À quoi ressemble une journée ordinaire de l'ancien batteur des Doors ?
Je me lève vers
7 heures du matin, je fais mon yoga et je prends mon petit déjeuner
avec mon fils qui a 4 ans.
Ensuite, je travaille
sur mon roman. Je fais un peu d'exercice aussi, de la marche à pied
ou du cheval. Je travaille
également avec
un auteur-compositeur, John Coinman. Nous avons monté un groupe
ensemble et réalisé quelques
démos. J'y joue
de la batterie. J'espère que ça aboutira à un album.
Comment en décririez-vous la musique ?
Disons que c'est du rock'n'roll
avec des textes Zen. C'est le son du Sud-Ouest, le son du désert
(d'Arizona et du
Nouveau-Mexique, au
sud ouest des États-Unis NDR)
Êtes-vous toujours impliqué dans la business des Doors ?
Oui, comme par exemple
pour la réédition de " An American Prayer ", l'album de poésie
de Jim (paru l'année
dernière en CD
NDR). Nous avons donc travaillé dessus en studio et réalisé
une vidéo d'un des titres, que MTV a
d'ailleurs refusé
de diffuser aux États-Unis parce qu'elle appartient à la
catégorie " textes parlés ". Partout ailleurs
dans le monde on peut
voir cette vidéo. Je crois que les États-Unis sont vraiment
en retard. Ce pays a fait un virage
brutal à droite,
par conséquent les arts ne comptent pas vraiment. Les Républicain
estiment qu'il faut réduire les
crédits pour
l'éducation des enfants et la culture afin d'équilibrer le
budget de l'État. Mais bon, je deviens politique
là...
Il n'y a pas de mal.
Avec Robbie Kieger et Ray Manzarek vous avez sorti deux albums sous le
nom des
Doors après la
mort de Jim Morrison.
Nous ne voulions pas
abandonner notre connivence musicale, sans pour autant prétendre
remplacer Jim. Qui
aurions-nous pu trouver
pour enfiler ses pantalons de cuir ? (rires) Ray et Robbie ont donc essayé
de chanter, ah,
ah, ah. Au deuxième
album, nous avons commencé à nous disputer et nous avons
décidé qu'il était temps que
chacun suive sa propre
voie, notre figure de proue ayant fichu le camp.
Et vous, vous vous êtes lancé dans une carrière d'acteur...
Il m'était arrivé
de jouer de la batterie pour des troupes de théâtre, du théâtre
d'avant garde, notamment pour
l'Actor's Gang que dirigeait
l'acteur Tim Robbins avant qu'il ne soit célèbre. C'était
super. Dans " Circa ", une autre
pièce de Éduardo
Pavlovsky, un dramaturge Argentin, le metteur en scène m'a invité
à jouer de la batterie. Cette
pièce traitait
des relations entre un homme et une femme, il m'a alors convaincu de tenir
le rôle principal avec ma
femme, qui est actrice.
Je me retrouvait donc batteur et acteur tout à la fois. Ma femme
a voulu aussi jouer un peu
de batterie pour équilibrer
les dialogues. Je lui ai donné quelques leçons. C'est une
pièce intéressante.
Le premier album des
Doors est sorti en 1967. Presque trente ans plus tard, le groupe a rejoué
au
Rock'n'Roll Hall Of
Fame, et vous sonniez de manière incroyablement cohérente.
Cette réunion
est due à Eddie Vedder de Pearl Jam, il voulait chanter avec nous,
c'était fantastique. On a joué
Break On Through, Roadhouse
Blues et Light My Fire. Ah ! quel pied !
Dans votre biographie,
Riders On The Storm, vous affirmez que " Strange Days " et " L.A. Woman
"
sont vos albums préférés.
Lequel aimez-vous le moins ?
" Waiting For The Sun
". Jim commençait son autodestruction, et j'étais dévasté.
J'avais même décidé de quitter le
groupe, mais je suis
revenu le lendemain en studio, je ne pouvais me résoudre à
abandonner la musique, ce chemin
de vie que j'avais trouvé
avec les Doors. Pourtant notre chanteur était en train de se détruire.
Sur scène, il était
grand, super. Mais cet
album marquait sa descente. Il buvait sec, il était vraiment malade,
c'était un alcoolique,
c'était chez
lui un problème biologique. Avec " Waiting For The Sun ", je ne
suis toujours pas emballé par notre
premier album, en revanche
j'aime beaucoup le second, " Strange Days ", parce que nous étions
plus à l'aise en
studio et parce que
nous expérimentions beaucoup. Chacun de nous avait déjà
une bonne expérience musicale. À
mes débuts, j'étais
un mordu du jazz, je dénigrais même le rock'n'roll. Mais quand
les Beatles ont débarqué, j'ai
pensé : " Bon
Dieu, c'est dingue ! ". Et tout doucement je me suis branché sur
le rock, le blues et tout le toutim. Mais
j'ai commencé
par le jazz. J'avais donc cette expérience avant de rencontrer les
Doors, et Jim avait lu tout ce que le
monde compte comme livre,
il savait jouer avec les mots. Lorsque j'ai rencontré Ray, nous
avons parlé de Coltrane
et de Miles, nous avions
les même influences. Lorsque nous avons joué ensemble, le
courant est passé
instantanément.
