Les philosophies Grecs
et l'âme animale

Marjolaine Jolicoeur


« Je fus pendant un temps, un garçon, une fille, un arbre, un oiseau et un poisson muet au fond des mers ». (Empedocle, 484-424 av. J.C.)

D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Les humains, les animaux ont-ils une âme ? Ces questions éternelles tourmentent les humains depuis des millénaires. De grands esprits - Pythagore, Platon, Socrate ou Plutarque tentèrent d’y répondre…

Selon plusieurs historiens, la philosophie grecque puisa largement dans les religions de l’Orient (le bouddhisme, l’hindouisme, le zoroastrisme), de l’Égypte et de Babylone. On retrouve beaucoup de concepts similaires dans ces courants philosophiques ou mystiques. Dans le passé, les philosophes voyageaient, côtoyaient d’autres cultures, assimilaient une conception commune de l’Univers. Cette union de la sagesse orientale et de la sagesse grecque est représentée de façon magistrale par Pythagore.

Ce philosophe, au Ve siècle avant notre ère, conçut l’âme comme une substance immortelle appartenant autant aux humains qu’aux animaux. « Les animaux partagent avec nous le privilège d’avoir une âme », disait-il. La destinée de l’âme humaine et animale est d’échapper à la « roue des naissances » afin de goûter finalement l’éternelle félicité avec l’Unité absolue du grand Tout ou l’Âme Universelle. Dans cette totalité (en grec : kosmos), règnent la beauté, l’ordre et l’harmonie. Tout est dans Tout, Tout participe au Tout et dans chaque chose, il y a une partie du Tout.

L’âme voyage dans des corps successifs et, en adhérant à cette idée de la transmigration des pâmes, il est impossible de manger de la chair animale, car par cet acte, l’évolution des animaux est freinée. En accord avec ce principe, Pythagore se nourrissait de fruits, de légumes et de céréales. Il considérait la viande comme immorale et incompatible avec la pure contemplation, la théoria. La chair animale fait violence aux animaux mais aussi aux humains et sa célèbre parole résume bien ce karma ou destin individuel : « Tant que les hommes massacreront les bêtes, ils s’entre-tueront. Celui qui sème le meurtre et la douleur ne peut, en effet, récolter la joie et l’amour ».



Platon

Platon reprit le flambeau de la connaissance pythagoricienne et il eut un énorme impact sur la littérature et les mathématiques de l’Occident. Ces œuvres furent à peu près intégralement conservées, son Académie ayant existée jusqu’au VIe siècle après J.C. Le platonisme résista au temps et, au XIIIe siècle, des érudits franciscains de l’Université d’Oxford étudiaient cet aspect de la philosophie grecque.

Né à Athènes en 427 avant J.C., Platon reçut dans son adolescence l’éducation raffinée d’un jeune aristocrate. Il écrivit dans sa jeunesse des œuvres tragiques et remporta un prix de lutte aux Jeux de Corinthe. Son nom est d’ailleurs un sobriquet des gymnases ; « l’homme aux larges épaules ». À 20 ans, Platon rencontre Socrate (470-399 avant J.C.) et se fait son disciple. La méthode philosophique de Socrate consistait à faire découvrir la vérité à ses interlocuteurs en leur posant des questions. Nous devons, dans notre première démarche pour connaître la vérité, nous défaire de toutes les opinions reçues afin de revenir à la pureté primordiale de l’âme.

Les hommes, pesait Socrate, s’occupent avec ardeur d’aspects secondaires, comme la fortune, la réputation, les honneurs. Ils négligent la seule chose importante, le soin de leur âme. Dans notre recherche de la vérité et du bien, il faut nous élever sur les ailes de l’amour et survoler la Beauté parce qu’elle réveille au plus profond de notre être le souvenir de cette Beauté parfaite que l’âme a contemplée autrefois. La communion avec la Nature fait monter l’âme jusqu’aux beautés éternelles.



Socrate

Socrate était végétarien et ne portait jamais de cuir ou de fourrure animale. Tout comme Pythagore, il soutenait que l’habitude de manger de la chair animale poussait les humains à la violence et aux guerres.

Autour de Socrate, la jeunesse aristocratique se pressait et bientôt les autorités le trouvèrent gênant. Dangereux de forcer les gens à s’interroger sur eux-mêmes ! Il est arrêté et, en 399, conversant jusqu’à la fin avec ses disciples, il boit la ciguë, un poison mortel. En acceptant sereinement sa mort, Socrate confirma sa foi indéfectible en l’immortalité de l’âme.

À la mort de son maître, Platon quitte Athènes et fait de longs voyages. Vers l’âge de 40 ans, à son retour, il prend comme maître Archytas, un pythagoricien à la tête d’une communauté végétarienne. La pensée de Platon s’imprègne complètement de ces concepts pythagoriciens : l’immortalité de l’âme humaine et animale, le respect de toutes les formes de vie, la non-violence d’un mode de vie basé sur la vérité. Il fonde plus tard son Académie, méditant, écrivant et enseignant entouré de disciples, jusqu’à sa mort en 457 avant J.C. C’est à cet endroit qu’un de ses disciples, Aristote, étudia pendant près de 20 ans.

