honorable soja

Honorable soja : un dossier de Marjolaine Jolicoeur

Lorsqu’on abandonne la consommation de cadavres d’animaux ou de produits laitiers, plusieurs se demandent où prendre protéines, fer ou calcium. Depuis des millénaires, les végétarien(nes) de la Chine ou du Japon intègrent à leur alimentation un élément que l’Occident commence à peine à découvrir. Gage de santé, de vitalité, ayant tous les éléments essentiels, la fève soja est une merveilleuse légumineuse de la gastronomie végétarienne.

Les végétarien(nes) des temps passés n’ont pas attendu la vivisection ou l’expérimentation animale pour chanter les gloires du tofu ou du miso. Dans la conception asiatique, les maladies et la santé ont un rapport étroit avec les saisons, les facteurs atmosphériques, les états émotionnels ou énergétiques. L’organisme humain est toujours perçu comme une partie de la Nature, du Tout. Dans cette perspective holiste, l’alimentation occupe une place primordiale.

L’observation et les études épidémiologiques démontrent que la santé des Asiatiques est en partie liée au soja et à ses dérivés - farine, tofu, lait, miso, okara, protéines de soja texturées, tempeh, soja et noix de soja. Ce roi des médicaments comme l’a surnommé le docteur Szu-Miao, taoïste renommé du début de la période Tang, est un facteur important dans la prévention de certaines formes de cancer, des maladies cardio-vasculaires, de l’ostéoporose. De plus, le soja stabilise le glucose sanguin et s’avère d’un grand secours lors de la ménopause.

De nombreux chercheurs affirment qu’une alimentation riche en protéines de soja réduit significativement les risques de problèmes cardiovasculaires chez les personnes présentant un taux élevé de cholestérol. Des chercheurs de l’Université du Kentucky, en analysant les données de 39 essais cliniques portant sur l’impact d’un régime à haute teneur en soja, ont observé que, chez les gens qui en consomment en moyenne 47 g quotidiennement, le mauvais cholestérol (le LDL) diminue de 12,9%. Il semble que le fait de consommer 25 g de soja par jour suffit pour abaisser le taux de LDL. Le soja contient des hormones végétales possédant une structure semblable à celle des oestrogènes. Ces isoflavones ont des substances bioactives agissant comme des phytoestrogènes. Les propriétés médicinales des deux principaux isoflavones du soja, le génistéine et la daidzéine s’avèrent positives dans le cancer du sein, de l’utérus, de la prostate et du côlon. À la façon d’un puissant antioxydant, le génistéine inhibe la croissance des cellules cancéreuses. Il peut agir à presque tous les stades du processus de la cancérisation. La daidzéine présenterait des propriétés similaires.

Une alimentation riche en isoflavones peut aider lors de la ménopause.

Les Japonaises, par exemple, quand on les compare aux Américaines, ont rarement des bouffées de chaleur et des sueurs nocturnes. Elles ont également des taux inférieurs de cancer du sein, de l’utérus, de maladies cardiovasculaires et de fractures de la hanche. Leur protection contre certains symptômes désagréables de la ménopause viendrait, entre autre, de leur apport quotidien de haricots de soja, de tofu, et de miso. Le docteur Herman Adlercreutz, chercheur finlandais de l’Université d’Helsinki, croit que le soja et ses produits dérivés, contient des oestrogènes en quantité suffisante pour induire des effets biologiques chez les femmes ménopausées ayant de faibles taux d’oestrogènes. Dans une étude comparée avec des Japonaises, des Américaines et des Finlandaises, il a trouvé de hauts niveaux d’isoflavones dans l’urine des Japonaises (en particulier du génistéine) de 100 à 1,000 fois supérieurs à ceux des Américaines et des Finlandaises. Outre une conception culturelle différente de la ménopause, ces hauts niveaux d’oestrogènes naturels pourraient expliquer la santé des femmes asiatiques qui consomment 25 à 45 mg d’isoflavones par jour (comparativement à 5 mg chez les Canadiennes). Les isoflavones joueraient aussi un rôle déterminant dans le maintien de la densité osseuse, prévenant ou retardant la décalcification osseuse. Un dérivé des isoflavones, l’ipriflavone, a été envisagé comme traitement pour l’ostéoporose.

