Étude d’un clou découvert dans un site près de Monastir (TUNISIE)
Rapport
d’étude archéo-métallurgique
Époque: 4ème siècle de l’hégire (10ème
siècle après JC)
Nombre de pièces: 1 pièce cassée en deux morceaux
Morphologie: Forme apparente conique, fortement corrodée
Le clou a une longueur totale de 188 mm, son diamètre est dégressif de la tête (25 mm) à la pointe (2 mm) (figure 1). La pièce est très fragile, elle s’effrite sous l’action du moindre effort mécanique (tentative de tronçonnage, mesure de la dureté par indentation).
Sa corrosion est à un
état relativement avancé qui cache bien la forme originelle de la pièce qui
sera déterminée par une étude de la morphologie externe à l’œil nu. Cet état
est d’autant plus important que le diamètre est faible.
La coloration du produit
de corrosion qui est rouille montre bien que le clou est constitué
principalement de fer. Il est cependant utile de connaître la nature des autres
éléments minoritaires qui y existent, et essentiellement le carbone, pour
pouvoir remonter aux propriétés mécaniques de la pièce. Ainsi l’analyse chimique s’impose.
Par ailleurs, afin
d’avoir une idée sur le processus d’élaboration du matériau et de mise en forme
de la pièce, il était important d’accéder à la microstructure par l’utilisation
de la microscopie optique (MO)
et la microscopie électronique à
balayage (MEB), ainsi qu’à la morphologie interne de la pièce grâce à
la radiographie X.
Un examen approfondi de
la pièce a révélé la présence de méplats qui traduisent une forme pyramidale et
non pas conique (figure 2).
L’observation de la
microstructure a été faite à l’aide du microscope optique (Reichert MEF2) et du
MEB (Philips XL30). Elle a été effectuée sur une coupe transversale
La préparation
métallographique de la surface a été réalisée suivant les étapes suivantes:
- Polissage au papier
abrasif SiC: 320, 500, 800, 100
- Polissage à l’alumine
- Attaque chimique
éventuelle au Nital 5% (Acide nitrique 5% en volume dans de l’éthanol)
La surface a été
observée au microscope optique à la suite de ces deux opérations. Une très
grande porosité a été constatée au cœur de la pièce. La pièce a été ensuite
attaquée au nital 5%. Ce réactif révèle en
général les microstructures des aciers et fontes faiblement alliés. Cependant
il n’a eu aucun effet sur la microstructure de la pièce étudiée. La structure
semble être ferritique à gros grains ce qui est caractéristique d’une structure
de haute température (figure 3).
L’observation de la
couche qui entoure le cœur de la pièce (couche d’oxydes) a révélé la présence
d’une grande densité de gros amas ayant l’apparence de produits siliceux (figure
4). Les même constatations ont été faites à la suite de l’observation au MEB
(figure 5).
L’observation de la
pointe n’a malheureusement pas pu se faire car son état de corrosion est très
avancé.
Figure 3:
Micrographie optique du cœur de la pièce, avec attaque Figure
4: Coupe transversale du clou, sans attaque
Figure
5: Micrographie électronique à balayage, sans
attaque
ANALYSE CHIMIQUE
Deux méthodes ont été
utilisées pour déterminer la nature et la quantité des éléments chimiques
présents dans le clou. La première est la fluorescence X effectuée à l’aide
d’un analyseur d’alliage portable (Metallurgist-XR) muni d’une sonde renfermant
2 radio-isotopes, le Fe55 et le Cd109, qui permettent la détection d’un nombre
limité d’éléments métalliques. La deuxième méthode est l’analyse par EDAX DX4
sur un MEB Phillips XL30 qui utilise les électrons rétrodiffusés pour
déterminer aussi bien localement que globalement la nature des éléments
chimiques présents. Cette deuxième méthode est plus précise. Il est utile de
signaler que l’analyse a été effectuée sur une coupe transversale du clou.
L’analyse globale a
révélé la présence, par ordre décroissant d’importance de Si, Fe, O, Al, Ca, C
et Mg (figure 6). La forte présence de Si est due à l’existence dans la
microstructure d’un % élevé d’agrégats de silice (figure 7), identifiés comme
tels grâce à l’analyse locale par EDAX (figure 8).
Figure 6:
Analyse chimique globale par EDAX de la zone centrale d’une coupe transversale
du clou (tension utilisée: 20kV)
L’analyse de la matrice
adjacente à l’agrégat analysé en figure 5 montre une présence prépondérante du
fer, le silicium n’étant plus qu’un élément minoritaire (figure 9).
