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La Louve

Le taureau évadé

===== Le Midi-Internet -- 15-08-99 - 19 h 18 -- UN TAUREAU EN FUITE PRÈS DE LACOLLE, AU QUÉBEC. Un taureau qui devait participer à la Féria de Montréal le week-end prochain a réussi à prendre la fuite lors de son passage aux douanes de Lacolle, au sud de Montréal, dimanche. L'arrivage de huit taureaux, en provenance du Mexique, devait être inspecté aux douanes. Une des bêtes s'est enfuie soudainement en basculant une porte de métal lorsqu'on a voulu le mettre dans un enclos temporaire. L'animal a retrouvé la liberté en empruntant par la suite une sortie de secours. Ce taureau est dangereux. Il est dressé pour les corridas. La population à proximité de Lacolle doit donc être prudente et surtout ne pas s'approcher du taureau. On doit aviser les autorités si on l'aperçoit. =====

Il arrivait à la Louve, bien qu'elle se sentit particulièrement bien en compagnie de son Loup, d'avoir des envies irrésistibles de solitude. Elle avait si longtemps vécu seule que, parfois, la cohabitation lui pesait un peu.

Vivre avec quelqu'un, bien sûr, n'est pas de tout repos. L'un comme l'autre, les deux loups étaient constamment à l'affût des mots, des gestes, même -- et surtout! -- des silences de l'un et de l'autre. Forcément, il fallait fréquemment s'expliquer, se justifier, se dévoiler, s'exposer, se refermer, se fâcher, et... se réconcilier. Bref, tout cela épuisait à la longue... mais c'était là la rançon de la non-solitude.

Ainsi, la Louve avait envie de se retrouver en tête à tête avec elle-même. Il lui prenait des soifs intenses de silence, de grands espaces et d'odeurs nouvelles. Elle résistait de toutes ses forces aussi longtemps qu'elle le pouvait... mais elle finissait par prendre le large après avoir recommandé à son partenaire de ne pas s'inquiéter, parce qu'elle reviendrait vite. Et c'était réellement son intention.

Lors de chaque escapade, la Louve parlait de la rareté des proies, lesquelles devenaient de plus en plus difficiles à capturer. À aucun prix, elle n'aurait voulu faire de peine à son Loup... qui n'aurait peut-être pas compris tout à fait, qui se serait questionné jusqu'à l'insomnie ou l'épuisement pour tenter de découvrir ce qu'il avait bien pu faire d'incorrect pour que sa Louve s'éloigne ainsi de lui. Pourtant, lui-même n'était nullement en cause, oh non. C'était un loup modèle. C'est que la Louve était tellement moins sociable que lui, plus solitaire encore qu'il ne pourrait jamais l'être. Ils étaient différents, voilà tout.

La Louve en cavale traversait alors les bois comme au temps où elle était jeune, en dépit des poils blancs qui envahissaient de plus en plus son pelage. Les narines larges ouvertes, elle avalait de grandes bouffées d'air qui goûtaient l'humus et la terre mouillée. Elle en frémissait de plaisir.

Or, un de ces jours, en déguerpissant ainsi de leur antre commun, la Louve rencontra Sire Renard qui revenait des terres du Sud. Ils entamèrent une longue conversation, car ils se connaissaient de longue date. La Louve le savait menteur, mais en contrepartie, c'était un excellent conteur, et il avait le mérite de voyager beaucoup.

Voici ce que Sire Renard raconta, ce jour-là, à la Louve:

«En rôdant près de Saint-Bernard de-Lacolle, j'étais à la recherche d'une poule pour mon souper. Soudain, j'aperçois une petite vache complètement isolée du troupeau, attachée derrière un poulailler. Elle me dit s'appeler Germaine. Elle m'expliqua que le fermier l'avait mise en quarantaine, sur les conseils du vétérinaire, parce qu'elle était trop nerveuse et ne pouvait entrer en gestation. Or, ne voulant pas l'importuner de ma présence, je salue Germaine et m'esquive en douce. Toujours en espérant trouver une entrée privilégiée dans les "murs poulailler", j'en fais le tour, et tapi au ras du sol, j'attends ma chance, lorsque...

Soudain, ne voilà-il pas que j'entends un remue-ménage, un vacarme de tous les diables derrière le poulailler: des beuglements comme je n'en avais jamais entendus de ma vie! Je me précipite, et qu'est-ce que je vois? Un taureau énorme, noir et luisant, grimpé sur la pauvre Germaine qui semblait vouloir rendre l'âme! Il lui murmurait à l'oreille des mots saccadés, à l'accent bizarre, des mots que je n'avais jamais entendus de ma vie. De ce taureau émanaient des odeurs inhabituelles d'ail et de piment fort!