Le soja s’avère aussi bénéfique pour les hommes. Les mâles japonais qui émigrent à Hawaï et maintiennent leur régime riche en soja et en riz ont une incidence plus faible de cancer avancé de la prostate comparé à ceux qui adoptent le régime américain à base de viande et de protéines animales. En plus de la protection assurée par le soja, il semble évident que le végétarisme est un facteur important.

De nombreux chercheurs croient que certains cancers sont hormono-dépendants et que le régime alimentaire peut altérer la production hormonale et le métabolisme au niveau cellulaire. De façon générale, dans les pays ou régions à faible incidence de cancer, on a trouvé de hauts niveaux d’isoflavones dans l’alimentation des peuples ainsi qu’une consommation minime de gras animal.

 Sur les pas du tofu bouddhiste
La fève soja fut découverte selon la légende par deux personnages chinois Yu-Hsing et Kung-Kung, voilà plus de 5,000 ans. Avec le riz, l’orge, le blé et le millet, le soja est mu-ku ou un des cinq grains sacrés, essentiels à l’existence de la civilisation chinoise. L’art de faire coaguler le lait de soja pour en faire du tofu remonte à 164 ans avant J.C. Le célèbre Seigneur Liu An de Juai-Nan, philosophe, politicien et féru d’alchimie et de méditation taoïste, expérimenta avec le soja afin d’introduire un élément nouveau dans l’alimentation végétarienne de ses amis taoïstes. Boddhidharma, fondateur chinois de la secte Ch’an (Zen) vers 520 après J.C. appréciait quant à lui le tofu pour sa simplicité, son honnêteté et sa merveilleuse robe blanche.

Le peuple chinois, tout comme le peuple japonais, consomme le miso, cette pâte fermentée constituée de fèves de soja et de grains, depuis fort longtemps. Le miso japonais apparut dès les origines de la formation de la nation et on dit qu’il était la création de la déesse Kuma-No-Kusubine-No- Mikoto. Le miso et le tofu en particulier sont intimement liés au bouddhisme et à son expansion hors de la Chine. Le Japon découvrit ce fromage de soja par des moines chinois venus propager l’enseignement de l’Éveillé, le sublime Bouddha vers le VIième siècle après J.C. Ces moines-cuisiniers ouvrirent plusieurs échoppes de tofu dans les temples et les monastères. Au début du XIIième siècle, les cinq plus grands temples bouddhistes Zen du Japon avaient à l’intérieur de leurs murs des restaurants végétariens. Au menu : de multiples préparations au tofu. C’est à cette époque que les fermiers japonais commencèrent à cultiver massivement la fève soja et que les guerriers ascètes, les samuraïs, remplacèrent peu à peu leur alimentation à base de poisson par de la soupe au miso et aux cubes de tofu frits.

De grands maîtres bouddhistes ont fait l’éloge du tofu. Par exemple, le Maître Zen Ingen, lors de son arrivée au Japon en 1661, fut surpris de trouver du tofu d’une consistance différente de celle du tofu chinois. Devant ce tofu nouveau genre il médita et composa ces quelques lignes :

Mame de
Shikaku de
Yamaraka de

Chaque ligne a un double sens :

Fait de fèves soja
Carré et bien coupé
Et doux
ou pratiquer la vigilance
ou être authentique et honnête
ou avoir bon coeur

L’Europe connut le soja grâce au botaniste allemand Engelvert Kempferl qui le rapporta après un séjour au Japon de trois ans (de 1690 à 1693). Il lui donna le nom japonais de Daizu Mame. Le soja arriva en Amérique du Nord vers 1804 via la Chine. Ce n’est que vers les années 50 qu’il deviendra une industrie aux États-Unis, surtout utilisé pour son huile et dans l’alimentation animale. De nos jours, les deux tiers des récoltes de haricots de soja aux États-Unis, récoltes qui représentent 50% de la production mondiale, servent pour la nourriture des animaux domestiques et pour le bétail, le reste étant exporté au Japon. En 1997, le Québec a produit quant à lui 335,000 tonnes de fèves soja, soit 30 fois plus qu’il y a dix ans. On prévoit que la production augmentera de 25 à 30% au cours des prochaines années. De nouvelles variétés de soja s’adaptent aux rigueurs de notre climat.

