"Art Sonore - Musique Concrète" 

rémy carré - 2008

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"les voix obscures"

 

 

Blog "artson"

Les taureaux regardent passer le train des invisibles "Le Train des Invisibles", "Le Territoire", "La Vallée" - autant de titres qui placent la musique de Rémy Carré dans une perspective spatiale. Le train des invisibles, c'est ce convoi immatériel qui véhicule le son d'un haut-parleur à l'autre, le réalisant dans l'espace, conférant à la camera obscura une tri-dimensionnalité sonore. Trains, taureaux, territoires - cette musique est fondamentalement tellurique. Comme les frères Lumière, Rémy Carré diffuse ses films sans image dans des salles obscures, officiant à la table de mixage comme un projectionniste derrière le faisceau clignotant. Le Train des Invisibles, c'est celui qui entra en gare de La Ciotat voici cent ans. Le train de Lumière était muet, la locomotive de Carré est invisible. Invisible parce que les images du compositeur sont intérieures, magnétiques, virtuelles. A un son correspond une image; "Le Bruit des Ailes", dès son titre, fait le lien entre son et vision. "Les Taureaux" évoque le Sud, la lumière, le sang, l'or et le ciel, impose à l'auditeur le scénario de ce film sans images. Invisible parce que ce train appartient à cette génération-là, celle des cut-ups et des épissages de bandes, comme le musicien l'a montré dans Le Voile Gris, mise en pratique et en sons des théories développées par Burroughs dans la génération invisible. Burroughs lui-même samplé dans l'oeuvre, ordonnant à l'auditeur devenu chef de train, compositeur, de ralentir, d'accélérer, de passer à l'envers la bande - le train. Locomotives et wagons glissent sur les rails comme la bande sur la tête de lecture. On remixe les pistes, on fait jouer les aiguillages. La bande devient chemin de fer, machine molle à exploser le temps, véhicule de la déambulation mentale dans l'espace, le territoire. L'arrivée du train en gare de La Ciotat était un exercice de profondeur de champ. C'était aussi le premier film d'épouvante; "Les Taureaux" impressionne par son réalisme - on voit la bête jaillir de l'écran noir. "Même dans une situation d'écoute feutrée, écrit Rémy Carré à propos de sa pièce "Les Appels", nous affrontons la violence du simulacre et aucune respiration, même animale, ne nous permet de nous échapper." Terrifiante mimésis. Le Train des Invisibles est une nouvelle Etude aux Chemins de Fer. Mais là où Pierre Schaeffer, en directeur d'acteurs, avait demandé à des cheminots de produire pour lui des bruits de boggie et de sifflets de train, Rémy Carré s'apparente au réalisateur de cinéma-vérité qui, caméra au poing, saisit la réalité sur le vif et lui redonne une authenticité en lui conférant l'apparence du simulacre.

Serge Féray

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