Récemment, je suis allé voir Elvin Jones, j'en ai profité
pour lui donner mon livre. J'étais plutôt
intimidé car
le jazz c'est de l'art, et j'ai pensé qu'il aurait pris de haut
le rock'n'roll. Je lui ai dit : " Dans ce chapitre,
j'ai écrit que
c'est vous qui avez influencé mon jeu de main. " Il a été
si gentil que ça m'a profondément touché.
C'était si on
de pouvoir remercier quelqu'un. J'ai copié chacun de ses plans,
j'étais capable de reproduire son style,
bien que je n'aie jamais
joué ainsi avec les Doors. Néanmoins mes racines sont là,
Elvin m'a donné toute ma
technique.
C'est vrai que votre jeu était davantage basé sur un travail aux mains qu'aux pieds.
Comme Mitch Mitchell,
j'ai un jeu de mains très rapide, c'est à cause de l'influence
de la vieille école jazz et bebop.
Mes pieds ne sont pas
aussi rapides. Lorsque le jazz fusion est arrivé, ça m'a
tué : ces types " pédalaient " si vite !
J'avais du boulot !
À la fin des 60's, Ginger Baker était le batteur numéro
1, et en plus un grand soliste. Il avait plus
de technique que moi.
Mais Dieu merci, la technique n'est pas tout. Je suis davantage un musicien
accompagnateur,
et Bruce Springteen
m'a dit à la cérémonie du Hall of Fame que mon originalité
résidait dans ma manière de gérer le
silence. Comme dans
The End où je balançais juste un coup de grosse caisse çà-et-là.
Je ne sais pas comment
expliquer mon style,
je peux seulement dire que j'écoutais attentivement les paroles
en essayant d'être musical.
En somme, vous aviez déjà un don pour la dramaturgie...
Oui, et pour jouer sur
les dynamiques : jouer avec puissance puis soudain jouer très doucement.
C'est ce qui me
séduisait avec
les Doors.
Je suppose que vous devez appréciez un groupe comme Nirvana qui accentue aussi cet effet dynamique ?
Oh oui, c'était un groupe merveilleux.
Justement, quelle musique écoutez-vous aujourd'hui ?
De tout, Pas trop de
grunge ou de rap, mais je respecte et admire ces musiques et je suis heureux
que ça existe. Je
m'intéresse à
la world music, je trouve fascinant que les pays anglo-saxons écoutent
de la musique chantée dans
d'autres langues, c'est
plutôt sain. On peut capter l'essence d'une culture à travers
sa musique, sans passer
obligatoirement par
l'expression littéraire.
Les Doors n'ont jamais eu de bassiste sur scène, en revanche ce fut le cas en studio.
Le synthétiseur
Moog n'existait pas encore, mais Ray jouait du clavier basse Fender Rhodes.
Nous avons pensé
que ça sonnait
bien et que nous pourrions nous passer ainsi du bassiste, c'était
notre " différence ". Tout était bon
pour être différent.
Mais en studio le Fender Rhodes ne sonnait pas aussi bien. Pour le deuxième
album, nous avons
engagé différents
bassistes, mais ils reprenaient exactement ce que Ray jouait sur scène.
En concert, jouiez-vous différemment pour compenser l'absence de bassiste ?
Jouer avec la main gauche
de Ray au lieu d'un vrai bassiste était plutôt intéressant
pour un batteur. J'ai dû travailler
dur pour maintenir le
même tempo que Ray. Lorsqu'il partait en solo avec sa main droite,
il avait tendance à
accélérer
sa main gauche, et je devais le suivre. Mais d'un autre côté,
s'il y avait eu un bassiste, il aurait joué plus de
notes. J'avais donc
davantage d'espace que je remplissais avec des commentaires percussifs
et des accents en
réponse au chant
de Jim.
Comment était accordée votre batterie ?
Assez détendue
et selon la grille d'accords du morceau. J'ai débuté la batterie
alors que j'étais au lycée, dans la
fanfare, ce qui m'a
donné dès le départ une bonne idée de ce qu'était
le jeu en groupe. Après j'ai joué dans toutes
sortes de contextes
: grands orchestres, groupes de bal, tout. J'avais de bonnes bases, cela
m'a aidé à comprendre
comment fonctionnait
chaque instrument, comment régler les niveaux, l'égalisation,
les effets. Ensuite, j'ai développé
seul ce que certains
décrivent comme " un style et un son unique ". J'aime que les peaux
soient vraiment détendues,
de vieilles peaux pourries.