L’omniprésence de l’oxygène traduit la présence d’oxydes, probablement de fer.
Il est important de signaler que pour cette zone le C n’a pas été analysé, la
tension utilisée étant trop élevée (30kV).
Figure 7: Agrégats
de silice observés par MO Figure 8: Analyse
locale par EDAX de l’agrégat (B) de la figure 7
Figure
9: Analyse chimique par EDAX de la matrice
(A) de la figure 7
La radiographie X a pour
but de visualiser la structure interne du clou. L’anticathode utilisée est en W
et la tension d’excitation est de 2000 kV. Le premier essai effectué sur
l’échantillon a utilisé une tension et une durée d’exposition proches de ceux
normalement utilisées pour les aciers et fontes. Cependant ces paramètres
sesont avérés beaucoup trop important pour notre pièce, les RX l’ayant
entièrement traversé. Il a fallu diminuer le voltage et la durée d’exposition à
110 kV et 30s. Ce voltage correspond à un rayonnement X moyens normalement
utilisés pour les matériaux à faible densité.
Les radiographies prises
ont donné un élément important d’explication. Elles ont montré une présence
importante de produits de corrosion à la surface du clou. Les produits de
corrosion sont généralement poreux et laissent passer les RX. Mais mis à part
ces produits, le cœur du clou et principalement la tête, présente une porosité
importante bien apparente sur la radiographie car elle est plus sombre dans
cette zone, et localisée selon la figure 10. Ce phénomène s’estompe quand on se
dirige vers la pointe du clou.
La grande présence de
porosité révélée aussi bien par microscopie optique ou radiographie X suppose
que la pièce a été coulée. Nous n’avons pas trouvé de trace de travail mécanique
de la pièce (martelage ou forgeage) qui aurait pu se faire surtout au niveau de
la pointe, mais l’état de corrosion avancée des parties les moins épaisses
(principalement la pointe) ne permet pas l’observation de la structure
d’origine.
Les coupes effectuées
sur la pièce ont montrées qu’il y avait une grande différence entre la couche
qui l’enveloppe et le cœur.
L’aspect, la composition
et la réaction du cœur à l’attaque chimique nous laisse croire que le matériau
qui le constitue est de l’acier à teneur en C faible. Quand à la couche
externe, sa constitution nous rappelle beaucoup plus les scories que les
produits de corrosion. En effet, on y retrouve de la silice, probablement des
oxydes de Mg, Al et Ca. Cette couche est, par ailleurs, très poreuse et de
faible densité comme prouvé par la radiographie X. Des études sur des scories
trouvés dans des sites archéologiques en France (1) ou en Syrie (2) ont montrés
une composition et un aspect similaire.
Il reste à comprendre
comment cette pièce a été élaboré pour garder autant de produits de
transformation du minerai de fer. Mohen (3) a signalé la présence en Aquitaine
de pièces élaborées à partir de fers mal purifiés des scories dans lesquels ont
été détecté la silice et autres impuretés issues du minerai. Mais il semblerait
que ces pièces dateraient de la période primaire de l’âge du fer.
Ce type d’amalgame
pourrait avoir été élaboré dans un fourneau dit « avec fosse à
scories » que Tylecote (4) et Mohen (5) ont largement décrits. Le fer y
est produit mélangé à la scorie. Les forgerons le récupérait ensuite pour le
débarasser de ces scories et le mettre en forme.
Si, comme nous le
pensons cette pièce a ét moulé et non travaillé mécaniquement, la présence des
constituants de la scorie pourrait être plausible.
Il serait alors
intéressant de focaliser les travaux futurs pour élucider cet aspect et voir si
des foyers existent non loin de la région où cette pièce a été retrouvée.
1- I. Guillot, Relation
entre microstructures et analyses d’objets ferreux anciens, et procédés
d’élaboration et de mise en forme, Mémoire de DEA, Université de Technologie de
Compiègne, juin 1985
2- G.M. Ingo, L.Scoppio, S. Mazzoni, G. Mattogno, A. Scandurra, Application
of surface and bulk analytical techniques for the study of iron metallurgy
slags at tell Afis, Mat.Res.Soc.Symp. Proc., Vol.267, Materials issues in art
and archaelogy III, 1992, p.285
3- J.P. Mohen, l’âge du
fer en Aquitaine, Mém.Soc.Préh.fran., 14, p.338, 1980
4- R.F. Tylecote, a history of metallurgy, the metals society, 1984
5- J.P. Mohen,
Métallurgie préhistoriqe-Introduction à la paléométallurgie, éd. Masson, 1990