foie qui en retient une partie mais pas la totalité. Les résidus se concentrent ensuite dans les tissus gras et dans le lait des animaux. Par exemple, si la teneur du foin en DDT est de 7 ppm, celle du lait provenant des vaches qui le consomment est de 3 ppm, mais le beurre de ce lait en renfermera vingt fois plus. L’aldrine, un successeur du DDT, se retrouve transformé en dieldrine dans la viande et le lait des vaches. En Amérique du Nord, on retrouve des traces de ce pesticide dans les produits laitiers et la viande mais aussi dans la volaille et le poisson.
En plus de leur concentration dans les tissus adipeux, les substances chimiques s’accumulent dans le système nerveux et dans les surrénales des animaux.
Ce phénomène de la bio-concentration affecte tous les produits d’origine animale - viande, oeuf, lait, poisson, volaille. Ces produits renferment de plus grandes concentrations de résidus de pesticides que les fruits ou les légumes. Les carnivores s’exposent donc plus que les végétariens à des intoxications chroniques aux pesticides parce que les produits animaux qu’ils consomment se situent au bout de la chaîne alimentaire.
Tout comme chez les animaux, la liposolubilité des pesticides conduit à une accumulation non seulement dans le tissu adipeux mais aussi dans des organes comme le cerveau, les reins, les surrénales et le foie. À long terme, cela peut provoquer des malformations congénitales, des mutations de gènes, des tumeurs malignes et des atteintes au système nerveux.
À l’image de nos organismes humains et animaux, les sols accumulent ces substances chimiques qui prennent des décennies à se dégrader et à disparaître. La toxicité et la non-biodégradabilité des pesticides/herbicides affectent sans exception tous les écosystèmes et toute la chaîne alimentaire.
DES SOLUTIONSUn grand merci à Laval Dionne pour la traduction et l’envoi de documents concernant cette problématique des pesticides.
Individuellement, voici ce que nous pouvons faire :
Les pommes de terre de l’Île-du-Prince- Édouard empoisonnées aux pesticides, Sharon Labchuk, Natural Life Magazine, janvier 98.
Des rivières sont affectées, Environnement et pesticides, Isabelle Giroux et Richard Desrosiers, Ministère de l’Environnement, Terre de chez-nous, février 99.
Silent Scourge, Northwest Coalition for Alternatives to Pesticides, Oregon, États-Unis.
Carbofuran should be banned, Island Farmer, août 98.
Beyond Beef, Jeremy Rifking.
Végétarisme et Santé, Jacqueline André, Éditions Nauwelaerts.
Sauvez votre corps, Dr. Kousmine, Robert Laffont.
Jardin 90, ou comment jardiner sans produits chimiques, Éditions du CEPT.
Citation
Tout ce verbiage sur la dignité, la compassion, la culture ou la morale semble ridicule lorsqu’il sort de la bouche même de ceux qui tuent des créatures innocentes, pourchassent des renards que leurs chiens ont épuisés, ou même encouragent l’existence des combats de taureaux et des abattoirs. Toutes ces explications, selon lesquelles la nature est cruelle et donc nous sommes en droit d’être cruels, sont hypocrites. Rien ne prouve que l’homme soit plus important qu’un papillon ou qu’une vache. Je considère le fait d’être devenu végétarien comme la plus grande réussite de ma vie. Je ne prétends pas sauver beaucoup d’animaux de l’abattoir, mais mon refus de manger de la viande est une protestation contre la cruauté de la nature, des gens, et du Tout-Puissant lui-même. Personnellement, je ne crois pas qu’il puisse y avoir de paix dans ce monde tant que les animaux seront traités comme ils le sont aujourd’hui. Isaac Bashevis Singer (1904-1991)