À l’époque où Jean Cabot naviguait dans les eaux du Cap-Breton, il y a 500 ans, des morues du golfe pouvaient faire de cinq à six pieds de longueur et peser plus de 150 à 200 livres. Au milieu du XVIième siècle, la morue comptait pour 60% de tout le poisson mangé en Europe. Après les grands filets dévastateurs, les dragueurs se sont mis à râcler les fonds marins. Deux ans avant le moratoire canadien de 1992, les contrôles gouvernementaux étaient très relâchés et les pêcheurs en ont profité pour rafler tout ce qu’ils pouvaient, essentiellement pour payer leur super-équipement. En 1990, le Daily Telegraph de Londres révélait que pas un mètre carré de fond n’était épargné dans la région hollandaise et qu’au moins une fois par année, certains coins marins étaient râclés jusqu’à sept fois par année, les fonds s’en trouvant désertifiés. Une autre intervention humaine dévastatrice pour les poissons : on dynamite un lac, après quoi on ramasse à la surface les poissons morts. En Indonésie, cette pratique s’est faite à grande échelle, ruinant les récifs de corail. D’autres pêchent au cyanure, empoisonnant ainsi les poissons servis dans les restaurants de luxe. Selon le Worldwatch Institute de Washington, au tournant de 1900, on pêchait 3 millions de tonnes de poissons dans les océans, pour en arriver, technologie aidant, à 80 millions de tonnes vers 1970. Entre 1950 et 1970, la pêche océane mondiale avait crû de 6% par année. De 1970 à 1990, de seulement un peu plus de 2%. En 1989, on avait atteint un sommet planétaire : 86 millions de tonnes.
Malgré la diminution de la morue dans les années 90, les chalutiers ont persisté à vouloir pêcher les mêmes volumes. Ce sont plutôt des tonnes d’anchois et de sardines qui se prirent dans leurs filets. Ne trouvant pas preneur au marché, ces prises furent réduites en engrais et en nourriture pour le bétail. Les Nations-Unies estiment que toutes les 17 grandes régions de pêche de la planète aujourd’hui sont surexploitées.
Pour pallier au manque de poissons, on se tourne de plus en plus vers l’aquaculture, dont la production mondiale atteint maintenant 20 millions de tonnes. En 1994, 17% de la récolte de poissons sur la planète provenait de l’aquaculture. Pour bâtir ces parcs d’élevage,
des forêts complètes à proximité de la mer ont été éradiquées. De plus, le poisson d’élevage contribue au déclin des espèces sauvages et se nourrit d’une quantité considérable de céréales ou d’autres espèces de poissons.
Pour obtenir un kilogramme de chair de poissons, il faut 2 kilogrammes de nourriture.
Le saumon, cette nouvelle vedette des tables québecoise, a vu son prix baisser durant les dernières années, notamment à cause du nombre croissant de fermes d’élevage dans les provinces maritimes, dans le Pacifique et à l’arrivée de concurrents chiliens. Il a complètement détrôné le traditionnel filet de sole. La presque totalité du saumon atlantique frais consommé au Québec provient de fermes d’élevage installées surtout dans la Baie de Fundy, dans les Maritimes. (Notons que le saumon atlantique est la seule espèce de cet océan, c’est pourquoi on le nomme ainsi)
Dans le Pacifique, certains pêcheurs ont trouvé des saumons à l’état sauvage, manifestement évadés de fermes d’élevage. On peut aisément croire que ces saumons évadés peuvent transmettre aux autres animaux marins des virus inconnus. Des saumons transgéniques, de plus en plus populaires dans les élevages, sont susceptibles de donner des gènes potentiellement dangereux à des poissons indigènes. À tous les stages de sa fabrication, le poisson d’élevage requiert une énorme quantité d’antibiotiques et de médicaments de synthèse. Ces milliers de saumons entassés dans des cages d’élevage deviennent vite malades. Un grand nombre de saumons de la Baie de Fundy ont souffert en 1997 d’une maladie attaquant leur système immunitaire, l’anémie infectieuse. Des milliers furent tués, aucun traitement n’étant connu. Le Pérou, le Chili et le Japon sont les principaux producteurs de farine de poisson. On estime que à des tonnages de poissons capturés dans le monde sont transformés en farine, c’est-à-dire de 25 à 35 millions de tonnes. On vide les océans non seulement pour nourrir les humains, mais pour maintenir le bétail et le commerce de la viande. De par le monde, des querelles font rage en matière de pêche. On se souviendra de la querelle diplomatique des dernières années entre le Canada et l’Espagne. Islandais et Britanniques se chamaillent quant à eux dans l’Atlantique Nord. Chalutiers tunisiens et italiens se tirent dessus en pleine Méditerranée, tout comme le font aussi les Thaïlandais et les Vietnamiens. La Presse, 26 juillet 1998
Fish Farming and stocking, a solution ? Feast, Jan. 1996
Le livre des dauphins et des baleines.
En Thaïlande, on a produit 120,000 tonnes de crevettes en régions marécageuses sur cinq ans mais, en ravageant ces marécages, on s’est privé de 800,000 tonnes d’autres espèces.
USINE À SAUMONSLe saumon est un carnivore gourmand et il faut aller pêcher ailleurs les espèces qui feront son dîner. Pour lui donner sa chair couleur rosée, les éleveurs utilisent une moulée pigmentée avec des produits artificiels ou naturels, comme de la carotène, par exemple. Le saumon - tout comme la truite d’élevage - est nourri avec de la farine de poisson. Près de la moitié des pêches mondiales est destinée à la fabrication de cette farine servant à l’aquaculture mais aussi au bétail.
Il faut 5 kilogrammes de poisson pour produire 1 kilogramme de farine.
Il faudra 5 kilogrammes de farine de poisson, ingérés par un boeuf ou un porc, pour produire un kilo de viande.
Brigitte Sifaoui, Albin Michel