Quand tout «cela» fut terminé et que le taureau se fut éloigné -- ce qui prit un temps exceptionnellement long, pour autant que j'aie pu en juger par l'accablement de Germaine --, j'ai attendu que la pauvre reprenne ses esprits. Je me suis approché d'elle doucement: « Dis donc, Germaine, d'où sort-il, celui-là? -- Ah... fit-elle en redressant fièrement la tête. Il vient de loin... Du pays du soleil... C'est un taureau mexicain, un champion de corridas... Il m'assure que je suis la compagne de sa vie... Il dit qu'il reviendra, me détachera, m'emmènera avec lui, chez lui... Il dit qu'il ne peut plus vivre sans moi... Il dit que...»

Hum... Moi qui en ai vu bien d'autres, je trouvais Germaine plutôt naïve. -- «Où allez-vous vivre? Comment allez-vous assurer votre subsistance?» Germaine se fâcha tout net: «Toi, le Renard, tu as des valeurs tellement matérialistes, comme tous les gens d'ici! Les ressortissants du pays d'où il vient ne sont pas ainsi, eux. Peu importe demain puisqu'aujourd'hui nous sommes là. Peu importe la mort puisque dans son pays où je vais, nous nous rirons d'elle! Il n'y a pas que le confort matériel dans la vie, tu sais! Il y a l'amooooooouuuurrr....» fit-elle dans un long beuglement exalté.

Je ne voulais pas heurter la pauvre Germaine et je lui souhaitai beaucoup de bonheur. Son inexpérience et sa jeunesse l'excusaient. Mais moi, je n'avais toujours pas capturé ma poule, et j'avais grand faim... Je poussai donc une pointe vers la ferme suivante où, espérais-je, le poulailler serait davantage sujet aux failles de sécurité. Et c'est chemin faisant que... j'aperçus le champion des corridas en train de se livrer au même spectaculaire manège auprès d'une nouvelle conquête! J'en fus peiné pour Germaine, mais non surpris. J'avais la certitude qu'une fois lassé de faire la cour à toutes les jeunes vaches de la région, le beau taureau aurait fort envie de retrouver les soins dont on l'entourait, en tant que champion lucratif...

Après avoir réussi à happer une poule imprudente qui s'était aventurée hors du poulailler où je montais la garde, je revins plus tard sur mes pas pour saluer Germaine. Je n'ai pas poussé la cruauté jusqu'à lui raconter ce dont j'avais été témoin. Mais la pauvre Germaine semblait se douter de quelque chose. Le taureau était revenu la voir, oui, mais il s'était contenté de se vautrer dans la litière neuve que le fermier venait de déposer, il alla se repaître du foin destiné à Germaine. Il semblait trop épuisé pour être en mesure de lui rendre d'autres hommages que celui de lui dire qu'elle semblait... être bien nourrie. Et puis une fois rassasié, le taureau prit le large. Il ne parla ni de la détacher ni de revenir la voir. Il lui jeta simplement un «hasta luego» qui voulait sans doute dire «adieu».

Germaine pleura beaucoup en me racontant tout cela, surtout qu'elle était prise de nausées depuis quelques jours, ce qui ne l'aidait en rien. Mais je peux te dire, la Louve, que le fermier aura la surprise de sa vie en découvrant que Germaine, qu'il a gardée si longtemps isolée, aura bientôt un veau !»

Sire Renard, arborant un grand sourire narquois qui était loin de la compassion, prit congé de la Louve. Celle-ci demeura perplexe. C'était une drôle d'époque, vraiment, où les animaux s'accouplaient juste pour le plaisir du moment, sans même se connaître...

La Louve avait chassé suffisamment pour assurer la pitance de leur couple pour quelques jours encore. Elle avait maintenant très hâte de retrouver son Loup pour tout partager avec lui, tant les fruits de sa chasse que cette mésaventure de Germaine et du taureau évadé.

Le Loup et elle se satisfaisaient au quotidien de petits bonheurs furtifs, d'éclats de rire et de complicité. La Louve lui répétait fréquemment que s'ils étaient constamment ensemble, peut-être en arriveraient-ils à se lasser l'un de l'autre, voire même à se détester, parce qu'ils n'auraient plus rien de nouveau à partager ou à échanger. Mais le Loup avait des doutes.

====== Le Midi-Internet -- 17-08-99 - 18 h 43 -- LE TAUREAU LIBRE A ÉTÉ RETROUVÉ -- Le fameux taureau mexicain, qui s'était enfui de son enclos samedi dernier au poste frontalier de Lacolle, a été capturé vers 17 h mardi après-midi aux États-Unis, tout juste au sud de Lacolle. C'est un agriculteur qui l'a repéré et qui a contacté les autorités. Après avoir été maîtrisée à l'aide d'un tranquillisant, la bête a été transportée au Parc Safari d'Hemmingford où elle sera hébergée jusqu'à ce que les dispositions soient prises pour qu'elle retourne à son propriétaire. Le fameux taureau devrait participer en fin de semaine prochaine à la controversée Corrida portugaise au Stade olympique de Montréal. ===


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