Les récits d'un chevalier errant...
Gol Dung’har, le donjon des Morts

Il me fallait trouver un endroit où me cacher. Le pays était infesté d’orques, de gobelins et d’êtres étranges dont je ne connaissais l’origine. Tout ce que je pus trouver fut un rassemblement plus touffu d’arbres. Je m’y engouffrai, couverture sur les épaules. Assis, guettant. Vers la mi-nuit, les arbres parlaient plus fort qu’à l’habitude. Je compris que trop tard de quoi il en retournait. Une horde d’orques sautèrent sur moi. Je pus contrecarrer l’attaque mais le nombre ne cessait d’augmenter. Une sourde douleur envahit tout à coup ma nuque et je perdis connaissance.

J’ouvris les yeux à peine. Je me demandais même s’ils étaient ouverts. La nuit m’environnait, m’enveloppait, me pénétrait de bord en bord comme un souffle glacial. Je ne voyais rien, même pas mes mains que je savais tendus devant mon visage. Puis la lumière entra soudain dans la pièce où je me trouvais. Elle était hostile, on aurait dit une lumière morte. Lumière de torches ou de quelque mauvaise magie. Un grand gobelin, simplement vêtu d’une espèce de toge à moitié déchiré me regarda, agressivement. Je lisais dans son visage qu’il aurait tellement voulu me dévorer, membre par membre, savourant mes muscles, ma peau, mes entrailles crues… Il ne dit mot, me fit signe de sortir. Mes jambes étaient endolories, elles refusèrent tout d’abord, puis obstiné, je les pressai, voyant le coutelas de ce geôlier impitoyable. Il lut dans mon regard la même haine : que j’aurais voulu l’étrangler, lui enlever la vie pour qu’il n’en prenne plus. Il me poussa fortement dans le corridor, vers ma droite. On m’avait enfermé dans un immense labyrinthe au plus profond d’une montagne. Une construction de nains à l’ancienne. La roche était lisse, le sol droit. Le gobelin me suivait, me montrant violemment le chemin à suivre. Sa main était froide, son souffle bestial empestait. Je trébuchai sur quelque chose. Genoux par terre, il s’empressa de me marteler de coups rudes et salopards. Mon visage heurta le sol; je pus goûter pour la première fois la terre de Gol Dung’har, le donjon des Morts.

Maints passages, tournants, portes, arches, voûtes… La noirceur envahissait l’âme, faisant oublier le chemin, l’espoir et la vie. Désespéré, je ne marchais vers nulle part, à ce qu’il me semblait, la bouche remplie de gravier, de terre et de sang. Mon œil gauche était enflé, mes côtes me faisaient souffrir. Plus d’une étaient cassées. Soupirant, j’arrivai soudainement à une salle beaucoup plus grande. Elle semblait s’étendre à l’infini. Des colonnes de pierre se reliaient pour soutenir le plafond qui devait être richement peint autrefois. Des hommes, des nains, et même des elfes s’affairaient à creuser, casser, dégager, soustraire, cherchant sûrement or, argent, mithril peut-être… Je me désolais de voir autant d’êtres vivants emprisonnés ici. Je compris soudain que c’était mon sort également, aussi funeste était-il.

Des heures, des jours, des mois. Des mois… combien? À creuser, dégager, servir d’entraînement de fortune aux êtres démoniaques, recevant coups sans devoir broncher. Un homme, son nom était Deltor, essaya de rétorquer. Je revois encore sa tête se détachant de son cou dur et noir, volant au travers du corridor et roulant à mes pieds. Un orque m’agrippa par le cou, par derrière, me souleva de terre. Je retombai flasque, sur le dos, pendant qu’il courait vers la tête, léchant le sang qui restait, sourire béat, yeux flamboyants. Puis il la piqua sur une longue lance noire, pour s’en servir d’exemple.

Puis soudain, un jour ou une nuit, je ne savais plus, ils nous laissèrent dans nos cages lugubres. Habitué à un rythme de vie bizarre d’esclave, j’étais debout devant la porte à attendre qu’elle s’ouvre. Bien sûr je cherchais, j’attendais le moment propice pour faire quelque chose, tenter une évasion. N’importe quoi. Puis j’entendis une voix. Je la cherchai. Cela ressemblait à un chant rude, sauvage, dans une langue que je connaissais. Puis je tâtai juste au dessus de mon lit de pierre une entrée d’air. L’entrée reliait toutes les chambres. Quelqu’un chantait le désespoir. Sans le remarquer ma bouche s’ouvrit pour lui souffler :

