Marjolaine Jolicoeur
Refuser la chair animale, le cuir, la chasse, défendre les droits des animaux. Voilà des comportements suspects pour plusieurs. On traite avec mépris ceux qui y adhèrent les qualifiant d’animalistes, d’activistes zoophiles ou d’extrémistes montrant trop de sensiblerie. Pourtant, depuis des millénaires, nombre d’humains de toutes races ont ouvert leur cœur aux animaux, les considérant comme partie intégrante de la communauté des vivants, au même titre que les autres terriens. Tous égaux devant la souffrance. Tous dignes de compassion et de non-violence. Des philosophes, des mystiques et des sages percevaient les animaux comme nos compagnons d’évolution, en quête aussi d’un destin paisible. Ramana Maharshi fut un de ceux-là. Même si son existence est tout imprégné de la spiritualité de l’Inde, ses enseignements demeurent universels et toujours d’actualité.
« La vie et les enseignements de Sri Ramana sont importants, non seulement pour l’Indien, mais encore pour l’homme occidental. Ils ne sont pas seulement un document humain, mais un avertissement pour son humanité qui risque de se perdre dans le chaos de son inconscience et de son insuffisante maîtrise d’elle-même ».
« Ne méditez pas - Soyez! »
« Ne pensez pas que vous êtes - Soyez! »
« Ne pensez pas à être - vous êtes! »
Ramana Maharshi
Venkatraman est né en 1879 dans une famille brahmane. Il fit ses études au lycée américain de Thiruchuliyal, près de Madurai, dans le Sud de l’Inde. À 17 ans, alors qu’il se trouvait tranquille dans sa chambre, il est immergé d’une angoisse terrible de la mort, puis contemple la source divine de son être, le « je » immortel opposé au « moi » impermanent. Suite à cette révélation spontanée - le corps meurt mais le Soi survit - le jeune homme quitte la maison. On le retrouve à Tiruvannamalai, une ville où depuis des temps immémoriaux, des ascètes contemplent l’Absolu. Dans une grotte au flanc de l’Arunachala, montagne sacrée où Shiva lui-même habite et qui surplombe la ville, Venkatraman entre en profonde méditation pendant quelques années.
Cet ascète transfiguré, vivant dans une perpétuelle extase, est bientôt entouré de disciples qui le nomment Maharshi (Grand Sage). Un ashram se construit pour recevoir tous ceux qui affluent de l’Inde et du monde entier pour le voir. À ces humains en quête de vérité, Ramana recommande tout comme l’inscription sur le temple d’Apollon à Delphes : « Connais-toi toi-même ». Il faut plonger profondément dans le cœur et se demander «Qui suis-je ? » Au-delà des concepts mentaux de notre réalité physique, des rôles que nous jouons dans la vie, qui sommes-nous vraiment?
En transcendant l’identification au corps, le Soi dans le cœur est la réalité, la béatitude parfaite, pure conscience, la totalité : « Il n’y a pas de degrés de réalité. Il y a des degrés d’expérience pour l’individu, mais pas pour la réalité… »…. « Soyez tout entier dans le présent. Plongez au plus profond de vous-même et demeurez dans le Soi »….. « Il n’y a pas plus grand mystère que celui-ci; nous sommes la réalité et pourtant nous voulons parvenir à la réalité ».
En touchant la totalité, l’Un s’illumine des paroles de cet autre grand sage, Ramakrishna : « Ayez de l’amour pour tous, nul n’est autre que vous ». Dans cette vision égalitaire, tous étaient traités avec la même déférence par Ramana. Tous ceux qui venaient à lui, qu’ils soient brahmane, intouchable, femme, homme, riche ou pauvre et même animal, tous avaient droit à sa considération respectueuse.