Au Japon, le tofu et le miso sont traités avec un profond respect. Dans la langue parlée, le mot tofu ou miso est le plus souvent précédé du préfixe O. O-tofu (ou O-miso) signifie honorable tofu. Le tofu fait partie intégrante du langage populaire. Quand un Japonais veut dire à quelqu’un d’aller se faire voir, il dit d’une façon plus diplomatique : Va te frapper la tête contre un morceau de tofu et disparaît. Plus de 18,000 usines japonaises concoctent du tofu. Il est apprécié des gastronomes, tout comme le fromage ou le vin le sont pour les Occidentaux. Des restaurants, vieux de plusieurs centaines d’années, présentent des menus raffinés offrant une multitude de mets au tofu, de l’entrée au dessert. L’art de faire du tofu se transmet de maître à disciple.

Dans l’Empire du Soleil Levant,mais aussi en Chine, la gastronomie au soja est vaste et originale. On confectionne des fac-similés de viande de toutes sortes avec du soja et ses produits dérivés, du Yuba. John Blofeld, dans son livre Aux confins du Nirvana, pérégrinations d’un bouddhiste anglais, nous décrit ses repas de Yuba, ancêtres de nos saucisses ou pepperoni au tofu. Nous sommes dans les années 30 et l’auteur est à Hong Kong :

(...) L’oncle, tout comme Tahai et la plupart de mes amis bouddhistes les plus observants, était végétarien. À ses yeux, le fait de manger une nourriture animale ne valait pas mieux que d’égorger les bêtes de sa main. Heureusement de nombreux restaurants et des maisons de thé servaient spécialement les végétariens stricts (...) De jeunes garçons ou plus rarement, des filles gracieusement vêtues, circulaient entre les groupes, portant de lourds plateaux accrochés à leur cou. Chaque plateau comportait une vingtaine ou une trentaine de soucoupes de différents mets raffinés et chauds parmi lesquels les buveurs de thé faisaient leur choix. L’habileté des cuisiniers végétariens ne cessait de faire mon étonnement. On trouvait des petits pâtés épicés de différentes sortes, des crêpes roulées, farcies de porc haché et de pousses de bambou, des pâtés de crevettes, des viandes assaisonnées, des langoustines, enrobées de farine de riz étuvé, des tartelettes de crabes, de l’émincé de homard, des tranches de canard rôti, des confitures, des gâteaux , des pâtés, bien d’autres mets aussi difficiles à reconnaître qu’à décrire. Chacune des préparations de viande se composait d’ingrédients purement végétariens, parmi lesquels le soja sous différentes formes jouait le grand rôle. Ils ressemblaient si bien par leur saveur, leur consistance, leur forme et leur aspect aux plats qu’ils imitaient que, pour la plupart, ils auraient aisément trompé un nouveau venu.

Cette merveilleuse légumineuse est un trésor pour les végétarien(nes) et une des solutions pour enrayer la sous- alimentation dans le monde. Cette source infinie d’éléments nutritifs coûte peu mais rapporte beaucoup.

O-Soja merci pour tes services rendus à l’humanité !


À Montréal, on peut déguster des crevettes ou du poulet végétariens à base de soja au restaurant CHU CHAI, 4088 rue St-Denis, (514) 843-4194. Ce restaurant sert une fine cuisine végétarienne thaïlandaise.

Source :

The Book of Tofu, William Shurtfleff, Akiko Oayagi, Ballantine Books.

Mangeons du soja, Herman et Cornelia Aihard, Collection l’Ordre de l’Univers Harmonisation de l’alimentation, Aveline et Michio Kushi, Guy Trédaniel Éd.

Manger pour mieux vivre, Lina Pilote, Libre Expression

Le soja : des hormones dans notre assiette, Une véritable amie, volume XIII, no. 9

What’s special about soy ?, The Gazette, 6 août 98

Internet : [http//www.soyfoods.com.] , US Soy Food Directory

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