Les temps sont durs et le corps las
Le temps n’est plus ou il joue au renégat
Mais les étoiles brillent toujours, ami!
Quelque part au fond de ton cœur
Les nuages assombrissent le soleil éteint
Mais prends garde à son infini
Chasse cette cruelle peur
Ouvre les bras, et dans les bras de la Dame Blanche,
[savoure le matin

Je n’entendais plus aucun son, bruit, respire. Puis d’une voix hésitante, le chanteur demanda dans la langue commune :
-Qui êtes-vous?
-Mon nom fut Astyanax, fils de Drax le Guerrier, mais il n’a aucun pouvoir ici, hélas.
-Je suis Albarelion, fils d’Albarel, de l’Ouest.

Puis il se tut. La nuit fut froide, comme les autres mais j’avais un curieux sourire sur les lèvres.

Le lendemain je trouvai Albarelion. Il était un homme, plus grand que moi, blond, les cheveux longs, les muscles noueux. Il me regarda, on se reconnut. Il me fit signe, puis il disparut dans la foule.

Toutes les nuits, après cette rencontre furtive, nous nous parlâmes. Il me semblait que l’obscurité était moins lourde, comme si sa voix dégageait un halo de bienveillance autour de moi. Je crois que c’était la même chose pour lui, puisque je percevais un certain bonheur, si on pouvait parler de bonheur. Mais à chaque fois, la Nuit arrivait à se faufiler. La glace qu’Elle répandait en nous était si froide et traîtresse que je m’haïssais de plus en plus.

Un jour, j’essayais en vain de voir mes mains. Puis la porte s’ouvrit. Je les vis clairement : ces mains étaient miennes, j’en étais le possesseur. Mes mains. Mes jambes, Ma tête. Mes yeux. Ma vie. Quelle vie?

Après ce que j’estimai plus d’un an et un tiers, vint finalement la chance. Je ne sais ce qui arriva. J’entendais les bruits d’un combat dans la grande salle, par les échos des murs. Puis soudain des bruits de pas et une hache fendit en deux la porte de ma cellule. La surprise fut totale. Comme une pauvre bête sans défense, je mis mes mains devant les yeux et m’acculai au mur. Je vis un nain, fort et glorieux, ensanglanté, tenant sa hache haute et splendide, tailladant ma porte à grands coups de victoire. Quelque chose de moi sortit en trombe à ce moment, comme si ça se cachait depuis le tout début pour ne pas que l’on me la vole : mon courage et mon cœur. J’approchai brusquement de la porte et donnai un coup de pied. Ma jambe passa au travers du bois. Il ne restait plus que des morceaux éparpillés ici et là. Déjà le nain s’attaquait à la porte voisine.

La foule courait vers la droite, sentant une sortie. J’allai vers la gauche, fauchant la foule. Albarelion apparut, me pris par le col, et me bouscula jusqu’au mur.
-La sortie c’est de l’autre côté…

Jamais il ne vit un visage plus dur, des yeux aussi étincelants. Je le repoussai avec une force qu’il ne me croyait pas avoir. Il tomba à la renverse.

-Ils ont mon épée. Je tuerai pour la ravoir. Va m’attendre à la sortie, ami, je te reverrai.

Puis il courut avec les autres; je sentais ses regards furtifs pendant que je montais une volée de marche. J’avais pu comprendre qu’elle menait à un premier poste de garde, puis à une tour. Le poste était vide. Je continuai ma montée. Je rencontrai un gobelin. Esquivant un coup de sa part, je le fis débouler. J’entendis très distinctement les craquements de ses os qui se brisaient l’un après l’autre. Un cri, puis plus rien.

J’arrivai finalement en haut de la tour. Plus d’un orque y laissa sa vie pour me bloquer le passage. Mon visage était livide, impassible. Les portes éclatèrent à mon arrivée. La peur se lisait sur leurs visages. Morior était là. Ils essayaient encore de la casser, de la briser, en vain.

« Seul le sang du dragon blanc la brisera… »

Je me ruai sur elle sans qu’ils ne bronchent. Trop tard. Elle était maintenant dans ma main, soudé semblait-il à mes doigts et ma paume. Ma rage était meurtrière, sauvage, destructrice. Je ne comptais plus les corps qui s’étendaient devant moi…

Puis je rejoignis la porte nord qui donnait à l’extérieur. Le soleil était aveuglant, brûlait ma peau de ses rayons. Je sortis comme un vainqueur, mais pâle. Puis je me remis à marcher. Je souffrais terriblement. Mais j’étais libre. Libre…


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