Écoutez Hello I Love You par exemple, on entend bien que les peaux
sont vraiment
vieilles, c'est ce qui
donne toute sa personnalité au son de batterie dans cette chanson.
Mais quand les peaux
finissaient par me lâcher
et que je devais en mettre des neuves, il me fallait supporter leur sonorité
bien propre
pendant plusieurs semaines,
c'était horrible. Cela dit, je ne me préoccupais pas tellement
de l'accord jusqu'à ce que
je connaisse ma première
expérience en studio.
Parlez-nous de votre batterie de l'époque.
Ma première batterie
était une Gretsch, ensuite j'ai joué Ludwig pendant des années.
Aujourd'hui j'ai une Pearl avec
une caisse claire Ludwig.
Avez-vous gardé la batterie avec laquelle vous avez fait votre première séance avec les Doors ?
Non, il ne me reste que
la caisse claire et le tom bass, et une de mes batterie décore le
Hard Rock Hotel de Las
Vegas (rires).
L.A. Woman, de l'album
du même nom, comporte une structure complexe avec des changements
de
rythmes et de tempos,
cette chanson fut cependant enregistrée live en studio.
À la base, il
s'agissait de quelque chose de plus bluesy et nous avons essayé
différents rythmes. Jim était dans une
autre pièce,
isolé de nous. Les albums précédents étaient
bien plus structurés que celui-ci. Le premier album était
assez live, puis nous
avons essayé de faire notre " Sergent Pepper ". Pour " L.A. Woman
", notre dernier album
(avec Jim Morrison NDR),
nous ne voulions pas nous soucier de la technologie, nous avons donc décidé
d'enregistrer en direct
avec un 8 pistes. Le 16 pistes existait déjà, et nous l'avions
utilisé pour l'album précédent,
" Morrison Hotel ",
mais nous voulions enregistrer " L.A. Woman " dans un studio de répétition,
être relaxes, et
produire nous-mêmes.
Le résultat est brut avec beaucoup de feeling.
Les Doors font partie
de votre vie de tous les jours. Être un " ancien Doors ", n'est-ce
pas trop lourd à
supporter parfois ?
Oui et non. Ça
me donne certainement la liberté d'écrire un roman. Mais
il faut être digne de cet héritage. Par
exemple, il y a eu un
film intitulé Strange Days (titre d'un album des Doors NDR), que
je n'ai pas vu mais dont j'ai
seulement lu une critique.
Bien qu'il soit réalisé par une femme, il s'agit d'un de
ces films ultra violents qui prétendent
dénoncer la violence.
On y voit des viols et des meurtres, et vraiment, n'en a-t-on pas assez
? Alors, j'ai fait don à
une association qui
vient en aide aux victimes de violence de tout l'argent que j'ai reçu
des droits d'auteurs du titre.
J'ai pensé que
mon karma ne serait pas propre si j'acceptais cet argent.
Avez-vous d'autres projets en dehors de la musique, du théâtre et de la littérature ?
En dehors de notre travail
d'acteur, ma femme et moi sommes impliqués dans les " Men's Group's
" (littéralement
" groupe d'hommes "
NDR, mouvement qui travaille sur la psychothérapie de groupe). Le
but de ces groupes est de
partager les sentiments.
J'ai rencontré un type à une de ces conférences qui
s'occupait d'un programme de
réhabilitation
dans une prison de Louisiane. L'administration pénitencière
lui avait donnée la permission de distribuer
des tambours aux prisonniers,
j'ai trouvé ça génial. J'ai acheté une vingtaine
de tambours et je les ai envoyés à la
maison de correction
de Baton Rouge, en Louisiane. Six mois plus tard, je m'y suis rendu avec
ma femme, et nous
avons passé un
après-midi à jouer du tambour, à danser, à
pleurer et à partager nos émotions avec les prisonniers.
C'était incroyable.
Ma femme a voulu filmer cette expérience, mais on ne nous y a pas
autorisé. Le gardien était
vraiment nerveux, il
a pensé que ça ferait une mauvaise publicité à
la prison alors que nous voulions simplement
montrer que ce genre
d'initiative est positive. Finalement, ces ateliers furent interdits...parce
que ça marche. Ce
programme de réhabilitation,
appelé " Project Return ", continue néanmoins en dehors des
prisons ; nous aidons les
anciens taulards à
obtenir des diplômes, nous les orientons, leur donnons des conseils.
Lorsqu'ils se retrouvent
dehors, leur famille
ne savent pas les aider, ils ne trouvent pas de boulot parce qu'ils ont
un casier judiciaire et que
c'est " écrit
sur leur front ". Ce programme est une manière de leur tendre la
main. Il faut cependant qu'ils fassent un
effort pour y participer.