Au début de l’ère chrétienne, Plutarque synthétisa dans ses écrits la pensée philosophique de ses prédécesseurs. Tout comme eux, Plutarque ne mangeait pas de viande. Il était contre la chasse et la pêche parce que ces activités répandent «l’insensibilité et la sauvagerie chez les humains ». De plus, il posait cette question essentielle ; « pourquoi manges-tu donc ce qui a une âme ? »

LA VIOLENCE DES PERSÉCUTIONS

Cette croyance en l’âme immortelle et en notre solidarité avec tous les vivants traversa les millénaires. Elle était présente chez les Esséniens qui, selon l’historien Josephus, «vivaient la même sorte d’existence que celle que Pythagore introduisit chez les Grecs ». Tout comme dans les communautés pythagoriciennes, les Esséniens condamnaient les sacrifices d’animaux et la consommation de chair animale.

Mais bientôt, on voulut extirper toute dimension animiste du christianisme. Plus question d’union spirituelle avec la Nature, avec ses forces invisibles, avec les animaux. Le péché se nommait maintenant panthéisme ; on ne devait plus diviniser la Nature.



Pythagore

Au VIe siècle après J.C., commence alors une suite de persécutions s’étalant sur des siècles. Sur l’ordre de l’empereur chrétien Théodose, on brûla la bibliothèque d’Alexandrie ; elle contenait, entre autres, des manuscrits de Pythagore. Le Concile de Nicée élimina un grand nombre de textes considérés comme non conformes aux dogmes de l’Église. L’empereur Justinien ferma l’Académie de Platon, dernier refuse pour lui du paganisme. Les hérétiques furent pourchassés, torturés, brûlés. On immola les Déesses bienfaitrices et l’énergie féminine ne fut plus qu’une affaire de sorcières. Il fallut attendre le XVe siècle pour que l’Église catholique accorde aux femmes une âme. Les animaux en sont toujours privés.

Cette négation d’une âme animale immortelle aida Descartes (1596-1650) à propager sa théorie cartésienne des «animaux-machines ». Pour ce philosophe, «les bêtes sont sans âme, sans vie, sans connaissance et sans sentiment ». Racine (1692-1793) abonde dans le même sens et déclare à propos de l’animal que «le sang fait tout en lui, seul maître de son corps, sans qu’une âme préside au feu de ses ressorts ». Pour Antoine Billy (?-1676), un des représentants les plus radicaux de l’école cartésienne, la souffrance des animaux est une hypothèse inconciliable avec les principes mêmes de la religion. Les animaux ne souffrent pas et l’homme possède sur eux les mêmes droits de vie ou de mort que sur un objet inanimé. Quant à Buffon (1797-788), «l’homme est un être raisonnable, l’animal un être sans raison » et il ajoutait que «l’empire de l’homme sur les animaux est un empire légitime qu’aucune révolution ne peut détruire, c’est l’empire de l’esprit sur la matière, c’est non seulement un droit de nature, un pouvoir fondé sur des lois inaltérables, mais c’est surtout un don de Dieu par lequel l’homme peut reconnaître à tout instant l’excellence de son être ».

Les disciples de Descartes furent malheureusement trop nombreux et André-Charles Cailleau (1751-1798) s’étonnait «que beaucoup de braves gens, qui se vantent de n’être point cartésien dans la spéculation, le soient pourtant dans la pratique. Vous les voyez immoler une multitude innombrable d’animaux, sans l’ombre d’un remords, ni inquiétude. Les uns mettent leur gloire à dépeupler les campagnes pour se procurer le plaisir de la chasse ; ils poursuivent les volatiles tremblants, sans leur laisser le moindre refuge ». Et il se demandait « si tous ces chasseurs, pêcheurs et autres exterminateurs d’animaux de toute espèce étaient bien convaincus que ce sont autant de petites âmes qu’ils anéantissent à plaisir, se permettraient-ils de pousser la cruauté jusqu’à ce point, eux qui, dans tout autre chose, se piquent de raison et d’humanité? ».

UNE DOMINATION VIOLENTE

Pour nombre de philosophes et de théologiens, seul l’humain posséde une âme. Elle lui confère sa supériorité et le droit absolu de régner sur les animaux, ces automates aliénés. C’est dans la terreur et le sang que ce règne se déroula. La Nature, autrefois notre mère, se changea en une force destructrice, menaçante qu’il fallut dompter, gérer sans compassion, avec violence. Au nom de la foi et du salut, notre corps, notre moi animal, dut aussi être mâté, parce que d’essence presque démoniaque. Ces animaux sans âme devinrent des machines à fourrure, des machines à viande, des cibles insensibles pour les chasseurs. Par le pouvoir de la force et de la brutalité, l’humain destructeur, cet animal supérieur, domina toute la Création.

Quelle est notre relation avec le Kosmos ? Les animaux font-ils partie du grand Tout ? Nos âmes s’uniront-elles un jour ?

Dans leur sagesse, les philosophes grecs ont trouvé la réponse à notre désir nostalgique de transcendance et d’unité : l’amour. Socrate avait raison : la vérité se cache dans notre cœur.

Retour ( Spiritualité )

1