Ramana ne s’intéressait ni aux rituels, aux dogmes, aux mythes ou aux miracles. Il n’imposait pas de changement radical dans le mode de vie de ses disciples. L’unique directive sur laquelle il était intransigeant : on ne doit jamais faire de mal aux autres entités vivantes, aux animaux. Pour notre progrès spirituel et celui de l’animal, il faut s’abstenir complètement de viande.
« Ne pas faire de mal (ahimsa) est la première injonction du code de discipline des yogis (…). Les aliments ont un effet sur l’esprit. Pour pratiquer le yoga, le végétarisme est indispensable, parce qu’il rend l’esprit pur et harmonieux ».
Ces animaux qu’on doit aimer, et non tuer pour leur chair ou leur peaux sont tout comme nous impliqués dans un processus évolutif. À un disciple qui lui demandait : « Est-ce qu’un être peut faire des progrès spirituels dans un corps animal? » Ramana répondit : « Il n’est pas vrai que la naissance humaine soit nécessairement la plus élevée et que l’on ne puisse atteindre la réalisation qu’à partir de la condition humaine. Même un animal peut atteindre la réalisation du Soi ».
Même un animal a un Soi, tout comme nous et à notre image peut y plonger profondément pour atteindre la libération. En étant des êtres spirituels, c’est à une redéfinition de notre rapport avec les animaux que notre époque sanglante nous convie, tout comme Ramana. Nous sommes d’égales manifestations du Suprême. Dans le mystère de nos destins, des liens nous relient à l’unicité de toutes les formes de vie, amenant l’interdépendance des multiples manifestations et des cycles d’évolution et de mutation. En parlant des animaux autour de lui, Ramana disait : « Nous ne savons pas pourquoi ces âmes habitent ces corps et quelles parties incomplètes de leur karma, elles viennent compléter avec nous ».
Autour du sage gravitaient de divers animaux, un écureuil, une famille de paons qu’il appelait en imitant leurs cris pour les nourrir de riz, de mangues ou d’arachides. On ne devait pas tuer les serpents dans l’ashram :. « Nous sommes venus dans leur maison et n’avons aucun droit de les troubler. Ils ne nous feront pas de mal ». Des chiens vivaient aussi autour de Ramana, fait plutôt rare en Inde, les brahmanes stricts voyant ces animaux comme impurs. Mais il eut plusieurs chiens dont Kamala, une chienne qui donna naissance à une longue lignée de descendants et qui sur l’ordre du Sage amenait les visiteurs faire le tour d’Arunachala, de ses temples et de ses grottes.
Une vache s’était particulièrement attachée à Ramana. Elle se nommait Lakshmi et vécut près de 19 ans avec lui. À heure régulière, elle venait chercher sa nourriture, une banane, une caresse. Devenue vieille, Lakshmi tomba malade et un matin de juin 1948, la fin étant proche. Ramana alla la voir et lui dit : « Amma - mère - veux-tu que je sois près de toi? » Il prit sa tête sur ses genoux et de sa joue, effleura doucement la sienne. Plongeant ses yeux dans les siens, Ramana posa sa main droite sur le cœur de Lakshmi puis l’autre sur la tête de l’animal. Ils restèrent ainsi un très long moment, en silence. Lakshmi quitta paisiblement son corps. La vache fut enterrée près de l’ashram tout près d’autres tombes d’animaux chers à Ramana, un chevreuil, une corneille et un chien. Sur une pierre, Ramana Maharshi écrivit que Lakshmi avait atteint Mukti - la libération.
(C.G. Jung, psychanalyste)
« Nous ne savons pas pourquoi ces âmes habitent ces corps et quelles parties incomplètes de leur karma, elles viennent compléter avec nous ».
Les singes fort nombreux venaient voir Ramana afin qu’il règle leurs chicanes internes. Il recevait un émissaire du peuple des singes et tentait, le plus souvent avec succès, de ramener la paix dans les tribus en guerre. Pas toujours facile cette œuvre de pacification. Ramana exhibait en riant les différentes morsures sur ses bras ou ses jambes que des singes rebelles lui avaient infligées.