Les prisonniers avec qui nous avons travaillé sont moins enclins
à récidiver : 4% contre 60%
dans le reste du pays.
Musicalement, quel genre de travail effectuez-vous ?
Je leur enseigne des
rythmes simples, puis nous jouons ensemble pendant 15 minutes. Après,
nous formons comme
une communauté,
avec comme lien, le tambour, qui nous aide à communiquer instantanément
nos émotions.
Lorsqu'on joue ensemble,
il se crée une véritable unité. Le Men's Movement
m'a fait prendre conscience d'une
chose : les cultures
que nous appelons " primitives " pratiquaient des rites d'initiation durant
la phase de
l'adolescence. À
13 ans il était clair que vous deveniez désormais un homme,
qu'il était temps de " partir à la
chasse ". Ces rituels
ne sont plus clairement définis dans notre société,
et cela à pour effet qu'à 35 ou 40 ans nous ne
comprenons toujours
pas qui nous sommes. Mais attention, je ne veux pas avoir l'air d'un gourou
!
Votre autobiographie,
Riders On The Storm, traite non seulement de votre vie avec les Doors mais
aussi
de choses plus intimes,
d'une quête personnelle et de vos combats. Vous teniez un journal
au cours de
toutes ces années
?
Non, tout m'est revenu en passant en revue mes souvenirs. Cela m'a pris un an pour l'écrire.
Et le roman que vous écrivez actuellement, quel en est le sujet ?
C'est en partie un droit
de réponse au film d'Oliver Stone, The Doors. J'apprécie
qu'Oliver ait essayé. Il a fait le
Vietnam pendant que
nous vivions notre aventure, c'était son fantasme de se mettre dans
la peau de Jim alors qu'il
croupissait dans un
bunker au Vietnam. Je pense que ce film traite d'un artiste torturé,
ce à quoi ressemble Oliver.
Moi, je m'intéresse
plutôt aux débuts des années 60, avant que tout ne
devienne trop décadent. Il y avait à cette
époque beaucoup
d'espoir pour un changement social, et cela s'exprimait dans la rue. On
pensait vraiment : " On va
changer le monde ".
Nous étions peut-être naïfs, mais le mouvement pour les
droits civiques, le mouvement pour la
paix et celui de la
libération des femmes ont pris leurs racines à cette époque.
Je suis fatigué par les gens qui ne
retiennent des 60's
que l'image de hippies camés. Cela dit, c'est vrai, nous nous défoncions
et je n'essaie pas de
redorer le blason d'un
Jim Morrison auto destructeur ou n'importe qui d'autre. Jerry Garcia (le
guitariste du Grateful
Dead, mort en août
95 dans un centre de désintoxication NDR) est un bon exemple du
meilleur et du pire que nous
aient donné les
60's : c'était un être merveilleux, un esprit généreux,
mais qui n'a pas su combattre les démons de la
dépendance à
la drogue. Alors c'est vrai, nous nous sommes brûlé les ailes,
mais je n'ai pas le sentiment qu'un livre
ou un film aient réellement
témoigné de ce qui ce passait au milieu des années
60, de ce que nous appelions " la
guerre chez nous ".
Il y a eu des films sur le Vietnam, des films importants, pourtant ce que
nous vivions dans notre
propre pays était
aussi important : nous avons arrêté la guerre du Vietnam.
Oui, le peuple a arrêté cette guerre ! Je
m'intéresse donc
à cette période et à tous ces héros anonymes
et oubliés qui essayaient de faire changer les choses.
Puissent-ils inspirer
la génération des années 90. Voilà donc le
sujet de mon livre, un sujet que je connais bien. Je ne
veux pas et ne peux
pas retourné retourner dans le passé. Personne ne le peut.
Mais je suis un peu nostalgique de la
passion qui nous animait
à cette époque. C'est comme cette vieille question : " Si
c'était à refaire, referiez-vous la
même chose ? "
Oui, parce que sinon je ne serais pas l'homme que je suis aujourd'hui.
Nous sommes tous le produit
de nos expériences,
et je suis heureux aujourd'hui.
En somme, depuis la rupture
des Doors, vous avez intentionnellement recherché d'autres moyens
d'expression à
travers le théâtre et la littérature ?
J'ai toujours respecté
mon intuition. Nombreux sont ceux qui se seraient auto détruits
après avoir connu la gloire
telle que nous l'avons
connue avec les Doors. Je me suis mis au théâtre par hasard,
et alors je me suis dit : " Voilà
qui va t'empêcher
de déconner pour un bon moment. " J'ai réalisé que
je suis un acteur ; que se soit dans une pièce
de théâtre,
derrière ma batterie ou à travers l'écriture d'un
livre. C'est le processus créatif qui compte, pas le but à
atteindre.